La
connaissance de l’histoire n’est pas qu’une affaire d’historiens. Elle est
indispensable pour comprendre le présent, et tracer la voie de l’avenir. Sans
passé il ne peut y avoir d’avenir. Le Parti du Travail attache une importance
considérable à l’histoire du mouvement ouvrier et communiste, comme de tous les
mouvements des classes populaires pour leur émancipation, depuis le début de
l’histoire connue et sur toute la planète. Le mercredi 20 mars, nous recevions
Hermann Kopp, historien et président de la Fondation Marx-Engels en Allemagne,
venu pour faire une conférence, passionnante et instructive, sur un épisode pas
toujours connu de l’histoire du XXème siècle. Nous en résumerons les
éléments essentiels pour nos lecteurs.
La
Bavière à l’heure de la Révolution de Novembre
Au
mois de novembre 1918, une révolution prolétarienne balayait le régime de
Guillaume II en Allemagne, mettant ainsi fin au IIème Reich et à la
Guerre. La dictature militaire qui avait cours pendant la guerre s’effondre,
l’ordre bourgeois vacille et des conseils d’ouvriers et de soldats se mettent
en place. La malheur de la révolution allemande fut de ne pas avoir eu de parti
révolutionnaire à sa tête, qui aurait su la mener jusqu’au bout. De ce fait,
elle s’arrêta à mis chemin, et confia son destin aux dirigeants du SPD, le
parti social-démocrate allemand, qui ne firent semblant de la rejoindre que
pour la trahir, aider la réaction à se réorganiser, pour ensuite noyer la
révolution dans le sang. Il n’y en eut pas moins plusieurs tentatives de ne pas
laisser la révolution mourir, de la pousser jusqu’au bout, jusqu’à une
authentique révolution socialiste. La dernière, et la plus radicale, de ces
tentatives eut pour théâtre la Bavière.
La
Bavière ne semblait pourtant pas prédestinée à être à l’avant-garde de la
révolution. C’était alors une région encore très rurale et peu industrialisée,
dominée par le catholicisme politique – incarné par le BVP (Parti populaire
bavarois), l’ancêtre de la CSU. La révolution y débuta néanmoins 2 jours avant
Berlin. Et elle avait à sa tête Kurt Eisner, membre de l’USPD (scission du SPD
unie essentiellement par son opposition à la guerre), qui était résolu de faire
triompher effectivement la révolution. Il refusa de coopérer avec les anciens
dirigeants militaires, et soutint activement le développement des conseils
crées au cours de la révolution, en qui il voyait l’embryon d’une authentique
démocratie populaire. Cependant, les efforts d’Eisner étaient contrecarrés par
le SPD, qui était majoritaire dans son cabinet. Lors des élections au Landtag
de Bavière, tenues le 12 janvier 1919, le BVP arriva en tête, suivi du SPD,
alors que l’USPD avait subi un échec retentissant. Eisner accepta de
démissionner, mais fut assassiné par un extrémiste de droite alors qu’il était
sur le chemin du Landtag, lettre de démission en poche.
La «
Deuxième Révolution »
L’assassinat
de Kurt Eisner conduisit à la « deuxième révolution », partie d’un
mouvement essentiellement spontané de la classe ouvrière. Une grève générale de
plusieurs jours éclata dans toute la Bavière, de nouveau conseils ouvriers
virent le jour, et ceux existant déjà changèrent de caractère, décidant d’êtres
désormais des organes d’un nouveau pouvoir populaire, et non plus des courroies
de transmission du SPD. A Munich, un congrès des conseils d’ouvriers, soldats
et paysans de Bavière se réunit pour trouver une solution de crise. Le SPD y
était encore majoritaire, mais même sa base s’était radicalisée. Malgré des
divergences, le congrès se proclama pouvoir législatif suprême de Bavière. Une
solution de compromis proposée par le SPD fut votée, afin de conjurer le danger
de guerre civile : la constitution d’un gouvernement 100% socialiste,
dominé par le SPD. Le Landtag accepta. Un ministère socialiste fut donc
constitué. Mais il ne satisfit pas les ouvriers, car, contre les problèmes
pressants dont souffrait le peuple – chômage, faim et pénuries de logement et
de charbon – le gouvernement ne fit pas grand chose.
Face
à la déception provoquée par le gouvernement socialiste, prit forme un
mouvement populaire pour la république des conseils, qui exigeait que les
conseils assument désormais la totalité du pouvoir. La radicalisation de la
classe ouvrière, ainsi que de la base de l’USPD et du SPD, progressait
rapidement. Les ministres sociaux-démocrates eux-mêmes se sentirent contraints
de se rallier. Le 7 avril 1919, la République des Conseils fut proclamée dans
pratiquement toute la Bavière. Cependant, le gouvernement social-démocrate se
réfugia à Bamberg, ville de province extrêmement conservatrice, afin de
préparer l’étouffement économique et la défaite militaire de la révolution.
La
République des Conseils
La
République des Conseils existait donc désormais. Le KPD (Parti communiste
d’Allemagne) allait y jouer un rôle essentiel. Le KPD fut fondé au tournant
1918-1919. Au début, il ne comptait que très peu de membres en Bavière, et
était à peine identifiable dans la galaxie de la gauche radicale avant mi-mars
1919. Cependant, il grandit très rapidement, passant d’une centaine à plusieurs
milliers de membres en quelques mois, au point de devoir finir par édicter des
règles pour mieux contrôler les nouvelles adhésions. Cette croissance était due
principalement à l’activisme du nouveau parti, soutien inconditionnel du
système des conseils, et prônant une république des conseils immédiatement. Il
avait alors à sa tête des dirigeants aux tendances gauchistes, notamment son
président, Max Levien. La direction centrale du KPD décida alors, à la mi-mars,
d’envoyer plusieurs représentants à Munich, dont Eugen Leviné, pour convaincre
la section bavaroise de tempérer son activisme par une stratégie fondée sur une
évaluation plus réaliste du rapport de forces et orientée sur un objectif de conquête
à terme de la majorité de la classe ouvrière.
Eugen
Leviné s’est concentré sur la réorganisation du KPD, le renforcement de sa
discipline et de son implantation dans la classe ouvrière. Il parvint à
convaincre ses camarades de donner la priorité aux tâches immédiates qu’aux
grandes espérances d’avenir, qu’une révolution socialiste ne pouvait survivre
dans la seule Bavière, trop dépendante du reste de l’Allemagne, et ne pourrait
triompher avant que la classe ouvrière ne se réorganise pour la lutte dans tout
le Reich, qu’une proclamation immédiate d’une république des conseils ne serait
qu’aventurisme condamné à la défaite. Il fut élu rapidement président du KPD.
Max Levien en resta le dirigeant le plus connu, mais changea de discours.
Cependant, la nouvelle orientation du KPD ne fut pas de suite remarquée, si
bien que cela fut une surprise quand une délégation du KPD déconseilla la
proclamation immédiate de la République des Conseils et les postes de
commissaires du peuple offerts. La République des conseils fut néanmoins
proclamée.
Elle
était dirigée par un Conseil central révolutionnaire provisoire, dont les
membres étaient sincères, mais dépourvus de vision stratégique ; et se
contentaient de fait de déclarations verbales. Ils laissèrent néanmoins une
latitude maximale aux Conseils ouvriers. La bourgeoisie prit si peur qu’elle
consentit des concessions majeures : hausses spectaculaires des salaires
et réduction des heures de travail. C’est pourquoi les ouvriers s’identifièrent
à la République des conseils, et les mises en garde du KPD ne furent pas
écoutées. Mais, quelques jours à peine après la proclamation de la République
des conseils, le gouvernement socialiste réfugié à Bamberg tenta un coup d’Etat
contre-révolutionnaire, qui parvint à arrêter plusieurs membres du Conseil
central révolutionnaire provisoire, mais échoua face à la résistance armée des
ouvriers de Munich. Il fut par contre un succès à d’autres endroits de la
Bavière. Une réunion des conseils d’entreprises et des casernes désigna alors
un nouveau gouvernement révolutionnaire, un comité exécutif, formé de 3 membres
du KPD, un de l’USPD, et un du SPD. Leviné, malgré ses réticences initiales,
accepta d’en prendre la tête. Cette période est souvent appelée la
« République communiste des conseils », bien que le KPD demeurât en
fait minoritaire au sein des comités d’entreprises, auxquels le comité exécutif
devait rendre quotidiennement des comptes.
Le
gouvernement Leviné prit les mesures d’urgences qui s’imposaient pour tenter de
sauver la révolution : distribution de 20'000 fusils aux ouvriers,
constitution d’une armée rouge, remplacement de la police par une garde rouge,
interdiction des journaux bourgeois, mise en place de tribunaux
révolutionnaires, contrôle du trafic et surveillance des communications ;
réquisition des banques et des réserves d’argent, réquisition des stocks de
nourriture, distribution des logements vides et usines placées sous contrôle
des comités d’entreprises. Ces tâches ne purent être réalisées que dans la mesure
où le gouvernement communiste bénéficiait d’un soutien massif et d’une
participation enthousiaste de la classe ouvrière. De fait, il accomplit plus
pour les ouvriers dans le bref laps de temps dont il disposa que tous les
gouvernements précédents, bourgeois et « socialistes » réunis.
De la
contre-révolution au nazisme
La
réaction était déterminée à écraser cette « ulcère rouge » avant
qu’elle ne puisse se propager. Le ministre « socialiste » Gustav
Noske envoya contre la République des conseils de Bavière ses corps francs,
formés de la pire racaille d’extrême-droite. Malgré une résistance héroïque, la
lutte était inégale. La République des conseils fut noyée dans un horrible bain
de sang, ponctué d’innombrables assassinats, souvent accomplis de la manière la
plus barbare, et de milliers de condamnations à mort, après des simulacres de
procès. Eugen Leviné déclara au sien « nous les communistes sommes
toujours des morts en sursis ». Il fut fusillé le jour même.
Le
SPD avait accompli son sale boulot et, comme au niveau du Reich, la
contre-révolution triomphante n’avait plus besoin de lui. Moins d’une année après
l’écrasement de la République des conseils, le SPD et chassé sans ménagement du
gouvernement. La Bavière était désormais tenue en main par la pire réaction.
D’épicentre de la révolution qu’elle fut, la Bavière devint le foyer du
mouvement nazi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire