03 décembre 2012

Discours prononcé pendant le rassemblement pour la validation de l’initiative 151 « Pour le renforcement du contrôle des entreprises, contre la sous-enchère », le vendredi 30 novembre 2012

Chères et chers camarades,

Friedrich Von Hayek, auteur de référence des idéologues du PLR, écrivait : « Je préfère une dictature libérale à un gouvernement démocratique où le libéralisme serait absent ». Le Conseil d’Etat et la droite du Grand Conseil semblent bien prendre cette direction en s’apprêtant une nouvelle fois à invalider une initiative populaire dont le contenu leur  déplaît pour des raisons politiques afin d’empêcher le peuple de pouvoir se prononcer là-dessus, d’empêcher que de quelconques mesures dignes de ce nom soient prises pour lutter contre la sous-enchère salariale ; cela en avançant de piètres arguties juridiques tirées par les cheveux, et auxquelles personne ne croit, tant est devenu systématique pour la droite de ce canton le déni des droits populaires et de la démocratie, l’habitude d’invalider systématiquement des initiatives populaires parfaitement valides, et qui sont pratiquement à chaque fois reconnues telles par le Tribunal fédéral. Et la droite qui s’ingénie à trouver les prétextes juridiques les plus fallacieux pour invalider les initiatives populaires progressistes est la même droite que celle qui aux chambres fédérales a laissé passer toutes les initiatives de l’extrême-droite, de l’interdiction des minarets à l’expulsion des étrangers criminels, pourtant clairement inapplicables et contraires au droit international.

 

Mais il est bien clair que les arguties juridiques ne sont rien d’autre que des arguties, et il n’est même pas la peine de leur répondre. Les véritables raisons de la droite de vouloir invalider l’initiative sont clairement politiques, et les véritables arguments le sont aussi. Le Conseil d’Etat prétend que l’initiative serait disproportionnée et que Genève serait déjà, à ce qu’il paraît, pionnière dans le domaine de la lutte contre la sous-enchère salariale. Pionnière ? Il existe à ce jour un commissaire de l’OCIRT pour 18'750 emplois. Les normes de l’OIT pour les pays développés voudraient un inspecteur pour 10'000 emplois. Les effectifs de l’OCIRT correspondent aussi aux normes de l’OIT…pour les pays en voie de développement. Genève serait-elle désormais un pays du Tiers monde ? Serait-il vraiment disproportionné d’adapter les effectifs de l’OCIRT comme le prévoit l’initiative 151 ? Il faut également tenir compte du fait que l’OCIRT n’a rendu que 8 décisions en 2011, et 2 en 2012 !, que 80% des commissions paritaires n’effectuent aucun contrôle, que pour 62% des entreprises, représentant 52% de l’ensemble des travailleurs, pratiquement aucun contrôle n’est jamais exercé. Dire, dans ces conditions, que l’initiative 151 est disproportionnée et que Genève est déjà pionnière, tient au mieux de la mauvaise blague. Il est parfaitement limpide que le seul but du patronat, et des partis qui le servent, est de laisser la sous-enchère salariale se poursuivre sans encombre. A titre de comparaison, il existe un agent de la Fondation des parkings pour 326 places de parc. On voit bien quelles sont les priorités politiques des bourgeois !

Le Conseil d’Etat prétend que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, que le système fonctionne bien et que somme toute le problème de la sous-enchère salariale n’en est pas un. Une telle affirmation tient du mensonge le plus éhonté ! Le Conseil d’Etat omet de dire que depuis 2008 le salaire brut médian a reculé, que depuis plusieurs années les bas salaires se généralisent et les écarts salariaux se creusent (la part des salariés du canton touchant un bas salaire est passée de 15,1% à 18,5% entre 2000 et 2010), que les commissions paritaires ont révélé des taux d’infraction de 24% en 2011, ce alors que l’OCIRT ne fait rien, et que 52% des salariés ne bénéficient d’aucun contrôle ! Cette situation catastrophique pour les travailleurs est bien entendue liée aux accords bilatéraux avec l’Union Européenne, à la dite « libre-circulation » des personnes, en fait la libre-exploitation des travailleurs à l’échelle du continent, la libéralisation et la dérégulation du marché du travail, une aubaine pour le patronat européen et helvétique pour une baisse généralisée des salaires. Le Parti du Travail avait le premier lutté contre ces accords bilatéraux, pour avoir justement prévu qu’ils constitueraient une large porte ouverte à la sous-enchère salariale et que les prétendues mesures d’accompagnement resteraient lettre morte. Nos saluons le fait que les syndicats prennent désormais cette réalité en compte et luttent contre les effets de cette libéralisation continentale du marché du travail.

 

Enfin, argument décisif, le Conseil d’Etat estime qu’une inspection syndicale serait inacceptable car partiale, et contraire à la liberté économique, car trop intrusive. Cela est évidemment faux, car cette inspection syndicale n’aurait aucun pouvoir décisionnel, qui resterait entièrement entre les mains de l’OCIRT. Mais, cela mis à part, de quelle impartialité veut-on parler ? L’OCIRT, qui se contente trop souvent d’un coup de fil au patron en guise d’inspection, qui écoute systématiquement le patronat et très peu les syndicats, serait-il impartial ? La droite pro-patronale, financée par la FER, qui siège sur les bancs de l’Entente et de l’UDC, serait-elle impartiale ? Le Conseil d’Etat, à majorité issue de l’Entente, qui s’empresse de trouver tous les prétextes juridiques possibles et imaginables pour invalider les initiatives populaires de gauche, serait-il impartial ? Le patronat, qui fait tout son possible pour empêcher les commissions paritaires de procéder à des contrôles et s’oppose de toutes ses forces à l’engagement d’inspecteurs de travail pour contrôler l’application des CCT, serait-il impartial ? Il n’existe pas de telle impartialité ! Le patronat, ses partis politiques, et l’Etat bourgeois à son service, ne défendent qu’un intérêt de classe étroit, l’intérêt du patronat d’utiliser la sous-enchère salariale sans entraves afin d’augmenter ses marges de profits ; ne défendent que la liberté de classe qu’est la liberté économique, qui à vrai dire n’est que le privilège de quelques uns, et étant liberté d’exploiter sans entraves la force de travail, nie la liberté des travailleurs. Pour défendre ces intérêts de classe étroits, pour faire passer leurs privilèges indus pour l’intérêt général, ils s’ingénient à inventer les arguments les plus tordus, mais aucun n’est crédible. Et nous, nous sommes là pour défendre d’autres intérêts, incompatibles avec les privilèges du patronat, les intérêts légitimes des travailleurs.

Comme à chaque fois que le patronat et la droite pro-patronale cherchent à trouver un prétexte pour refuser les revendications légitimes des travailleurs, on nous chante aujourd’hui les vertus du partenariat social. Mais ce couplet sonne faux et pour cause. Car le dit partenariat social n’est rien d’autre qu’une construction idéologique bourgeoise, une fiction qui masque mal la domination écrasante du patronat sur la classe des travailleurs. Car de quel partenariat social peut-il s’agir au juste ? Pour qu’il y ait partenariat, il doit y avoir des intérêts communs. Et quels intérêts communs peut-il y avoir entre deux classes que tout oppose. Karl Marx avait, il plus d’un siècle déjà, justement tourné en dérision les précurseurs de la théorie du partenariat social : «L'intérêt du travailleur est donc le même que celui du capitaliste, prétendent les bourgeois et leurs économistes. Grande vérité ! Le travailleur périt, si le capital ne l'emploie pas ; et le capital est perdu, s'il n'exploite pas le travailleur. [...] Aussi longtemps que le travailleur salarié reste un travailleur salarié, son sort dépend du capital. La voilà cette fameuse communauté d'intérêts du travailleur et du capitaliste.» Vrai à l’époque, l’enseignement de Marx l’est tout autant aujourd’hui. Les travailleurs n’ont jamais rien obtenu que par la lutte, en aucun cas par le partenariat, qui n’est que l’autre nom de la collaboration de classe. Et c’est par la lutte que nous viendrons à bout de la sous-enchère salariale.

 

La droite pro-patronale de ce canton, aux ordres de la FER, n’a aucune légitimité ni politique ni morale d’invalider une initiative syndicale parfaitement valide, raisonnable, et conforme à l’intérêt des travailleurs. Il est inacceptable que les droits démocratiques les plus fondamentaux soient bafoués de façon éhontée pour permettre au patronat de continuer à profiter de la sous-enchère salariale. Nous considérons que la démocratie elle-même est remise en cause par les agissements scandaleux de la droite. C’est au peuple à se prononcer sur une initiative populaire, pas aux fondés de service de la FER, et nous exigeons que l’initiative soit validée à cet effet.

Alexander Eniline

Le 29.11.12

À 23h13