17 novembre 2022

« Si l’on veut apporter des changements concrets y compris au sein de l’appareil d’État, on se doit également de mener ce combat dans les exécutifs »

 



Alexander Eniline a été désigné par l’Assemblée générale du Parti du Travail genevois du 10.10.22 candidat au Conseil d’État sur la liste Ensemble à Gauche. Il répond à nos questions.

 

Les personnes qui tiennent cet Encre Rouge entre les mains savent certainement déjà qui tu es. Mais peux-tu quand même te présenter en quelques mots ? Que peux-tu dire de ton parcours au Parti du Travail notamment ?

 

Alexander Eniline : Je suis adhérent du Parti depuis l’âge de mes 16 ans, il y a… 16 ans. J’ai été successivement secrétaire cantonal, président de la section genevoise et depuis peu co-président du Parti Suisse du Travail. Dans la vie, je termine une thèse de doctorat en philosophie médiévale. Aujourd’hui, je suis candidat au Conseil d’État suite à une demande de plusieurs camarades, que j’ai accepté.

 

Durant ces 16 ans, le Parti a traversé beaucoup de péripéties. Quand je suis arrivé, il était dans une situation meilleure que ce qu’il a pu être entre deux. Il y avait encore quelques sections locales, qui étaient un peu au bout, le Parti était affaibli, mais avait néanmoins un dynamisme, un potentiel bien réel. La politique des alliances n’a pas toujours été un exercice facile, ni toujours bien maîtrisé, d’où des conséquences négatives sur le Parti. Un début de reconstruction avait démarré, qui fut malheureusement saboté par quelques individus ayant pu s’introduire au Parti et faire des dégâts considérables. En 2010, quand j’ai été élu secrétaire cantonal, le Parti sortait de cette crise dévasté. Durant une dizaine d’années, on s’est employé à le rebâtir, à étoffer ses rangs, à en renforcer l’unité idéologique, le potentiel politique et organisationnel, pour arriver au point où on en est aujourd’hui. Le résultat n’est pas totalement à la hauteur des objectifs que nous nous étions fixés, mais les progrès accomplis sont indéniables.

 

Tu viens de faire le rappel d’une situation encore compliquée pour l’organisation, malgré des progrès notables. Sur le plan externe, nous vivons aussi une situation sociale qui mêle stagnation des salaires, explosion des dividendes, inflation, pénuries, le tout sur une planète qui subit les affres du changement climatique… Que portes-tu dans ta candidature par rapport à tout cela ?

 

Pour notre Parti la situation est, loin d’être idéale sans doute, mais bien plus favorable que les années précédentes. Notre renforcement fait que les rapports de force avec nos alliés sont devenus plus équilibré. Et plus globalement, la situation politique a changé de façon notable. Lorsque j’avais adhéré, la crise financière de 2008 n’avait pas encore eu lieu, la vague du néolibéralisme n’était pas encore retombée, et la gauche radicale apparaissait à beaucoup de gens comme un vestige du siècle passée. Aujourd’hui, après que les crises ses soient succédés, peu de gens considèrent encore que le système soit bienfaisant, et une aspiration à en changer grandit. L’urgence climatique ne fait que le rendre plus perceptible. La vague verte est venue de ce besoin, mais les Vert-e-s ne sont pas en mesure d’honorer leurs promesses de changement. Si j’avais adhéré au Parti du Travail, c’est parce que nos idées, notre héritage politique et organisationnel, représentent, à mon avis, la seule perspective pour un vrai changement de société. Nos réponses peuvent avoir d’autant plus d’impact aujourd’hui.

 

Du fait de l’urgence climatique, notre combat pour une rupture avec le capitalisme devient une exigence d’un avenir immédiat, il ne peut plus être remis à plusieurs décennies à l’avenir. Si l’on veut réaliser effectivement cette transformation sociale à laquelle nous aspirons, nous devons apporter des changements concrets y compris au sein de l’appareil d’État, donc on se doit également de mener ce combat dans les exécutifs. C’est le sens de la présentation d’une candidature du Parti du Travail au Conseil d’État : pour y mener une politique de lutte de classe. Car les représentants de la bourgeoisie, eux, mènent ce combat de classe, de leur côté naturellement, et avec virulence. Leur position est que les riches paient encore trop d’impôts et qu’il faudrait les baisser si on veut qu’ils restent. Le PS et les Vert-e-s, pour l’essentiel, n’ont pas une position de classe claire, et préfèrent rechercher un compromis avec la bourgeoisie, ce qui conduit au mieux à un aménagement du système à la marge, au pire à l’accompagnement des contre-réformes. Nous ne voulons pas de ce type de compromis, qui ne sont en tout cas pas à la hauteur des réponses que les multiples crises du capitalisme exigent. Même si le PS et les Verts sont des alliés, il est aisé de constater nos différences politiques d’avec eux. Ainsi, nous estimons qu’il faut imposer une redistribution des richesses, sans rechercher de compromis avec la bourgeoisie, sans s’arrêter à des hésitations que les réformistes éprouvent trop souvent. Nous sommes clairement pour des transports publics gratuits. Les Vert-e-s ne sont pas pour, le PS l’est à moitié. D’autres exemples montrent la Différence entre notre ligne et celle de la gauche réformiste.

 

Le Conseil d’État dans sa composition actuelle est souvent dépeint comme étant «de gauche», avec quatre représentants du PS et des Vert-e-s. Es-tu d’accord avec ça et quel bilan pourrais-tu tirer de cette législature?

 

Il y a certes une majorité de gauche au gouvernement depuis deux ans, depuis que Fabienne Fischer a remplacé Pierre Maudet, mais le « changement de cap » dont parlent le PS et les Vert-e-s, on ne l’a pas trop ressenti. Certes, la majorité au Grand Conseil est de droite, mais, malgré tout, dans l’application des lois et dans la gestion des départements, la marge de manœuvre des magistrats aurait pu être davantage utilisée. Je ne dis pas que tout est mauvais dans ce qui a été fait, je pense par exemple à l’indexation des prestations sociales au renchérissement du coût de la vie, ou des objectifs plus ambitieux qu’ailleurs en matière de rénovation des bâtiments, assortis de mesures contraignantes. Mais la droite est extrêmement agressive, organisée et rétrograde. Le PLR est à fond pour baisser encore les impôts des plus riches, couper dans les dépenses, défendre la voiture un peu partout, au mépris de la nécessité de sortir des énergies fossiles… Et ce Conseil d’État n’est pas assez offensif, alors qu’il pourrait l’être davantage.

 

Sur les droits démocratiques, la pratique de Mauro Poggia va même contre le droit international. Elle vise à dissuader les mouvements sociaux par un pur excès de zèle au-delà de ce que la loi exige, et le fait, par exemple, de demander des émoluments pour organiser des manifestations est arbitraire. Les quatre conseiller d’État de gauche pourraient bloquer cette pratique, mais rien n’est fait.

 

Sur leurs bilans respectifs : Anne Emery-Torracinta s’est principalement limitée à la gestion de son département, d’ailleurs plutôt mal si l’on en croit les scandales et graves problèmes devenus de notoriété publique. Thierry Apothéloz n’en a en tout cas pas fait assez pour un conseiller d’État de gauche pour répondre à l’urgence sociale. Il a fini par lancer un projet de réforme de l’Hospice général qui va dans le bon sens, mais ça lui aura pris du temps. Antonio Hodgers, au vu des projets d’aménagement réalisés ou qui vont sortir de terre, est objectivement du côté des promoteurs. D’ailleurs le bétonnage à l’extrême et l’abattage d’arbres à large échelle, ce n’est pas vraiment ce qu’on attendrait d’un magistrat vert. Difficile aussi de voir ce qu’a fait Fabienne Fischer, à part donner des conseils aux entreprises pour se verdir, même s’il faut reconnaître que deux ans ce n’est pas beaucoup pour juger d’un bilan. Sur le dossier Uber, elle a cherché le compromis avec l’entreprise et a avalé un arrangement désavoué par les syndicats et le dossier est loin d’être fini. De l’extérieur, on n’a en tout cas pas l’impression qu’ils font bloc pour utiliser la marge de manœuvre à leur disposition. Si le bloc de gauche était plus ferme sur les principes, le changement de cap se verrait un peu plus.

 

Sur l’avenir du Grand Conseil, il y a beaucoup d’inconnues, d’autant plus que le dépôt des listes n’est pas encore ouvert. Le PS pourra probablement se maintenir et les Vert-e-s pourront peut-être encore profiter de leur vague. On parle beaucoup des multiplications de listes à gauche, mais il y a aussi à droite une multitude de listes en concurrence, plus ou moins sérieuses, dont toutes n’atteindront pas le quorum. Selon le nombre de listes éliminées, la composition du Grand Conseil pourrait être très différente, et potentiellement éloignée du résultat réel du vote populaire (ce qui montre une fois de plus le caractère antidémocratique de ce quorum à 7%).

 

La coalition Ensemble à Gauche lance également deux autres candidats : Françoise Nyffeler et Téo Frei. Aux côtés de ton profil de co-président du PST, on retrouve donc des personnes connues notamment pour leurs activismes dans la Grève Féministe et dans la Grève pour le Climat. Cette variété des lignes est-elle une force?

 

C’est effectivement une bonne chose que d’avoir des représentants de ces mouvements sociaux du côté de solidaritéS, et nos trois candidatures sont complémentaires. Il est par ailleurs naturel que nos composantes portent des lignes différentes. Le Parti du Travail, solidaritéS et le DAL sont bien trois réalités différentes. Sinon, il n’y aurait pas de raisons que nous ne soyons pas un seul parti.

 

Plusieurs obstacles pourraient poser problème à EàG pour atteindre le quorum. Nous pouvons notamment penser à la présence probable de Résistons dans la course électorale. Qu’en penses-tu?

 

C’est certes un problème, d’ailleurs issu d’une crise interne douloureuse que solidaritéS avait traversée. Au point où on en est, je vois difficilement un accord avec ces gens. Mais au fond, on leur accorde beaucoup d’importance car nombre d’entre eux sont des élus, alors qu’il n’y a rien derrière. Le PdT, solidaritéS et le DAL existeraient sans participation parlementaire. Résistons, c’est un petit état-major sans base. Ils ont de l’argent, mais plus personne ne consentirait à remarquer leur existence s’ils n’étaient plus élus. Nous avons les moyens de passer le quorum sans eux, même si ça ne sera pas simple.

 

Il ne faut du reste pas surestimer les dégâts qu’ils sont encore en mesure de causer. Il y a quatre ans et demi, nous étions confrontés à trois listes rivales, avec déjà une décomposition d’EàG. La Liste pour Genève était composée de gens, qui jouaient un rôle extrêmement nuisible au sein de la coalition ; heureusement qu’ils l’ont quitté du reste. On les a oubliés depuis.

 

Propos recueillis par Balmain Badel

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