11 novembre 2016

Crépuscule d’une démocratie oligarchique



Donald J. Trump sera donc le 45ème président des USA. Un résultat qui a au moins le mérite de rappeler ce que valent les sondages et la parole des « experts » mainstream. Plaisanterie mise à part, ce n’est certainement pas une bonne nouvelle. La présence de M. Trump à la présidence de la première puissance mondiale, une double majorité du Parti républicain au Congrès, comme à la tête de la plupart des Etats des USA augure une ère de sombre réaction. Au-delà de la dose massive de démagogie électoraliste, le programme annoncé par le nouveau président est clair et n’a rien de réjouissant : baisses d’impôts pour les riches et les grandes entreprises, démantèlement du peu de protection sociale qui existe encore aux USA, cessation de toutes mesures en faveur de l’environnement et expulsion en masse des immigrés sans titre de séjour.

Mais une victoire de Hillary Clinton et du Parti démocrate aurait-elle seulement constitué, a contrario, une bonne nouvelle ? Mme Clinton pouvait-elle au moins représenter le « moindre mal » lors de ce scrutin ? Non sans doute. Il est même piquant de voire des gens qui se réclament de la gauche, parfois radicale, regretter la défaite de la candidate de Wall Street, de l’oligarchie, des lobbys et de l’impérialisme US…toutes choses que pourtant d’habitude ils affirment combattre. Quant à la crainte que suscite légitimement le fait de laisser l’arsenal nucléaire étatsunien entre les mains de quelqu’un comme Trump, n’oublions pas qu’elle était la candidate de la guerre bien plus que lui (ce qui ne fait pas bien sûr du futur président un homme de paix, ni un adversaire de l’impérialisme) et avait d’ores et déjà beaucoup de sang sur les mains. Elle aurait probablement eu de plus grandes chances que lui de déclencher un conflit global, et d’appuyer sur le bouton fatidique le cas échéant.

Du reste, ce résultat était au fond assez prévisible. Alors, au lieu de nous joindre aux lamentations, essayons de comprendre. Peut-être y a-t-il une leçon à tirer de tout cela ? Antonio Gramsci disait, à propos du fascisme : « le vieux monde se meurt, le nouveau est lent à apparaître. Et c’est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres ». Aujourd’hui, le même phénomène se reproduit, sous des formes quelque peu différentes sans doute.

Un vote protestataire

Si Hillary Clinton a perdu, si elle devait perdre, c’est qu’elle incarne justement jusqu’à la caricature le vieux monde qui se meurt dans ce qu’il a de plus détestable, et dont le peuple étatsunien ne veut plus : le vieux monde d’une oligarchie financière imbue d’elle-même, acquise corps et âme au néolibéralisme et à la mondialisation, engluée dans le mensonge et la corruption, coutumière des arrangements en coulisses pour une configuration qui ne laisse nulle place à une démocratie autre que de façade.

Si Donald Trump a pu gagner, c’est que, face à Mme Clinton, il a su incarner le vote protestataire et apparaître comme le pourfendeur des élites et de la corruption. Il a donc gagné en capitalisant un vote « anti-élites » sur son nom, élites démocrates comme républicaines, puisqu’une grande partie de l’establishment républicain a lâché le candidat choisi par les primaires de leur parti, contre l’avis et malgré les manœuvres de son appareil, et ouvertement appelé à voter Hillary Clinton…y compris un certain Georges W. Bush.

Un aspect peu mis en avant du discours de M. Trump dans la presse européenne, mais qui n’est pourtant pas sans importance pour expliquer son succès, c’est son opposition aux traités de libre-échange et sa défense du protectionnisme économique. Donald Trump a en effet régulièrement dénoncé les divers traités de libre-échange, qui d’après lui détruisent nombre d’emplois aux USA, ce qui est tout à fait exact. Il a également promis de prendre des mesures contre des entreprises qui délocalisent leur production dans des pays où la main-d’œuvre est moins chère. C’est ce discours qui explique en grande partie son succès dans les régions industrielles, et tout particulièrement dans les territoires désindustrialisés, auprès d’un électorat ouvrier, qui a été massivement mis au chômage et condamné à la précarité par une mondialisation néolibérale, activement promue par les époux Clinton.

Le fait est que les politiques néolibérales mises en place depuis Reagan n’ont massivement profité qu’à une infime minorité d’ultra-riches. En revanche, la grande majorité de la population n’a eu pour lot que la paupérisation, le chômage et la précarité. Ces effets ont pu être quelque peu atténués grâce au crédit à la consommation, et ce jusqu’à la crise qui s’est déclenchée en 2007. Mais ce mécanisme n’est plus opérant désormais, et plus rien ne peut plus masquer les ravages du capitalisme néolibéral. Les travailleurs étatsuniens réagissent très logiquement par la colère et le rejet envers les élites qui les ont conduit jusque là, et y recherchent une alternative. Ils n’ont qu’entièrement raison en cela.

…Pour une fausse alternative

L’ironie étant bien sûr que ce vote protestataire se soit reporté sur un milliardaire qui fait partie intégrante de l’oligarchie qu’il prétend combattre, et qui, quant au fond, n’en n’est pas si éloigné que cela au niveau des idées qu’il défend, et encore moins au niveau des mesures qu’il prendra sans doute effectivement. Le Congrès étant majoritairement détenu par des Républicains, pas forcément acquis aux idées de Trump, mais fortement acquis, à l’inverse, aux traités de libre-échange, il est peu probable que ses promesses de campagne « populistes » ou protectionnistes soient effectivement mises en place. Du reste, le futur nouveau président, à peine les résultats tombés, s’est aussitôt empressé d’infléchir son discours, félicitant son ex-rival, et prêchant la réconciliation nationale…En revanche, un pouvoir Républicain avec Trump à sa tête n’annonce que le pire pour ce qui reste des droits démocratiques aux USA…

En cela, Trump s’inscrit dans un phénomène depuis longtemps connu en Europe : celui d’une extrême-droite qui prospère des ravages du capitalisme et de la colère du peuple contre les élites, qui prétend être du côté des petites gens et contre les élites…tout en étant dirigée par des gens qui font entièrement partie des dites élites, et entièrement acquis au néolibéralisme. Christophe Blocher, milliardaire maquillé  en tribun populiste, xénophobe et anti-establishment est même une sorte de Donald Trump helvétique avant l’heure. Cette façon de dévoyer la colère populaire sur des solutions autoritaires, dirigées contre les classes populaires, n’est pas nouvelle. Elle présente même une parenté frappante avec le fascisme historique. Comme l’avait dit Bertolt Brecht « le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution par temps de crise ».

…Qui cache la possibilité d’une alternative réelle

Pourtant, Donald Trump n’aurait jamais eu un tel succès si son adversaire n’avait pas été Hillary Clinton, celle qui incarne l’oligarchie dans tout ce qu’elle a de pire, et qui lui a permis a contrario de passer pour un candidat « antisystème ». Le fait ait qu’il n’a pu avoir la chance de faire campagne contre Mme Clinton que parce que l’appareil du Parti démocrate, la DNC (Democratic national convention), a manipulé la primaire pour éliminer l’homme qui sinon aurait remporté la dite primaire. La présidente de la DNC a d’ailleurs démissionné suite au scandale. Cet homme qui aurait pu non seulement remporter la primaire démocrate, mais le cas échéant la présidentielle face à M. Trump, est bien sûr Bernie Sanders, sénateur du Vermont, et qui se revendiquait du « socialisme démocratique ». Une grande partie de la classe ouvrière étatsunienne qui a fini par voter Trump était précisément celle qui soutenait Sanders aux primaires démocrates.


La victoire quasi-inévitable – qui n’a pu être empêchée que par les combines de la DNC – d’un candidat « socialiste » dans un pays où le mot même semblé banni, effacé des mémoires par des décennies de matraquage anti-communiste, était pourtant un symptôme du fait qu’une alternative réelle, la seule alternative qui existe, celle du socialisme, pas celle factice de la démagogie d’extrême-droite, était en tout cas envisageable, car en dernière analyse nécessaire. Malheureusement, cette alternative a été provisoirement réduite à néant par Sanders lui-même, qui, en se ralliant à Mme Clinton sans conditions, a mis fin à toute la dynamique populaire qui commençait à se structurer à l’occasion de sa campagne durant les primaires, et qui aurait pu déboucher sur une renaissance d’un mouvement socialiste aux USA. Il n’a par là nullement empêché l’accession de Donald Trump au bureau ovale, mais lui a plutôt pavé la voie. C’est sans doute là qu’il y a une leçon à tirer. La bourgeoisie « démocrate », les « fronts républicains » avec les représentants politiques « modérés » de l’oligarchie, ne constitue nullement un rempart contre le fascisme, mais plutôt un marchepied. La fausse gauche au service de l’oligarchie, comme le P « S » de Hollande et Valls, pave la voie du pouvoir au fascisme. Et il ne sera sans doute pas possible de convaincre une nouvelle fois le peuple de « voter Chirac ». La lutte contre le fascisme passe nécessairement par la lutte sans concessions contre la bourgeoisie dans son ensemble et pour le socialisme.

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