28 avril 2020

Pour le cent-cinquantenaire depuis la naissance de Lénine, étudions son œuvre pour faire face à la crise qui vient



Le 22 avril 1870, à Simbirsk (aujourd’hui Oulianovsk) dans ce qui était alors l’Empire russe, naquit Vladimir Ilitch Oulianov, devenu à jamais immortel dans la mémoire de l’humanité sous ce qui n’était au départ qu’un de ses noms de plume : Lénine. Grand révolutionnaire et théoricien marxiste, fondateur du mouvement communiste international dans sa forme moderne, ainsi que du premier Etat socialiste de l’histoire, il est sans conteste l’une des personnalités les plus considérables de toute l’histoire de l’Humanité. C’est également l’un des classiques fondamentaux dont se réclame notre Parti. Aussi, la célébration du cent-cinquantenaire de sa naissance a-t-elle une grande importance à nos yeux. Nous aurions d’ailleurs organisé un événement public digne de ce nom, s’il n’y avait eu le Covid-19

Peut-être d’aucuns de nos lecteurs pourraient penser que cette commémoration d’un de nos classiques renvoie à un passé devenu déjà lointain. Après tout, beaucoup de choses ont changé depuis l’époque de Lénine (en partie du fait de ses propres accomplissements), le monde n’est plus exactement le même, et tout ne s’est pas passé comme prévu. L’Etat socialiste qu’il avait fondé connut une trajectoire complexe et contradictoire, s’achevant par une tragique restauration du capitalisme. Et la situation du mouvement communiste international est plutôt compliquée en ce début du XXIème siècle. Alors, pourquoi accorder une place aussi centrale à ce 150ème anniversaire ?

La réalité est que, d’une part, les hommes, et les femmes, du passé (même lointain) sont moins éloignés de nous qu’il ne pourrait le sembler à un regard dénué de conscience historique. Même des penseurs d’un passé lointain, comme Platon ou Aristote, sont moins éloignés de nous qu’il ne pourrait le sembler. Au contraire, le manque de perspective historique, de connaissance de l’histoire, mène fatalement au mieux à réinventer perpétuellement l’eau tiède, au pire à ne rien comprendre au présent (faute d’en connaître les causes historiques), et courir perpétuellement derrière les nouvelles idées à la mode, à glorifier le nouveau juste parce qu’il est nouveau…politiquement, c’est une impasse tragique. « Pas d’avenir sans passé », le titre de cette brochure consacré à l’histoire du Parti Suisse du Travail aurait difficilement pu être plus pertinent, ni plus juste.

Et s’agissant de Lénine, qui aurait eu 150 ans cette année, son œuvre est bien plus actuelle que celle de bien de penseurs plus récents, surtout de ceux qui disent que Marx et Lénine sont dépassés, et que l’Histoire ne retiendra pas comme des penseurs d’un intérêt quelconque de notre siècle, ou du siècle précédent. Aujourd’hui que la nécessité d’un changement radical, d’une rupture avec le capitalisme, apparaît comme urgente, il est tout aussi urgent de se plonger dans l’œuvre de Lénine, le fondateur du seul mouvement politique qui ait jamais réussi cette rupture, et dont la pensée reste tout aussi féconde aujourd’hui.

Unité indissoluble de la théorie et de la pratique

La première chose que nous voudrions rappeler de l’héritage politique de Lénine, c’est le lien profond et indissoluble entre théorie et pratique, l’importance irremplaçable de l’activité théorique que celui-ci présuppose. « Sans théorie révolutionnaire il n’y a pas de pratique révolutionnaire et sans pratique la théorie est lettre morte », écrivait Lénine dans Que faire ? en 1902. Ce à quoi il ajoutait : « On ne saurait trop insister sur cette idée à une époque où l'engouement pour les formes les plus étroites de l'action pratique va de pair avec la propagande à la mode de l'opportunisme. »

Théorie, pratique, lutte des idées et travail d’organisation son indissolubles. C’est ce qu’il affirmait clairement dans une de ses premières œuvres Ce que sont les « amis du peuple » et comment ils luttent contre les social-démocrates, 1894 « Vous ne pouvez pas être un véritable leader idéologique sans le travail théorique mentionné ci-dessus, tout comme vous ne pouvez pas l'être sans diriger ce travail pour répondre aux besoins de la cause, et sans diffuser les résultats de cette théorie parmi les travailleurs et les aider à s'organiser. »


Tout comme dans sa dernière – Mieux vaut moins mais mieux, 1923 – « Pour rénover notre appareil d’État, nous devons à tout prix nous assigner la tâche que voici : premièrement, nous instruire ; deuxièmement, nous instruire encore ; troisièmement, nous instruire toujours. Ensuite, avoir soin que le savoir ne reste pas chez nous lettre morte ou une phrase à la mode (ce qui, avouons‑le, nous arrive bien souvent) ; que le savoir pénètre vraiment dans l'esprit, devienne partie intégrante de notre vie, pleinement et effectivement. Bref, il nous faut exiger autre chose que ce qu'exige la bourgeoisie de l'Europe occidentale, savoir ce qu'il est digne et convenable d'exiger pour un pays qui se propose de devenir un pays socialiste. »


Précisons qu’il ne s’agit pas simplement d’étudier les écrits des classiques du marxisme, de chercher la vérité dans l’exégèse de leurs citations. Il ne saurait être suffisant d’étudier les œuvres de nos prédécesseurs. Car notre idéologie est le socialisme scientifique. Comme toute science, le marxisme exige, pour rester vivant, d’être en permanence confronté aux faits, d’être développé pour prendre en compte des réalités nouvelles. Comme l’écrivait Lénine, dans  De certaines particularités du développement historique du marxisme : « Il ne peut manquer de refléter le changement singulièrement rapide des conditions de la vie sociale, précisément parce que le marxisme n’est pas un dogme mort, une doctrine achevée, toute prête, immuable, mais un guide vivant pour l’action ». Un développement créatif du marxisme, pour rendre compte de spécificités nationales comme des réalités nouvelles, est une tâche d’importance majeure pour les communistes, successeurs de Lénine. Une tâche qu’il n’est point permis de négliger. Le désintérêt pour la théorie, le culte étroit du « concret » – un défaut historiquement courant dans le mouvement ouvrier suisse – conduit au manque de repères et de perspectives. C’est une impasse fatale pour un parti qui aspire à changer la société.

La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer 

Que faut-il lire aujourd’hui de Lénine en tout premier lieu ? Ses œuvres complètes comprennent 45 volumes. L’héritage théorique de Lénine est extrêmement vaste, quasiment inépuisable. Pour ce 150ème anniversaire, toutefois, nous avons jugé pertinent de mettre en valeur une brochure en particulier, en tant qu’éminemment pertinente pour penser la crise économique qui s’annonce et les luttes que nous devons mener dans cette situation. Il s’agit de La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer, rédigée par Lénine en septembre 1917, pratiquement la veille de la Grande Révolution Socialiste d’Octobre.

Sous la conduite du gouvernement provisoire, et avec le soutien des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires, encore majoritaires à la tête des soviets, la Russie se dirigeait vers une crise autrement plus grave que ce que nous vivons aujourd’hui, mais non sans rapport non plus : désorganisation de l’économie et de la circulation des marchandises, chômage de masse (danger bien réel), hyperinflation (l’usage abusif de la planche à billet nous y conduit tout droit), approvisionnement défaillant, menace de famine (même dans les pays développés, beaucoup de gens sont menacés aujourd’hui de la faim, suite à la perte de leurs revenus et aux circonstances du confinement), effondrement de l’économie imminent. Tout le monde s’accordait sur la nature de la crise. Les mesures qui devaient être prises étaient évidentes, mais rien n’était fait…parce que ces mesures auraient lésé les intérêts de la grande bourgeoisie. Parallèle évident avec la situation d’aujourd’hui.

Ces mesures n’étaient évidemment pas l’austérité et le tout au marché, comme l’auraient préconisé les eurocrates, ce qui aurait fatalement aggravé la crise (conduisant à l’effondrement irréversible du pays dans le cas de la Russie de 1917). Ni des demi-mesures réformistes, comme le préconisaient les menchéviks et les socialistes-révolutionnaires, et comme le gouvernement provisoire les appliquait plus ou moins, mais qui restaient sans effet.

Ce que la situation exigeait était un contrôle effectif de l’Etat – d’un Etat démocratique et révolutionnaire, non de l’Etat bourgeois organiquement lié aux grands monopoles – sur l’économie, la nationalisation des banques et des grands monopoles capitalistes, la participation des travailleurs à la supervision de la production, une réorganisation rationnelle de la production et de la répartition. Ce qui constitue un pas en avant vers le socialisme.

Car, « ici, pas de milieu. Le cours objectif du développement est tel qu’on ne saurait avancer, à partir des monopoles (dont la guerre a décuplé le nombre, le rôle et l’importance), sans marcher au socialisme. »

« Ou bien l’on est réellement démocrate révolutionnaire. Et alors on ne saurait craindre de s’acheminer vers le socialisme. Ou bien l’on craint de s’acheminer vers le socialisme et l’on condamne tous les pas  faits dans cette direction […] dans ce cas l’on fatalement à la politique de Kerenski, Milioukov et Kornilov, c’est-à-dire à la répression bureaucratique réactionnaire des aspirations « démocratiques révolutionnaires » des masses ouvrières et paysannes ».

Rupture révolutionnaire et socialisme, ou nuit sans fin des forces destructrices du « libre-marché », de la crise, de la réaction et de l’écocide, tel est le choix qui se présente à nous aujourd’hui. Lire Lénine est plus important que jamais, pour les luttes qui nous attendent.

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