11 novembre 2016

Il y a 99 ans, la Révolution d’octobre



2017 : l’année prochaine marquera les 100 ans de la Grande Révolution socialiste d’octobre, l’événement sans aucun doute le plus important du millénaire, le début d’une ère véritablement nouvelle. Pour la première fois dans l’histoire, la révolution prolétarienne triomphait dans un pays, le capitalisme y était renversé et cédait la place au socialisme. Lénine disait : « notre révolution […] grande et invincible, car pour la première fois, ce n’est pas une minorité, ce ne sont pas uniquement les riches, uniquement les couches instruites, c’est la masse véritable, l’immense majorité des travailleurs qui édifient eux-mêmes une vie nouvelle, tranchent, en se fondant sur leur propre expérience, les problèmes si ardus de l’organisation socialiste ». Rien n’allait plus jamais être comme avant. La haine seule qu’inspire aujourd’hui la Révolution d’octobre à la classe dirigeante – alors même que l’Etat socialiste auquel elle avait donné naissance n’est plus – ne montre que trop bien que la peur qu’elle lui a causé ne s’est point tarie, pas plus que l’espoir qu’elle représente plus que jamais pour les peuples, ni l’importance majeure qu’elle revêt pour nous, communistes. La première chose à faire est d’en retracer l’histoire.

Préludes de la révolution

1917 : la Première Guerre mondiale allait être fatale pour l’autocratie pluriséculaire des tsars. C’est que le vieil empire tsariste était rongé par des contradictions insolubles. Le capitalisme s’y était développé, dans les villes comme à la campagne. Avec l’essor de l’industrie dans les grandes villes était apparue une classe ouvrière, minoritaire par rapport à la population totale du pays, mais majoritairement concentrée dans de grandes unités de production, organisée et combative. Ni le despotisme brutal, ni une censure féroce n’ont pu empêcher la montée des luttes ouvrières, pas plus que la diffusion des idées révolutionnaires en Russie. Malgré une répression impitoyable, des partis politiques prônant le renversement de la monarchie absolue naquirent et se structurèrent à l’échelle du pays : le parti constitutionnel démocrate ou cadets (le parti de la bourgeoisie libérale), le parti socialiste-révolutionnaire ou S-R (parti se revendiquant de la tradition des « narodniks », les « populistes » russes), et enfin un parti véritablement marxiste, le Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR), bientôt scindé en mencheviks (minoritaires, réformistes) et bolcheviks (majoritaires, révolutionnaires).

Le 9 janvier 1905, à Saint-Pétersbourg, l’armée tire sur une grande manifestation de grévistes venus adresser leurs doléances à l’empereur Nicolas II. C’est le « dimanche sanglant ». La confiance qu’une partie du peuple russe vouait encore au tsar est anéantie à tout jamais. S’en suit la première révolution russe. Des grèves massives éclatent dans tout le pays. Moscou se couvre de barricades. Pour la première fois, se constituent des Soviets d’ouvriers et de paysans, forme de démocratie nouvelle, qui prennent la tête de la lutte. Cette révolution fut écrasée dans le sang, mais rien n’allait plus pouvoir être comme avant. La classe ouvrière avait fait un pas en avant décisif dans son organisation politique. Et le régime fut contraint à quelques concessions, et dut même instituer un semblant de parlement, la Douma d’Etat. Les premières élections donnèrent sans surprise une large majorité aux partis d’opposition. Après deux dissolutions et un bricolage de la loi électorale, Nicolas II obtint finalement une Douma moins remuante, mais la chute du régime n’était dès lors plus qu’une affaire de temps      

La Révolution de février                                                                                             
 
Comme bien d’autres Etats capitalistes, l’empire tsariste tenta de résoudre ses contradictions internes en se lançant dans la Première Guerre mondiale. Ce fut là la dernière erreur du régime. La propagande officielle avait promis au peuple une victoire éclatante et rapide, mais, au lieu de cela, la guerre s’éternisait, et, malgré quelques succès militaires, elle se révélait ruineuse, tant en vies humaines qu’économiquement, et globalement intenable pour le pays. La guerre devenait de plus en plus impopulaire, et les grèves et mobilisations politiques contre la poursuite des hostilités se multipliaient, de même que les révoltes et désertions au sein de l’armée. Ces luttes étaient grandement facilitées par le fait que les travailleurs russes disposaient d’un parti, le Parti bolchevik, qui n’avait pas cédé aux sirènes de l’union sacrée au commencement de la guerre, n’avait pas trahi ses principes, et pour cette raison était en position, contrairement à la plupart des partis de la désormais de facto défunte IIème Internationale, de diriger la lutte révolutionnaire. Elles eurent raison du régime.

Le 23 février 1917 éclatait une grande grève à Petrograd, devenue bientôt grève générale. Le tsar ordonna à l’armée de tirer sur la foule. Mais elle passa massivement du côté des insurgés. Le 27 février, le Soviet des députés ouvriers et des soldats de Petrograd entra en fonction au Palais de Tauride. Il aurait pu prendre alors le pouvoir s’il l’avait voulu. Mais il était contrôlé par les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks, acquis au dogme selon lequel la révolution contre le tsarisme ne pouvait être que bourgeoise, et donc conduite par la bourgeoisie et débouchant sur une démocratie bourgeoise. Tous les groupes parlementaires présents à la Douma, mis à part l’extrême-droite monarchiste, mencheviks et S-R compris, s’entendirent dans la nuit du 27 au 28 février pour former un Comité provisoire de la Douma d’Etat, qui devait se substituer au pouvoir tsariste à la dérive. Le 2 mars, un gouvernement provisoire, sous la direction du prince Lvov, un cadet, était formé. Le 3 mars, le tsar Nicolas II, de plus en plus isolé, abdiquait pour lui et pour son fils au bénéfice de son frère, le grand-duc Michel, qui abdiquait à son tour quelques jours plus tard. Le trône était désormais vacant. La dynastie des Romanov, qui avait régné sur la Russie pendant trois siècles, était tombée. Le 27 mars 1917, Lénine quittait la Suisse, où il avait vécu comme réfugié politique, pour prendre la direction de la lutte révolutionnaire en Russie.

La Révolution d’octobre

La Russie était désormais une république démocratique bourgeoise, selon les mots de Lénine provisoirement le « pays le plus libre d’Europe » (dans la mesure où le gouvernement provisoire n’était pas en mesure de maintenir un état d’urgence strict comme dans les autres pays belligérants). Elle disposa même rapidement d’un gouvernement « de gauche », présidé par le S-R Alexandre Kerenski. Cet état de fait n’avait en rien résolu les problèmes du pays, ni en rien satisfait les aspirations de son peuple.  Malgré les promesses démagogiques des mencheviks et des S-R, le gouvernement provisoire n’avait l’intention d’en satisfaire aucune. On avait auparavant promis la paix, mais désormais le gouvernement annonça son intention de poursuivre la guerre « jusqu’à la victoire ». L’économie du pays était en ruines, la famine menaçait, les ouvriers étaient réduits à l’extrême misère. Et le gouvernement n’avait l’intention de rien faire qui pût y remédier. Il n’avait pas plus l’intention de procéder à une réforme agraire, pourtant principale revendication des paysans…et slogan phare des S-R avant la révolution.

Parallèlement, s’était créée dans le pays une situation de double pouvoir. Officiellement le gouvernement provisoire était à la tête du pays. Mais de fait son pouvoir était bancal, ne s’appuyant que sur un appareil d’Etat hérité du tsarisme et en pleine décomposition. Ce gouvernement provisoire ne pouvait tenir que tant que l’autre pouvoir présent au sein du pays l’acceptait : les Soviets des députés ouvriers, paysans et des soldats, qui avait une base sociale réelle dans le peuple comme dans la plus grande partie de l’armée. Toutefois, les Soviets étaient au début contrôlés majoritairement par les mencheviks et les S-R, qui s’obstinaient à faire entrer de force la révolution dans le carcan étroit de la légalité bourgeoise. Ils paralysèrent donc l’action des Soviets, et aidèrent le gouvernement provisoire à se maintenir. Les bolcheviks militaient alors pour le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux Soviets ! », alors que les mencheviks et les S-R y étaient encore majoritaires, ce qui aurait permis un passage rapide e du pouvoir aux mains des ouvriers et des paysans, et une démocratie populaire reposant sur la coexistence entre plusieurs partis favorables au socialisme. Si, malgré des appels réitérés de Lénine en ce sens, ce scénario ne s’est pas concrétisé, c’est entièrement du fait de la politique des mencheviks et des S-R, qui avaient objectivement tourné le dos à leurs thèses révolutionnaires, et cherchaient la collaboration à tout prix avec la bourgeoisie.

Une telle situation ne pouvait pas durer. Le 3 juillet, le gouvernement provisoire fit tirer, avec l’appui des leaders mencheviks et S-R, les troupes qui lui étaient fidèles sur un meeting bolchevik contre la guerre, faisant près de 400 morts et blessés. Il essaya également de faire arrêter Lénine pour « haute trahison », en vain. La bourgeoisie toutefois ne voulait pas se satisfaire d’un gouvernement provisoire, dont le pouvoir était bancal, et plaçait tous ses espoirs dans une dictature militaire. Le coup d’Etat raté du général Lavr Kornilov, qui n’échoua que grâce aux efforts des bolcheviks pour mobiliser les ouvriers de Petrograd, n’annonçait que trop bien l’issue inévitable d’une poursuite du mandat de Kerenski. Une insurrection était  désormais urgente et nécessaire, pour le salut même de la révolution.


Le gouvernement provisoire tenta, mais ne put l’empêcher. Il fut renversé durant la nuit du 25 au 26 octobre. La capitale était désormais aux mains des troupes révolutionnaires, acquises aux bolcheviks. Le 26 octobre, s’ouvrait le IIème Congrès panrusse des Soviets, où les bolcheviks étaient cette fois majoritaires. Le Congrès adopta un Décret sur la paix, annonçant la résolution de signer la paix sans délai et à des conditions équitables pour tous les peuples, et un Décret sur la terre, transmettant toute la terre au peuple sans compensation. Il élit également un Conseil des commissaires des peuples, le premier gouvernement révolutionnaire de Russie, avec Lénine à sa tête. La révolution s’étendit rapidement à la plus grande partie du pays, souvent non sans combattre, parfois sans rencontrer de résistance (la guerre civile n'allait commencer qu'un peu plus tard). Au début du mois de juillet 1918, le Vème Congrès panrusse des Soviets adoptait la première constitution de la République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie (RSFR), posant les bases du pouvoir ouvrier et paysan et du socialisme. Le premier Etat ouvrier et paysan de l’histoire était officiellement né.

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