1. Introduction et historique des faits
Il y a près de trois ans de cela, les électeurs genevois avaient approuvé en votation populaire, à l’initiative d’un comité formé de juristes principalement issus de la droite, la création d’une Assemblée constituante, chargée de réécrire totalement la Constitution genevoise, qui date de 1847 mais qui a fait l’objet de maintes modifications partielles depuis, en partant non pas du texte actuel mais de la page blanche. Le Parti du Travail avait alors, de même que solidaritéS, et contre les partis bourgeois et la gauche réformiste, appelé à refuser une telle modification totale de la Constitution. En effet, il était évident que dans le contexte politique actuel de réaction sur toute la ligne et de domination politique de la droite, le résultat ne pouvait qu’être catastrophique pour les classes populaires. Le but avoué des idéologues bourgeois, menés par les libéraux, les radicaux et le patronat (ce qui n’est au fond qu’une seule et même chose) était d’obtenir un texte «moderne», c’est-à-dire, en novlangue néolibérale, vidé de tous les acquis sociaux et démocratiques obtenus de haute lutte par les travailleurs et le mouvement progressiste durant le XXème siècle. Du reste, la modification totale d’une Constitution, qui est la Loi fondamentale sur laquelle se calquent toutes les lois d’un Etat donnée, est un fait politique majeur qui équivaut globalement à un changement de régime. C’est un fait politique majeur et exceptionnel, qui n’est jamais banalisé, sauf par la Constituante genevoise peut-être. En France, un changement de Constitution implique un changement de République (la Quatrième et la Cinquième république ne sont séparées que par une modification totale de la Constitution, sans coupure par un régime non-républicain…elles sont pourtant considérées comme deux régimes à part entière). Les Etats-Unis d’Amérique vivent avec une seule et unique constitution, à peine amendée, depuis leur fondation. L’Italie vit avec la même Constitution depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. L’Union soviétique n’a eu en tout et pour tout que deux Constitutions. Le Canton de Genève, en cette aube du troisième millénaire, ne vit pour l’instant aucun bouleversement majeur qui justifierait un changement de Constitution. Les arguments invoqués par les promoteurs de la Constituante : à savoir que le texte actuel, qui date de la mi-XIXème, qui est vieilli, qui a été modifié morceau par morceau, sans souci de sa cohérence interne, et qui présente des lacunes, doit être réajusté, pour ce qui concerne les questions institutionnelles principalement, ne justifiait pas l’élection d’une Constituante. Le Grand Conseil aurait pu s’en charger, ce qui aurait eu l’avantage de permettre au peuple de se prononcer sur chaque modification séparément. Or il est clair que le but de la droite était tout autre et c’était un but politique et non juridico-formaliste. Ce but était très simple : une Constituante élabore un texte constitutionnel complet qui est à prendre ou à laisser, et que le peuple peut accepter en bloc, auquel cas il remplace la Constitution actuelle, ou le rejeter en bloc, auquel cas la Constitution actuelle reste en vigueur. La droite, qui savait évidemment qu’elle serait majoritaire à la Constituante, avait prévu d’utiliser la formule, tout à fait antidémocratique, du paquet ficelé : rédiger de toute pièce une nouvelle Constitution vidée des acquis précieux obtenus en votations populaires pendant plusieurs décennies, et espérer que le peuple veuille bien accepter des régressions qu’il n’aurait jamais acceptées telles quelles si elles sont noyées dans un texte constitutionnel complet pour ne pas jeter à la poubelle quatre années de travail. En tout cas, le peuple a voté, et une Constituante, à majorité de droite comme il était prévisible, fut élue il y a un peu plus de deux ans.
La suite confirma, cela aussi était prévisible, que le Parti du Travail avait eu pleinement raison. La droite, qui avait un objectif politique bien défini, fit bloc et usa d’une stratégie agressive pour son agenda réactionnaire au-delà de toute limite et au-delà du simple réalisme politique, si bien que l’on était proche d’un retour intégral à l’Ancien régime et que la droite, arrivée à un texte qu’il était manifestement impossible de faire accepter, dut finir par faire des concessions. Nous ne pouvons que regretter que la bourgeoisie arrogante n’ait pas rencontré face à elle une gauche qui ait fait preuve de la même unité et de la même détermination. Les forces de la gauche réformiste, plus précisément le Parti socialiste et les Verts, qui s’étaient déjà laissé prendre par la rhétorique, absolument ridicule, de la Constituante comme merveilleux exercice démocratique qui allaient permettre de tout réinventer…et n’ont précisément pas compris qu’il ne s’agissait pas de réaliser le vieux slogan soixante-huitard «l’imagination au pouvoir !» mais d’imposer un projet politique réactionnaire, se sont obstinés à continuer de ne pas le comprendre, alors même que les faits parlaient d’eux-mêmes. Loin de livrer un combat frontal, politique et idéologique, contre les forces de la bourgeoisie, le Parti socialiste et les Verts se sont accrochés au concept, totalement vide de sens, de «consensus», et ont, au lieu de combattre sans concession le projet bourgeois et de dénoncer son caractère antipopulaire, comme il aurait fallu le faire, ils ont absurdement reproché à la droite de ne pas vouloir chercher le «compromis» avec eux, et de vouloir imposer son projet en bloc plutôt que de faire tous ensemble une Constitution de «consensus». Or l’idée d’une Constitution de «consensus» est absurde. Il est regrettable de le dire, mais le Parti socialiste et les Verts ont oublié les prémisses les plus élémentaires de ce que devrait être une pensée politique de gauche, et que, c’est triste de l’admettre, la droite comprend de fait bien mieux. Ces prémisses sont, premièrement, que «Toutes les luttes à l’intérieur de l’Etat, la lutte entre la démocratie, l’aristocratie, la monarchie, la lutte pour le droit de vote, etc., ne sont que les formes illusoires sous lesquelles sont menées les luttes effectives des différentes classes entre elles» (Marx & Engels) , et deuxièmement que «l’Etat est le produit et la manifestation de ce fait que les contradictions de classes sont inconciliables. L’Etat surgit là, au moment et dans la mesure où, objectivement, les contradictions de classes ne peuvent être conciliées.» (Lénine) Nous rajouterons une troisième prémisse, qui dit que la Constitution est la loi fondamentale de l’Etat moderne. Il s’en suit donc évidemment qu’une Constitution est un texte à caractère indiscutablement politique, qui représente les intérêts de la classe dominante du moment et qui sont strictement inconciliables avec ceux des classes dominées. Il ne saurait donc y avoir de Constitution de «consensus», ni même de «compromis» dans un contexte politique où les forces de la Réaction dominent sans partage ou presque. La droite, qui promeut par tous les moyens les intérêts de la classe qu’elle représente, la grande bourgeoisie, a compris cette réalité fondamentale. Pas la gauche réformiste.
Le mois de mars dernier, l’Assemblée constituante, qui arrive à mi-parcours de son travail, a procédé à une consultation de la population genevoise et des organisations représentatives, dans l’espace d’un délai beaucoup trop court toutefois. Le Parti du Travail a répondu à cette consultation, après avoir soigneusement analysé l’avant-projet de nouvelle Constitution, en comparaison avec la Constitution actuelle. Et la conclusion à laquelle nous sommes arrivés est que le texte actuel est globalement inacceptable car contraire aux intérêts populaires et présentant de nets reculs par rapport à la Constitution actuelle. Il faut certes reconnaître que l’avant-projet est, à bien des égards, plus détaillé, plus complet, souvent plus précis, plus cohérent, parfois mieux et élégamment écrit que la Constitution actuelle, et qu’il propose même quelques progrès sociaux et démocratiques mineurs. Il faut même reconnaître que les régressions sont moins nombreuses qu’on ne le dit, mais cela vient simplement du fait que les dispositions progressistes qu’il a déjà été possible d’introduire dans la Constitution actuelle se comptent sur les doigts de deux mains, ce qui ne les rend pas moins indispensables, bien au contraire. Il reste que des dispositions fondamentales introduites en votations populaires sont soit simplement passées à la trappe, soit vidées de leur substance par l’usage de formulations plus floues et moins contraignantes. Des dispositions réactionnaires, absentes dans la Constitution actuelle, sont rajoutées dans l’avant-projet. Le Parti du Travail considère qu’aucune disposition progressiste obtenue en votation populaire n’est négociable, et qu’aucune disposition réactionnaire, ancienne ou nouvelle, n’est tolérable. La moindre disposition progressiste supprimée, ou la moindre disposition réactionnaire rajoutée doit mener immédiatement au rejet de la nouvelle Constitution. Bien que l’avant-projet ne soit qu’un brouillon, nous ne nous faisons, contrairement à d’autres, aucune illusion sur la volonté de «compromis» de la droite, c’est pourquoi, nous commençons là un combat fondamental, le combat pour le rejet en votation populaire du texte de la future nouvelle Constitution.
2. Libertés syndicales et droit de grève
Nous commencerons l’analyse des enjeux principaux de la Constituante par celui qui est pour nous en tant que Parti du Travail, parti de la classe ouvrière et de tous les travailleurs, le plus important ; à savoir la question des libertés syndicales et du droit de grève. Sur ces questions, la Constitution en vigueur ne dit absolument rien. La Constitution fédérale et la loi s’appliquent donc directement. L’avant-projet, en revanche, reprend la formulation extrêmement restrictive de la Constitution fédérale, qu’il élargit de façon certaine, mais totalement insuffisante pour autant. Les passages en question étant brefs, les enjeux d’une importance extrême et les moindres détails de formulation essentiels, nous nous permettrons de les citer in extenso. La Constitution fédérale contient un article unique, l’Article 28, intitulé liberté syndicale, qui dit :
1. Les travailleurs, les employeurs et leurs organisations ont le droit de se syndiquer pour la défense de leurs intérêts, de créer des associations et d’y adhérer ou non.
2. Les conflits sont, autant que possible, réglés par la négociation ou la médiation.
3. La grève et le lock-out sont licites quand ils se rapportent aux relations de travail et sont conformes aux obligations de préserver la paix dut travail ou de recourir à une conciliation.
4. La loi peut interdire le recours à la grève à certaines catégories de personnes.
L’avant-projet contient deux articles, l’Article 36, intitulé Liberté syndicale, dont la teneur est :
1. La liberté syndicale est garantie.
2. Nul ne doit subir de préjudice du fait de son appartenance ou de son activité syndicale.
3. L’accès à l’information sur les lieux de travail est garanti.
4. Les conflits sont, autant que possible, réglés par voie de négociation ou de médiation.
Et l’Article 37, intitulé Droit de grève, qui dit :
1. Le droit de grève n’est garanti que s’il se rapporte aux relations de travail et s’il demeure conforme aux obligations de préserver la paix du travail ou de recourir à une conciliation.
2. La loi peut interdire le recours à la grève à certaines catégories de personnes ou limiter son emploi afin d’assurer un service minimum.
Dans notre canton très patronal et où les licenciements abusifs antisyndicaux tendent à être la règle (le scandaleux licenciement de Marisa Pralong fait exemple), l’alinéa 2 de l’Article 36 de l’Avant-projet et une nouveauté plus que bienvenue, c’est même la moindre des choses dans un Etat qui se dit démocratique. Toutefois, il faut rester conscients que l’impact réel de cette avancée, qui n’en demeure pas moins importante, resterait très limité, étant donné que la législation suisse n’offre quasiment aucune protection aux travailleurs, et qu’en cas de licenciement reconnu comme abusif l’employer n’est aucunement contraint de réengager la personne (seule une partie des fonctionnaires jouit de ce droit, qui devrait être universel) et ne peut qu’être condamné au grand maximum (ce qui n’arrive que très rarement) à verser tout au plus six mois de salaire.
La garantie de l’accès à l’information syndicale sur les lieux de travail est absolument indispensable, mais reste notoirement insuffisante, de plus la formulation est floue. L’extension du concept d’ «information syndicale» n’est pas définie, et les représentants politiques du patronat qui sont aujourd’hui au pouvoir ont toute latitude pour l’interpréter simplement comme information sur le fait que les syndicats existent. Le Parti du Travail estime indispensable que non seulement le droit à l’information syndicale, mais aussi celui à la présence syndicale sur les lieux de travail soit garanti. Le droit à la présence syndicale dans les entreprises est absolument indispensable pour que les travailleurs puissent s’organiser efficacement afin de défendre leurs droits, et ce dans toutes les entreprises et dans tous les secteurs, face à un patronat arrogant et imbu de ses privilèges qui n’hésite pas à faire usage d’une politique violemment antisyndicale, à interdire aux syndicats toute activité et toute information sur le lieu de travail et dans ses alentours immédiats, avec l’appui des forces de répression de l’Etat bourgeois, ou qui refuse de négocier avec les organisations syndicales réellement représentatives des travailleurs au profit de pseudo-syndicats jaunes maison à la botte du patron (comme l’a fait l’entreprise ISS en refusant de négocier avec le SSP qui soutenait les grévistes au profit d’un pseudo-syndicat maison PUSH bricolé pour les besoins de la cause), ce qui est tout à fait contraire aux conventions de l’OIT ratifiées par la Suisse.
Mais les restrictions drastiques imposées au droit de grève suffiraient seules à rendre l’Avant-projet totalement inacceptable. Le Parti du Travail souhaite rappeler qu’en régime capitaliste, qui est objectivement fondé sur l’antagonisme irréductible et la lutte entre classe, entre exploiteurs et exploités, entre travailleurs et patronat, il ne saurait y avoir une quelconque «paix du travail». Celle-ci n’est qu’une escroquerie patronale, destinée à désarmer les travailleurs, à émousser l’action syndicale et à la faire dériver vers la collaboration de classe, ceci afin de resserrer les chaînes des salariés et à les faire docilement courber l’échine sous le joug du patronat. Depuis que cette fameuse soi-disant «paix du travail», qui n’est rien de plus que soumission aux barons du capital, existe, elle a fait un mal inestimable au mouvement ouvrier suisse, désorganisé les travailleurs, affaibli considérablement l’action syndicale et ouvert la voie à la réaction la plus brutale qui ne rencontre que peu de résistance de la part de classes populaires qui ont perdu les traditions de lutte indispensables pour la défense de leurs droits. Les nécessités de la lutte des classes exigent de briser la paix de travail au profit d’une lutte sans concessions. Les travailleurs ne doivent jamais oublier que les droits ne s’obtiennent que par la lutte sans concessions et au terme d’une épreuve de forces, et non dans de gentillettes «conciliations» entre «partenaires sociaux», qui sont pipées d’avance, puisque les soi-disant «partenaires» ne le sont pas, car évidemment c’est le patron qui décide despotiquement, comme aux temps d’Ancien régime. Il convient de rappeler l’enseignement de Karl Marx : « Les syndicats agissent utilement comme centres de résistance aux empiètements du capital. Ils échouent en partie quand ils font un usage peu judicieux de leur puissance. Ils échouent entièrement quand ils se livrent à une simple guérilla contre les effets du système actuel, au lieu d'essayer dans le même temps de le changer, au lieu de se faire un levier de toutes leurs forces organisées, pour l'émancipation finale de la classe ouvrière, c'est-à-dire pour abolir enfin le salariat. »
Le droit de grève doit être garanti dans tous les cas et à tous les travailleurs. Quelque restriction que ce soit, qui sert la bourgeoisie mais est absolument incompatible avec les intérêts des travailleurs, ne saurait être tolérée. La grève ne saurait être réservée aux relations de travail. La grève revendicative, la grève politique, la grève générale, comme celles que mènent les peuples de Grèce, d’Espagne, du Portugal, de France…face au démantèlement social imposé par l’Etat bourgeois, l’Union européenne et le FMI, sont des instruments de lutte indispensables pour les peuples et tous les sophismes et les arguties juridiques de la bourgeoisie ne pourront jamais l’empêcher. Il est hors de question également de laisser la possibilité la possibilité à la loi d’interdire le recours à la grève à certaines catégories de personnes, puisqu’une telle disposition ouvre la porte à des restrictions sans fins qui permettraient à la droite de vider le droit de grève de sa substance en l’interdisant à tous les travailleurs ou presque. Nous entendons déjà l’objection de la compatibilité avec le droit fédéral, que puisque la Constitution fédérale limite déjà le droit de grève, on ne peut pas aller plus loin, etc., etc. ... mais ce n’est là que sophisme et arguties juridiques sans intérêt. De fait, les cantons peuvent et doivent aller plus loin que la Constitution fédérale. Après tout ce qui prime est l’intérêt du peuple et non le formalisme juridique, et il faut rappeler que la plupart des quelques dispositions progressistes de la Constitution fédérale viennent de la Constitution genevoise. C’est donc pour une fois, et pour des raisons politiques et non juridico-formalistes, le droit fédéral qui a été adapté dans le sens du progrès social. Ces dispositions progressistes n’existeraient aujourd’hui ni dans la Constitution genevoise, ni dans la Constitution fédérale, si à l’époque l’argument de la primauté au droit fédéral avait primé. Il ne faut pas non plus oublier que la Suisse a été régulièrement épinglée pour non-respect des conventions de l’OIT, qui n’est pourtant pas une organisation franchement révolutionnaire, qu’elle a signée ; et que, puisque le droit suisse ne protège pas suffisamment les libertés syndicales, c’est le droit international que sont les conventions de l’OIT qui doit primer, et non la très patronale Constitution fédérale.
3 Politique du logement et droits des locataires
La Constitution actuelle inclut l’indispensable Article 108, intitulé Droit au logement, qui provient d’une initiative populaire de l’ASLOCA pour laquelle nous avions lutté contre la droite et les milieux immobiliers. Cet article déclare que le droit au logement est garanti et oblige l’Etat et les communes à mener une politique à même d’assurer l’accès de l’ensemble de la population à des logements répondant à ses besoins, cela par la lutte contre la spéculation foncière, la construction et le subventionnement de logements avec priorité aux habitations à bas loyer, une politique active d’acquisition de terrains, l’octroi de droit de superficie aux organes sans but lucratif désireux de construire des logements sociaux, l’encouragement à la recherche de solutions économiques de construction, des mesures propres à la remise sur le marché des logements laissés vides dans un but spéculatif, des mesures propres à éviter que des personnes soient sans logement notamment en cas d’évacuation forcée et une politique active de concertation en cas de conflit en matière de logement. Quelle est la portée et l’efficacité réelle de cet article, nous ne le savons malheureusement que trop bien. Ce hiatus abyssal en la loi et la réalité est d’ailleurs un trait général de tout régime bourgeois, qui n’hésite pas à faire fi de droits qu’il inscrit par ailleurs dans sa propre législation. Il n’en demeure pas moins que l’Article 108 est absolument indispensable. C’est une arme inestimable aux mains des forces progressistes pour lutter en faveur d’une politique du logement conforme aux intérêts des classes populaires. Qu’une telle norme constitutionnelle existe permet de freiner les velléités des milieux immobiliers et de la droite de démanteler totalement les lois qui protègent un tant soit peu les locataires (des lois qui contreviendraient trop franchement à l’Article 108 seraient inconstitutionnelles, ce qui laisse la possibilité de saisir la justice pour les faire invalider), et de freiner un minimum la spéculation immobilière.
L’Avant-projet, en revanche, supprime totalement cet article – de la part de la droite pro-immobilière il fallait s’y attendre – au profit de plusieurs articles nettement moins restrictifs : le devoir de lutte contre la spéculation, les mesures propres à remettre sur le marché les logements laissés vides dans un but spéculatif et le devoir de prendre des mesures pour que les personnes victimes d’expulsion soient relogées sont abolis, ce alors même que la pratique scandaleuse et inhumaine d’expulsions sans relogement est devenue une triste routine depuis que Daniel Zapelli est procureur général. L’Avant-projet prévoit en outre l’encouragement à l’accès à la propriété, absurde dans un canton où 80% de la population est composée de locataires, qui n’ont pas les moyens de devenir propriétaires. Cette aberration idéologique de droite est en plus à même d’encourager le retour de la pratique des congés-ventes (choix donné au locataire d’acheter son logement ou de partir). De plus, l’Avant-projet prévoit des mesures en cas de pénuries, c’est-à-dire lorsque le taux de vacance des logements et de moins de 1% comme c’est actuellement le cas, qui sont à même de renforcer la spéculation immobilière plutôt que la construction de logements accessibles à la population : le déclassement serait ainsi facilité, pour des projets spéculatifs évidemment, et les zones de développement seraient traitées comme zones ordinaires…
Nous devons l’affirmer avec force, l’Article 108 de la Constitution actuelle, introduit par la volonté du peuple souverain, n’est pas négociable ! Une nouvelle constitution qui ne le contiendrait pas in extenso devrait être refusée, ne serait-ce que pour cette seule et unique raison ! L’intérêt des classes populaires exige au contraire que l’Article 108 soit effectivement appliqué. La pratique ne l’a que trop démontré, ce n’est pas en ouvrant grandes les portes aux promoteurs immobiliers que l’on va construire du logement, et toute la propagande tapageuse de la droite n’y changera rien. Le fait est que les promoteurs ont intérêt à maintenir la crise du logement, qui leur assure des profits élevés par une hausse constante des loyers. De plus, les promoteurs ne construisent pas grand-chose à part du logement de luxe, dont il y a déjà bien assez, ou des zones villa, et lorsqu’ils doivent construire un minimum de logement d’utilité publique ou de logements sociaux, que même Mark Muller n’a pu supprimer, c’est toujours des logements de la qualité la plus basse et avec un urbanisme déplorable. Il est nécessaire au contraire de sortir le logement du marché, par la socialisation du sol et l’acquisition d’immeubles par les communes et par l’Etat, par la construction de logements sociaux et de logements bon marché publics, par l’octroi de droits de superficie aux coopératives, par un urbanisme cohérent et de qualité, par la construction en priorité sur les zones constructibles existantes et en déclassant la zone villa surdimensionnée plutôt que les terres agricoles. Il faut aussi mettre un frein à l’implantation de multinationales étrangères, qui amènent leur propre personnel, aucun chômeur genevois n’ayant la qualification requise, qui font monter les loyers en en payant une partie pour leurs employés, et qui saturent les infrastructures en ne produisant guère plus que de l’inflation. Seule une telle politique serait à même de résorber la crise du logement.
Enfin, la Constitution actuelle prévoit suite à une initiative populaire de l’ASLOCA le référendum obligatoire pour toute modification d’une loi touchant aux droits des locataires. L’Avant-projet prévoit d’instaurer à la place un référendum facultatif demandant mille signatures. Ce retour sur un droit acquis est totalement inacceptable. Il permettrait en effet à la droite de pratiquer sa stratégie favorite, la stratégie du saucissonnage, soit la modification par petites parties, pour démanteler la protection des locataires.
4 Interdiction du nucléaire et protection de l’environnement
La Constitution actuelle contient le très long Article 106 (trop long pour qu’on le cite in extenso ou qu’on le paraphrase), détaillant toute une série de mesures constitutives d’une politique énergétique et environnementale cohérente ayant pour visée le développement des énergies renouvelables et la diminution de la consommation d’énergie par l’isolation et la mise aux normes des bâtiments (le chauffage purement électrique est par exemple interdit ou soumis à autorisation exceptionnelle). L’énergie nucléaire, l’installation de centrale nucléaires et de dépôts de déchets radioactifs sont interdits sur le territoire cantonal. Et de fait, le canton de Genève se passe totalement du nucléaire. La distribution d’eau et d’électricité est un monopole public, dévolu aux SIG.
L’Avant-projet conserve le monopole public pour l’eau et l’électricité (initiative populaire trop récente et au succès trop flagrant pour que la droite, qui voudrait privatiser quant au fond, ose y toucher). Mais l’Article 106 y est remplacé par le simple principe de développement et de priorité aux énergies renouvelables. Le nucléaire ne serait plus interdit (l’Etat ne serait plus soumis qu’à l’exigence floue au possible de «collabore[r] aux efforts tendant à se passer de l’énergie nucléaire»). L’installation de centrales nucléaires et de dépôts de déchets radioactifs ne seraient plus interdits mais soumis au référendum obligatoire. La porte du retour du nucléaire est grande ouverte.
La suppression de l’Article 106, qui détaille une politique énergétique environnementale qui est aujourd’hui la seule à être pertinente, est inacceptable. En particulier il importe de lutter contre la volonté du retour du nucléaire de la droite, qui est un combat d’arrière-garde, aujourd’hui que la récente catastrophe de Fukushima vient rappeler une nouvelle fois que le nucléaire est une énergie en dernier recours incontrôlable et fondamentalement dangereuse, menaçant la survie même de l’espèce humaine. Les déchets nucléaires restent à ce jour un problème insoluble, et il est probable qu’il en restera ainsi ; ils restent radioactifs et dangereux pendant des millénaires et on ne sait trop qu’en faire. Et une centrale nucléaire, le jour où on l’arrête, est extrêmement compliquée à démanteler du fait de la radioactivité ; de fait on ne le peut pas vraiment et le terrain, seulement confiné, reste radioactif et dangereux pendant des années et des années. Il faut rappeler aussi que l’énergie nucléaire ne couvre de fait qu’une partie infime de la consommation énergétique mondiale. Cette filière n’est nullement indispensable ; elle a été développée quasi uniquement à des fins militaires et on pourrait fort bien s’en passer, ce d’autant qu’on le devra de toute façon vu que les réserves mondiales d’uranium seront épuisées avant la fin du siècle. Toutes ces raisons concourent à faire de la sortie du nucléaire un objectif politiquement indispensable.
Aujourd’hui, notre civilisation est à la croisée des chemins. La frénésie productiviste et gaspilleuse du capital, qui sert principalement la consommation ostentatoire et les désirs fantasques des riches ainsi que les guerres impérialistes, son obsession du profit à court terme, quelques doivent en être les conséquences, sa focalisation sur les énergies fossiles, pourtant inévitablement épuisées à ce rythme là vers la moitié du siècle, détruisent la planète et menacent à terme la survie même de l’humanité. La myopie de la droite à cet égard est particulièrement frappante. Si l’on veut simplement que notre espèce survive, si l’on veut assurer le développement à long terme de la civilisation humaine et le progrès social, il n’est plus possible de laisser notre destin aux mains des prédateurs du capitalisme et de leurs laquais politiques de droite. L’usage rationnel des ressources naturelles fines, un mode de vie compatible avec le progrès social et le respect de l’environnement exige la rupture avec le mode de production capitaliste, la planification de la production qui est seule à même de faire servir l’économie à l’intérêt commun, le socialisme.
5 Egalité homme-femme
De même que la Constitution actuelle, l’Avant-projet reconnaît l’égalité homme-femme, et en fait plus en reconnaissant explicitement aussi le principe du salaire égal à travail égal, et en donnant à l’Etat l’obligation de veiller à l’application de ce principe, ce qui est un progrès indispensable, et à vrai dire la moindre des choses. On peut remarquer en revanche, et on ne manquera pas de s’en amuser, l’absurde Article 50, né sous la plume, prétendue pourtant infaillible, des super-juristes de la droite. Cet article, intitulé Représentation équilibrée des femmes et des hommes dit simplement : «L’Etat promeut une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des autorités». La question se pose immédiatement : que signifie représentation équilibrée ? 50-50 ? 1/3 – 2/3 ? Et de quelles autorités il s’agit : postes dirigeants de la fonction publique ? Directions des entreprises ? Exécutifs ? Comités des partis ? En l’état, cet article est comique plus qu’autre chose. Il aurait pourtant été possible, c’est d’ailleurs ce qu’il aurait fallu faire de rédiger simplement : «l’Etat garantit, dans la mesure du possible, une représentation égale des hommes et des femmes dans la fonction publique».
6 Institutions et droits populaires
Puisque la raison officielle invoquée pour la modification de la Constitution était de la mettre à jour sur les questions institutionnelles principalement, nous allons aborder ce point pour voir quel est finalement le résultat. Nous ne pouvons pas ne pas commencer par relativiser l’importance de la question. Les détails de l’organisation institutionnelle ne sont ni la panacée comme le croient certains, ni même un facteur fondamental. Le facteur déterminant qui fait d’une société ce qu’elle est est son mode de production. Le fait que les membres de l’exécutif cantonal s’appellent «conseillers d’Etat» ou «ministres» ou que la durée de la législature soit de 4 ans ou de cinq ans n’a qu’une importance des plus secondaires. Rappelons l’enseignement de Lénine sur la question : «Les formes d'Etats bourgeois sont extrêmement variées, mais leur essence est une : en dernière analyse, tous ces Etats sont, d'une manière ou d'une autre, mais nécessairement, une dictature de la bourgeoisie. Le passage du capitalisme au communisme ne peut évidemment manquer de fournir une grande abondance et une large diversité de formes politiques, mais leur essence sera nécessairement une : la dictature du prolétariat.» Il n’en reste toutefois pas moins que la forme que prend l’Etat n’en reste pas moins une question extrêmement importante, que ce soit pour l’Etat bourgeois ou pour l’Etat socialiste d’ailleurs. La démocratie parlementaire avec suffrage universel, la démocratie parlementaire avec suffrage censitaire, la dictature fasciste, la dictature militaire…tous types d’Etats bourgeois n’en sont pas moins fondamentalement différents.
Mais l’Avant-projet ne change pas la forme de l’Etat, qui reste évidemment une démocratie bourgeoise parlementaire semi-directe, ni les institutions qui resteraient pour l’essentiel exactement ce qu’elles sont aujourd’hui. Donc, à part quelques modifications de détail, rien de nouveau sous le soleil, ou presque…Arrêtons nous tout de même sur quelques points. Commençons pour le point le plus important pour nous : l’initiative et le référendum populaire. L’Avant-projet abaisse le nombre de signatures nécessaires pour l’initiative et pour le référendum tant au niveau cantonal qu’au niveau municipal : le nombre de signatures nécessaires pour un référendum cantonal est abaissée de 7'000 à 5'000, et pour une initiative législative de 10'000 à 7'000 (l’initiative constitutionnelle resterait à 10'000). C’est indéniablement un progrès démocratiques. N’en déplaise aux détracteurs des référendums et initiatives «trop faciles» et pour des motifs soi-disant «futiles», démocratie signifie étymologiquement «pouvoir du peuple». Un Etat n’est réellement démocratique que si c’est le peuple qui a le pouvoir, TOUT le pouvoir, et non pas uniquement celui de le déléguer pour la durée d’une législature à des élus qui feront ce qu’ils voudront. En ce sens, le canton de Genève n’est que partiellement démocratie. De fait aujourd’hui le nombre de signatures requises est extrêmement élevé ce qui rend l’application des droits populaires, indispensables pour faire triompher la volonté du peuple, extrêmement difficiles à pratiquer. Si le parlement aligne des lois antipopulaires, le peuple doit avoir la possibilité de toutes les contester, et non seulement quelques unes.
Pour en venir à des enjeux plus institutionnels à proprement parler, parlons des communes. L’Avant-projet voudrait donner mandat à l’Etat de les encourager à fusionner ou à réorganiser le découpage territorial, toutes modifications qui seraient tout de même soumises à l’approbation des corps électorales des communes concernées. La Constituante voudrait en plus chapeauter ces communes déjà fusionnées par 4 à 8 districts, auxquels elle accorde une «liberté d’action maximale», sans toutefois préciser ni leurs compétences, ni leurs organes représentatifs, ni leur raison d’être. Les districts seraient crées sur une base volontaire, mais au bout de cinq ans le Grand conseil pourrait les imposer et ils assumeraient alors toutes les compétences des communes actuelles, ce qui signifie la suppression de facto des communes, même si la droite n’ose pas le dire. Le Parti du Travail ne voit pas l’utilité de la mode de fusionner les communes et s’y oppose. Les communes, de même que les nations, sont des entités historiquement constituées, formant des communautés sans lesquelles une authentique démocratie est inconcevable. Vouloir dépecer et réorganiser les découpages territoriaux en remplaçant les frontières historiques par des frontières arbitraires et créant des collectivités artificielles qui ne forment pas des communautés est une logique néolibérale détestable qui part de la chasse aigue à la suppression des doublons et aux économies, ce qui la plupart du temps signifie simplement le démantèlement du service public et la contrainte imposée aux citoyens de faire des déplacement de plus en plus longs, et d’une approche de «gouvernance» centralisatrice, technocratique et autoritaire, absolument incompatible avec la démocratie. La création de districts, échelon intermédiaire entre les communes et le canton par exemple à Fribourg, est une absurdité dans un petit canton comme Genève, et ce d’autant plus si elle vise à remplacer les communes. Le Parti du Travail met en particulier en garde contre le projet réel que vise la droite depuis des années, la suppression de la Ville de Genève, bastion de gauche et rempart indispensable à la politique antipopulaire du canton.
Enfin un enjeu strictement institutionnel : le Conseil d’Etat. La Constituante voudrait instituer un président du Conseil d’Etat pour toute la durée de la législature et lui tailler sur mesure un département présidentiel. Ce pourrait être le premier pas vers la présidentialisation de l’Etat, le pas suivant étant l’élection d’un président au suffrage universel. Le Parti du Travail s’oppose absolument à cette personnalisation accrue de la politique qui stérilise le débat démocratique en le faisant porter sur les personnes plutôt que sur les contenus et les programmes politiques. Partout où le régime présidentiel a été établi il a conduit in fine au bipartisme, à la fausse alternance qui n’est qu’un monopartisme de fait déguisé et un pourrissement de la démocratie.
Le Conseil d’Etat a critiqué l’Avant projet parce que celui-ci diminue ses pouvoirs. A vrai dire, ce n’est pas un mal. La subordination de l’exécutif au législatif ne saurait être qu’un progrès démocratique. On invoquera sans doute la séparation des pouvoirs pour s’opposer à une telle subordination, mais le Parti du Travail n’est pas particulièrement attaché au principe de séparation des pouvoirs, sacralisé par les idéologues libéraux. Rappelons que ce principe forgé par Montesquieu est quant au fond un principe conservateur qui vise à affaiblir chacun des pouvoirs par l’action des autres, y compris à affaiblir le pouvoir du peuple, pour limiter au maximum les possibilités de changement et assurer la stabilité, et donc le conservatisme. Ce n’est pas pour rien que le comte de Mirabeau a utilisé le principe de la séparation des pouvoirs pour défendre le véto du roi, qui était une position contre-révolutionnaire flagrante. De plus, de principe théorique, la séparation des pouvoirs est devenue un sophisme bourgeois. Car au-delà de toutes les séparations de façade, le pouvoir réel demeure indivisible aux mains de la classe bourgeoise. Notre but n’est pas de séparer cette indivisibilité mais de créer un autre pouvoir indivisible qui prenne sa place, le pouvoir du peuple, qui doit être absolu et indivisible.
Le but du Parti du Travail est de remplacer la démocratie bourgeoise, formelle, limitée et qui demeure de fait la dictature de la minorité possédante en dernière instance, par une démocratie populaire réelle, qui donne tout le pouvoir aux classes populaires ; de remplacer l’Etat bourgeois qui est essentiellement une machine aux mains des maîtres du capital pour défendre leurs privilèges et forcer les classes opprimées à la soumission par la force, par un Etat socialiste, qui serve d’instrument aux classes populaires pour imposer leurs intérêts légitimes aux anciens exploiteurs qui devront être expropriés de leurs privilèges indus, et pour construire une société orientée vers l’intérêt commun de tous ses membres. Un Etat socialiste reposant sur un pouvoir populaire réel se doit d’être réellement, et non pas seulement formellement, démocratique. Ce qui implique une architecture institutionnelle très différente de celle de l’Etat de Genève d’aujourd’hui. Une démocratie populaire rejette la fausse séparation des pouvoirs et proclame ouvertement l’indivisibilité réelle des pouvoirs aux mains des classes populaires. Elle se fonde sur une participation directe du peuple à l’exercice du pouvoir dans les institutions politiques, mais aussi sur le lieu de vie et dans les entreprises ; ce qui suppose des conseils populaires qui exercent effectivement le pouvoir, et une assemblée populaires suprême qui détient la totalité du pouvoir, législatif comme exécutif.
7 La raison d’être du Parti du Travail : le socialisme
Nous venons de soulever les enjeux principaux de l’Avant-projet élaboré par l’Assemblée constituante. Ce ne sont là rien de plus que quelques pistes et notre travail ne prétend pas à l’exhaustivité, loin de là. Une analyse complète d’un texte constitutionnel de 40 pages, comparé à un texte d’une longueur comparable et à la vision propre du Parti du Travail aurait été un travail d’une toute autre ampleur. Nous ne nions pas que l’Avant-projet contienne nombre de dispositions intéressantes. Mais si elles sont progressistes par rapport à la Constitution actuelle, la plupart du temps elles n’apportent rien de plus par rapport à la loi. Nous avons estimé, pour de bonnes raisons, que les véritables enjeux politiques, ceux qui feraient vraiment une différence si la nouvelle Constitution était acceptée, sont ceux que nous avons soulevés. Nous ne nous faisons pas d’illusions sur le fait que la droite n’acceptera pas de renoncer aux mesures réactionnaires dont nous avons parlé, car c’est pour elles et elles seules qu’elle à voulu la Constituante. Notre but est donc de faire refuser par le peuple la future nouvelle Constitution, et non d’analyser le détail de toutes ses implications, ce qui justifie que nous donnions les raisons de la refuser et non son analyse complète.
Toutefois, une chose demeure. Même si la Constituante genevoise était composée d’une majorité absolue d’élus du Parti du Travail, elle resterait soumise à l’exigence de compatibilité avec le droit fédéral, et resterait donc une Constitution bourgeoise qui ne refléterait pas nos orientations profondes. La compatibilité avec le droit fédéral est un sophisme, les cantons peuvent aller plus loin nous avons dit…c’est vrai…jusqu’à un certain point. Genève ne saurait posséder une autonomie de fait quelconque du reste de la Suisse, et ne peut donc posséder un régime social différent. C’est pourquoi, nous souhaitons, au-delà de l’analyse constitutionnelle, esquisser brièvement nos objectifs fondamentaux.
Le monde d’aujourd’hui correspond exactement à la description qu’en fit Lénine il y a un siècle de cela déjà :
«Partout, а chaque pas, on se heurte aux problèmes que l'humanité serait а même de résoudre immédiatement. Le capitalisme l'en empêche. Il a accumulé des masses de richesses, et il a fait des hommes les esclaves de cette richesse. Il a résolu les problèmes les plus difficiles en matière de technique, et il a stoppé la réalisation de perfectionnements techniques en raison de la misère et de l'ignorance de millions d'habitants, en raison de l'avarice stupide d'une poignée de millionnaires.» Le Parti du Travail voit sa raison d’être dans la lutte pour changer radicalement cette situation.
En tant que parti des classes que le capitalisme opprime, le Parti du Travail lutte pour la défense des intérêts des exploités et pour leurs revendications immédiates qui dans le rapport de force actuel sont bien trop souvent des revendications défensives ou réformistes. Mais notre but ne saurait évidemment se limiter à préserver les très maigres conquêtes sociales des travailleurs suisses ni à participer aux institutions bourgeoises afin de «gérer autrement» ou de «réformer» la société capitaliste. Car essayer de résoudre les contradictions sociales et économiques dans le cadre du capitalisme relève de la cadrature du cercle. Le problème principal de la société actuelle, dont découlent toutes les autres, est la propriété privée sur les moyens sociaux de production, de crédit et d’échange. La loi fondamentale du capitalisme est la maximisation des profits par tous les moyens, même les plus criminels ; en dehors de cette loi il ne saurait fonctionner, il n’est pas réformable. C’est pourquoi, le but fondamental du Parti du Travail est le renversement politique de la bourgeoisie, la prise du pouvoir par les travailleurs, l’abolition du capitalisme et la socialisation des moyens de production pour l’édification d’une société socialiste, puis d’une société communiste.
Le Parti du Travail tient à participer aux parlements car toutes les formes de lutte sont nécessaires, y compris la lutte institutionnelle, qui permet d’obtenir certaines victoires, même partielles, et de renforcer le Parti et le mouvement populaire de résistance. Toutefois, le parlementarisme ne saurait être pour nous un but en soi, ni même le moyen principal pour construire le socialisme. Pour réaliser concrètement l’émancipation des classes populaires et une société socialiste, il faut rompre avec le modèle autoritaire et oppressif de l’Etat bourgeois et construire à la place une démocratie populaire, fondée sur les conseils populaires et une démocratie réelle à tous les niveaux qui donne TOUT le pouvoir au peuple, et pas seulement celui de choisir ceux qui décideront en son nom et à sa place. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire suisse, l’Etat ne serait plus une machine oppressive séparée de la société et aux mains de représentant de la classe dirigeante, mais l’organisation réellement démocratique de la majorité de la population.
L’instauration de la démocratie populaire réalisera le socialisme, fondé sur le pouvoir populaire, la propriété sociale des moyens de production, de crédit et d’échange et leur planification au service de l’intérêt commun. La société pourra enfin supprimer l’exploitation de l’homme par l’homme et réaliser l’idéal communiste décrit dans le texte célèbre d’Engels Socialisme utopique et socialisme scientifique : «L’ensemble des conditions d’existence qui jusque là ont dominé les hommes seront alors soumises à leur contrôle. En devenant maîtres de leur propre organisation sociale, ils deviendront par cela même pour la première fois, maîtres réels et conscients de la nature. Les lois qui régissent la propre action sociale se sont jusqu’ici imposées aux hommes comme des lois impitoyables de la nature, exerçant sur eux une domination étrangère : désormais, les hommes appliqueront ces lois en pleine connaissance de cause et, par ce fait, ils les maîtriseront. La forme dans laquelle les hommes s’organisent en société – forme jusqu’ici pour ainsi dire octroyée par la nature et l’histoire – sera alors l’œuvre de leur libre initiative. Les forces objectives qui, jusqu’ici, ont dirigé l’histoire, dès ce moment passeront sous le contrôle des hommes. Ce n’est qu’à partir de ce moment que les hommes feront eux-mêmes leur histoire, en êtres pleinement conscients de ce qu’ils vont faire, sachant que les causes sociales qu’ils mettront en mouvement produiront, dans une mesure toujours croissante, les effets voulus. L’humanité sortira enfin du règne de la fatalité pour entrer dans celui de la liberté.»