Nous
approchons de la toute fin de l’année 2015, et hélas elle laisse aux
communistes un goût franchement amer. Pour bilan, peu de succès, qui ne
compensent aucunement une tendance à la réaction globale sur toute la ligne.
Outre le tournant très à droite lors des dernières élections fédérales en
Suisse, malgré le retour du Parti au Conseil national qui redonne quelque peu
de lumière à ce sombre tableau, les dernières régionales en France, qui ont vu
une avancée importante du Front National, et plus encore de ses idées, mais
aussi un recul majeur du PCF et du reste de la gauche radicale française (mais
il y aurait aussi beaucoup à dire sur la politique d’alliance avec le PS du
PCF, et surtout du vote de ses députés en faveur de l’état d’urgence…), le
retour aux affaires de la droite en Argentine, il faut citer la tragique
capitulation du gouvernement grec face à la Troïka, qui a mis fin à tentative
de rompre avec l’austérité et l’oppression des peuples par l’UE du capital qui
avait suscité tant d’espoir parmi ceux qui ne se résignent pas à la tyrannie
éternelle du libre marché.
Mais
la plus grave, la plus significative de ces défaites, celle qu’on ne peut en
aucun cas passer sous silence ou relativiser, a eu lieu au Venezuela. Le MUD, coalition
rassemblant l’opposition pro-oligarchique vénézuélienne, et dont le caractère
fasciste n’est plus à prouver, bien que certaines de ses composantes soient
membres de l’Internationale socialiste (ce qui en dit long sur ce qu’est
devenue aujourd’hui ladite Internationale…), a en effet remporté les 2/3 des
sièges au parlement vénézuélien, ce qui lui donne tous les pouvoirs de jure, y compris celui de modifier la
constitution et de destituer le président Nicolas Maduro. C’est la première
défaite électorale du chavisme depuis la première élection de feu Hugo Chavez à
la présidence du Venezuela en 1999. Le PSUV (Parti socialiste unifié du
Venezuela), le parti fondé par Hugo Chavez à partir du rassemblement de toutes
les organisations de gauche demeurées fidèles à la révolution bolivarienne, à
l’exception du PCV (Parti communiste du Venezuela), allié fidèle du
gouvernement révolutionnaire, mais ayant décidé de conserver son
organisation propre (la fausse gauche se
retrouvant bien vite main dans la main avec la droite oligarchique), se
retrouve dans l’opposition pour la première fois.
Cette
déroute électorale constitue dans tous les cas un coup dur pour le peuple
vénézuélien, mais aussi pour tous ceux qui avaient placé leur espoir dans
Chavez et dans le mouvement qu’il a porté. Depuis des années en effet la
révolution bolivarienne avait fini par devenir un fait incontournable,
s’installant presque dans une sorte de routine. Le Venezuela apparaissait comme
le phare du socialisme le plus éclatant d’Amérique latine après Cuba, comme le
pays le plus à gauche du continent, un pays où une révolution socialiste
triomphait peu à peu par la voie démocratique, un pays qui avait choisi la voie
du socialisme et qui était proche d’y parvenir, voire y était en partie parvenu,
pour certaines analyses peu averties du moins. A un point que beaucoup de
camarades parmi les plus optimistes croyaient le processus irréversible.
Pourtant,
cet optimisme, qui souvent en pratique reposait sur la volonté de croire en des
illusions plus ou moins réformistes, de croire en la réalité d’un passage au
socialisme par la voie des institutions démocratiques bourgeoises, n’a jamais
tenu la route, et il était malheureusement possible de s’attendre bien à
l’avance à un tel résultat. Première chose à dire : le Venezuela n’a
jamais cessé d’être un pays capitaliste quant au mode de production en
vigueur ; il n’a ni atteint, ni vraiment approché le socialisme, bien
qu’il se soit fixé ce but. Le processus impulsé par Hugo Chavez s’est quelque
peu pompeusement intitulé « révolution bolivarienne ». Il part
incontestablement d’un mouvement populaire à caractère révolutionnaire et s’est
fixé des objectifs qui le sont. L’objectif de construction d’une société
socialiste était clairement affiché. La révolution bolivarienne
finit même assez vite par se doter d’un parti, le PSUV, pour la mettre en
œuvre.
Oui,
mais s’agit-il réellement d’une révolution pour autant ? Probablement,
mais d’une révolution qui s’est enlisée à mi-chemin et qui est entrée dans une
certaine routine, mortelle pour une révolution. La révolution bolivarienne a
incontestablement amené les travailleurs vénézuéliens au pouvoir et en a écarté
la bourgeoisie. Certes, mais sans briser la puissance économique ni politique
de celle-ci. Le pouvoir chaviste a procédé à des nationalisations dans
l’intérêt du peuple, dont celle du pétrole, mais sans arracher les leviers de
maints secteurs stratégiques de l’économie à l’ancienne oligarchie. Le secteur
privé est au final sorti proportionnellement renforcé de cette expérience. La
révolution bolivarienne n’a certes pas simplement essayé de reprendre la vielle
machine d’Etat bourgeoise en main et de la faire fonctionner dans l’intérêt du
prolétariat, mais presque. Malgré des progrès importants en termes de
démocratie directe à la base, au sein de collectivités locales, de changements
nécessaires au sein de l’armée, l’Etat vénézuélien est resté structurellement
peu modifié. On en est très loin de la construction d’un véritable pouvoir
populaire.
« Il
y a un tel parti, c’est le Parti bolchevik », avait dit Lénine en réponse
à ses adversaires du temps du gouvernement provisoire qui affirmaient qu’aucune
force politique n’existaient en Russie qui aurait pu la sortir des méandres
dans lesquelles elle était plongée. Il aurait été pour au moins prétentieux de
la part du PSUV de parler ainsi. Car ce parti est resté jusqu’à aujourd’hui un
assemblage hétéroclite de courants divergents, à la ligne idéologique assez
floue, dont l’unité tenait pour beaucoup aux efforts personnels d’Hugo Chavez,
qui manquait cruellement de l’unité et de la discipline sans faille nécessaire
pour diriger la construction du socialisme, mais qui en revanche ne manquait
pas de membres l’ayant rejoints par pur opportunisme, et d’une aile droite en
réalité opposée au socialisme et cherchant seulement à se faire une place au
soleil. Certains gouverneurs bolivariens en particulier se sont comportés en
barons locaux, et la corruption n’a pu être complétement jugulée. Bref, on est
très loin du parti nouveau de type léniniste, dont l’histoire a pourtant
amplement démontré la nécessité. Et si les références idéologiques
révolutionnaires et marxistes n’ont pas manqué, elles sont toujours restées
assez floues. Une ligne directrice claire de la révolution n’a jamais vraiment
été formulée. Le débat sur le « socialisme du XXIème
siècle » n’a jamais cessé d’être passablement confus.
Mais
surtout, le pouvoir chaviste a échoué à édifier la base matérielle du
socialisme. Il a certes nationalisé le pétrole, mis la rente pétrolière au
service du peuple, pour financer des programmes sociaux ambitieux et un droit du
travail qui protège les travailleurs, augmenté le salaire minimum, édifié des
infrastructures…La pauvreté absolue a presque été éradiquée grâce à ces
efforts, et le niveau de vie global a beaucoup augmenté. Néanmoins, cette manne
n’a pas, ou peu, été utilisée pour édifier une industrie nationale
indispensable, pour diversifier l’économie du pays, qui est resté très
largement dépendant des importations en provenance du monde capitaliste. Bien
pire, le commerce extérieur, vital dans ces circonstances, a été laissé aux
mains du secteur privé…Pourtant, si l’expérience de l’édification du socialisme
en URSS et l’apport théorique du PCUS devrait enseigner quelque chose, c’est
qu’un pays socialiste doit pouvoir compter sur son propre secteur productif
qu’il s’agit d’édifier, et ne peut se contenter d’exporter des hydrocarbures,
se rendant ainsi totalement dépendant du monde capitaliste pour tout ce dont il
a besoin. Du reste, les USA ont eu beau jeu à s’arranger avec leurs amis
saoudiens et qataris pour faire baisser drastiquement le prix du pétrole et
mettre ainsi l’économie vénézuélienne en difficulté…
Dès
le tout début de la révolution bolivarienne, l’oligarchie renversée, avec
l’appui de l’impérialisme, s’est livrée à une véritable guerre,
informationnelle et économique contre le peuple vénézuélien. La bourgeoisie
vénézuélienne, ayant le commerce extérieur toujours en mains, a organisé
artificiellement des pénuries en tout genre et une hyperinflation pour
exaspérer les vénézuéliens et les retourner contre le gouvernement. Les médias,
principalement télévisuels, en très grande majorité du côté de l’opposition,
ont organisé une campagne de calomnie haineuse et délirante contre la
révolution bolivarienne du début jusqu’à la fin, une campagne reprise sans réserve par les médias bourgeois
en Europe, malgré son caractère grotesque. Et la tentation du coup d’Etat n’a
jamais été loin. C’est en tout cas l’opposition « démocratique » qui
a toujours été à l’origine des violences et des assassinats contre les militants
chavistes, pas le contraire. Comme les classiques du marxisme l’avaient fort
bien expliqué, même renversée, la bourgeoisie reste provisoirement plus forte
que le prolétariat triomphant, de par ses liens avec le capital international
et les leviers de pouvoir qui lui restent, et ne cède jamais son pouvoir sans
se battre jusqu’au bout. Pour faire triompher la révolution, il aurait fallu
prendre les mesures, toutes les mesures qui s’imposaient, pour briser
définitivement cette oligarchie et détruire ses derniers leviers de pouvoir et
de nuisance. La théorie de la dictature du prolétariat a certes aujourd’hui
mauvaise presse…ce qui n’empêche pourtant pas que les faits aillent dans son
sens…
L’échec
de SYRIZA comme celui du PSUV sont quant au fond ceux du réformisme. Mais si
SYRIZA a définitivement capitulé et changé objectivement de camps, pour le PSUV
rien n’est encore joué. Cette sombre péripétie que traverse le Venezuela n’est
en effet pas la fin. Dans un premier temps, on peut s’attendre à ce que la
droite vénézuélienne revenue au pouvoir, animée par sa haine et sa soif de
revanche, ait pour première priorité de reprendre tout ce que le chavisme lui
avait pris, de détruire tous les acquis de la révolution, de supprimer tous les
programmes sociaux mis en place par Chavez, de privatiser tout ce qui avait été
nationalisé, de réaligner les pays sur les USA. Auquel cas elle se heurtera
inévitablement au peuple vénézuélien, qui ne se laissera pas déposséder ainsi.
La centrale patronale vénézuélienne a du reste immédiatement demandé
l’abrogation de la Loi sur le travail, ce à quoi la Centrale bolivarienne
socialiste de travailleurs, le principal syndicat vénézuélien, a déclaré
qu’elle ne laissera jamais passer une telle régression. Une lutte des classes impitoyable
se profile à l’horizon.
A
tout prendre, le retour aux affaires qu’on peut espérer provisoire de la droite
vénézuélienne pourrait même être une opportunité si les révolutionnaires savent
la saisir. Cette défaite à l’indiscutable mérite de rappeler que dans la
construction du socialisme, rien n’est jamais irréversible, que l’ennemi de
classe ne désarme jamais, qu’une révolution ne se construit pas dans une
tranquille routine, ou dans des procédures parlementaires, mais dans le feu de
la lutte. Le président Maduro a en tout cas déclaré qu’il n’était pas question
de capituler devant la contre-révolution triomphante, ni de renoncer face aux
difficultés, mais de continuer la lutte. Les forces révolutionnaires
vénézuéliennes gardent à ce jour pleinement la force de se ressaisir et de
reprendre la lutte, aux côtés et à la tête du peuple, contre l’oligarchie
momentanément triomphante, sans concessions et avec toute la radicalité qui
s’impose cette fois-ci, pour une démocratie populaire et pour le socialisme.
Nos camarades du PCV, qui ont souvent justement critiqué les insuffisances ou
les demi-mesures du chavisme, devraient y jouaient un rôle majeur.
Les
médias bourgeois et la fausse gauche pro capitaliste exultent bien sûr face à
ce recul temporaire, mais leur joie est prématurée, tout comme nous aurions
tort de désespérer trop vite. Rien n’est encore joué, et nous savons que notre
cause est juste. « Cette mobilisation héroïque qui a permis au peuple
d'impulser la première étape du processus révolutionnaire commencé en 1998,
héritière de grands moments de lutte pour la libération nationale, c'est la
même qui vaincra sans pitié le fascisme assassin et l'impérialisme, réaffirmera
avec fierté que l'effort du camarade Chavez ne fut pas vain et qu'on rependra
la voie, dans l'unité révolutionnaire, de la construction scientifique du
socialisme » avait déclaré le PCV en hommage à Hugo Chavez. La réaction
peut sembler forte aujourd’hui, elle n’empêchera pas ces paroles de devenir
réalité.