05 mai 2023

De la légitimité et de l’efficacité de la désobéissance civile

« Tu gagneras ton droit par la lutte », affiche du Parti socialiste-révolutionnaire, d’avant la Révolution d’Octobre
Par la lutte, pas par le compromis


Dans un texte d’opinion, paru dans Le Temps du mercredi 26 avril 2023, intitulé « Après l’effondrement intellectuel, le glissement dans l’extrémisme de la gauche », Bryan Lo Giudice, vice-président du PLR Ville de Genève, se livre à un réquisitoire en règle contre la gauche, dans toutes ses tendances, accusée d’un véritable effondrement intellectuel, de ne plus être capable de parler au peuple, ni de mener les combats pour la justice sociale qui furent à la source de sa légitimité. Pour compenser son affaiblissement, tant intellectuel qu’en termes électoraux, la gauche aurait le grand tort de se tourner vers un radicalisme de substitution, impliquant une violation de la loi pour une cause que l'on estime juste: pèle-même, actions de désobéissance civile face à l’urgence climatique, occupation d’un immeuble laissé vide par son propriétaire véreux, grève des TPG…Des causes supposées de l’effondrement intellectuel de la gauche, il n’est pas dit grand-chose de plus dans l’article en question (on comprendra lors de débats télévisés qu’il s’agirait du désintérêt pour les luttes sociales au profit de questions dites « sociétales »). Ce sont les actions de désobéissance civile, impliquant une violation de la loi, qui suscitent particulièrement les foudres de M. Lo Giudice. 

Pourquoi, toutefois, ces actions de désobéissance civile déchaînent-elles autant l’ire de la bourgeoisie ? Il est vrai qu’elles sont illégales. Mais bien d’autres choses le sont, qui ne soulèvent pas autant les passions. Et il est indéniable qu’il existe nombre de faits beaucoup plus graves, qui ne font ni chaud ni froid aux mêmes politiciens bourgeois qui s’empressent d’ériger au rang d’affaire d’État les transgressions les plus bénignes, pour autant qu’elles soient des actions de désobéissance civile. Et les accusations de « violence » apparaissent particulièrement grotesques, s’agissant de simples dommages à la propriété dans le pire des cas (pas de violence contre les personnes), voire de simples entraves à la circulation, voire d’empêchements d’actes officiels de la part de la police. Pourquoi un traitement aussi manifestement disproportionné ? C’est que ces actions dérangent la bourgeoisie, beaucoup à l’évidence. Au lieu de se demander pourquoi, même des personnes engagées à gauche se laissent intimider par cette injonction de respect absolu du droit bourgeois, et se précipitent pour décréter les actions de désobéissance civile, si ce n’est comme illégitimes, du moins comme inefficaces. A tort, nous le pensons du moins. Cette question soulève à l’évidence différents enjeux, qu’il convient d’examiner.


La bourgeoisie et le respect du droit

De ce que les représentants politiques de la bourgeoisie prônent religieusement le respect scrupuleux du droit, on oublierait un peu facilement qu’il n’est question pour eux que de leur droit. Mais ce droit bourgeois, libéral, dont le respect serait élevé presque au rang d’obligation religieuse, serait-il issu d’une procédure légale, conformément au droit antérieur ? Bien au contraire, il est issu de la transgression massive de ce droit, de son abolition, souvent par la force des armes. C’est par la violence révolutionnaire, par un usage à large échelle de la guillotine, que la bourgeoisie française a mis fin à l’Ancien Régime, et a instauré la République, sa République. Et c’est par la force des armes que, bien avant la fusion qui a donné naissance au PLR à Genève, les ancêtres des radicaux, avec James Fazy à leur tête, ont mis fin au régime patricien dirigé par les ancêtres des libéraux. Il saurait difficilement en aller autrement du reste. Une révolution est par définition un moment de non-droit, la destruction du droit antérieur, une vacuité de droit où c’est la force qui tranche, et d’où émerge un droit nouveau, légitimant a posteriori la violation du droit précédant qui lui a donné naissance.

Fort bien, pourrait-on dire, mais il s’agissait d’un droit non-démocratique, auquel il était impossible de mettre fin par des moyens démocratiques, que celui-ci ne prévoyait pas. La violence dont la bourgeoisie a eu alors recours ne serait plus légitime désormais, puisque son droit à elle prévoit, dans notre pays du moins, des moyens démocratiques de le changer. La bourgeoisie est-elle toutefois plus respectueuse d’un droit qui pourrait remplacer le sien, quand bien même celui-ci serait issu de choix démocratiques ? Friedrich Von Hayek, un des idéologues majeurs du néolibéralisme, a répondu clairement à cette question : « Je préfère une dictature libérale à un régime démocratique dont le libéralisme serait absent ». Cette réponse, il la donna à un journal chilien, sous la dictature d’Augusto Pinochet. En effet, ce régime infâme, conseillé par Von Hayek et par Milton Friedman, fut le premier à implémenter les recettes empoisonnées du néolibéralisme.  Pourtant, ce fut une élection parfaitement démocratique qui porta l’Unité populaire et le président Salvador Allende au pouvoir.

La bourgeoisie chilienne et les USA préférèrent noyer dans le sang le peuple qui a osé « mal » voter, et recourir au non-droit absolu qu’est le fascisme. Avec l’approbation enthousiaste des idéologues libéraux. La bourgeoisie fait toujours le même choix lorsqu’elle est menacée de perdre ses privilèges.

La bourgeoisie est-elle seulement plus respectueuse de son propre droit, sitôt qu’elle se sent un tant soit peu menacée ? Aucunement ! L’exemple de la Suisse suffit à montrer que l’institution policière et judiciaire se comporte comme une véritable police politique de la bourgeoisie, avec des pratiques qui évoquent plus un régime autoritaire que ce qu’on pense être un État de droit, des procédures expéditives, et des méthodes parfois illégales, envers toutes celles et ceux qui représentent, ou semblent représenter une menace pour l’ordre établi. Le véritable acharnement policier et judiciaire à l’encontre des militants pour le climat qui osent transgresser la législation bourgeoise, souvent pour des faits extrêmement mineurs – à comparer avec l’incroyable mansuétude pour les criminels en col blanc, et le combat, malheureusement couronné de succès, des partis bourgeois contre l’initiative pour des multinationales responsables ; en clair, pour des multinationales irresponsables face à leurs crimes ! – montre assez bien la réalité de cette justice de classe. Généralement, les membres et sympathisants des partis bourgeois ne voient même pas ces aspects déplaisants de leur régime, pas plus que la terrible violence structurelle dont il est cause, parce qu’ils n’y sont généralement jamais confrontés à titre privé. Toutefois, l’affaire Simon Brandt, où le procureur général, membre du PLR, est manifestement allé trop loin en appliquant à un autre membre du PLR des méthodes qui sont généralement réservés à des opposants au régime a au moins eu le mérite d’ouvrir les yeux à certains sur la véritable nature de l’État suisse (cf. numéro précédent de l’Encre Rouge).

Cela sans parler des insupportables violences structurelles de la société bourgeoises, qui sont parfaitement légales. Les militants pour le climat qui ont joué au tennis à titre d’action symbolique dans une succursale de Crédit Suisse ont été pénalement condamnés ; les dirigeants successifs de cette banque qui se sont livrés à quantité de pratiques pour le moins douteuses tout en se gavant de bonus, menant leur entreprise à la débâcle, n’auront aucun compte à rendre. Et leurs investissements climaticides sont parfaitement légaux. Le business réellement criminel et meurtrier des entreprises de trading en matières premières est légal. L’exclusion social, la précarité de masse…sont pour ainsi dire banalisées, alors qu’il s’agit d’une violence structurelle produite par le système. Et des scandales comme ceux du foyer de Mancy ont mis en lumière des pratiques structurellement violentes de l’État suisse contre des personnes parmi les plus vulnérables, qui restent encore aujourd’hui beaucoup trop systémiques (quoi qu’à une échelle heureusement moindre que dans le passé) et qui sont encore trop souvent mises sous le tapis. Le droit d’un tel système mérite-t-il vraiment un respect quasi-religieux ?


Le rôle de la désobéissance civile dans l’histoire




Même l’historiographie bourgeoise reconnaît que les moyens de lutte non-légaux en général, et la désobéissance civile en particulier, ont joué un rôle important et progressiste dans l'histoire. Certains de ces mouvements de désobéissance civile sont même généralement approuvés, voire officiellement sanctifiés (au prix d’une certaine mythification) : la lutte de Mahatma Gandhi pour la libération de l’Inde, le mouvement pour les droits civiques aux USA, la lutte des suffragettes, le combat contre l’apartheid, etc. Il est vrai qu’il s’agit de luttes pour des causes dont il n’est plus possible sérieusement de remettre en cause la légitimité. 

Mais toutes ces luttes avaient été cataloguées comme « extrémistes » par les classes dominantes et leurs représentants politiques en leur temps. « Nelson Mandela est un terroriste », avait oser déclarer Margaret Thatcher. Il est vrai aussi que si ces combats recourant à la désobéissance civile non-violente (alors qu’en réalité ils n’étaient pas toujours aussi non-violents que ça) sont sanctifiés, c’est pour les opposer à la lutte armée, à la violence, presque toujours condamnée par principe. Mais les mêmes méthodes de désobéissance civile non-violente sont condamnées avec une ire sans limite de la part de politiciens bourgeois lorsque ce sont des activistes pour le climat qui les utilisent aujourd’hui. Une boussole morale aussi versatile ne devrait même pas être prise au sérieux. Le fait est que ces politiciens ne condamnent pas les actions de désobéissance civile parce qu’elles seraient « violentes », ou même « illégales » (les agissements des fraudeurs fiscaux suscitent autrement moins de colère de leur part), mais parce qu’elles remettent en cause leur ordre. Gageons toutefois que dans un avenir proche, les militants pour le climat d’aujourd’hui seront célébrés comme ceux pour les droits civiques d’hier (ou alors la planète sera devenue inévitable) ; et que les juges et procureurs qui les condamnent seront mis sur le même plan que ceux du régime de l’apartheid, pour les mêmes raisons (eux aussi ne faisaient qu'appliquer la loi après tout).


Les origines oubliées du Centre


Drapeau de l’Union des campagnes
Source : Bibliothèque de Genève


Aussi difficile à imaginer que cela puisse être, eu égard à ce que ce parti est devenu, le Centre genevois était à l’origine un mouvement de désobéissance civile. On apprend cette histoire dans Le Parti Démocrate-chrétien à Genève, un siècle d’histoire, 1892-1992, écrit par David Hiler et Geneviève Perret Barri, publié par le PDC (comme le Centre s’appelait jusqu’à récemment) en 1992.

L’histoire commence dans les années 1870. Sous le pontificat de Pie XI, l’Église catholique adopte un raidissement conservateur et un durcissement des prétentions à la théocratie pontificale, ce qui la fait voir comme une menace, notamment par les radicaux à Genève. Les catholiques sont soupçonnés d’un conflit d’allégeance entre leur pays et le pape. Par ailleurs, les catholiques deviennent majoritaires dans la population genevoise, mais pas encore dans l’électorat. Ces deux éléments déclenchent une violente offensive contre l’Église catholique romaine de la part du Parti radical, sous la direction du conseiller d’État Antoine Carteret. Des mesures de plus en plus restrictives sont prises : interdiction de célébrations religieuses sur la voie publique l’habit ecclésiastique, et des congrégations, et, surtout, tentative de création d’une Église catholique nationale, qui ressemble beaucoup à une église protestante (élection des prêtres, abolition du célibat, serment prêté devant le Conseil d’État). Mais cette nouvelle Église est créée contre la volonté d’une majorité de catholiques, et rencontre une résistance farouche dans les communes rurales à majorité catholiques. Le Conseil d’État tente de passer en force, en organisant des élections de prêtres avec un taux de participation infime, et confisquant les bâtiments des églises au profit de l’Église catholique nationale. Face à cette politique, les catholiques s’organisent en un parti politique, l’Union des campagnes. Un parti qui deviendra un jour le Centre, et dans l’hymne originel duquel on trouve ce couplet :

« Contre les tyrans et la tempête, 

Nous ne courberons pas la tête, 

Nous unirons nos cœurs, nos bras ; 

La foi transporte les montagnes   

Enfants, l’Union des campagnes  

Est forte et ne se rendra pas !     

Dieu qu’adoraient nos pères     

Nous garderons ta loi ;                      

Jurons, jurons mes frères ;               

De mourir pour la foi »

Si le SRC existait déjà à cette époque, peut-être y aurait-il vu de quoi justifier un fichage pour extrémisme violent. Remarquons que toutes ces lois anticatholiques étaient adoptées par un parlement démocratiquement élu. Toujours est-il que la désobéissance civile mise en place par l’Union des campagnes face à la spoliation des bâtiments ecclésiastiques mène au discrédit de la politique anticatholique, qui se base sur une répression de plus en plus absurde. Carteret est obligé de reconnaître qu’il est dans une impasse. La tentative d’éradication de l’Église catholique romaine sera abandonnée. Alors, au nom de quelle légitimité le Centre s’opposerait-il à ce que des militants d’aujourd’hui recourent, pour des causes au moins aussi importantes que la liberté de culte des catholiques, à des méthodes de lutte qu’il a certainement eu raison d'employer autrefois ?


Le mouvement ouvrier et les moyens de lutte non-légale

En rattachant l’incapacité présente de la gauche de conduire la bataille pour la justice sociale et sa prétendue dérive extrémiste, M. Lo Giudice renvoie en filigrane à l’époque de la paix du travail et de la participation loyale et modérée du PS aux institutions. Mais cette intégration dans la société bourgeoise et son État ne représente pas les origines du mouvement ouvrier, ni son état naturel, mais plutôt la dérive du fait de laquelle il est arrivé à son impuissance présente en Suisse.

Lorsque le mouvement ouvrier apparaît au XIXème siècle, c’est dans l’illégalité et en butte à une dure répression des pouvoirs en place. Il était considéré comme normal alors de réprimer les grèves à balles réelles, en Suisse également. Les syndicats étaient tout d’abord interdits. C’est par des luttes opiniâtres, par des grèves durement réprimées, par la confrontation souvent violente avec l’appareil répressif d’État, que la classe ouvrière et ses organisations politiques et syndicales ont pu conquérir des progrès sociaux et démocratiques. Des progrès démocratiques qui naissent de la transgression du droit existant, pas de son respect scrupuleux.

Mais, après ces premières victoires, la tentation existait pour les dirigeants du mouvements ouvriers d’essayer de s’intégrer à l’ordre établi, de s’y faire une place, au prix du renoncement à l’objectif de le renverser. Cette intégration, toutefois et la voie de la capitulation programmée, et de l’« effondrement intellectuel », effectivement. Ce n’est pas ainsi que la gauche sera à la hauteur de ses responsabilités historiques. Ce n’est pas la voie choisie par le PST-POP.


Les Verts, un parti extrémiste ?

N’est-il pas immédiatement évident que ce sous-titre est humoristique ? Les Verts, un parti d’extrême-gauche, sérieusement ??? C’est pourtant le surprenant reproche que M. Lo Giudice fait à ce parti, ainsi qu’à une majorité du PS, qui aurait fini par céder à l’influence des Verts, et, naturellement, à la gauche radicale. L’« extrémisme » qui est reproché à la gauche en l’occurrence, c’est le fait d’approuver l’usage de la désobéissance civile au service de causes qu’elle estime juste.

Or, s’il y a un reproche à faire à la gauche réformiste, ce n’est en tout cas pas celui – absurde ! – d’un tournant extrémiste, ni celui d’accorder une importance indue aux questions dites « sociétales », qui sont légitimes (le suffrage féminin n’aurait-il pas pu avoir été qualifié de question « sociétale » avant son introduction en 1971 par ses opposants réactionnaires ?). Mais en un sens il est correct de parler d’« effondrement intellectuel » de cette gauche-là, de dire qu’elle n’est plus « synonyme de combats sociaux ». Si elle ne l’est plus toutefois, c’est du fait de son réformisme, de son intégration trop longue et trop complète dans un « consensus », dont M. Lo Giudice lui fait l’éloge de l’honorer par le passé, et de ne plus le faire aujourd'hui. Le PS avait été fondé en tant que parti de la classe ouvrière. Manifestement, il ne l’est plus. A l’Assemblée fédérale, il se montre régulièrement prêt à cautionner des contre-réformes, en échange de quelques maigres « contreparties sociales », quitte à redevenir éventuellement de gauche par mesure de représailles envers une droite qui n’a pas voulu négocier avec lui. Les Verts n’ont pas pour projet de remplacer le capitalisme par autre chose, ni ne sont d’accord entre eux sur le type de société où ils veulent arriver. Ce qui les empêche de jouer un rôle aussi offensif qu’ils le pourraient en contexte d’urgence climatique.

Toutefois il y a bien un sens où cette étrange critique de M. Lo Giudice ne tombe pas à plat. En effet, soutenir, surtout verbalement, des actions relativement radicales, sans disposer d’un projet politiquement radical pour autant, implique une radicalité de posture seulement. Plus grave est le cas de certains personnages soi-disant de gauche radicale, certaines personnalités de la LUP pour ne pas les nommer, et que M. Lo Giudice attaque dans son article. Ces individus, en effet, s’engagent dans des actions de désobéissance civile, mais uniquement dans le cadre de leur campagne électorale, dans le seul but d’attirer les caméras sur eux et de se donner de faux airs révolutionnaires. Ce faisant, ils transforment de justes combats en coups de comm qui tournent à vide. Rien de plus nuisible à nos luttes que ce type de politiciens.


L’extrême-gauche, vacuité intellectuelle ?

Plus qu’aux Verts, le qualificatif d’extrémisme (auxquels il ne s’applique pas du tout), se rattache plus naturellement aux mouvements et organisations qui sont communément désignés comme étant d’extrême-gauche, par les organisations moins radicales qu’eux, de même que par l’appareil de répression de l’État bourgeois. Nous pensons principalement aux mouvements autonomes, communément appelés totos.

A ces mouvements d’extrême-gauche, on peut faire beaucoup de critiques sans doute, mais celle de vacuité intellectuelle, d’absence de projet, de vision politique, n’en fait pas partie. Ces mouvements se caractérisent bien souvent au contraire par une discipline militante réelle, un dévouement à la cause, une certaine consistance politique, et des méthodes de lutte qui sont issues d’une réflexion, et qui ne sont pas toujours sans efficacité.

Ce n’est toutefois pas la voie de l’avenir, ni celle que le PST-POP pourrait recommander. Les mouvements totos ont la faiblesse d’avoir une stratégie inadéquate – quand ce n’est pas le refus de la stratégie au profit de l’expression de la « rage sociale » – et le choix de formes de lutte nécessairement minoritaires et qui les engage dans une épreuve de force avec l’État bourgeois impossible à gagner ; qui est moins encore susceptible de renverser le pouvoir existant pour le remplacer par autre chose. Ces mouvements d’extrême-gauche méritent néanmoins plus d’égards, et d’intérêt, qu’un haussement d’épaules dédaigneux.


La lutte des classes en France




« Voilà donc que nous glissons lentement mais sûrement dans une Genève qui ressemble de plus en plus à une France sur le point d’exploser socialement », écrit M. Lo Giudice. Mais y a-t-il vraiment des raisons de considérer la France comme le repoussoir absolu ? A vrai dire, c’est un tel lieu commun dans l’idéologie dominante en Suisse romande, qu’on le cite comme une évidence, sans même savoir pourquoi. Ce seul fait devrait inciter au scepticisme. En un sens, la France actuelle est un contre-exemple absolu. Mais en quoi ? Certainement pas par ses mouvements sociaux, par un climat effectivement autrement plus contestataire qu’en Suisse, par la vivacité d’une tradition de lutte dont on aurait beaucoup à. Mais, au contraire, c’est par sa tradition réactionnaire, par la dérive de la Vème République, conçue à la base comme une sorte de monarchie présidentielle, au service des monopoles, et qui aujourd’hui est, peut-être pas un régime autoritaire stricto sensu, mais en tout cas un régime mixte, en aucun cas une démocratie véritable, fût-ce bourgeoise. Un caractère déjà peu démocratique, qui s’est aggravé au fil des quinquennats, jusqu’à atteindre le paroxysme sous celui d’Emmanuel Macron : passage en force de réformes antipopulaires, avec un parlement réduit à une chambre d’enregistrement, et ce scandale anti-démocratique qu’est le 49,3 ; violences policières à large échelle et doctrine de « maintien de l’ordre » qui s’apparenterait presque à une guerre contre son propre peuple, démantèlement de l’État de droit…C’est dans ce régime-là qu’est né le mouvement de lutte contre la réforme des retraites). Contre ce régime qui ne conçoit pas d’agir autrement que par la force contre son propre peuple, il n’est pas possible de lutter autrement que par la force.

Alors, certes, le mouvement quasi-insurrectionnel contre la réforme des retraites n’a pas été en mesure, jusqu’à présent, de faire reculer le gouvernement, n’a pas empêché la promulgation de la loi. Il a du moins mis le pouvoir en difficulté. Une alternative politique progressiste pourrait renaitre de ce mouvement, quoi que rien ne le garantisse, et que le fascisme soit hélas aussi une issue possible.


La désobéissance civile en contexte d’urgence climatique, contreproductive réellement ?

A la lumière de tout ce que nous avons dit, les mouvements de désobéissance civile face à l’urgence climatique sont parfaitement légitimes, et même indispensables. Un argument qu’on leur oppose fréquemment est qu’ils seraient contreproductifs, parce qu’ils donneraient une image « extrémiste » de l’écologie et rendraient plus difficile de faire des projets qui seraient « consensuels », si la question était moins politisée.

Que peut-on répondre à cet argument ? Premièrement, en quoi quelqu’un qui se laisserait détourner d’une vérité scientifique incontestable uniquement parce qu’il a subi quelques menus désagréments dans sa mobilité se distinguerait-il d’un climatosceptique ? Deuxièmement, pourquoi faudrait-il que la question du climat soit « consensuelle » ? Parce quel type d’écologie serait consensuel, sans ces empêcheurs de tourner en rond des mouvements climatiques ? La réponse est évidente : le capitalisme vert, l’écologie mainstream, qui se limite à continuer le business as usual en le repeignant un peu en vert, et se fixant des objectifs tout à fait insuffisants, comme la neutralité carbone en 2050, et des moyens si ridiculement « pragmatiques » qu’ils ne permettraient pas même d’atteindre ces objectifs au rabais. Cette « écologie » là tient de la mauvaise plaisanterie, qui pourrait devenir tragique dans très peu d’années. Ce n’est pas d’une écologie consensuelle que nous avons besoin, mais de changements radicaux. Que le droit de nécessité ne soit que pour les banques et pas pour l’urgence climatique constitue un choix politique, qui ne reflète que les priorités de la bourgeoisie. Ce choix ne saurait être le nôtre.

Alors, les mouvements de désobéissance civile sont-ils efficaces face à l’urgence climatique ? ça dépend. Ce sont les grèves du climat et les actions de désobéissance civile qui ont enfin attiré l’attention publique sur la gravité de la situation, et rendent plus difficile pour les politiciens bourgeois ne rien faire, sans que pour autant ils n’aient commencé à agir vraiment. Ces mouvements ont pu bloquer également certains projets écocides. Mais encore faut-il que ces actions répondent à une pertinence tactique (faute de quoi elles peuvent effectivement être contreproductives), critère qui n’est pas nécessairement toujours réalisé.


Une rupture révolutionnaire pour dépasser le légalisme insipide et la simple contestation




Naturellement, les actions de désobéissance civile, si elles sont parfaitement légitimes et peuvent être tactiquement justifiées, ne sauraient être un but en soi. Le but ne saurait seulement être de contester, ni d’essayer de pousser les politiciens à agir. Car les « transformations socio-économiques » requises (selon la terminologie du GIEC) ne peuvent être réalisés sans sortir du capitalisme. Cette sortie ne peut naturellement être le fait des politiciens de la bourgeoisie, classe sociale qui préférerait laisser la planète devenir inhabitable et l’humanité sombrer plutôt que de renoncer à sa domination (ce qu’elle est d’ailleurs en train de faire). Pour sortir de cette impasse, il faut arracher le pouvoir aux mains de la bourgeoisie, de remplacer son État et son droit par un autre, qui pourra enfin mettre en œuvre les transformations radicales requises. Mais cela, c’est la révolution socialiste. Or cette révolution ne peut être réalisée ni par des mouvements sociaux à eux seuls, encore moins par des partis réformistes, pas plus que par des groupuscules d’extrême-gauche qui se réclament d’une idéologie inadéquate comme l’anarchisme. Elle ne peut être réalisée que sous la direction d’un parti révolutionnaire, et sous la bannière de la seule théorie révolutionnaire validée par l’histoire, qu’est le marxisme-léninisme. C’est à la réalisation de ce but, plus urgent et indispensable que jamais, que travaille le PST-POP.

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