09 juillet 2015

Le livre blanc du président Xi Jinping



Quel que soit le jugement que l’on pourrait porter sur les pays socialistes ou en tout cas qui se disent tels – et il faut éviter autant que possible de porter de tels jugements trop hâtivement, sans bien connaître les spécificités de l’histoire et de enjeux auxquels doivent faire face des communistes devant agir dans des pays à touts point de vue très éloignés du nôtre – il n’est jamais sans grand intérêt que d’étudier les publications officielles qui viennent de ces pays, ne serait-ce que pour comprendre, un peu, sans nécessairement approuver, les choix faits par les partis communistes qui y sont au pouvoir, et la trajectoire, parfois très singulière, et difficile à cataloguer si on se réfère aux écrits des classiques.

Or justement les Editions en Langues étrangères chinoises ont récemment publié un épais volume, contenant une sélection de discours de Xi Jinping, actuel président de la République populaire de Chine (RPC) et secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC), avec pour titre La Gouvernance de la Chine et avec pour but affiché de permettre à la communauté internationale de mieux connaître et comprendre la Chine d’aujourd’hui et la ligne suivie par le PCC. Une publication particulièrement bienvenue, tant il est vrai que le PCC a suivi une trajectoire particulièrement singulièrement après la mort de Mao Zedong, et tant la RPC est aujourd’hui devenue méconnaissable par rapport à ce qu’elle avait été alors. La Chine est aujourd’hui l’exemple paradigmatique de la voie dite du « socialisme de marché », même s’il est vrai que le Vietnam a suivi une voie similaire, avec toutefois de notables variantes, ainsi que le Laos, pays socialiste totalement méconnu en Occident pour des raisons assez mystérieuses.

Et, malgré ce que nous avions dit au début, cette voie dite de « socialisme de marché » s’éloigne tellement de la vision que nous avons du socialisme qu’il est difficile de résister à la tentation de dire, sans autres nuances, qu’il ne s’agit pas de socialisme du tout, mais de restauration du capitalisme pure et simple. Mais regardons y de plus près. La motivation première de s’engager dans la voie dite de « réforme et d’ouverture » invoquée par Deng Xiaoping était l’extrême arriération économique dans laquelle se trouvait alors le pays et la nécessité de recourir aux investissements occidentaux ainsi qu’à certains mécanismes de marché, dans des limites bien définies et de façon temporaire, afin d’édifier la base matérielle du socialisme. Et il est indéniable que du point de vue du progrès économique et du progrès social les résultats obtenus par le PCC sont tout simplement remarquables. Le niveau de vie a nettement cru, et ce pour une large majorité de la population. Toutefois, le revers de la médaille, c’est que la politique de « réforme et d’ouverture » n’impliquait pas seulement le rétablissement de certains mécanismes de marché, mais bien aussi celle de l’exploitation de l’homme par l’homme, et quelques uns ont énormément profité de la croissance, au détriment des autres. En outre, on a l’impression nette que la « réforme et l’ouverture » sont allées beaucoup plus loin que ce qui était envisagé à l’époque de Deng Xiaoping, et que les restrictions initiales ont peu à peu été oubliées, l’ouverture au marché étant vue désormais comme une caractéristique permanente et structurelle du « socialisme à la chinoise »…


La compilation de discours de Xi Jinping –  à couverture blanche, et bien sûr le « prolétaires unissez-vous ! » en épigraphe n’est plus de rigueur – a l’indéniable mérite, à défaut de pouvoir savoir ce que pense réellement l’actuelle direction du PCC, du moins de connaître son discours public. Il est impossible ici, faute de place, de couvrir toutes les nombreuses thématiques traitées dans la Gouvernance de la Chine, qui pourtant mériteraient de l’être. Nous ne ferons qu’effleurer quelques aspects. Xi Jinping insiste sur la continuité de l’actuelle ligne du PCC avec ses origines, et la fidélité intactes aux principes fondateurs : « Le système théorique du socialisme à la chinoise est le fruit récent de la sinisation du marxisme qui englobe la théorie de Deng Xiaoping, la pensée importante de la « Triple représentation » et le concept de développement scientifique. Ce système théorique est la continuation, le développement, l’héritage et l’innovation du marxisme- léninisme ni la pensée de Mao Zedong, sinon on perdra les fondements ». En même temps, juste après, il annonce une rupture majeure, mais une rupture dans la continuité : « Dans un même temps, nous devons faire attention à l’application de la théorie marxiste, à la réflexion théorique sur les problèmes réels, à la nouvelle pratique et au nouveau développement autour des problèmes réels liésà la réforme, à l’ouverture et à la modernisation du pays et autour de ce que nous accomplissons présentement. Poursuivre le système théorique du socialisme à la chinoise dans la Chine actuelle, c’est poursuivre à juste tire le marxisme ».

Mais concrètement, qu’en est-il ? Honnêtement, il est assez difficile de reconnaître le marxisme dans la prose de Xi Jinping. La pensée claire et tranchante des classiques du marxisme, qui se reconnaît partiellement encore même dans les écris du PCUS tardif, n’est certes pas totalement absente ici, mais elle est présente comme en filigrane, mêlée à un propos technocratique non exempt de flottements et de contradictions. Des affirmations sur la nécessité de défendre les principes communistes et le socialisme face à toutes les infiltrations d’idées pro-capitalistes et de pertes de convictions font place à des thèses beaucoup plus discutables et que l’on ne voit pas, vraiment pas, comment pour le moins les rendre un tant soit peu compatibles avec le marxisme. La plus contestable à nos yeux étant la décision du XVIIIème Congrès du PCC, celui-là même qui a élu Xi Jinping au poste de secrétaire général, d’attribuer au marché un rôle « décisif » dans l’allocation des ressources, laissant pour l’essentiel à l’Etat celui d’assurer la stabilité macro-économique, ce qui se rapproche dangereusement de la définition d’une économie capitaliste développée. On peu constater également un escamotage quasi-totale de la question de la lutte des classes, au profit d’un idéal d’une « société harmonieuse » (divisée en classes pourtant), et de ce que l’impérialisme est et de la nécessité de combattre sa domination, au profit d’une promotion sans trop de restriction des traités de libre-échange.

Alors ne reste-t-il rien ou presque dans le PCC d’aujourd’hui de ce qu’il fut autrefois ? Pas exactement, non. Les communistes chinois ont gardé une conscience aigue, dans les principes pour le moins, du caractère populaire de la RPC et des devoirs du Parti envers le peuple. Ainsi que Xi Jinping le dit : « Servir le peuple corps et âme est le point de départ et l’objectif final de toutes les actions de notre Parti, et c’est là le trait marquant qui distingue notre Parti des autres. Toute activité du Parti doit prendre les intérêts fondamentaux du peuple comme la norme suprême. Pour pouvoir tester l’efficacité de notre travail, il faut voir si le peuple peut obtenir de réels profits, que sa vie s’améliore vraiment et que ses droits et intérêts soient vraiment garantis. ». Jamais un Juncker ou même un Hollande ne diraient rien de semblable ! On peut constater également que le PCC est en train actuellement de mettre en place une sécurité sociale généralisée pour faire face à l’explosion des inégalités due à la politique de réforme et d’ouverture, et qu’il affirme qu’une telle sécurité sociale est un droit, pendant qu’en Occident la droite et les sociaux-démocrates s’ingénient à inventer des prétextes pour détruire les acquis sociaux des travailleurs.

La question de la politique dite de réforme et d’ouverture menée par le PCC depuis une trentaine d’années est donc extrêmement complexe et mérite d’être étudiée. Nous ne nous permettrons en tout cas pas de jeter l’anathème au PCC – ce qui du reste serait ridicule. On nous permettra toutefois de rester extrêmement sceptique quant au « socialisme de marché », et quant au fait si c’est encore du socialisme.

Alexander Eniline

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