31 juillet 2017

La Grande Révolution Socialiste d’Octobre : son héritage cent ans après



Cette célébration des 100 ans de la Grande Révolution Socialiste d’Octobre, ce débat sur son héritage et sa signification aujourd’hui, auraient pu avoir été bien différents. Si l’histoire n’avait pas pris le tournant tragique qu’elle avait en fait pris, qui était inattendu pour presque tout le monde, et qui n’était nullement inévitable – si le socialisme soviétique était confronté à un certain nombre de difficultés et de contradictions dans les années 80, il n’était nullement en crise, encore moins condamné – nous aurions parmi nous à titre d’invité d’honneur un représentant officiel du PCUS, qui aurait parlé solennellement des succès du socialisme et de la grandeur inchangée des idées de Lénine et de l’héritage d’octobre cent ans après. Nous vivrions alors dans un monde différent, dont on peut dire – même si l’histoire ne s’écrit pas au conditionnel – qu’il aurait été bien plus humain et plus vivable pour les classes populaires, mais sans doute nettement moins du goût, précisément pour cette raison, pour l’oligarchie et ses idéologues néolibéraux.

Il va de soi que, pour célébrer les 100 ans de la Révolution d’octobre, et discuter de ce que signifie son héritage aujourd’hui, nous n’avons pas d’autre choix que de partir du fait que l’Etat socialiste auquel elle avait donné naissance, ainsi que pratiquement tous les pays socialistes apparus plus tard dans son sillage, ne sont plus, et que le mouvement politique qui en est issu, le mouvement communiste international, se trouve dans une situation dramatiquement difficile de dispersion, d’affaiblissement et d’un rapport des forces défavorable. Je n’aurai pas la possibilité dans le bref laps de temps qui m’est imparti de faire une analyse un tant soit-peu exhaustive d’une siècle d’histoire complexe et souvent tragique. Je ne pourrai en soulever que certains aspects.

Commençons par dire que le seul fait d’organiser cette fête des peuples à la gloire du Grand octobre est déjà un défi à l’idéologie dominante. On nous presse en effet de toute part, nous comme tous les partis communistes du monde ou presque, depuis plus de vingt ans, de renier l’héritage du socialisme réel qui n’est plus, de brûler ce que nous aurions adoré ;  soit que, comme le conseillent les idéologues bourgeois déclarés ou les sociaux-démocrates avoués ou masqués, la disparition de pratiquement tous les tentatives de bâtir une société socialiste prouveraient l’impossibilité, si ce n’est le caractère tendanciellement criminel de l’entreprise, et que donc il faudrait se résigner à accepter l’économie de marché, pour parler clairement le capitalisme, comme l’horizon indépassable de l’histoire humaine ; soit que, comme l’affirment des gens qui pensent être plus à gauche et plus révolutionnaires que nous, il faudrait admettre que la Révolution d’octobre aurait été « trahie » très tôt dans son histoire, si ce n’est dès le départ, n’aurait donné qu’une « dictature » simpliciter (quoique cela veuille dire), un « socialisme dégénéré », voire un simple « capitalisme d’Etat », et que donc bien sûr il faut aspirer au socialisme, mais à un socialisme authentique, sans aucun rapport avec quoi que ce soit qui ait jamais existé sur Terre, ni sur aucune autre planète dont nous eussions connaissance. Remarquons en passons que ces deux positions se ramènent en fait strictement au même : soit ouvertement dit aucun socialisme, soit oui au socialisme en théorie, mais toujours contre dès qu’il devient réalité.

Nous ne saurions céder à ces pressions, ce serait pour nous renoncer à notre raison d’être, une véritable capitulation inconditionnelle devant l’ennemi de classe, le renoncement à la rupture avec le capitalisme, ce alors que celle-ci devient de plus en plus urgente, ne serait-ce que pour assurer la survie de notre espèce, alors que la voracité des maîtres du capital est en train de rendre notre planète inhabitable d’ici un siècle au plus tard ; ou bien continuer à prôner cette rupture, mais de façon purement verbale, sur la base d’une conception purement gauchiste et déclamatoire, ce qui reviendrait de fait à y renoncer. Et nous n’avons aucune raison de céder, car, somme toutes, l’histoire de l’Union soviétique et du camp socialiste est très loin d’être indéfendable, et même tout à fait digne d’être défendue, une histoire que nous n’avons pas à avoir honte de défendre.



Nous savons bien sûr sur quelles pages, particulièrement tragiques, de l’histoire soviétique on nous fera des objections. Il est pas possible évidemment de nier que de telles pages ont existé, ni de les tenir pour quantité négligeable. Des leçons doivent en être tirées. Mais ces questions là aussi doivent être discutées objectivement, en tenant compte des circonstances de l’époque et de tous les aspects d’une réalité contradictoire. Sans parler même des attaques ouvertement réactionnaires et anticommunistes, nous pouvons répondre à celles et ceux qui sont trop prompts à faire des critiques à l’emporte-pièce aux dirigeants soviétiques, alors que rien ne dit qu’ils s’en seraient mieux sortis s’ils avaient dû agir dans les mêmes conditions, par les mots de Gueorgui Joukov, le maréchal soviétique qui dirigea la prise de Berlin (rappelons que sans le sacrifice héroïque de millions de soviétiques Hitler aurait gagné la guerre….) : « Il n’y a rien de plus simple que, une fois que toutes les conséquences sont déjà connues, revenir aux débuts des événements et faire différentes sortes de jugements de valeur. Et il n’y a rien de plus difficile, que de démêler tout l’ensemble des questions entremêlées, de se repérer parmi toutes les forces en lutte, parmi l’opposition d’une multitude d’avis, de données et de faits immédiatement, à un moment donné de l’histoire ».

Les formes qu’a prises le socialisme soviétique s’expliquent très largement par les conditions extraordinairement défavorables dans lesquelles il fut construit, entre sous-développement économique originel du pays et agression permanente du monde impérialiste – mais au fond une situation révolutionnaire est toujours ou presque une situation exagérément difficile. Aussi, une analyse critique de l’histoire soviétique est nécessaire sans doute, mais par « critique » il faut entendre la volonté d’en comprendre la complexité et d’en apprécier aussi les réalisations indéniables, en aucun cas l’alignement sur les positions de l’ennemi de classe. Citons à ce propos un passage de La Révolution russe, écrite par Rosa Luxemburg en 1918, dans les geôles de Gustav Noske, le « social-démocrate » assassin de la révolution allemande, qui adopta fièrement le surnom de « chien sanglant » (de la bourgeoisie). La Révolution russe de Rosa Luxemburg a souvent la réputation d’une critique du bolchévisme au nom de la démocratie. C’est parfaitement réducteur. A part quelques critiques aux bolcheviks, d’ailleurs assez mal à propos, et une analyse de la question paysanne qui préfigure en réalité assez celle faite par le PCUS au moment de la collectivisation, la brochure de Rosa Luxemburg – une révolutionnaire authentique qui admettait sans réserve le principe de la dictature du prolétariat – était écrite en soutien explicite au parti de Lénine, et se termine par les mots « l’avenir appartient au bolchevisme ». Citons Rosa Luxemburg donc : « Il est clair que seule une critique approfondie, et non par une apologie superficielle, peut tirer de tous ces événements les trésors d’enseignement qu’ils comportent. Ce serait en effet une folie de croire qu’au premier essai d’importance mondiale de dictature prolétarienne, et cela dans les conditions les plus difficiles qu’on puisse imaginer, au milieu du désordre et du chaos d’une conflagration mondiale, sous la menace constante d’une intervention militaire de la part de la puissance la plus réactionnaire d’Europe, et en face de la carence complète du prolétariat international, ce serait une folie, dis-je, de croire que, dans cette première expérience de dictature prolétarienne réalisée dans des conditions aussi anormales, tout ce qui à été fait ou n’a pas été fait en Russie ait été le comble de la perfection. Tout au contraire, la compréhension la plus élémentaire de la politique socialiste et de ses conditions historiques nécessaires oblige à admettre que, dans des conditions aussi défavorables, l’idéalisme le plus gigantesque et l’énergie révolutionnaire la plus ferme ne peuvent réaliser ni la démocratie ni le socialisme, mais seulement de faibles rudiments de l’une et de l’autre ».

C’était écrit en 1918, peu avant le début de la guerre civile. Tout de même il faut dire que l’URSS parvint, une quinzaine d’années plus tard à édifier bien plus que des rudiments de socialisme, mais bien une authentique société socialiste, malgré bien sûr certaines tares et limites. Avec des réalisations indéniables et inimaginables auparavant : développement rapide de l’économie (ce jusqu’au milieu des années 80, n’en déplaise à la légende de la « stagnation »), éradication de la famine et de la misère (endémiques sous le tsar), plein emploi, amélioration spectaculaire du niveau de vie (qu’il convient de comparer non pas à celui des puissances impérialistes, industrialisées bien plus tôt, et qui on pu piller tout le reste du monde pour bâtir leur richesse, mais avec la misère la plus absolue et la plus généralisée d’avant la révolution), une protection sociale étendue et jamais vue auparavant, l’alphabétisation rapide de toute la population (à 75% analphabète auparavant) et une large diffusion de l’instruction et de la culture, l’égalité en droits entre hommes et femmes (à une époque où le contraire relevait de la norme), l’égalité en droit entre toutes les nations et l’amitié entre les peuples (à l’ère des empires coloniaux, du racisme prétendu « scientifique » et de la ségrégation raciale), et surtout une société plus humaine, fondée sur des valeurs de solidarité et d’humanisme, qui commençait à devenir réalité, avant que la restauration du capitalisme n’y mette fin.

La société soviétique avait bien sûr aussi d’autres aspects nettement plus problématiques, comme des carences de démocratie ou l’usage de méthodes souvent répressives de gouvernement. Mais ces carences étaient explicables (bien qu’elles auraient probablement en partie pu avoir été évitées) par la circonstances dans lesquelles le socialisme fut bâti en URSS. Au lendemains de la Révolution d’octobre, le Parti bolchevik au pouvoir se retrouva vite sans alliés, et fut forcé de conduire une guerre civile atroce dans un pays dévasté contre toutes les forces de la réaction interne, comme des faux révolutionnaires d’hier, et contre l’intervention de toutes les puissances impérialistes coalisées. Pour gagner, il était nécessaire de mettre en place et d’appliquer strictement la loi martiale. La guerre civile terminée, le pays était dévasté, les bases du nouveau pouvoir fragiles et la menace extérieure permanente. Aussi, les mesures d’exception ne purent jamais être complètement levées. Ce n’est que la possession de l’arme nucléaire qui fit reculer, bien plus tard, l’imminence d’une invasion extérieure, et rendit possible le « dégel » Khrouchtchévien. Ces circonstances ne favorisaient guère le dépassement de la seule tradition politique que possédait la Russie depuis des siècles de monarchie absolue : celle du despotisme et de l’arbitraire. Au contraire, elles favorisaient le maintien, dans le socialisme même, de cet héritage pourri du tsarisme. Ainsi que l’avait dit Lénine, le 4 juin 1918 : « Quand l’ancienne société meurt, on ne peut pas clouer son cadavre dans un cercueil et l’enfermer dans un tombeau. Ce cadavre se décompose au milieu de nous, il pourrit et nous contamine ». Expliquer les violations de la légalité socialiste ne revient pas à les justifier bien sûr. Il faut dire par contre que, quoique l’on puisse penser des abus des années 30, opposer la « dictature stalinienne » aux « démocraties libérales » n’est que pure hypocrisie. En effet, nombre de ces « démocraties libérales » possédaient alors de vastes empires coloniaux, dont les habitants étaient privées de touts droits, pillés, sauvagement réprimés, astreints au travail forcé, le racisme érigé en norme. Même le génocide n’était pas une pratique si exceptionnelle pour les colonialistes. Au fond, le nazisme ne fit pas beaucoup plus que d’appliquer à des populations européennes les méthodes coloniales. Sans la Révolution d’octobre, sans l’égalité et l’amitié entre les peuples proclamés par le premier Etat prolétarien, sans l’engagement anti-impérialiste sans faille de l’Union soviétique, ce sinistre dispositif serait toujours en place. A ce titre, elle représenta un progrès démocratique colossal. Celui que le nie devrait se demander s’il n’est pas au fond un colonialiste refoulé.

Toutes les réalisations, bien réelles, du socialisme soviétique n’en sont que plus remarquables. Outre celles que nous avons citées, profitons de l’occasion pour dire que, même si le bilan réel ne fut pas toujours remarquable en ce domaine, le socialisme manifesta des préoccupations écologiques plus tôt et plus réelles que le monde capitaliste. Citons par exemple les paroles suivantes de Léonid Brejnev, au XIVème Congrès du PCUS : « En prenant les mesures qui vont permettre d’accélérer le progrès scientifique et technique, il faut tout faire pour qu’il s’accompagne d’une épargne des ressources naturelles, qu’il ne donne pas lieu à une pollution dangereuse de l’atmosphère et des eaux, qu’il n’ait pas pour effet d’épuiser le sol…Nous devons et les générations futures doivent avoir la possibilité de jouir pleinement de tout ce que nous offre la généreuse nature de notre pays »



Mais c’est le cas aussi que, du fait de ces carences et limitations originelles, du fait des survivance de l’ancienne société dans le subconscient de la nouvelle, la société socialiste développa aussi en son sein des tendances contraires au socialisme, qui ressortirent au grand jour avec la perestroïka. C’est ce qu’avait compris Youri Andropov, l’avant-dernier (si on compte l’éphémère Constantin Tchernenko) secrétaire général du PCUS qui fut digne de porter son titre. Je cite : « La transformation du “mien“ en “nôtre“ est un long processus aux aspects multiples, et l’on ne doit pas le simplifier à l’excès. Même quand les rapports de production socialistes ont été établis une fois pour toutes, certaines personnes conservent ou même reproduisent des habitudes individualistes, une tendance à s’enrichir aux dépens des autres, aux dépens de la société ». Andropov tenta de mettre en place des mesures et des réformes afin de relancer le développement du socialisme, dans une formation sociale qui n’était nullement en crise, malgré quelques difficultés bien réelles, et qui présentait de grandes potentialités. Il manqua hélas de temps pour le faire.



La perestroïka gorbatchévienne, a contrario, fut le triomphe de l’opportunisme sans principes ressorti au grand jour, une contre-révolution capitaliste, qui laissa les anciens pays socialistes livrées aux mains d’un capitalisme mafieux, de régimes que peu de gens osent encore qualifier de « démocratiques », qui ouvrit la porte à la désindustrialisation, à l’effondrement de l’économie, à la misère de masse, à une société en décomposition et désespérante, et où beaucoup de gens se souviennent désormais avec nostalgie du socialisme qu’ils ont perdu. Citons à ce propos Erich Honecker, ancien secrétaire général du SED, persécuté par le régime d’Helmut Kohl – celui-là même qui mit en place l’euro, et la chape de plomb ordolibéral doublée de l’hégémonie allemande qui étrangle aujourd’hui l’Europe : « Ce fut une erreur fatale de considérer que la différence des systèmes sociaux puisse cesser d’exister par le seul effet du “Nouveau monde de pensée“. Dans les dernières, l’histoire du socialisme fut présentée de manière défigurée. J’y vois la perte d’identification de beaucoup de gens avec le Socialisme. Plus grave, le caractère inachevé d’un ordre social encore jeune historiquement n’était pas présenté sous tous ses aspects, avec toutes ses contradictions. On analysa les fautes et les erreurs commises lors de la construction du socialisme d’une manière qui remettait en cause les acquis et les idéaux de la société alternative au capitalisme exploiteur. Notre faiblesse consistait à ne pas réussir à rendre vivants tous les acquis de nos idéaux socialistes pour chaque individu. Nous n’avons jamais contesté que le socialisme se trouvait encore à un stade inachevé de son développement […] Les mensonges sur la RDA “stalinienne“ se dégonfleront un jour de la même manière que s’est dégonflé le mensonge de l’incendie du Reichstag. Le jour se fera sur les causes de la tragédie qui, quasiment en l’espace d’une nuit, s’est abattue sur la RDA. Certains “rénovateurs“ ont affirmé que la RDA aurait survécu si la direction de la SED avait emboîté le pas à la direction soviétique sur la voie de la Perestroïka. Mais depuis lors, l’Union soviétique elle-même a hélas disparu, du fait de la Perestroïka. La Perestroïka et la Glasnost en entraîné l’effondrement de l’Union soviétique et la défaite du socialisme ».


Aussi, nous n’avons pas à capituler devant l’idéologie dominante ni à renier notre héritage. Il y a sans doute des leçons à tirer du fait que le Parti de Lénine finit par engendrer à sa tête la minable clique gorbatchévienne. Ce seul fait exige que l’on fasse de l’histoire soviétique une lecture critique. Il n’en reste pas moins que la Révolution et le socialisme furent une réalité, et méritent d’être étudiés aussi à titre de modèle soviétique, et Octobre reste une bannière capable d’inspirer les luttes et les victoires futures. Comme l’avait dit Hugo Chavez « Lénine reste un soleil pour tous les peuples, et toute la terre de la planète ne suffira pas aux obscurantistes pour enterrer les idées de Lénine »

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