Les origines oubliées du Centre
Drapeau de l’Union des campagnes
Source : Bibliothèque de Genève
Aussi difficile à imaginer que cela puisse être, eu égard à ce que ce parti est devenu, le Centre genevois était à l’origine un mouvement de désobéissance civile. On apprend cette histoire dans Le Parti Démocrate-chrétien à Genève, un siècle d’histoire, 1892-1992, écrit par David Hiler et Geneviève Perret Barri, publié par le PDC (comme le Centre s’appelait jusqu’à récemment) en 1992.
L’histoire commence dans les années 1870. Sous le pontificat de Pie XI, l’Église catholique adopte un raidissement conservateur et un durcissement des prétentions à la théocratie pontificale, ce qui la fait voir comme une menace, notamment par les radicaux à Genève. Les catholiques sont soupçonnés d’un conflit d’allégeance entre leur pays et le pape. Par ailleurs, les catholiques deviennent majoritaires dans la population genevoise, mais pas encore dans l’électorat. Ces deux éléments déclenchent une violente offensive contre l’Église catholique romaine de la part du Parti radical, sous la direction du conseiller d’État Antoine Carteret. Des mesures de plus en plus restrictives sont prises : interdiction de célébrations religieuses sur la voie publique l’habit ecclésiastique, et des congrégations, et, surtout, tentative de création d’une Église catholique nationale, qui ressemble beaucoup à une église protestante (élection des prêtres, abolition du célibat, serment prêté devant le Conseil d’État). Mais cette nouvelle Église est créée contre la volonté d’une majorité de catholiques, et rencontre une résistance farouche dans les communes rurales à majorité catholiques. Le Conseil d’État tente de passer en force, en organisant des élections de prêtres avec un taux de participation infime, et confisquant les bâtiments des églises au profit de l’Église catholique nationale. Face à cette politique, les catholiques s’organisent en un parti politique, l’Union des campagnes. Un parti qui deviendra un jour le Centre, et dans l’hymne originel duquel on trouve ce couplet :
« Contre les tyrans et la tempête,
Nous ne courberons pas la tête,
Nous unirons nos cœurs, nos bras ;
La foi transporte les montagnes
Enfants, l’Union des campagnes
Est forte et ne se rendra pas !
Dieu qu’adoraient nos pères
Nous garderons ta loi ;
Jurons, jurons mes frères ;
De mourir pour la foi »
Si le SRC existait déjà à cette époque, peut-être y aurait-il vu de quoi justifier un fichage pour extrémisme violent. Remarquons que toutes ces lois anticatholiques étaient adoptées par un parlement démocratiquement élu. Toujours est-il que la désobéissance civile mise en place par l’Union des campagnes face à la spoliation des bâtiments ecclésiastiques mène au discrédit de la politique anticatholique, qui se base sur une répression de plus en plus absurde. Carteret est obligé de reconnaître qu’il est dans une impasse. La tentative d’éradication de l’Église catholique romaine sera abandonnée. Alors, au nom de quelle légitimité le Centre s’opposerait-il à ce que des militants d’aujourd’hui recourent, pour des causes au moins aussi importantes que la liberté de culte des catholiques, à des méthodes de lutte qu’il a certainement eu raison d'employer autrefois ?
Le mouvement ouvrier et les moyens de lutte non-légale
En rattachant l’incapacité présente de la gauche de conduire la bataille pour la justice sociale et sa prétendue dérive extrémiste, M. Lo Giudice renvoie en filigrane à l’époque de la paix du travail et de la participation loyale et modérée du PS aux institutions. Mais cette intégration dans la société bourgeoise et son État ne représente pas les origines du mouvement ouvrier, ni son état naturel, mais plutôt la dérive du fait de laquelle il est arrivé à son impuissance présente en Suisse.
Lorsque le mouvement ouvrier apparaît au XIXème siècle, c’est dans l’illégalité et en butte à une dure répression des pouvoirs en place. Il était considéré comme normal alors de réprimer les grèves à balles réelles, en Suisse également. Les syndicats étaient tout d’abord interdits. C’est par des luttes opiniâtres, par des grèves durement réprimées, par la confrontation souvent violente avec l’appareil répressif d’État, que la classe ouvrière et ses organisations politiques et syndicales ont pu conquérir des progrès sociaux et démocratiques. Des progrès démocratiques qui naissent de la transgression du droit existant, pas de son respect scrupuleux.
Mais, après ces premières victoires, la tentation existait pour les dirigeants du mouvements ouvriers d’essayer de s’intégrer à l’ordre établi, de s’y faire une place, au prix du renoncement à l’objectif de le renverser. Cette intégration, toutefois et la voie de la capitulation programmée, et de l’« effondrement intellectuel », effectivement. Ce n’est pas ainsi que la gauche sera à la hauteur de ses responsabilités historiques. Ce n’est pas la voie choisie par le PST-POP.
Les Verts, un parti extrémiste ?
N’est-il pas immédiatement évident que ce sous-titre est humoristique ? Les Verts, un parti d’extrême-gauche, sérieusement ??? C’est pourtant le surprenant reproche que M. Lo Giudice fait à ce parti, ainsi qu’à une majorité du PS, qui aurait fini par céder à l’influence des Verts, et, naturellement, à la gauche radicale. L’« extrémisme » qui est reproché à la gauche en l’occurrence, c’est le fait d’approuver l’usage de la désobéissance civile au service de causes qu’elle estime juste.
Or, s’il y a un reproche à faire à la gauche réformiste, ce n’est en tout cas pas celui – absurde ! – d’un tournant extrémiste, ni celui d’accorder une importance indue aux questions dites « sociétales », qui sont légitimes (le suffrage féminin n’aurait-il pas pu avoir été qualifié de question « sociétale » avant son introduction en 1971 par ses opposants réactionnaires ?). Mais en un sens il est correct de parler d’« effondrement intellectuel » de cette gauche-là, de dire qu’elle n’est plus « synonyme de combats sociaux ». Si elle ne l’est plus toutefois, c’est du fait de son réformisme, de son intégration trop longue et trop complète dans un « consensus », dont M. Lo Giudice lui fait l’éloge de l’honorer par le passé, et de ne plus le faire aujourd'hui. Le PS avait été fondé en tant que parti de la classe ouvrière. Manifestement, il ne l’est plus. A l’Assemblée fédérale, il se montre régulièrement prêt à cautionner des contre-réformes, en échange de quelques maigres « contreparties sociales », quitte à redevenir éventuellement de gauche par mesure de représailles envers une droite qui n’a pas voulu négocier avec lui. Les Verts n’ont pas pour projet de remplacer le capitalisme par autre chose, ni ne sont d’accord entre eux sur le type de société où ils veulent arriver. Ce qui les empêche de jouer un rôle aussi offensif qu’ils le pourraient en contexte d’urgence climatique.
Toutefois il y a bien un sens où cette étrange critique de M. Lo Giudice ne tombe pas à plat. En effet, soutenir, surtout verbalement, des actions relativement radicales, sans disposer d’un projet politiquement radical pour autant, implique une radicalité de posture seulement. Plus grave est le cas de certains personnages soi-disant de gauche radicale, certaines personnalités de la LUP pour ne pas les nommer, et que M. Lo Giudice attaque dans son article. Ces individus, en effet, s’engagent dans des actions de désobéissance civile, mais uniquement dans le cadre de leur campagne électorale, dans le seul but d’attirer les caméras sur eux et de se donner de faux airs révolutionnaires. Ce faisant, ils transforment de justes combats en coups de comm qui tournent à vide. Rien de plus nuisible à nos luttes que ce type de politiciens.
L’extrême-gauche, vacuité intellectuelle ?
Plus qu’aux Verts, le qualificatif d’extrémisme (auxquels il ne s’applique pas du tout), se rattache plus naturellement aux mouvements et organisations qui sont communément désignés comme étant d’extrême-gauche, par les organisations moins radicales qu’eux, de même que par l’appareil de répression de l’État bourgeois. Nous pensons principalement aux mouvements autonomes, communément appelés totos.
A ces mouvements d’extrême-gauche, on peut faire beaucoup de critiques sans doute, mais celle de vacuité intellectuelle, d’absence de projet, de vision politique, n’en fait pas partie. Ces mouvements se caractérisent bien souvent au contraire par une discipline militante réelle, un dévouement à la cause, une certaine consistance politique, et des méthodes de lutte qui sont issues d’une réflexion, et qui ne sont pas toujours sans efficacité.
Ce n’est toutefois pas la voie de l’avenir, ni celle que le PST-POP pourrait recommander. Les mouvements totos ont la faiblesse d’avoir une stratégie inadéquate – quand ce n’est pas le refus de la stratégie au profit de l’expression de la « rage sociale » – et le choix de formes de lutte nécessairement minoritaires et qui les engage dans une épreuve de force avec l’État bourgeois impossible à gagner ; qui est moins encore susceptible de renverser le pouvoir existant pour le remplacer par autre chose. Ces mouvements d’extrême-gauche méritent néanmoins plus d’égards, et d’intérêt, qu’un haussement d’épaules dédaigneux.
La lutte des classes en France
« Voilà donc que nous glissons lentement mais sûrement dans une Genève qui ressemble de plus en plus à une France sur le point d’exploser socialement », écrit M. Lo Giudice. Mais y a-t-il vraiment des raisons de considérer la France comme le repoussoir absolu ? A vrai dire, c’est un tel lieu commun dans l’idéologie dominante en Suisse romande, qu’on le cite comme une évidence, sans même savoir pourquoi. Ce seul fait devrait inciter au scepticisme. En un sens, la France actuelle est un contre-exemple absolu. Mais en quoi ? Certainement pas par ses mouvements sociaux, par un climat effectivement autrement plus contestataire qu’en Suisse, par la vivacité d’une tradition de lutte dont on aurait beaucoup à. Mais, au contraire, c’est par sa tradition réactionnaire, par la dérive de la Vème République, conçue à la base comme une sorte de monarchie présidentielle, au service des monopoles, et qui aujourd’hui est, peut-être pas un régime autoritaire stricto sensu, mais en tout cas un régime mixte, en aucun cas une démocratie véritable, fût-ce bourgeoise. Un caractère déjà peu démocratique, qui s’est aggravé au fil des quinquennats, jusqu’à atteindre le paroxysme sous celui d’Emmanuel Macron : passage en force de réformes antipopulaires, avec un parlement réduit à une chambre d’enregistrement, et ce scandale anti-démocratique qu’est le 49,3 ; violences policières à large échelle et doctrine de « maintien de l’ordre » qui s’apparenterait presque à une guerre contre son propre peuple, démantèlement de l’État de droit…C’est dans ce régime-là qu’est né le mouvement de lutte contre la réforme des retraites). Contre ce régime qui ne conçoit pas d’agir autrement que par la force contre son propre peuple, il n’est pas possible de lutter autrement que par la force.
Alors, certes, le mouvement quasi-insurrectionnel contre la réforme des retraites n’a pas été en mesure, jusqu’à présent, de faire reculer le gouvernement, n’a pas empêché la promulgation de la loi. Il a du moins mis le pouvoir en difficulté. Une alternative politique progressiste pourrait renaitre de ce mouvement, quoi que rien ne le garantisse, et que le fascisme soit hélas aussi une issue possible.
La désobéissance civile en contexte d’urgence climatique, contreproductive réellement ?
A la lumière de tout ce que nous avons dit, les mouvements de désobéissance civile face à l’urgence climatique sont parfaitement légitimes, et même indispensables. Un argument qu’on leur oppose fréquemment est qu’ils seraient contreproductifs, parce qu’ils donneraient une image « extrémiste » de l’écologie et rendraient plus difficile de faire des projets qui seraient « consensuels », si la question était moins politisée.
Que peut-on répondre à cet argument ? Premièrement, en quoi quelqu’un qui se laisserait détourner d’une vérité scientifique incontestable uniquement parce qu’il a subi quelques menus désagréments dans sa mobilité se distinguerait-il d’un climatosceptique ? Deuxièmement, pourquoi faudrait-il que la question du climat soit « consensuelle » ? Parce quel type d’écologie serait consensuel, sans ces empêcheurs de tourner en rond des mouvements climatiques ? La réponse est évidente : le capitalisme vert, l’écologie mainstream, qui se limite à continuer le business as usual en le repeignant un peu en vert, et se fixant des objectifs tout à fait insuffisants, comme la neutralité carbone en 2050, et des moyens si ridiculement « pragmatiques » qu’ils ne permettraient pas même d’atteindre ces objectifs au rabais. Cette « écologie » là tient de la mauvaise plaisanterie, qui pourrait devenir tragique dans très peu d’années. Ce n’est pas d’une écologie consensuelle que nous avons besoin, mais de changements radicaux. Que le droit de nécessité ne soit que pour les banques et pas pour l’urgence climatique constitue un choix politique, qui ne reflète que les priorités de la bourgeoisie. Ce choix ne saurait être le nôtre.
Alors, les mouvements de désobéissance civile sont-ils efficaces face à l’urgence climatique ? ça dépend. Ce sont les grèves du climat et les actions de désobéissance civile qui ont enfin attiré l’attention publique sur la gravité de la situation, et rendent plus difficile pour les politiciens bourgeois ne rien faire, sans que pour autant ils n’aient commencé à agir vraiment. Ces mouvements ont pu bloquer également certains projets écocides. Mais encore faut-il que ces actions répondent à une pertinence tactique (faute de quoi elles peuvent effectivement être contreproductives), critère qui n’est pas nécessairement toujours réalisé.
Une rupture révolutionnaire pour dépasser le légalisme insipide et la simple contestation
Naturellement, les actions de désobéissance civile, si elles sont parfaitement légitimes et peuvent être tactiquement justifiées, ne sauraient être un but en soi. Le but ne saurait seulement être de contester, ni d’essayer de pousser les politiciens à agir. Car les « transformations socio-économiques » requises (selon la terminologie du GIEC) ne peuvent être réalisés sans sortir du capitalisme. Cette sortie ne peut naturellement être le fait des politiciens de la bourgeoisie, classe sociale qui préférerait laisser la planète devenir inhabitable et l’humanité sombrer plutôt que de renoncer à sa domination (ce qu’elle est d’ailleurs en train de faire). Pour sortir de cette impasse, il faut arracher le pouvoir aux mains de la bourgeoisie, de remplacer son État et son droit par un autre, qui pourra enfin mettre en œuvre les transformations radicales requises. Mais cela, c’est la révolution socialiste. Or cette révolution ne peut être réalisée ni par des mouvements sociaux à eux seuls, encore moins par des partis réformistes, pas plus que par des groupuscules d’extrême-gauche qui se réclament d’une idéologie inadéquate comme l’anarchisme. Elle ne peut être réalisée que sous la direction d’un parti révolutionnaire, et sous la bannière de la seule théorie révolutionnaire validée par l’histoire, qu’est le marxisme-léninisme. C’est à la réalisation de ce but, plus urgent et indispensable que jamais, que travaille le PST-POP.