29 mars 2022

Une nouvelle qui aurait dû faire les gros titres : le second volet du sixième rapport du GIEC

 


Vous n’en avez pas forcément entendu parler, et c’est normal. Il faut dire que la nouvelle a été à peu près complètement éclipsée par l’invasion russe de l’Ukraine – ce qui est compréhensible – et que la plupart des médias se sont contentés d’un service minimum, ce qui est clairement une faute. Il s’agit en effet d’informations dont l’importance est extrême, et qu’il est irresponsable de ne pas traiter avec la plus grande attention.

 

Le 28 août 2022, le GIEC a publié le deuxième volet de son sixième rapport d’évaluation, portant sur les impacts du réchauffement climatique sur l’humanité, et les adaptations pour en limiter les conséquences. Un premier volet avait été publié en août et portait sur les fondements physiques du réchauffement climatique, et avait établi que la hausse des températures avait d’ores et déjà atteint 1,1°C par rapport à l’ère préindustrielle, et atteindra de façon quasiment inévitable 1,5°C en 2030, même s’il est encore possible d’éviter le pire si les bonnes décisions sont prises à temps. Un troisième volet paraîtra en avril de cette année, et aura pour objet les solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

 

Or, les résultats de ce second volet sont glaçants – sans mauvais jeu de mots – et devraient attirer la plus extrême attention. Il confirme que le réchauffement climatique a d’ores et déjà un impact considérable sur les humains et les écosystèmes. Un impact qu’il est d’ailleurs malheureusement aisé de constater : vagues de chaleur, feux de forêts gigantesques, événements météorologiques extrêmes…Ce rapport confirme que non seulement les modélisations antérieures ont été confirmées, mais encore qu’elles étaient trop prudentes. Les impacts déjà constatés se situent en effet dans les scénarios les plus pessimistes, et ils ne cessent de croître. Trois faits en particulier doivent être relevés : la disponibilité des ressources en eau et de la nourriture diminue dans plusieurs régions du monde, la santé humaine se dégrade partout, et les aires de répartition des espèces animales et végétales ont diminué de moitié. Entre 3,3 et 3,6 milliards de personnes sont gravement menacées par le changement climatique. Ce sont les gens les plus modestes qui sont le plus exposés aux dégâts, et les moins susceptibles de s’en protéger. Les populations les moins responsables du changement climatique en seront les principales victimes.

 

La situation n’est pas encore désespérée. Il est encore possible d’agir pour éviter le pire, mais le temps nous est compté pour cela. Selon les propres mots du GIEC : « Tout retard supplémentaire dans l'action mondiale anticipée concertée sur l'adaptation et l'atténuation fera manquer une fenêtre d'opportunité brève et qui se referme rapidement pour assurer un avenir viable et durable pour tous ». La décennie 2020 est cruciale, et tout retard aura des conséquences.

 

Or, les auteurs du rapport soulignent un manque de volonté politique évident, et un non-respect flagrant des engagements pris par la majorité des États.

 

Des engagements autrement plus ambitieux, par les moyens y consacrés et par la vitesse des changements, sont nécessaires, tant pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’en matière d’adaptation. Le GIEC prône une accélération de la transition énergétique, une meilleure gestion des ressources en eau, la préservation de l’environnent – la nature possède en effet une importante résilience, et peut elle-même être un facteur d’adaptation, si on ne la dégrade pas – et l’agroécologie pour adapter l’agriculture aux nouvelles conditions, préserver les sols et faire meilleur usage de ressources rares. Les auteurs recommandent, en matière de solutions d’adaptation, la justice sociale, le renforcement de l’éducation et des systèmes de santé, pour que tout le monde puisse mieux résister aux bouleversements. Les villes doivent faire partie de la solution, par les adaptations aux conditions climatiques plus hostiles, par le remplacement des énergies fossiles par des énergies renouvelables, par un urbanisme plus durable et plus écologique. La technologie n’est en revanche par la solution miracle, peut même amplifier le problème, ou en créer de nouveaux.

 

Malgré tout, certains impacts du changement climatique sont d’ores et déjà irréversibles, tous les dégâts ne pourront être évités, et, dans certains cas, les capacités d’adaptation des humains et des écosystèmes est déjà dépassée.

 

Le deuxième volet n’a guère attiré l’attention des médias, ni du public. Soit. A-t-il au moins attiré celle des gens qui nous gouvernent ? Qu’est-ce qui est – s’il est fait quelque chose - pour répondre à l’urgence ?

 

Hélas, force est de constater que le silence assourdissant qui entoure ce rapport n’est pas seulement dû aux bombes russes, mais au fait que les enjeux cruciaux qu’il aborde n'arrivent pas beaucoup au-dessus dans le niveau des priorités des décideurs bourgeois que celui que les médias lui ont accordé.

 

Atroce et tragique en soi, grave menace potentielle pour l’existence même de l’humanité, la guerre en Ukraine a eu en outre l’effet pervers de déplacer l’agenda politique dans la direction de la pire réaction. Le réchauffement climatique s’est révélé être – mais fallait-il vraiment en douter ? – une préoccupation tout à fait secondaire pour nos dirigeants. Très loin derrière en tout cas le retour en force du militarisme, le coût écologique des investissements militaires colossaux consentis n’étant pas même évoqué !

 

Dussions nous admettre que la guerre impose ses nécessités, il faut se rendre à l’évidence que celle-ci a révélé que les promesses de sortir des énergies fossiles (un jour, peut-être, si le marché le veut bien) n’étaient pas sérieuses. L’insistance d’États de l’UE pour que les sanctions ne touchent pas le pétrole et le gaz russe ont forcé lesdits États à avouer que non seulement ils ne peuvent se passer actuellement des énergies fossiles, mais qu’ils n’envisagent pas non plus d’en sortir dans un avenir proche.

 

Certes, il est question de se passer totalement des hydrocarbures russes d’ici 2027. Certes il est question d’accélérer la transition énergétique, d’accroître les énergies renouvelables, mais aussi de relancer le nucléaire (ce qui est sans doute mieux si on considère uniquement les émissions de gaz à effet de serre, mais pas forcément si on voit le problème dans sa globalité). Mais, en pratique la principale solution envisagée pour remplacer les énergies fossiles russes…est de les remplacer par d’autres énergies fossiles : gaz liquéfié étatsunien, pétrole et gaz de schiste, pression sur les pays de l’OPEP pour qu’ils augmentent leur production (pour ne pas faire affaire avec le régime de Poutine, l’Occident si vertueux se tourne vers les démocraties exemplaires que sont les pays du Golfe), possible accord avec l’Iran, l’Italie envisage même de relancer les centrales à charbon…Seul point positif dans ce programme, le Venezuela pourrait obtenir la cessation de la guerre économique criminelle que les USA mène contre lui, en échange de son pétrole. Autant dire qu’on compte utiliser le pétrole et le gaz pendant encore longtemps, alors qu’il est urgent d’y renoncer au plus vite.

 

On fait grand cas des hausses des prix des carburants que provoque la guerre, de l’inflation qu’elle accentue. Certes, le problème est grand, même en Occident (mais sans comparaison avec ce que représente la hausse des prix des aliments de base dans le Tiers Monde), et ce renchérissement frappe durement les plus modestes, dont certains n’ont pas actuellement d’alternative à la voiture, ni au mazout pour se chauffer. Les appels à renoncer immédiatement à prendre la voiture, et à baisser le chauffage, pour ne pas soutenir le régime de Poutine, voire des réactions réjouies à cette hausse des tarifs d’une certaine gauche petite-bourgeoise sont certes la marque de fabrique d’une écologie antisociale, prônée par des politiciens qui ne connaissent guère les conditions d’existence des classes populaires. La transition écologique ne peut se faire, ni être socialement acceptable, si on la fait payer aux gens modestes, tandis que les plus riches – pour qui ces hausses de prix sont insignifiantes – pourront continuer à polluer en toute impunité. Un contrôle des prix est notamment indispensable pour préserver le pouvoir d’achat des classes populaires.

 

Cela dit, il n’est pas non plus raisonnable, ni réaliste, de prôner comme solution durable l’essence à bas prix pour la raison que des travailleuses et travailleurs modestes ne peuvent se passer de leur voiture. Car c’est une « solution » pour combien d’années ? Il n’est enfin pas possible, en restant cohérent, d’être conscient de la nécessité d’une sortie rapide des énergies fossiles, et de la repousser au nom de ses conséquences sociales. La difficulté est objective, et montre toute la difficulté d’une écologie sociale, qui, en vérité ne peut s’imposer que par un changement total de paradigme, par la rupture avec un capitalisme nécessairement écocide et la construction d’une société entièrement différente. Une société qui, selon nous, ne peut être qu’une société socialiste.

 

Un tel changement radical est certes difficile – ses difficultés sont celles de toute grande révolution –, mais il est indispensable et urgent. Car autrement, si les choses devaient continuer en l’état pour une décennies ou deux encore, les ravages que le changement climatique provoquera, les phénomènes d’inflation et de pénures que nous connaissons actuellement passeront pour des problèmes tout à fait mineurs en comparaison.

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