Pour la première fois depuis plus de deux ans, la gauche gagne une votation sur toute la ligne. Avec une majorité écrasante, le peuple balaye trois objets fédéraux émanant de l’UDC ; et rejette à une majorité non moindre trois propositions de la droite genevoise portant sur la gouvernance des régies publiques. Certes les électeurs genevois acceptent de réduire l’impôt sur les donations, réduction à laquelle nous étions opposés car il s’agissait plus d’un cadeau fiscal supplémentaire aux riches que d’un réel encouragement au mécénat. Mais c’était un objet secondaire, portant sur un pourcentage négligeable de la totalité des revenus du canton ; les libéraux avaient activement fait campagne pour, personne n’avait fait activement campagne contre. L’essentiel est que le peuple ait refusé les six objets réellement importants. Voyons d’abord la votation fédérale.
Pour la première fois depuis longtemps, la machine à gagner soigneusement conçue par Christoph Blocher grince. Trois objets émanant de l’UDC étaient en jeu. En premier lieu, l’initiative sur les « naturalisations démocratiques », soit la suppression du droit de recours et la possibilité pour les communes qui le souhaiteraient d’introduire la naturalisation par les urnes ce qui ouvre la porte à tous les arbitraires, que le parti d’extrême-droite jugeait d’importance stratégique. Certes la campagne udéciste était peu claire : on a en effet pas compris s’il s’agissait de voter contre le Tribunal fédéral, contre la criminalité des jeunes ou contre on ne sait encore trop quoi… Néanmoins, on peut constater avec plaisir que l’UDC perd sur son thème de prédilection, la xénophobie. Deuxièmement, l’amendement constitutionnel mensongèrement intitulée « pour la réduction des coûts de l’assurance maladie », prévoyant de fait le plein pouvoir des caisses, la suppression du libre choix du médecin et de la couverture universelle, donc une médecine à deux vitesses, fut rejetée par le peuple et par tous les cantons. Seuls l’UDC et une partie des radicaux la soutenaient. Certes il ne faudrait pas se réjouir trop tôt, ce projet avait été originellement voté par toute la droite, qui toutefois s’est désistée, ayant sans doute compris qu’il s’agissait d’une attaque trop brutale contre le droit au soin. Il faudra se préparer à ce que la droite revienne avec des propositions plus partielles allant dans le sens d’une libéralisation totale de la santé pour un système à l’américaine (regardez Sicko de Michael Moore). Toutefois, il s’agit d’un net retour de manivelle, et un désaveu de l’arrogance sans limite de Santésuisse, après le rejet de la Caisse unique par le peuple l’an dernier. Enfin, la fameuse « initiative muselière », demandant d’interdire au Conseil fédéral de prendre position sur les sujets de votation, était trop évidemment une vengeance personnelle mesquine de monsieur Blocher, qui n’a pas digéré sa non-réélection.
Ce résultat constitue en premier lieu un camouflet pour l’UDC elle-même, elle qui s’était tant habituée à gagner. Le monolithisme de l’UDC et la puissance personnelle de Christoph Blocher ne sont plus, brisés par Eveline Widmer Schlumpf. Les méthodes totalitaires de la direction du parti ainsi que la mesquine volonté de vengeance du tribun zurichois pour exclure la section de la conseillère fédérale démocratiquement élue, qui ont conduit à une scission dans plusieurs cantons de l’aile libérale de l’UDC, n’ont manifestement pas plu au peuple. L’unité de façade a disparu, Blocher ne contrôle plus le parti, dont certains membres ont même demandé son départ. Mais au-delà de l’affaire Widmer Schlumpf, c’est la ligne ultralibérale et fascisante de l’UDC que le peuple ne suit plus, montrant au contraire son attachement à la démocratie. En effet, la campagne aux relents racistes qui associe au mépris de toute logique la procédure de naturalisation et la criminalité de jeunes étrangers n’a pas passé auprès des électeurs, qui se montrent par contre attachés à l’Etat de droit incarné par le droit de recours et le Tribunal fédéral. Le peuple ne veut pas de système de santé ultralibéral à l’américaine, ni de leader providentiel d’extrême-droite. L’UDC voulait commencer sa carrière de parti d’opposition par une victoire forte, voilà qui est raté. Les caciques du parti brun clair, désemparés et en perte de crédibilité, sont allés jusqu’à revenir sur certaines de leurs positions extrémistes, tel Blocher qui s’est désolidarisé de l’initiative demandant l’interdiction des minarets.
Ce début de crise du néolibéralisme et du néoconservatisme est confirmé par la votation cantonale genevoise. Le peuple genevois a rejeté trois projets de la droite qui visaient à modifier la gouvernance des régies publiques que sont les TPG, les HUG et les SIG, afin de supprimer la représentation des partis présents au Grand Conseil et du personnel, pour mettre à la place des conseils d’administration réduits de managers « apolitiques » (sous-entendu de droite), selon le mythe néolibéral de la compétence ; ce qui fut déjà fait à la BCG, suivi de la faillite que l’on sait. Le peuple à montré par là son attachement à la gouvernance démocratique des services publiques, ainsi que plus généralement un rejet des recettes néolibérales et néoconservatrice. L’heure du début du déclin semble bien sonner pour le grand parti d’extrême-droite. Et quand la droite est en perte de vitesse, c’est une chance à saisir pour le Parti du Travail de remonter la pente en rassemblant le peuple autour d’un contre-projet à celui des possédants, un projet de socialisme du XXIe siècle.