Quel
que soit le jugement que l’on pourrait porter sur les pays socialistes ou en
tout cas qui se disent tels – et il faut éviter autant que possible de porter
de tels jugements trop hâtivement, sans bien connaître les spécificités de
l’histoire et de enjeux auxquels doivent faire face des communistes devant agir
dans des pays à touts point de vue très éloignés du nôtre – il n’est jamais
sans grand intérêt que d’étudier les publications officielles qui viennent de
ces pays, ne serait-ce que pour comprendre, un peu, sans nécessairement
approuver, les choix faits par les partis communistes qui y sont au pouvoir, et
la trajectoire, parfois très singulière, et difficile à cataloguer si on se
réfère aux écrits des classiques.
Or
justement les Editions en Langues
étrangères chinoises ont récemment publié un épais volume, contenant une
sélection de discours de Xi Jinping, actuel président de la République
populaire de Chine (RPC) et secrétaire général du Parti communiste chinois
(PCC), avec pour titre La Gouvernance de
la Chine et avec pour but affiché de permettre à la communauté
internationale de mieux connaître et comprendre la Chine d’aujourd’hui et la
ligne suivie par le PCC. Une publication particulièrement bienvenue, tant il
est vrai que le PCC a suivi une trajectoire particulièrement singulièrement
après la mort de Mao Zedong, et tant la RPC est aujourd’hui devenue
méconnaissable par rapport à ce qu’elle avait été alors. La Chine est
aujourd’hui l’exemple paradigmatique de la voie dite du « socialisme de
marché », même s’il est vrai que le Vietnam a suivi une voie similaire,
avec toutefois de notables variantes, ainsi que le Laos, pays socialiste
totalement méconnu en Occident pour des raisons assez mystérieuses.
Et,
malgré ce que nous avions dit au début, cette voie dite de « socialisme de
marché » s’éloigne tellement de la vision que nous avons du socialisme
qu’il est difficile de résister à la tentation de dire, sans autres nuances,
qu’il ne s’agit pas de socialisme du tout, mais de restauration du capitalisme
pure et simple. Mais regardons y de plus près. La motivation première de
s’engager dans la voie dite de « réforme et d’ouverture » invoquée
par Deng Xiaoping était l’extrême arriération économique dans laquelle se trouvait
alors le pays et la nécessité de recourir aux investissements occidentaux ainsi
qu’à certains mécanismes de marché, dans des limites bien définies et de façon
temporaire, afin d’édifier la base matérielle du socialisme. Et il est
indéniable que du point de vue du progrès économique et du progrès social les
résultats obtenus par le PCC sont tout simplement remarquables. Le niveau de
vie a nettement cru, et ce pour une large majorité de la population. Toutefois,
le revers de la médaille, c’est que la politique de « réforme et
d’ouverture » n’impliquait pas seulement le rétablissement de certains
mécanismes de marché, mais bien aussi celle de l’exploitation de l’homme par
l’homme, et quelques uns ont énormément profité de la croissance, au détriment
des autres. En outre, on a l’impression nette que la « réforme et
l’ouverture » sont allées beaucoup plus loin que ce qui était envisagé à
l’époque de Deng Xiaoping, et que les restrictions initiales ont peu à peu été
oubliées, l’ouverture au marché étant vue désormais comme une caractéristique
permanente et structurelle du « socialisme à la chinoise »…
La
compilation de discours de Xi Jinping –
à couverture blanche, et bien sûr le « prolétaires
unissez-vous ! » en épigraphe n’est plus de rigueur – a l’indéniable
mérite, à défaut de pouvoir savoir ce que pense réellement l’actuelle direction
du PCC, du moins de connaître son discours public. Il est impossible ici, faute
de place, de couvrir toutes les nombreuses thématiques traitées dans la
Gouvernance de la Chine, qui pourtant mériteraient de l’être. Nous ne ferons
qu’effleurer quelques aspects. Xi Jinping insiste sur la continuité de
l’actuelle ligne du PCC avec ses origines, et la fidélité intactes aux
principes fondateurs : « Le système théorique du socialisme à la
chinoise est le fruit récent de la sinisation du marxisme qui englobe la
théorie de Deng Xiaoping, la pensée importante de la « Triple
représentation » et le concept de développement scientifique. Ce système
théorique est la continuation, le développement, l’héritage et l’innovation du
marxisme- léninisme ni la pensée de Mao Zedong, sinon on perdra les
fondements ». En même temps, juste après, il annonce une rupture majeure,
mais une rupture dans la continuité : « Dans un même temps, nous
devons faire attention à l’application de la théorie marxiste, à la réflexion
théorique sur les problèmes réels, à la nouvelle pratique et au nouveau
développement autour des problèmes réels liés à la réforme, à l’ouverture et à la modernisation
du pays et autour de ce que nous accomplissons présentement. Poursuivre le
système théorique du socialisme à la chinoise dans la Chine actuelle, c’est
poursuivre à juste tire le marxisme ».
Mais concrètement, qu’en est-il ? Honnêtement,
il est assez difficile de reconnaître le marxisme dans la prose de Xi Jinping.
La pensée claire et tranchante des classiques du marxisme, qui se reconnaît
partiellement encore même dans les écris du PCUS tardif, n’est certes pas
totalement absente ici, mais elle est présente comme en filigrane, mêlée à un
propos technocratique non exempt de flottements et de contradictions. Des
affirmations sur la nécessité de défendre les principes communistes et le
socialisme face à toutes les infiltrations d’idées pro-capitalistes et de
pertes de convictions font place à des thèses beaucoup plus discutables et que
l’on ne voit pas, vraiment pas, comment pour le moins les rendre un tant soit
peu compatibles avec le marxisme. La plus contestable à nos yeux étant la
décision du XVIIIème Congrès du PCC, celui-là même qui a élu Xi
Jinping au poste de secrétaire général, d’attribuer au marché un rôle
« décisif » dans l’allocation des ressources, laissant pour
l’essentiel à l’Etat celui d’assurer la stabilité macro-économique, ce qui se
rapproche dangereusement de la définition d’une économie capitaliste
développée. On peu constater également un escamotage quasi-totale de la
question de la lutte des classes, au profit d’un idéal d’une « société
harmonieuse » (divisée en classes pourtant), et de ce que l’impérialisme
est et de la nécessité de combattre sa domination, au profit d’une promotion
sans trop de restriction des traités de libre-échange.
Alors ne reste-t-il rien ou presque dans le PCC
d’aujourd’hui de ce qu’il fut autrefois ? Pas exactement, non. Les
communistes chinois ont gardé une conscience aigue, dans les principes pour le
moins, du caractère populaire de la RPC et des devoirs du Parti envers le
peuple. Ainsi que Xi Jinping le dit : « Servir le peuple corps
et âme est le point de départ et l’objectif final de toutes les actions de
notre Parti, et c’est là le trait marquant qui distingue notre Parti des
autres. Toute activité du Parti doit prendre les intérêts fondamentaux du
peuple comme la norme suprême. Pour pouvoir tester l’efficacité de notre
travail, il faut voir si le peuple peut obtenir de réels profits, que sa vie
s’améliore vraiment et que ses droits et intérêts soient vraiment garantis. ».
Jamais un Juncker ou même un Hollande ne diraient rien de semblable ! On
peut constater également que le PCC est en train actuellement de mettre en
place une sécurité sociale généralisée pour faire face à l’explosion des
inégalités due à la politique de réforme et d’ouverture, et qu’il affirme
qu’une telle sécurité sociale est un droit, pendant qu’en Occident la droite et
les sociaux-démocrates s’ingénient à inventer des prétextes pour détruire les
acquis sociaux des travailleurs.
La question de la politique dite de réforme et
d’ouverture menée par le PCC depuis une trentaine d’années est donc extrêmement
complexe et mérite d’être étudiée. Nous ne nous permettrons en tout cas pas de
jeter l’anathème au PCC – ce qui du reste serait ridicule. On nous permettra
toutefois de rester extrêmement sceptique quant au « socialisme de
marché », et quant au fait si c’est encore du socialisme.
Alexander
Eniline
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