19 novembre 2013

L'initiative 1:12 menace le partenariat social, vraiment?

Le Temps d'aujourd'hui fait écho du doute apparemment manifesté par une partie du mouvement syndical au sujet de l'initiative 1:12 de la jeunesse socialiste, doute motivé par la crainte de mettre en danger le partenariat social. Il faut que la bourgeoisie et sa presse soient bien paniqués par l'initiative 1:12, qui, n'en déplaise à Levrat et aux sondages a encore des chances de passer, pour ainsi faire appel à une frange, ultra-minoritaire faut-il le rappeler, et à un futur ex-conseiller d'Etat, Charles Beer, qui n'a aucun scrupule à trahir son propre camp. Les plumitifs bourgeois font d'ailleurs appel au même sophisme contre l'initiative pour un salaire minimum.

Cette sollicitude de l'oligarchie et de ses porte-paroles pour les syndicats est vraiment touchante. Mais qui pourrait sérieusement y croire? Que valent ces plaidoyers intéressés et hypocrites du patronat en faveur du partenariat social, quand c'est le même patronat qui jour après jour s'emploie à casser le partenariat social, en dénonçant les conventions collectives qui ne sont pas à son goût , en privilégiant l'épreuve de force face aux syndicats, en faisant appel au dumping salarial et à la sous-traitance? Et n'oublions pas qu'en Suisse seuls 50% des travailleurs bénéficient d'une convention collective de travail. Que signifie le partenariat social pour les 50% restants? Mais c'est comme toujours, la bourgeoisie ne fait appel au soi-disant partenariat social, dont elle n'a cure le reste du temps, que lorsque ses privilèges exorbitants sont menacés. Dans le langage des démagogues au service de la classe dirigeante, partenariat social signifie collaboration de classe, signifie que les syndicats doivent renoncer à la lutte, capituler face au patronat. Les discours hypocrites sur les partenariat social menacé des plumitifs de la bourgeoisie et de Beer ne doivent tromper personne, et surtout pas les militants syndicaux. Il ne s'agit que d'une argutie misérable pour amener les syndicats à renoncer à leur mission fondamentale de lutte de classe, et à se priver de l'instrument indispensable de lutte qu'est l'initiative populaire.

Comme le disait déjà Henri Lacordaire, "entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit." Qu'est-ce que l'initiative 1:12? Pas "l'initiative de la jalousie" comme le déclarent des politiciens bourgeois dans leur morgue de privilégiés, Non, mais une exigence de justice. Aujourd'hui en Suisse nous assistons à un creusement abyssal des inégalités. D'après une enquête de Caritas, 1 millions de personnes en Suisse vivent sous le seuil de pauvreté. Plus de 400'000 travailleurs, en majorité de travailleuses, gagnent moins que le minimum vital de leur travail. D'après la Tribune de Genève (pas vraiment un journal de gauche) 26% de la population suisse peine à boucler ses fins de mois. Et pendant ce temps, une poignée de tops managers s'offre des rémunérations insolentes, prélevées sur les richesses que produisent les travailleurs, qui eux n'en profitent pas. Leurs rémunérations scandaleuses sont-elles au moins justifiées par leur compétences censées être extraordinaires? le bilan de M. Ospel à la tête de l'UBS prouve amplement le contraire. Par les risques qu'ils prennent ? Quels risques? Rappelons qu'il s'agit de salariés qui restent en poste quelques années et qui n'ont cure de ce qui arrivera après leur départ. Les simples travailleurs qui risquent de se faire licencier sans ménagement prennent bien plus de risques que ces messieurs. Face à cet accaparement au-delà de toute mesure des richesses que les travailleurs produisent par une petite minorité de capitalistes et de managers, face à cette injustice flagrante, le peuple se lève et exige une répartition plus juste des richesses. Il l'a déjà montré en acceptant à une large majorité l'initiative Minder, malgré la propagande délirante de la droite et du patronat contre elle, et malgré qu'elle ne soit qu'une solution toute relative et au fond très libéral à ce grave problème.

Alors la classe dirigeante, menacée de devoir réduire un tout petit peu ses insolents privilèges, panique. Elle mène une campagne délirante contre l'initiative 1:12, faisant flèches de tout bois, menaçant comme à son habitude le pays de tous les maux si jamais l'initiative était acceptée, essayant de diviser le mouvement syndical. Mais qui pourrait encore prendre au sérieux le discours catastrophiste de la droite? Elle nous le ressert à chaque votation, à chaque fois que l'un ou l'autre de ses privilèges est menacé. C'en est presqu'un réflexe pavlovien. Nous y avons eu droit dans son intégralité pour l'initiative Minder. Et aucune catastrophe ne s'est produite. Même le conseiller fédéral Schneider Amman, pourtant opposé à l'initiative, a l'honnêteté de dire que si elle est acceptée rien de grave ne menace l'économie suisse. D'ailleurs, l'argumentation des opposants est bien contradictoire. En effet, ils disent que si l'initiative est acceptée et, on suppose, appliquée, toutes les sept plaies d'Egypte frapperont inéluctablement la Suisse. Et ils disent aussi que l'initiative serait inapplicable car très facile à contourner. Mais s'ils savent qu'ils vont pouvoir la contourner sans problèmes, que la craignent-ils autant? Et s'ils la craignent car ils savent qu'elle sera applicable, que disent-ils le contraire?

Le 24 novembre prochain, parce que rien n'est encore joué, et parce que la justice doit triompher sur toutes les arguties des sophistes de la bourgeoisie, ce sera un OUI résolu à l'initiative 1:12!

03 novembre 2013

José Manuel Barroso et le cosmopolitisme européiste



" Sous le capitalisme, les Etats-Unis d'Europe sont soit impossibles soit réactionnaires" Lénine

J'ai eu l'occasion d'assister lundi dernier à une conférence de José Manuel Barroso, président actuel de la Commission européenne, organisée à l'occasion des 50 ans de l'institut européen de Genève. Ce fut un condensé de deux heures de propagande européiste. Le recteur de l'UNIGE, Jean-Dominique Vassalli, le président du Conseil d'Etat, Charles Beer, le directeur de l'institut Européen, Nicolas Levrat, l'ancien professeur et actuel conseiller de M. Barroso, Dusan Sidjanski, y sont allés chacun de leur couplet. Mais bien entendu le morceau de choix de la soirée était la conférence de M. Barroso lui-même.

Bien qu'il s'en soit défendu, José Manuel Barroso a brossé un tableau complètement idyllique, ou pas loin, de l'Union européenne. A écouter M. Barroso, on oublierait presque qu'il est un homme de droite profondément réactionnaire. Dans le monde idyllique de M. Barroso, l'UE est la réalisation terrestre de valeurs universelles de paix, de démocratie, de tolérance, d'ouverture à l'autre, de justice sociale. L'UE est sensée être une puissance bienveillante qui promeut la paix, entre ses Etats membres bien sûr, mais aussi dans le monde entier. L'UE est aussi une construction essentiellement démocratique, même s'il est vrai qu'elle ne s'est pas toujours construite par des procédés démocratiques, puisque la démocratie est la façon la plus efficace de gouverner une société avec souplesse, prise en compte des intérêts et opinions divergentes, et adaptations rapides à un monde changeant. Du reste, la poursuite de la construction européenne exige un élargissement de la démocratie interne et de la participation des citoyens européens. L'UE est aussi, à ce qu'il paraît, sensée être une entité sociale, fondée sur l'économie sociale de marché, et préconisant des droits sociaux pour ses propres citoyens et les promouvant, sans bien sûr rien imposer, dans le reste du monde. 

Outre ses multiples aspects positifs, l'UE est sensée être une évolution inéluctable de l'Europe du fait de la mondialisation. Car pour M. Barroso, la mondialisation est une fatalité, essayer d'y échapper en fermant les frontières est vain. Il faut au contraire donner des règles à la mondialisation, la réguler, pour qu'elle ne soit pas la loi de la jungle. Cette régulation passe nécessairement par un transfert de souveraineté à des institutions supranationales. M. Barroso se déclare sans hésitation cosmopolite. Le cadre national est pour lui à bien des égards dépassé, car les enjeu d'aujourd'hui doivent être traités à un niveau plus global. Néanmoins, puisque l'on est plus fort ensemble, ce transfert de souveraineté ne constitue pas une perte de souveraineté pour les Etats-nations mais un gain de souveraineté en réalité. Du reste, la preuve que ce transfert de souveraineté est inéluctable est le fait que la solution à tous les problèmes que rencontre l'UE et ses Etats membres passe toujours par plus d'intégration (comme le Mécanisme européen de stabilité, ou bien le contrôle préalable des budgets nationaux par la Commission européenne.). L'avenir est donc à l'Europe fédérale.

M. Barroso a un charisme indéniable et tout ce discours est sans doute bien beau et persuasif. Son grand point faible est...qu'il n'a que peu de choses à voir avec la réalité. L'UE réellement existante est à des années-lumière du portrait idyllique qu'en dresse M. Barroso. Un mythe européiste tenace est que le but de la construction européenne est d'assurer la paix entre ses Etats membres et dans le monde entier. Ce mythe est mensonger. L'UE, héritière de la Communuauté européenne pour le charbon et l'acier, s'est construite à la base comme alliance contre le camp socialiste. Aujourd'hui encore l'UE est une alliance impérialiste ayant pour but de concurrencer plus efficacement des impérialismes rivaux. D'ailleurs les pays membres de l'UE les plus puissants sont des puissances impérialistes qui participent aux guerres néocoloniales sanglantes de l'OTAN. L'UE n'est en aucun cas l'émanation de valeurs universelles, mais celle d'intérêts particuliers des grands monopoles européens, intérêts incompatibles avec ces des classes populaires des pays d'Europe. Même M. Barroso a été obligé de reconnaître que l'UE ne s'est pas toujours construite de façon très démocratique. Mais c'est là un euphémisme. Car l'UE n'est pas simplement a-démocratique ou n'ayant pas toujours été très démocratique. Elle est fondamentalement anti-démocratique. Construite à travers des traités imposés aux peuples sans presque jamais les consulter, bafouant les droits populaires lorsque les peuples votaient "mal", le tout avec un mépris sans bornes pour les peuples sensés être souverains, l'entité européenne est une structure technocratique, dirigée par une commission composée de hauts fonctionnaires nommés, qui ne sont élus par personne et qui n'ont aucun compte à rendre aux peuples. Les mesures que M. Barroso cite comme exemples de l'inéluctabilité de l'intégration européenne, le Mécanisme européen de stabilité et surtout le contrôle préalable des budgets nationaux par la Commission européenne, loin de constituer des instance de l'absurde concept de "transfert de souveraineté avec gain de souveraineté" sont des cas flagrants de déni de souveraineté, de suppression des prérogatives démocratiques les plus fondamentales, de transfert de pouvoir à des fonctionnaires non-élus qui n'ont pas de compte à rendre aux peuples et qui peuvent imposer des politiques violemment anti-populaires. Et il ne faut pas avoir froid aux yeux pour affirmer que l'UE est fondée sur la dite "économie sociale de marché" et reconnaît le droit à la sécurité sociale. Car l'UE est une machine de guerre ultra-libérale contre toutes les conquêtes sociales des peuples d'Europe. On ne le voit que trop bien avec les politiques d'austérité brutales imposées aux peuples de Grèce, du Portugal, d'Italie...par l'UE avec la complicité du FMI, de la BM et des bourgeoisie locales: liquidation de tous les droits des travailleurs, des services publics les plus essentielles et destruction de la protection sociale. Du reste, José Manuel Barroso est passé comme chat sur braise sur le sujet. A propos, la Grèce a introduit dans son code pénal ce 24 octobre une disposition punissant de 6 mois à 2 ans de prison la protestation contre l'UE et ses décisions. L'UE, une construction démocratique?

L'UE est une structure fondamentalement néolibérale, antidémocratique et verrouillée, elle est irréformable. C'est ce que le peuple suisse a fort bien compris en refusant catégoriquement toute adhésion à celle-ci. Heureusement, la démocratie semi-directe existe en Suisse, et les partis gouvernementaux, qui étaient pour, n'ont pas pu imposer au peuple suisse une adhésion à l'UE. La bourgeoisie suisse a toutefois trouvé une parade à cet obstacle: les accords bilatéraux et la reprise "dynamique" par la Suisse du droit européen, néolibéral et réactionnaire. On voudrait maintenant donner des prérogatives, en Suisse, à la Cour européenne de justice, gardien du temple du néolibéralisme européiste. Face à cette offensive du grand capital et de ses commis politiques, le seul mot d'ordre possible pour les communistes est la lutte contre l'UE du capital, contre toute reprise de son droit antipopulaire ou toute compétence en Suisse à sa néolibérale Cour de justice. Ce mot d'ordre doit être absolument clair, il ne peut admettre aucune nuance, aucune réserve, aucune "porte ouverte". Pourquoi laisser une porte ouverte à une structure fondamentalement réactionnaire et irréformable? L'internationalisme bien compris doit conduire aujourd'hui à défendre la souveraineté nationale, à défendre la nation contre les structures supranationales anti-démocratiques. Comme le disait Jean Jaurès "un peu d'internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d'internationalisme y ramène". Les européistes prétendent que l'échelon national est dépassé. Force est de constater que ce "dépassement" de l'Etat-nation est prôné par tous ceux qui veulent substituer des structures technocratiques et non-démocratiques au seul espace démocratique qui existe, qu'on le veuille ou non. Certes, la fermeture des frontières et l'isolationisme national ne sont plus possible aujourd'hui et tous les enjeux ne peuvent être traités au niveau national. Mais si l'on veut que ces enjeux soient résolus dans l'intérêt du peuple et non dans celui des monopoles, il convient de créer des structures progressistes, démocratiques et respectueuses de la souveraineté des Etats, comme par exemple l'ALBA, et non se résigner face à l'UE centraliste et technocratique.

P.S. : En soi, l'organisation de deux heures de propagande européiste forcenée est un exercice assez navrant pour l'UNIGE, qui oublie qu'elle dépend d'un pays dont le peuple a refusé, et à juste titre, de rejoindre la nouvelle prison des peuples européiste. Les intervenants ont incarnés jusqu'à la caricature le concept gramscien d'intellectuel organique, apologétique de l'ordre établi, sans aucune distance critique envers leur objet d'étude.