13 février 2016

Le début d’une ère nouvelle aux Etats-Unis ?



La chose n’aura sans doute pas échappé à nos lecteurs, le second mandat de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis d’Amérique touche bientôt à sa fin. Aussi, les deux partis du bipartisme étatsunien tiennent en ce moment leurs primaires. En temps normal, nous n’aurions guère de raison particulière de parler dans ces colonnes de cet inintéressant spectacle, de ce casting dépolitisant où sont triés sur le volet les candidats éligibles, tous interchangeables et identiques au fond dans leur adhésion inconditionnelle et exclusive aux intérêts des multinationales et de la grande bourgeoisie monopoliste. Une grotesque vitrine de « démocratie », qui ne masque même pas le pouvoir réel et total de Wall Street.

Si nous parlons malgré tout des primaires étatsuniennes, ou plutôt de la primaire démocrate, c’est parce que cette fois-ci elle est tout sauf le fade succédané de politique-spectacle habituel. Du reste, la primaire républicaine ne l’est pas tout à fait non plus, tant ce parti a glissé au fil du temps à l’extrême-droite, au point que l’un des favoris a été explicitement qualifié de « fasciste » par des journalistes des médias parfaitement mainstream de son pays. Ses deux principaux adversaires ne valent en fait guère mieux, et sont à peine moins extrémistes. Mais de cela nous n’en parlerons pas.

Ce qui rend  cette primaire démocrate si importante, y compris à nos yeux, c’est l’un des candidats : Bernie Sanders, sénateur du Vermont âgé de 74 ans. La première chose à en dire, c’est qu’il n’est pas issu du parti démocrate. Depuis les années 70, il siège au Congrès en tant qu’indépendant. S’il a postulé à la primaire démocrate, c’est parce que les candidats indépendants à la présidentielle sont virtuellement marginalisés aux USA. Ce qui le rend intéressant, c’est qu’il se revendique explicitement « socialiste ». Son principal adversaire, Hillary Clinton, croyait avoir gagné d’avance au début, et n’avait pas même prêté attention à ce concurrent improbable. Mais Bernie Sanders a surpris tout le monde ou presque, en arrivant presque à égalité avec Mme Clinton à la primaire de l’Iowa, et largement en tête au New Hampshire.

Un candidat « socialiste » en position éligible ? Si nous en parlons, ce n’est certes pas pour nous en extasier de façon acritique, ni promettre naïvement le Grand soir par les urnes, comme d’aucuns l’ont fait avec SYRIZA, et le font encore avec PODEMOS, ce que nous n’avons du reste jamais fait. Disons les choses tout de suite, il est assez peu probable que Bernie Sanders remporte la primaire démocrate (quoique…pratiquement personne n’aurait parié un pence sur Jeremy Corbyn quand il s’est présenté à la tête du Labour Party), encore moins qu’il soit élu président, et, si d’aventure il l’était, il se retrouverait dans l’incapacité de gouverner, se retrouvant avec la totalité du Congrès contre lui. Qu’il transforme le parti démocrate en parti socialiste tient de la pure science fiction. Du reste, Bernie Sanders n’est clairement pas un communiste. Il se revendique du « socialisme démocratique », par quoi il entend essentiellement le « modèle scandinave » (quelque peu enjolivé eu égard à la réalité des pays scandinaves). Il se bat pour la répartition des richesses, pour la taxation des plus riches, pour la sécurité sociale, pour une démocratie libérée de la domination des lobbies, pour une régulation du capitalisme, mais nullement pour un pouvoir populaire ou la socialisation des moyens de production.

Certes, mais ce n’est pas cela qui est essentiel. Car n’oublions pas que l’on parle des Etats-Unis. En Europe, où généralement l’un des deux partis du bipartisme est membre de l’Internationale socialiste, et où existent toujours des partis communistes influents, et qui le furent bien plus par le passé, les termes de « socialiste », de « socialiste de gauche », voire parfois de « communiste » sont habituels, généralement bien compris, souvent passablement galvaudés. Le terme de « socialiste » y est même, avec des Hollande, Valls et consorts, quasi-synonyme de « social-traître », et n’a aucune valeur subversive.


Aux USA, il n’en va pas de même. La terreur noire du maccarthysme y a bien fait son rôle, brisant presque le parti communiste historique de ce pays, le CPUSA, et marginalisant pour finir toutes les organisations et mouvances de gauche un tant soit peu radicale, puis réduisant au silence leurs idées mêmes et les effaçant pratiquement des la mémoire du peuple. Depuis longtemps, la vie politique du pays est dominée de façon écrasante par deux partis de droite à la solde du grand capital, et pour l’essentiel quasiment identique. Les syndicats sont quant à eux sous la coupe du parti démocrate et la conception de lutte de classe y est effacée. Il n’existe à la gauche du parti démocrate aucun parti social-démocrate un tant soit peu important (le parti socialiste historique a implosé depuis bien longtemps), mais une poussière de multiples organisations de diverses tendances, à l’implantation pour l’essentiel infime. Le CPUSA n’a plus à craindre les persécutions, mais il n’est plus que l’ombre de ce qu’il fut. Il n’est du reste pas la seule organisation d’orientation communiste aux USA, ni n’est clairement hégémonique danscette partie du spectre politique. De ce fait, les mots de « socialiste » et « socialisme » ont tendance à être des termes totalement inusités dans le champs politique étatsunien, si ce n’est à titre de repoussoir. Le cerveau lavé par des décennies de propagande bas de gamme, la plupart des citoyens de ce pays n’ont pratiquement pas idée de ce que ces mots veulent dire vraiment, encore mois quelles conceptions ils désignent.


Aussi, qu’un candidat à la présidentielle en position éligible se réclame « socialiste » est une première absolue, un événement inédit depuis des dizaines d’années. Ce seul fait a grandement contribué à bousculer les idées. Le mot « socialisme » aurait été le plus consulté dans les dictionnaires en ligne en 2015, les gens cherchant à en redécouvrir la signification. Que cela arrive maintenant n’est pas dû au hasard. C’est d’abord que le consensus relatif sur lequel se basait l’anticommunisme officiel et l’exaltation du « rêve américain » est devenu intenable, tant les inégalités ont atteint aux USA un niveau intenable, tant la confiscation du pouvoir par quelques lobbies est devenue scandaleuse, et tant la vie est devenue insoutenable pour des larges pans de la population. Ce qu’il est convenu d’appeler la classe moyenne s’est retrouvée largement prolétarisée, et en tout cas n’a plus guère de raisons de rester satisfaite de l’ordre établi. Ce qui a nourri la contestation – le mouvement « Occupy Wall Street » aura eu une portée particulièrement significative à cet égard – et la recherche d’une pensée pour la soutenir.

Ainsi que le dit Bernie Sanders lui-même « Tout ce qui nous effrayait du communisme – perdre nos maisons, nos épargnes et être forcé de travailler pour un salaire minable sans avoir de pouvoir politique – s’est réalisé grâce au capitalisme ». Ou, le Wall Street Journal, la journal de la bourgeoisie monopoliste, très lucide pour le coup : "Le socialisme est une vieille idée quand vous avez plus de 50 ans, mais une belle et nouvelle idée quand vous avez 25 ans. Savez-vous qu'est-ce qui est vieux, quand vous avez 25 ans ? C'est le système capitaliste du libre marché qui nous a tous envoyés dans le fossé, écrit The Wall Street Journal à propos du succès de Sanders. Quand vous avez 20 ou 30 ans, vous voyez le capitalisme dans deux entreprises dramatiques. Première entreprise : le krach de 2008 dans lequel des exploitants irresponsables des autorités et de l'économie ont détourné le système. Seconde entreprise : l'inégalité des revenus. Pourquoi certaines personnes sont-elles plus riches que les rois les plus riches, et tant d'autres aussi pauvres que des esclaves ? Est-ce là l'avenir que propose le capitalisme ? Peut-être devons-nous le reconsidérer." 

Non seulement, Bernie Sanders relève la bannière du socialisme quelque peu oubliée au USA, mais il fait campagne non pas avec des discours vides et convenus comme ses adversaires, ou les « socialistes » de chez nous, mais en reprenant certains principes qu’un communiste ne renierait pas. Ce qui est plus que subversif aux USA. Vision de la politique en terme de lutte de classe d’abord, de lutte de classe du côté des travailleurs contre la grande bourgeoisie : " Une des raisons pour lesquelles les gens sont en colère et frustrés, c'est qu'ils travaillent incroyablement dur. [...]Alors que les gens travaillent de plus en plus dur, leur revenu diminue. 80% de tous les revenus de ces dernières années sont allés au 1 % du dessus. Des millions d'Américains dégringolent directement de la classe moyenne à la pauvreté. Cela ne suffit manifestement pas à nos amis de la couche supérieure qui, en matière de cupidité, font preuve d'un véritable fanatisme religieux. Ils leur faut plus, toujours plus." Aussi, dénonciation de la dictature réelle des monopoles derrière la vitrine de la démocratique bourgeoise : ”A l'école, les manuels évoquaient l'Amérique latine et ses dites républiques bananières. "Des pays où une poignée de familles contrôlent la vie économique et politique de la nation", pouvait-on lire. Je ne veux pas inquiéter le peuple américain, mais nous ne sommes pas très éloignés aujourd'hui de cette réalité. Le 1 % des plus riches aux États-Unis possède aujourd'hui plus de richesse que les 90 % du bas. Cette situation ne peut en aucun cas constituer la base d'une société démocratique. C'est la base d'une oligarchie."

Bernie Sanders n’instaurera pas le socialisme aux USA. Mais il aura eu le mérite historique énorme de briser la chape de plomb de l’anticommunisme officiel et d’ouvrir la voie à de nouvelles luttes contre le socialisme. C’est d’ailleurs son plus grand mérité marxiste : apprendre aux travailleurs à ne pas s’en remettre aux politiciens bourgeois et aux hommes providentiels, mais à s’organiser eux-mêmes pour la lutte. Ainsi qu’il le dit lui-même : « Et maintenant, laissez-moi vous dire quelque chose qu’aucun autre candidat à la présidentielle ne vous dira. Et c’est que quel que soit le candidat qui sera élu président, cette personne ne sera pas capable d’y arriver parce que le pouvoir des entreprises américaines, le pouvoir de Wall Street, le pouvoir des donateurs de campagne est si fort qu’aucun président ne peut à lui seul dresser face à eux. C’est la vérité. Les gens peuvent être mal à l’aise en entendant ça…mais c’est la vérité. Et c’est pourquoi ce qui est en jeu dans cette campagne c’est de dire haut et clair : « Il ne s’agit pas seulement d’élire Bernie Sanders comme président. Il s’agit de créer un mouvement politique du peuple dans ce pays ! »


Les choses ne seront plus jamais comme avant aux USA. Bernie Sanders aura joué un rôle crucial en ouvrant la voie à ceux qui s’organiseront pour lutter réellement pour le socialisme, pour ce que le socialisme est vraiment, et pas seulement pour un « modèle scandinave »

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