Il y a 90 ans de cela, le 21 janvier 1924, par une glaciale
journée d’hiver, décédait Vladimir Illitch Oulianov, dit Lénine, le plus grand
révolutionnaire du siècle passé, le fondateur du premier Etat socialiste de
l’histoire et du mouvement communiste international dans sa forme moderne.
Dans sa Plateforme
politique et stratégique, au paragraphe 5, le Parti du Travail
déclare : « Le Parti du Travail est un parti communiste qui
fonde son action sur la pensée de Marx, Engels et Lénine, et sur toute la
tradition marxiste ultérieure, et qui recherche sans cesse un développement
créatif du marxisme afin de construire un projet communiste pour la
Suisse ».
Cette référence à Lénine dans le document d’orientation
fondamentale du Parti n’est pas
une vaine reprise d’une tradition figée, elle y a au
contraire toute sa place puisque l’enseignement de Lénine est aujourd’hui plus
actuel et indispensable que jamais pour penser les contradictions du
capitalisme et de l’impérialisme contemporain, la lutte politique pour le
socialisme et les tâches d’organisation du Parti.
« Sans théorie révolutionnaire,
pas de mouvement révolutionnaire… Seul un parti guidé par une théorie
d’avant-garde peut remplir le rôle de combattant d’avant-garde » écrivait
Lénine. Toute sa vie, toute son action, représente sans doute la meilleure
illustration possible de la nécessaire unité dialectique entre la théorie et la
pratique, entre analyse marxiste et lutte révolutionnaire. En effet, comme le
dira plus tard Georges Dimitrov : « Celui qui n’a pas d’idées ni de
principes ne sait pas pourquoi il lutte et ne comprendra jamais le sens du
combat, encore moins ses buts et ses tâches ».
Si elle n’est pas éclairée par la
théorie, la pratique politique devient aveugle, condamnée à végéter au jour le
jour, à fluctuer au gré de la conjoncture d’un présent évanescent et à très
court terme, sans aucune perspective possible, sans finalité possible, sans but
final, et les mots de socialisme et de communisme ne sont alors que des symboles
vides de sens.
Dans Que faire ?, Lénine a magistralement réfuté l’économisme,
cette variante de l’opportunisme qui consiste à se limiter étroitement au
« concret », à la lutte « économique » pour l’amélioration
des conditions de vie des travailleurs sous le régime capitaliste, au prix d’un
renoncement à l’élaboration théorique et à toute stratégie visant à renverser
la domination bourgeoise pour construire le socialisme.
Non seulement l’économisme ne saurait suffire, mais il
constitue une véritable capitulation, car « le problème se pose uniquement
ainsi : idéologie bourgeoise ou idéologie socialiste. Il n'y a pas de milieu
(car l'humanité́ n'a pas élaboré́ une « troisième » idéologie ; et puis
d'ailleurs, dans une société́ déchirée par les antagonismes de classes, il ne
saurait jamais exister d'idéologie en dehors ou au-dessus des classes). C'est
pourquoi tout rapetissement de l'idéologie socialiste, tout éloignement
vis-à-vis de cette dernière implique un renforcement de l'idéologie
bourgeoise. » écrit Lénine
dans Que faire ?.
L’importance accordée à la
théorie, une lutte sans concessions contre le révisionnisme des mencheviks, de
Bernstein et de Kautsky, une nouvelle conception de l’organisation du parti ont
permis à Lénine de bâtir un parti d’un type nouveau, le Parti bolchevik, qui a
su grandir et renforcer ses liens avec la classe ouvrière dans les conditions hostiles
de l’oppression tsariste, qui a su tenir contre vents et marées, éviter la dégénérescence
et la trahison des vieux partis de la deuxième internationale, et finalement
qui a été en mesure de faire la Révolution d’octobre.
Lénine a toujours su trouver,
même dans le feu de l’action, même en pleine révolution, du temps pour
s’occuper de théorie marxiste, pour étudier les textes des classiques et pour
faire progresser la pensée marxiste. Selon l’adage bienconnu, le léninisme est le
marxisme de l’époque de l’impérialisme et de la révolution prolétarienne. La
contribution la plus importante de Lénine à la théorie marxiste est l’analyse
d’une étape nouvelle du capitalisme, que Marx et Engels n’avaient pas
connu : l’impérialisme. Dans Impérialisme,
stade suprême du capitalisme, Lénine livre une analyse remarquable de ce
nouveau stade du capitalisme, qui est aujourd’hui encore d’une grande
actualité pour comprendre le monde
actuel et la politique internationale de nos jours.
La base économique de
l’impérialisme, c’est le capitalisme monopoliste d’Etat ; c’est-à-dire un
stade où la concentration du capital a atteint un tel stade que se forment des
monopoles, une fusion entre le capital industriel et le capital bancaire pour
former le capital financier, et la fusion organique entre le capital financier
et les hautes sphères de l’Etat. L’impérialisme se caractérise par
l’exportation de capitaux, la lutte entre les grands capitaux des différents
pays pour le partage du monde et des marchés, lutte qui débouche fréquemment
sur des guerres impérialistes coloniales et néocoloniales. Lénine écrit Impérialisme stade suprême du capitalisme
en 1913, mais il semble écrit hier, entre le renflouage des banques avec
l’argent public, la domination des grandes multinationales sur l’économie et
les guerres néocoloniales des USA et de la France. « Le capital financier
vise à l’hégémonie, et non à la liberté. La réaction politique sur toute la
ligne est le propre de l’impérialisme » écrit Lénine.
Sa compréhension du
phénomène de l’impérialisme permit à Lénine et au Parti bolchevik de résister
aux sirènes nationalistes lors du déclenchement de la grande boucherie que sera
la Première Guerre mondiale, de comprendre correctement la nature de cette
guerre et de mener une lutte résolue pour la paix et le socialisme pendant que
les vieux partis socialistes de la deuxième internationale trahissaient la
classe ouvrière et rejoignaient l’union sacrée impérialiste.
La fidélité de Lénine et
des bolcheviks aux principes du marxisme, le souci accordé à l’élaboration
théorique et à son lien avec la lutte politique, leur a permis d’estimer
correctement la situation révolutionnaire qui s’était formée en Russie en l’an
1917 – l’enseignement de Lénine sur la nature de l’Etat, la stratégie et les
buts de la révolution est bien synthétisé dans l’Etat et la Révolution – et de renverser le gouvernement
provisoire croupion pour établir le premier Etat prolétarien de l’histoire – la
Grande révolution socialiste d’octobre.
Pendant les sept dernières
années de sa vie, Lénine se consacre à la construction du premier Etat
socialiste de l’histoire, dans des conditions extrêmement difficiles, presque
désespérées, le pays étant sous-développé, ruiné par la guerre et en proie à la
guerre civile. Mais là où tant d’autres auraient échoué, Lénine réussit. Son
action aura permis de jeter les bases de la première société dans l’histoire où
l’exploitation de l’homme par l’homme et le chômage étaient vaincus, où tous
les citoyens jouissaient d’acquis sociaux, d’une médecine et d’une éducation
publiques et gratuites. La victoire du socialisme en URSS permit sa victoire
dans d’autres pays, rendit inévitable la fin du joug colonial et contraignit la
classe dirigeante des pays occidentaux à faire quelques concessions à sa classe
ouvrière. Sans la Révolution d’octobre, pas d’acquis sociaux en Occident.
Lénine a changé à jamais l’histoire de la planète. Les difficultés qu’allait
rencontrer par la suite le socialisme en URSS, son tragique renversement en
1991 n’enlèvent rien à la grandeur de son œuvre.
Il faut
lire et relire Lénine, non certes pour transposer mécaniquement la lettre de
ses écrits à une situation nouvelle, mais pour trouver l’inspiration pour
donner un nouveau développement au marxisme car « nous ne tenons
nullement la doctrine de Max pour quelque chose d’achevé et d’intangible, au
contraire, nous sommes persuadés qu’elle a seulement posé les pierres
angulaires de la science que les socialistes doivent faire progresser dans
toutes les directions s’ils ne veulent pas retarder sur la vie », ainsi
que l’écrit Lénine