7'000 prisonniers kurdes sont en grève de la
faim dans les geôles turques. C’est un mouvement lancé par Leyla Güven, députée
du parti progressiste, démocratique et défendant la cause kurde HDP, et soutenu
par la diaspora kurde. Il y a actuellement 14 grévistes de la faim à
Strasbourg, et il est prévu que le mouvement prenne une ampleur autrement
spectaculaire, avec 300 personnes à Bruxelles, et 1000 à Strasbourg ces
prochains jours. Revendications de cette grève de la faim ? La levée de
l’isolement pour Abdullah Öcalan, leader du mouvement kurde, et prisonnier
politique du régime turc depuis 1999. A Genève, où la communauté kurde compte
près de 2'500 personnes, le mot d’ordre est également suivi. Nous avons
rencontré Mehmet Ali Koçak, gréviste de la faim (il a déjà perdu 4 kg), au
local du Centre Démocratique Kurde de Genève, dont il est membre.
Il faut comprendre qu’il ne s’agit pas du seul
cas d’Abdullah Öcalan, même si la stratégie communicationnelle de l’Etat turc
est de tout centrer sur sa personne. Il s’agit en réalité d’une exigence
élémentaire de respect du droit international, et du droit turc par lequel le
régime, ne se sent plus lié, des droits du peuple kurde, des droits
fondamentaux et de la démocratie pour toutes et tous. Il faut savoir en effet
que, depuis l’accession au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan et de son parti,
l’AKP, au pouvoir – que certains médias bourgeois ont très longtemps présenté
comme des « islamistes modérés », voire comme un modèle à suivre pour
le monde musulman – la Turquie a connu un processus d’islamisation et de dérive
autoritaire. Le coup d’Etat raté en 2016 a servi à Erdogan de prétexte pour
mettre en place des mesures d’exception, instaurant de fait un régime qu’il
n’est pas abusif de qualifier d’islamo-fascisme. Une propagande fascisante
étouffe aujourd’hui la Turquie, la répression y est généralisée, les procès
truqués sont devenus la norme, et la liberté d’expression n’est plus qu’un
lointain souvenir. Il n’y a plus de médias indépendants, tous ceux qui
subsistent sont aujourd’hui totalement pro-gouvernementaux, et s’autocensurent
avec une minutie implacable. Les principales victimes de ce régime sont les
Kurdes, mais aussi les femmes.
Pour ce qui est du peuple kurde – près de 40
millions dans toute la Mésopotamie – et dont les droits les plus fondamentaux,
comme celui de parler sa propre langue, ont toujours été niés en Turquie – sa
situation est devenue tragique sous la dictature d’Erdogan. Au succès électoral
du HDP, le pouvoir a répondu a répondu par une répression brutale. Son
co-président, Selahattin Demirtas, est placé en détention administrative, de
façon parfaitement arbitraire, depuis 2016. Les arrestations et les menaces se
succèdent tous les jours. L’action légale du HDP devient de plus en plus
aléatoire à l’approche des élections municipales. Erdogan se livre à chacun de
ses meetings à des discours d’inspiration hitlérienne, qualifiant les électeurs
du HDP de « terroristes ». Et en 2016, l’armée turque s’est livrée à
une véritable guerre civile contre le peuple kurde, multipliant les crimes
contre l’humanité. 11 villes au total – parmi lesquelles Sur, Cizre, Sirnak,
Slopi, Nusaykin, Silvan – ont été pratiquement réduites en cendres, et
d’horribles crimes de guerre ont été commis à cette occasion. Depuis, le
Kurdistan turc est devenu une véritable prison à ciel ouvert. Une loi martiale
de fait y règne, et les journalistes ne peuvent y accéder. Ainsi, par exemple,
deux délégations invitées pour Newroz, le nouvel an kurde, une du PCF et une
norvégienne, ont été arrêtées et expulsées sans explication : pas de
témoin ! Plus de 7'000 prisonniers kurdes croupissent dans les prisons
turques, dans des conditions de détention contraires au droit international, et
même au droit turc : isolement, interdiction de recevoir la visite de leur
famille, de voir un avocat, ou d’accéder à des livres (choses que pourtant le
droit turc normalement garantit).
Face à cette dictature, la grève de la faim est
apparue aux militants kurdes comme l’arme de dernier recours, en restant
pacifiques et respectueux des valeurs humaines. En Turquie, la presse ne parle
pas du tout de cette grève de la faim. En Occident, ce n’est guère mieux. Les
Etats occidentaux ne peuvent ignorer les crimes du régime d’Erdogan. Mais ils
n’y trouvent rien à redire. Les médias bourgeois pour la plupart préfèrent ne
guère en parler. Le Centre Société Démocratique Kurde de Genève a essayé de
médiatiser leur action : seuls Gauchebdo et le Courrier en ont parlé. Pour
ce qui est de la grève de la faim, il était prévu de la faire à la Place des
Nations. Un préavis favorable avait été accordé par la police…puis
l’autorisation a été refusée, pour des raisons assez mystérieuses. Des
pressions de l’Etat turc ? Ce refus est dans tous les cas scandaleux.
Jamais les Kurdes n’ont occasionné le moindre trouble de l’ordre public en
Suisse. Quoi qu’il en soit, le peuple kurde va continuer sa lutte héroïque,
démocratique, écologique et humaine, une lutte pas seulement pour eux, mais
pour tous les peuples du monde. Tous les militants que nous avons pu rencontrer
sont intimement convaincus que leur cause finira par triompher.