07 septembre 2011

Depuis quatre mois, des grèves massives secouent l’héritage de Pinochet au Chili

Camila Vallejo, jeune communiste
à la tête des étudiants en lutte

Les 24 et 25 août derniers, une grève générale rassemblant plus de 600'000 personnes a secoué le Chili, ce qui est considérable pour ce petit pays qui compte un peu moins de 17 millions d’habitants. Cette grève générale de 48 heures, convoquée par la Centrale unitaire des travailleurs (CUT) et 600 organisations syndicales de base, avait été interdite par le gouvernement de droite du président Sebastiàn Piñera, ainsi que toute manifestation par la même occasion. Malgré cette interdiction, la grève eut tout de même lieu. Le gouvernement réactionnaire choisit alors de déchaîner une répression féroce contre le peuple en lutte : 1'394 arrestations et même des tirs à balles réelles. Un jeune lycée de 16 ans, Manuel Gutiérrez Reinoso, fut ainsi abattu d’une balle en pleine poitrine par un policier, ce alors qu’il ne faisait que suivre la manifestation à deux pas de son domicile. Ces méthodes répressives ressemblent à s’y méprendre à celle d’une dictature, comme le dit très bien Gonzalo Taborga, président de la Commission chilienne des droits de l'Homme: « On vit aujourd'hui au Chili sous un État policier qui ne reconnaît pas le droit à manifester ».

La grève générale de la semaine dernière, convoquée par les syndicats des travailleurs, ne fut pourtant que le point culminant d’un mouvement de lutte qui débuta le mois de mai dernier, un mouvement étudiant. Pour comprendre les origines de ce mouvement, il est nécessaire de remonter quelque peu en arrière dans le temps. L’histoire, tout le monde la connaît dans les grandes lignes : 1970 élection de Salvador Allende à la présidence et tentative de construire par la voie démocratique une société socialiste ; 1973 coup d’Etat de Pinochet et établissement d’une dictature fasciste ; 1990 chute de la dictature et instauration d’une démocratie bourgeoise ; pendant 20 ans gouvernement de coalition entre le Parti socialiste, héritier formel du parti de feu Allende, et du Parti démocrate-chrétien, la Concertation ; 2010 élection de Sébastiàn Piñera à la présidence et retour de la droite au pouvoir. Mais il y a comme une omission dans cette histoire officielle : Pinochet et sa dictature ne sont plus, mais le pinochetisme lui est bel et bien toujours là, et les socialistes chiliens, héritiers de Salvador Allende par le nom de leur parti, sont de par leur politique les dignes héritiers de…Pinochet ! Outre le fait bien connu que Pinochet lui-même n’a jamais été personnellement inquiété, malgré ses crimes, il demeure un fait moins connu : la Constitution en vigueur est toujours celle rédigée en 1980, en pleine dictature. Le régime néolibéral des plus brutal qui soit, imposé alors, est toujours resté intact, et les socialistes au pouvoir n’ont pas même fait semblant de vouloir y toucher.

Un des traits caractéristiques du système chilien est que l’Etat s’est presque totalement désengagé de l’éducation, qui est largement privatisé. Les rares écoles publiques qui subsistent sont aux frais des communes, qui n’ont pas les moyens de les financer décemment, mis à part les communes riches, ce qui crée des inégalités criantes. Les universités sont absolument inaccessibles aux classes populaires. Les frais de scolarité peuvent atteindre des sommes astronomiques allant jusqu’à 1'800 $ par mois (la norme étant entre 250 et 860 $ par mois), et ce même dans les universités publiques ! De tels tarifs sont absolument hors de portée des classes populaires, ils dépassent le revenu mensuel total de beaucoup de familles. Pour les classes moyennes, envoyer leurs enfants à l’université représente des sacrifices insupportables. L’Etat «offre» aux étudiants des prêts bancaires avec des taux d’intérêts de 4%. La plupart des étudiants chiliens commencent leur vie active avec des dettes de l’ordre de 30'000 $. En cas de non-paiement, des peines de prison et/ou des saisies immobilières peuvent être prononcées. Ensuite, les ex-étudiants endettés se retrouvent sur une liste appelée Dicom que les patrons utilisent pour ne pas embaucher ceux qui ont le malheur de s’y retrouver, les condamnant ainsi à une mort professionnelle et sociale. Tout ceci fait du système éducatif chilien l’un des plus chers et des moins efficaces au monde. Preuve, si besoin était, de l’absurdité de l’idée de confier à des privés ce qui est une tâche de service public, et donc de l’Etat, ainsi que voudraient faire certains à droite chez nous.

Au mois de mai, en déclarant vouloir accentuer encore la privatisation de l’éducation, le président Piñera a mis le feu aux poudres. Le premier juin, une grève de 20'000 étudiants éclate à Santiago, la capitale. Des fonctionnaires, des professeurs, des recteurs la soutiennent. Puis suivent des occupations de lycées : plus de 600 ! Le gouvernement réactionnaire tente d’abord de dénigrer le mouvement, avec exactement la même démagogie que la droite en Europe, accusant les étudiants d’irresponsabilité, puis de le réprimer à coup d’arrestations et de tabassages en masse. Mais ni les discours méprisants, ni les matraques, n’ont pu faire plier la détermination des étudiants. Le mouvement n’a fait que prendre de l’ampleur, vite soutenu par les fonctionnaires, les travailleurs, les syndicats, et les parents sous le slogan «je me bats pour mes enfants ». Le 21 août, c’est plus d’un million de personnes qui sont descendues dans la rue pour soutenir les étudiants en lutte.


Aujourd’hui, l’objectif du mouvement est clairement politique et suppose une rupture totale avec le modèle néolibéral mis en place par Pinochet : éducation publique et gratuite de qualité grâce à la réforme de la fiscalité et à la nationalisation du cuivre (le Chili possède 20% des réserves mondiales, nationalisées intégralement par Allende, puis privatisées par Pinochet). La secrétaire de la Fédération étudiante de l’Université du Chili (FECH) et militante des Jeunesses communistes Camila Vallejo affirme : « ce modèle néolibéral ne nous convient pas. Son seul but est le profit et les intérêts d'une minorité. Nous estimons qu'il est nécessaire d'avancer vers un système plus égalitaire. Nous voulons un pays libre, un pays juste, plus démocratique et plus égalitaire. Et c'est pour cela que nous avons besoin d'une éducation de qualité pour tous. »

Le gouvernement réactionnaire ne peut proposer que des demi-mesures cosmétiques, mais le temps est compté pour son régime. Soutenu à l’origine par 37% des Chiliens, le mouvement étudiant l’est aujourd’hui par 81%. Camila Vallejo récolte 68% d’avis positifs. La cote du président Piñera quant à elle se monte à seulement 26%. Le mouvement de lutte né au mois de mai dernier ouvre la voie à un profond changement de société au Chili. Si aujourd’hui le Parti communiste chilien s’en sort à peine mieux que le Parti Suisse du Travail, avec 3 sièges sur les 120 que compte le parlement chilien, il peut et doit jouer un rôle majeur dans la période de bouleversements majeurs ouverts par les étudiants en lutte, une période caractérisée par l’exigence d’une rupture totale avec l’héritage néolibéral putride de la dictature de Pinochet, le retour à l’espoir ouvert et refermé trop tôt avec Salvador Allende, celui d’une société socialiste.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire