Lancée
et déposée par l’associations Initiative Monnaie Pleine/ Modernisation
Monétaire (MoMo), sans le soutien d’aucun parti politique (mais pas sans celui
de quelques personnalités, tel par exemple Jean Ziegler), l’initiative
populaire «Pour
une monnaie à l'abri des crises: émission monétaire uniquement par la Banque
nationale!», dite aussi «monnaie pleine»
a la teneur suivante :
« La Constitution est
modifiée comme suit :
Art. 99 Ordre monétaire et marché financier
1 La Confédération garantit l’approvisionnement de l’économie en argent et en services financiers. Pour ce faire, elle peut déroger au principe de la liberté économique.
2 Elle seule émet de la
monnaie, des billets de banque et de la monnaie scripturale comme moyens de
paiement légaux.
3 L’émission et
l’utilisation d’autres moyens de paiement sont autorisées sous réserve de
conformité au mandat légal de la Banque nationale suisse.
4 La
loi organise le marché financier dans l’intérêt général du pays. Elle règle
notamment :
a. les obligations
fiduciaires des prestataires de services financiers ;
b. la surveillance des
conditions générales des prestataires de services financiers ;
c. l’autorisation et la surveillance des produits financiers ;
c. l’autorisation et la surveillance des produits financiers ;
d. les exigences en matière
de fonds propres ;
e. la limitation des
opérations pour compte propre.
5 Les prestataires de
services financiers gèrent les comptes pour le trafic des paiements des clients
en dehors de leur bilan. Ces comptes ne tombent pas dans la masse en faillite.
Art. 99a Banque nationale suisse
1 En sa qualité de banque centrale indépendante, la Banque nationale suisse mène une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays ; elle gère la masse monétaire et garantit le fonctionnement du trafic des paiements ainsi que l’approvisionnement de l’économie en crédits par les prestataires de services financiers.
2 Elle peut fixer des délais de conservation minimaux pour les placements financiers.
3 Dans le cadre de son mandat légal, elle met en circulation, sans dette, l’argent nouvellement émis, et cela par le biais de la Confédération ou des cantons ou en l’attribuant directement aux citoyens. Elle peut octroyer aux banques des prêts limités dans le temps.
4 Elle constitue, à
partir de ses revenus, des réserves monétaires suffisantes, dont une part doit
consister en or.
5 Elle verse au moins deux tiers de son bénéfice net aux cantons.
5 Elle verse au moins deux tiers de son bénéfice net aux cantons.
6 Dans
l’accomplissement de ses tâches, elle n’est tenue que par la loi.
Art. 197, ch. 12
12. Dispositions transitoires ad art. 99 (Ordre monétaire et marché financier) et 99a (Banque nationale suisse)
1 Les dispositions d’exécution prévoiront que, le jour de leur entrée en vigueur, toute la monnaie scripturale figurant sur des comptes pour le trafic des paiements deviendra un moyen de paiement légal. Il en résultera des engagements correspondants des prestataires de services financiers vis-à-vis de la Banque nationale suisse. Cette dernière veillera à ce que les engagements résultant de la conversion de la monnaie scripturale soient honorés au cours d’une phase de transition raisonnable. Les contrats de crédit existants resteront inchangés.
2 Pendant la phase de
transition, notamment, la Banque nationale suisse veillera à ce qu’il n’y ait
ni pénurie ni pléthore de monnaie. Pendant ce laps de temps, elle pourra
octroyer aux prestataires de services financiers un accès facilité aux prêts.
3 Si la législation
fédérale correspondante n’entre pas en vigueur dans les deux ans qui suivent
l’acceptation des art. 99 et 99a, le Conseil fédéral édicte dans un délai d’un
an les dispositions d’exécution nécessaires par voie d’ordonnance. »
S’agissant
d’un sujet complexe et controversé – et l’auteur de ces lignes n’étant pas
économiste, encore moins spécialiste des questions monétaires – il importait de
reproduire le texte complet de l’initiative, afin que le lecteur puisse en
juger par lui-même (quitte à arriver à des conclusions non identiques aux
nôtres).
Pour
le résumer, en termes plus simples et plus brefs, une « monnaie
pleine » est, selon la terminologie des initiants, une monnaie émise par
la Banque nationale suisse (BNS) et ayant cours légal. Ce qui est le cas pour
les pièces de monnaie et les billets, qui constituent environ 10% de la masse
monétaire libellée en francs suisses. Mais ça ne l’est pas de la monnaie
scripturaire, monnaie électronique que l’on a sur son compte bancaire ou
postal, et dont on fait usage pour payer par carte ou par e-banking. La plupart
des gens croient avoir des vrais francs suisses sur leur compte. Mais ce n’est
pas le cas dans la mesure où la monnaie scripturale – qui représente près de
90% de la masse monétaire – n’est pas un moyen de paiement légal émis par la
BNS, mais une création des banques privées, c’est-à-dire une créance du client
envers sa banque, soit une promesse de la banque de payer le solde en pièces et
en billets. Mais ce n’est pas en soi un moyen de paiement légal, ni un montant
qui est couvert par une quantité équivalente de billets (puisque la masse
monétaire libellée en billets et monnaies ne correspond qu’à quelques 10% du
total). L’argent que les banques doivent à leurs clients est donc un argent
qu’elles créent, mais qu’elles ne possèdent pas vraiment. C’est un système qui
fonctionne en temps normal, puisque les banques ont compris depuis fort
longtemps que tous leurs clients n’allaient pas se précipiter d’un coup pour
réclamer l’équivalent de tous leurs dépôts en billets, ce qui leur permet de
prêter bien plus d’argent qu’elles n’en ont en réalité. Mais en cas de crise,
on peut assister à une vague incontrôlable de retraits en liquide à laquelle
les banques sont incapables de faire face…et se retrouve en faillite. La monnaie scripturaire peut dans ce cas tout simplement s’évaporer,
laissant le client dépouillé de toutes ses économies. Ce privilège exorbitant
offert aux banques de pouvoir créer de la monnaie à volonté les incite
également à en créer au-delà de toute mesure, en particulier sans rapport avec
les besoins réels de l’économie, causant de ce fait des perturbations
économiques, des instabilités monétaires et des crises – cela, sans que la BNS
ne sont en mesure d’exercer réellement sa mission de contrôle du volume de la
masse monétaire en circulation.
Ce
que les initiants proposent pour résoudre ces problèmes, c’est que ce que la
plupart des gens croient être le cas le devienne effectivement, c’est-à-dire
d’interdire aux banques privées de créer de la monnaie, et de transférer à la
BNS le monopole de la création monétaire également pour ce qui en est de la
monnaie scripturale, d’en faire de la « monnaie pleine ». La monnaie
scripturaire existante serait transformée en emprunts des banques auprès de la
BNS. Par la suite, seule la BNS serait habilitée à créer des francs suisse, que
les banques privées devront lui emprunter. La Banque nationale suisse « mène[ra] une
politique monétaire servant les intérêts généraux du pays », tout en
restant une « banque centrale indépendante » (rappelons
qu’elle est une société anonyme, détenue à 70% par la Confédération et les
cantons, et à 30% par des actionnaires privées). Remarquons que seul la monnaie
libellée en francs suisses serait concernée par une mise en application de
l’initiative Monnaie pleine. Les devises étrangères, le marché des actions, des
obligations, des produits dérivés, de même que les crypto-monnaies, ne seraient
pas touchés, puisque précisément il ne s’agit pas de francs suisses.
Arguments des initiants
A
en croire les initiants, leur texte ne présente que des avantages pour aucun
inconvénient, serait dans l’intérêt de tous, et une solution quasi miraculeuse
à énormément de problèmes qui se posent dans le domaine de l’économie et de la
finance. Ce ton, il faut le dire, rend le reste du propos franchement douteux.
Pour juger par vous mêmes (et peut-être ne pas partager nos conclusions), nous
vous conseillons d’aller regarder directement sur leur site (présentant un
argumentaire extrêmement étoffé) : http://www.initiative-monnaie-pleine.ch
Les
premiers gagnants seraient les simples particuliers possédant un compte en
banque. Leur argent serait en effet à 100% constitué de monnaie pleine, du vrai
argent, sûr, qui ne pourrait pas disparaître en cas de faillite bancaire. Le
second gagnant sera l’économie, puisque la BNS sera en mesure de faire
pleinement son travail, et d’ajuster la masse monétaire en circulation aux
besoins de l’économie réelle : désormais plus de bulles financières, plus
de fluctuations spéculatives incontrôlées (les initiants admettent bien que
leur texte n’empêchera pas la survenue de toute nouvelle crise économique, mais
que l’argent des comptes courant serait alors, au moins, à l’abri des crises).
Le troisième gagnant seront les collectivités publiques, auxquelles les
bénéfices de la BNS sont redistribués en grande partie, et qui pourront de ce
fait financer des programmes sociaux « gratuitement », grâce à la
création monétaire. Les banques semblent être perdantes – puisqu’elles ne
pourront plus créer de monnaie – mais en fait elles ne le seront pas, puisque
la BNS pourra très bien leur prêter des francs suisses à un taux zéro, et qu’elles
pourront continuer à offrir, pour le reste, les mêmes prestations qu’avant. En
outre, elles profiteront du fait que le franc suisse, garanti désormais pour la
totalité de sa masse monétaire, sera devenu la monnaie la plus sûre de la
planète. Les initiants rajoutent que même si leur initiative n’est pas loin
d’être le remède miracle, elle ne constitue pour autant nullement une nouveauté
(la monnaie pleine existe depuis plus de 3000 ans sous forme de pièces de
monnaie et de billets de banque), ni de ce fait une rupture radicale.
A force de présenter un argumentaire aussi rassurant, qui cherche à
éviter toute contradiction ni à léser aucun intérêt, fût-ce des intérêts
antagoniques, on atteint non seulement les limites de la théorie économiques,
mais même celes de la simple logique. Nous n’insisterons pas sur ce point, plus
essentiel pour nous étant de lever une méprise : il ne s’agit pas d’une
initiative de gauche – bien que nombre de ses partisans le soient. Sur le site
des initiants, dans la rubrique « Questions et réponses », à la
question : ”Ne serons-nous
pas dans une économie planifiée ?”, la réponse est sans équivoque :
« Bien au contraire, le marché retrouvera une vraie concurrence
libre et loyale.
La monnaie pleine n’a rien à voir avec une économie planifiée, puisque le marché des crédits restera comme aujourd’hui soumis à une libre concurrence entre les mains des acteurs privés. Comme les banques ont le privilège de pouvoir créer elles-mêmes de l’argent, elles bénéficient aujourd’hui d’un avantage concurrentiel par rapport aux autres entreprises. Une telle distorsion de la concurrence est contraire à une économie de marché libre. L’Initiative Monnaie Pleine rétablira une égalité des conditions pour toutes les entreprises de la finance. Les banques devront se rendre le plus indépendantes possible de la Banque nationale en se finançant auprès des épargnants et d’autres investisseurs. L’Etat définira la réglementation-cadre de l’économie, sans intervenir directement dans ses activités concrètes. La Banque nationale aura pour seule mission d’éviter une pénurie ou une surabondance de monnaie dans le marché, et d’assurer que le trafic des paiements ne soit pas entravé, même en cas de crise. »
La monnaie pleine n’a rien à voir avec une économie planifiée, puisque le marché des crédits restera comme aujourd’hui soumis à une libre concurrence entre les mains des acteurs privés. Comme les banques ont le privilège de pouvoir créer elles-mêmes de l’argent, elles bénéficient aujourd’hui d’un avantage concurrentiel par rapport aux autres entreprises. Une telle distorsion de la concurrence est contraire à une économie de marché libre. L’Initiative Monnaie Pleine rétablira une égalité des conditions pour toutes les entreprises de la finance. Les banques devront se rendre le plus indépendantes possible de la Banque nationale en se finançant auprès des épargnants et d’autres investisseurs. L’Etat définira la réglementation-cadre de l’économie, sans intervenir directement dans ses activités concrètes. La Banque nationale aura pour seule mission d’éviter une pénurie ou une surabondance de monnaie dans le marché, et d’assurer que le trafic des paiements ne soit pas entravé, même en cas de crise. »
Les
initiants disent, à un autre endroit de leur argumentaire, que leur initiative
est « un projet libéral », en faveur de la concurrence des monnaies.
A certains moments de la campagne, ils ont révélé quelle était leur véritable
référence : Milton Friedman, une des figures de proue du néolibéralisme,
économiste partisan du monétarisme, et qui n’a eu aucun scrupule de travailler
pour le régime de Pinochet, afin d’utiliser le peuple chilien comme cobayes,
pour tester sur eux les remèdes empoisonnés de sa doctrines, avec l’aide de la
police politique de la dictature.
Le
but de leur initiative se résume à priver les banques d’un privilège indu, afin
de retrouver une économie de marché « saine » et une concurrence
« équitable », ce qui serait sensé résoudre, comme par magie, toutes
les contradictions structurelles du capitalisme. D’ailleurs, ce rôle de
régulation serait dévolu à la BNS, qui resterait une banque centrale
indépendante et partiellement privée. On ne sort pas ainsi des limites du
néolibéralisme. Les néolibéraux n’étaient en effet pas des libertariens. Ils
admettaient qu’une économie de marché ne pouvait fonctionner laissée totalement
à elle-même, et que l’Etat a un rôle essentiel à jouer, dans la mesure où il
doit garantir un cadre législatif et monétaire qui permette un fonctionnement
normal du marché. L’ampleur de cette intervention pouvait varier selon les
diverses écoles. Les ordolibéraux lui accordaient une place assez importante,
le libre-marché n’étant pas un état naturel de la société, et ne pouvant se
maintenir en place que grâce à un « ordre » complexe, garanti et
maintenu par l’Etat. Friedrich Von Hayek assignait comme but prioritaire à la
banque centrale de lutter contre l’inflation. Milton Friedman, quant à lui,
prétendait que même une politique volontariste à but anti-inflationiste devait
être évité – puisqu’elle cesserait d’être efficace dès que les agents
économiques la prendraient en compte dans leurs prévisions. Le rôle de la
banque central devrait se limiter à garantir une croissance stable et
prévisible à la masse monétaire, qui garantirait un cadre stable et prévisible
au marché. C’est exactement dans cette optique que s’inscrit l’initiative
monnaie pleine (ce qui n’est certainement, pour nous, pas un point positif).
Arguments des opposants
Etonnement
– ou pas – un texte sensé être dans l’intérêt de tous, n’ayant que des
avantages et aucun inconvénient, d’après les initiants, récolte surtout des
oppositions, assez franches, et assez peu de soutiens (critiques dans la
plupart des cas). Le premier des opposants n’étant rien de moins que la BNS
(qui pourtant bénéficierait théoriquement le plus de l’acceptation de
l’initiative), suivis du Conseil fédéral, de tous les grands partis nationaux
(le Parti socialiste suisse et les Verts appellent à voter NON au niveau
national, même si leurs sections genevoises, ainsi que la Jeunesse socialiste
suisse, se sont prononcés pour le OUI), ainsi que, bien évidemment, les banques
privées.
Le
premier, le plus fondamental des arguments des opposants est que les système
actuel « fonctionne bien », et que le changer aussi radicalement que
ne le demandent les initiants serait au mieux contre-productif, au pire
extrêmement dangereux. Le deuxième est que ce système n’a jamais existé qu’en
théorie, n’a nul part été mis en pratique, et que ça serait dangereux pour la
Suisse de l’expérimenter seule ; les banques suisses seraient en outre par
là drastiquement désavantagées par rapport à des banques d’autres pays. Il ne
faut pas oublier bien sûr l’argument de la supposée efficience (pour
qui ?) du libre marché du crédit qui existe actuellement, et qui serait,
en cas d’acceptation de l’initiative, remplacé par un contrôle centralisé par
la BNS.
Mais le
plus intéressant, à nos yeux, de ces arguments est que les libéraux
« institutionnels », le PLR et les banques privées, ne se laissent
pas séduire par la référence à Milton Friedman et rejettent clairement les
prétentions « libérales » des initiants. Ils la considérent, au
contraire, comme une initiatitive pour le moins socialisante, si ce n’est
crypto-socialiste. Citons, par exemple, la déclaration suivante de la BNS : « L’émission
de monnaie de banque centrale, qui n’implique pas de dette, comme le prévoyait
l’initiative, exposerait la banque nationale aux désirs politiques. L’appel au
financement de projets et de dépenses publiques par l’intermédiaire de la BNS
augmenterait inévitablement. La politique monétaire indépendante et la réalisation
de son mandat serait à risque ». Le PSS, en revanche, tend à faire de
la profession de foi libérale des initiants un argument supplémentaire contre
leur texte. Nous vous laissons juger qui est le mieux placer pour savoir ce qui
est libéral ou socialiste : les théoriciens à l’origine du texte de
Monnaie pleine, le PSS (dont le caractère socialiste est pour le moins sujet à
caution), ou les décideurs, politiques ou économiques, de la bourgeoisie, dont
le libéralisme est l’idéologie dont ils ont besoin pour exercer leurs
dominations, et qui sont sans doute dignes de confiance s’ils déclarent que
quelque chose menace leurs intérêts.
Pourquoi, malgré tout, voter
oui ?
Clairement,
le Parti du Travail ne peut partager l’enthousiasme sans réserve des initiants
envers leur texte. Tout d’abord parce que non seulement son application ne
constituerait pas la solution miracle, mais une solution à beaucoup moins de
choses qu’ils ne semblent le croire. Parce qu’ils sont enfermés dans une vision
monétariste, ils semblent croire qu’une régulation de la monnaie suffirait à
réguler le capitalisme, et qu’un contrôle sur les seules banques suffirait à
garantir un marché « sain ». Mais ce n’est pas le cas. Ce n’est pas
la finance qui crée les contradictions du capitalisme. Bien au contraire, c’est
la financiarisation de l’économie qui est une conséquence nécessaire des
contradictions intrinsèques du système capitaliste, de la suraccumulation du
capital. On ne peut pas supprimer un effet si on en laisse intactes les causes.
Avec ou sans Monnaie pleine, le capitalisme restera tout autant sujet aux
crises qu’avant. L’initiative n’y aura rien changé. En outre, c’est une
illusion de croire que parce que l’argent sur nos compte sera de la monnaie
pleine, et pas des créances crées par les banques, qu’il deviendra sûr. Certes,
il sera un moyen de paiement légal, et ne pourra de ce fait être simplement
annéanti par une faillite. Mais cela ne signifie pas pour autant que sa valeur
sera garantie. Elle pourrait en fait tout aussi bien – en cas d’hyperinflation
– être réduite à presque rien. Rappelez-vous les images des Allemands devant
tenter de survivre, sous la République de Weimar, en essayant de se procurer le
nécessaire avec des brouettes pleines de Marks qui ne valaient pratiquement
rien – ces brouettes contenaient pourtant de la monnaie pleine ! Et
l’histoire des siècles passés enseigne assez clairement qu’une monnaie pleine –
même doublement pleine, puisque d’une part possédant une valeur intrinsèque de
par le métal précieux dont elle est faite, et d’autre part garantie par
l’autorité politique qui l’émet – peut néanmoins s’effondrer en cas de crise
économique. La BNS ne pourrait pas faire grand chose pour garantir la valeur du
franc suisse. Il faudrait en effet, pour garantir le pouvoir d’achat des
revenus et épargnes existants a minima
un contrôle des prix (ce à quoi la bourgeoisie suisse s’est toujours réfusée).
Et pour qu’un contrôle des prix soit vértiablement efficace, il faudrait une
industrie et une grande distribution nationalisée, ou du moins contrôlée par
l’Etat. On en est très loin. Et bien sûr, nous ne sommes nullement en faveur de
l’indépendance de la BNS – véritable lubie néolibérale – et ce serait effectivement
accorder trop de pouvoir à une banque centrale indépendante et semi-privée.
Et
pourtant, toutes les limitations intrinsèques de « Monnaie pleine »
ne sont pas une raison de ne pas la soutenir. Premièrement, parce que nous
avons bien souvent soutenu, et à raison, des réformes encore plus limitées dans
leurs portées. Deuxièmement, parce que, si nous ne pouvons pas partager tous les propos et objectifs des
initiants, nous n’en pouvons partager aucun
avec les opposants, du moins avec les opposants qui comptent le plus, PLR,
Conseil fédéral, patronat, banques privées. Troisièmement, parce que lesdits
opposants ont pourtant raison sur une chose : les initiants se trompent
lorsqu’ils prétendent que leur projet est libéral, puisque, objectivement, il
va en sens contraire (ce qui est à nos yeux éminemment positif).
En
effet, malgré toutes les dénégations « libérales » des initiants,
malgré le texte de leur initiative qui non seulement maintient mais même
renforce l’indépendance de la BNS, les opposants disent pourtant que celle-ci
serait menacée en cas d’adoption de l’initiative. Relisons en effet la prose de
la BNS : « L’émission de monnaie de
banque centrale, qui n’implique pas de dette, comme le prévoyait l’initiative,
exposerait la banque nationale aux désirs politiques. L’appel au financement de
projets et de dépenses publiques par l’intermédiaire de la BNS augmenterait
inévitablement. La politique monétaire indépendante et la réalisation de son
mandat serait à risque ». C’est que, les initiants, dans leur
néolibéralisme hétérodoxe, peuvent penser qu’il est possible et même
souhaitable de confier des pouvoirs extrêmement étendues à une banque centrale
indépendante et semi-privée. Mais peu seraient d’accord. Si la BNS se voyait
demain octroyer des pouvoirs tels que ceux que l’initiative Monnaie pleine
souhaite lui accorder, cela donnerait lieu à de justes revendications à ce que
de telles tâches de régulation du système financier ne soient pas soustraites
au contrôle démocratique, autrement dit que la BNS soit elle-même soumise à un
contrôle démocratique. Et c’est bien pourquoi le Parti du Travail soutient
cette initiative. Contrairement aux initiants, nous sommes totalement opposés à
l’indépendance de la BNS. Au contraire, nous sommes en faveur de sa
nationalisation et de son contrôle démocratique, pour un contrôle démocratique
de la finance, première ébauche d’un contrôle démocratique de l’économie, plus
vital et urgent que jamais aujourd’hui, alors que 8 personnes concentrent entre
leurs mains une moitié de la fortune mondiale, pendant que des centaines de
millions d’autres souffrent de la fin, et que la quête du profit immédiat à
tout prix menace notre espèce d’extinction prochaine. Nous soutenons
l’initiative Monnnaie pleine dans la mesure où elle peut – malgré la volonté
explicitement énoncée des initiants – servir de pas dans cette direction.
Les Suisses sont en train de redécouvrir les vertus du monopole étatique de la création de monnaie, et de remettre en cause sa captation par des banques privées (comparées à de faux monnayeurs par Maurice Allais, qui fut prix Nobel d’économie). Cela pourrait être une étape de l’assainissement de la fiscalité. Elle serait simplifiée par la suppression de l’impôt sur les revenus - ou au moins sa réduction drastique. Il serait remplacé par une taxation forfaitaire du seul capital physique - impossible à dissimuler - comme Allais l'avait proposé en son temps. Et l’économiste avait montré, c'est à dire calculé, que la première réforme rendait possible la seconde.
RépondreSupprimerAu fond Allais – libéral bon teint - proposait de remplacer l’imposition du travail par la taxation du capital. Son système impose aux détenteurs d’un capital – qu’ils l’utilisent ou non – un loyer pour en disposer. Il estimait que cette réforme serait favorable au bon fonctionnement du capitalisme, à la croissance, la création d’emplois et au combat contre la fraude fiscale.
Demander un loyer à ceux qui détiennent ou contrôlent un capital ne remet pas en cause la propriété privée des moyens de production ou d’échange, mais peut s’appliquer à d’autres formules. Y compris la propriété publique si l’Etat la confie à des entrepreneurs, individuels ou collectifs, avec des idées, un projet mais sans l’argent pour les financer. Le socialisme, sous la forme d’une économie de producteurs librement associés, n’implique pas une gestion étatique bureaucratique, au contraire.