Le 22 avril 1870, à Simbirsk (aujourd’hui
Oulianovsk) dans ce qui était alors l’Empire russe, naquit Vladimir Ilitch
Oulianov, devenu à jamais immortel dans la mémoire de l’humanité sous ce qui
n’était au départ qu’un de ses noms de plume : Lénine. Grand
révolutionnaire et théoricien marxiste, fondateur du mouvement communiste
international dans sa forme moderne, ainsi que du premier Etat socialiste de
l’histoire, il est sans conteste l’une des personnalités les plus considérables
de toute l’histoire de l’Humanité. C’est également l’un des classiques
fondamentaux dont se réclame notre Parti. Aussi, la célébration du
cent-cinquantenaire de sa naissance a-t-elle une grande importance à nos yeux.
Nous aurions d’ailleurs organisé un événement public digne de ce nom, s’il n’y
avait eu le Covid-19
Peut-être d’aucuns de nos lecteurs pourraient
penser que cette commémoration d’un de nos classiques renvoie à un passé devenu
déjà lointain. Après tout, beaucoup de choses ont changé depuis l’époque de
Lénine (en partie du fait de ses propres accomplissements), le monde n’est plus
exactement le même, et tout ne s’est pas passé comme prévu. L’Etat socialiste
qu’il avait fondé connut une trajectoire complexe et contradictoire, s’achevant
par une tragique restauration du capitalisme. Et la situation du mouvement
communiste international est plutôt compliquée en ce début du XXIème
siècle. Alors, pourquoi accorder une place aussi centrale à ce 150ème
anniversaire ?
La réalité est que, d’une part, les hommes, et
les femmes, du passé (même lointain) sont moins éloignés de nous qu’il ne
pourrait le sembler à un regard dénué de conscience historique. Même des
penseurs d’un passé lointain, comme Platon ou Aristote, sont moins éloignés de
nous qu’il ne pourrait le sembler. Au contraire, le manque de perspective
historique, de connaissance de l’histoire, mène fatalement au mieux à
réinventer perpétuellement l’eau tiède, au pire à ne rien comprendre au présent
(faute d’en connaître les causes historiques), et courir perpétuellement
derrière les nouvelles idées à la mode, à glorifier le nouveau juste parce
qu’il est nouveau…politiquement, c’est une impasse tragique. « Pas d’avenir
sans passé », le titre de cette brochure consacré à l’histoire du Parti
Suisse du Travail aurait difficilement pu être plus pertinent, ni plus juste.
Et s’agissant de Lénine, qui aurait eu 150 ans
cette année, son œuvre est bien plus actuelle que celle de bien de penseurs
plus récents, surtout de ceux qui disent que Marx et Lénine sont dépassés, et
que l’Histoire ne retiendra pas comme des penseurs d’un intérêt quelconque de
notre siècle, ou du siècle précédent. Aujourd’hui que la nécessité d’un changement
radical, d’une rupture avec le capitalisme, apparaît comme urgente, il est tout
aussi urgent de se plonger dans l’œuvre de Lénine, le fondateur du seul
mouvement politique qui ait jamais réussi cette rupture, et dont la pensée
reste tout aussi féconde aujourd’hui.
Unité indissoluble de la théorie et
de la pratique
La première chose que nous voudrions rappeler
de l’héritage politique de Lénine, c’est le lien profond et indissoluble entre
théorie et pratique, l’importance irremplaçable de l’activité théorique que
celui-ci présuppose. « Sans théorie révolutionnaire il n’y a pas de
pratique révolutionnaire et sans pratique la théorie est lettre morte »,
écrivait Lénine dans Que faire ?
en 1902. Ce à quoi il ajoutait : « On ne saurait trop insister sur cette idée à
une époque où l'engouement pour les formes les plus étroites de l'action
pratique va de pair avec la propagande à la mode de l'opportunisme. »
Théorie, pratique, lutte des idées et
travail d’organisation son indissolubles. C’est ce qu’il affirmait clairement
dans une de ses premières œuvres – Ce que sont les « amis du peuple » et comment
ils luttent contre les social-démocrates, 1894 – « Vous ne pouvez pas être un véritable
leader idéologique sans le travail théorique mentionné ci-dessus, tout comme
vous ne pouvez pas l'être sans diriger ce travail pour répondre aux besoins de
la cause, et sans diffuser les résultats de cette théorie parmi les
travailleurs et les aider à s'organiser. »
Tout comme dans sa dernière – Mieux vaut moins mais mieux, 1923 – « Pour rénover notre appareil d’État, nous devons à tout
prix nous assigner la tâche que voici : premièrement, nous instruire ;
deuxièmement, nous instruire encore ; troisièmement, nous instruire toujours.
Ensuite, avoir soin que le savoir ne reste pas chez nous lettre morte ou une phrase à
la mode (ce qui, avouons‑le, nous arrive bien souvent) ; que le savoir pénètre
vraiment dans l'esprit, devienne partie intégrante de notre vie, pleinement et
effectivement. Bref, il nous faut exiger autre chose que ce qu'exige la
bourgeoisie de l'Europe occidentale, savoir ce qu'il est digne et convenable
d'exiger pour un pays qui se propose de devenir un pays socialiste. »
Précisons qu’il ne s’agit pas simplement
d’étudier les écrits des classiques du marxisme, de chercher la vérité dans
l’exégèse de leurs citations. Il ne saurait être suffisant d’étudier les œuvres
de nos prédécesseurs. Car notre idéologie est le socialisme scientifique. Comme
toute science, le marxisme exige, pour rester vivant, d’être en permanence
confronté aux faits, d’être développé pour prendre en compte des réalités
nouvelles. Comme l’écrivait Lénine, dans
De certaines particularités du
développement historique du marxisme : « Il ne peut manquer de
refléter le changement singulièrement rapide des conditions de la vie sociale,
précisément parce que le marxisme n’est pas un dogme mort, une doctrine
achevée, toute prête, immuable, mais un guide vivant pour l’action ». Un
développement créatif du marxisme, pour rendre compte de spécificités
nationales comme des réalités nouvelles, est une tâche d’importance majeure
pour les communistes, successeurs de Lénine. Une tâche qu’il n’est point permis
de négliger. Le désintérêt pour la théorie, le culte étroit du
« concret » – un défaut historiquement courant dans le mouvement
ouvrier suisse – conduit au manque de repères et de perspectives. C’est une
impasse fatale pour un parti qui aspire à changer la société.
La catastrophe imminente et les
moyens de la conjurer
Que faut-il lire aujourd’hui de Lénine en tout
premier lieu ? Ses œuvres complètes comprennent 45 volumes. L’héritage
théorique de Lénine est extrêmement vaste, quasiment inépuisable. Pour ce 150ème
anniversaire, toutefois, nous avons jugé pertinent de mettre en valeur une
brochure en particulier, en tant qu’éminemment pertinente pour penser la crise
économique qui s’annonce et les luttes que nous devons mener dans cette
situation. Il s’agit de La catastrophe
imminente et les moyens de la conjurer, rédigée par Lénine en septembre
1917, pratiquement la veille de la Grande Révolution Socialiste d’Octobre.
Sous la conduite du gouvernement provisoire, et
avec le soutien des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires, encore majoritaires
à la tête des soviets, la Russie se dirigeait vers une crise autrement plus
grave que ce que nous vivons aujourd’hui, mais non sans rapport non plus :
désorganisation de l’économie et de la circulation des marchandises, chômage de
masse (danger bien réel), hyperinflation (l’usage abusif de la planche à billet
nous y conduit tout droit), approvisionnement défaillant, menace de famine
(même dans les pays développés, beaucoup de gens sont menacés aujourd’hui de la
faim, suite à la perte de leurs revenus et aux circonstances du confinement),
effondrement de l’économie imminent. Tout le monde s’accordait sur la nature de
la crise. Les mesures qui devaient être prises étaient évidentes, mais rien
n’était fait…parce que ces mesures auraient lésé les intérêts de la grande
bourgeoisie. Parallèle évident avec la situation d’aujourd’hui.
Ces mesures n’étaient évidemment pas
l’austérité et le tout au marché, comme l’auraient préconisé les eurocrates, ce
qui aurait fatalement aggravé la crise (conduisant à l’effondrement
irréversible du pays dans le cas de la Russie de 1917). Ni des demi-mesures
réformistes, comme le préconisaient les menchéviks et les
socialistes-révolutionnaires, et comme le gouvernement provisoire les
appliquait plus ou moins, mais qui restaient sans effet.
Ce que la situation exigeait était un contrôle
effectif de l’Etat – d’un Etat démocratique et révolutionnaire, non de l’Etat
bourgeois organiquement lié aux grands monopoles – sur l’économie, la
nationalisation des banques et des grands monopoles capitalistes, la
participation des travailleurs à la supervision de la production, une
réorganisation rationnelle de la production et de la répartition. Ce qui
constitue un pas en avant vers le socialisme.
Car, « ici, pas de milieu. Le cours objectif
du développement est tel qu’on ne saurait avancer, à partir des monopoles (dont
la guerre a décuplé le nombre, le rôle et l’importance), sans marcher au
socialisme. »
« Ou bien l’on est réellement démocrate
révolutionnaire. Et alors on ne saurait craindre de s’acheminer vers le
socialisme. Ou bien l’on craint de s’acheminer vers le socialisme et l’on
condamne tous les pas faits dans cette
direction […] dans ce cas l’on fatalement à la politique de Kerenski, Milioukov
et Kornilov, c’est-à-dire à la répression bureaucratique réactionnaire des
aspirations « démocratiques révolutionnaires » des masses ouvrières
et paysannes ».
Rupture révolutionnaire et socialisme, ou nuit
sans fin des forces destructrices du « libre-marché », de la crise,
de la réaction et de l’écocide, tel est le choix qui se présente à nous
aujourd’hui. Lire Lénine est plus important que jamais, pour les luttes qui
nous attendent.