22 août 2019

Il y 75 ans, le Ier Congrès du Parti Suisse du Travail



Les 14 et 15 octobre 1944, à la Maison du peuple de Zürich, le Parti Suisse du Travail tenait son Ier Congrès, le Congrès fondateur de notre parti national, en présence de 357 délégués, issus de 12 cantons et 36 sections, représentant près de 10’000 membres, issus de l’ancien Parti communiste suisse (PCS), interdit en 1939, de la Fédération socialiste suisse, composée de membres de l’aile gauche du Parti socialiste suisse (PSS), exclus du PSS, et de communistes, et qui fut interdite peu après le PCS, mais aussi et surtout de camarades qui n’avaient jamais milité auparavant dans un parti (les effectifs du PCS et de la FSS d’avant la Guerre atteignaient tout au plus 4'000 personnes). Si on compte les invités et le public qui s’était déplacé pour l’occasion, c’était plus de 1'000 personnes qui étaient présentes au Congrès. La salle était pleine à craquer. Il faut savoir en effet quel enthousiasme a pu susciter notre Parti au sein de la classe ouvrière à ses débuts. A Genève, ce fut un véritable parti de masse. Dans ses toutes premières années, les dirigeants de notre Parti se faisaient en permanence arrêter dans la rue par des travailleurs qui demandaient comment faire pour adhérer au Parti du Travail.

Une époque de ténèbres et d’espoir

Pendant que le PST tenait son premier Congrès, la Deuxième Guerre mondiale faisait rage, sur le territoire allemand déjà, où l’armée soviétique été entrée – à l’époque, personne n’osait remettre en cause que la contribution essentielle à la libération de l’Europe du fascisme revenait à l’URSS –, après avoir repoussé l’agresseur nazi au prix de sacrifices infinis, pour éradiquer le régime hitlérien à jamais. La Suisse, officiellement neutre, officieusement alignée sur le Reich, commençait à discrètement réorienter sa politique pour ne pas se retrouver malencontreusement dans le camp des vaincus, pendant que son élite, majoritairement favorable à l’Allemagne nazie (une page de son histoire que la droite suisse voudrait faire oublier), faisait le deuil peu à peu de ses espoirs en la victoire du IIIème Reich. Pendant la Guerre, les partis bourgeois au pouvoir en Suisse avaient réussi à faire interdire le PCS, puis la FSS. Le Conseil fédéral, disposant des pouvoirs illimités, avait mis en place un régime policier quasi dictatorial, doublé d’un dispositif de propagande tendanciellement totalitaire, la « défense spirituelle ». Ce dispositif était sciemment conçu comme l’antichambre d’un régime ouvertement fasciste, pour quand l’Allemagne finirait par gagner la guerre (comme on le supposait au Conseil fédéral). Le PSS et l’USS (Union syndicale suisse) ne firent rien ou guère pour s’opposer à cette dérive, et collaborèrent pratiquement sans aucune réticence avec la bourgeoisie, appâtés par quelques faux-semblants de participation aux ors du pouvoir. Le PSS avait totalement abandonné toute perspective socialiste, pour sombrer corps et biens dans le réformisme et la collaboration de classe. L’USS, acquise à la paix du travail et au partenariat social avec le patronat, et désireuse de devenir une institution bien établie et respectée, avait fini par s’identifier totalement au capitalisme suisse et à ses intérêts, étouffant de fait tout mouvement ouvrier un tant soit peu revendicatif. Il faut en effet étudier quelque peu ce que fut le syndicalisme suisse entre les années 30 et 70 environ pour se représenter à quel point il avait dérivé loin de ses objectifs initiaux. Pendant ce temps, les militants socialistes et communistes, qui risquaient la prison pour leurs activités politiques, se rapprochèrent dans la clandestinité, jetant ainsi les bases d’un nouveau parti, voué à régénérer le mouvement ouvrier suisse.

Après la bataille de Stalingrad, lorsque la défaite de l’Allemagne devenait de plus en plus certaine, c’est un vent nouveau qui commençait à souffler sur la Suisse, tant du côté de la bourgeoisie, qui se rendait compte qu’elle avait fait un mauvais pari, que de celui de la classe ouvrière, dont les conditions de vie s’étaient dégradées pendant la guerre, et qui se mettait à croire en un monde meilleur qui allait naître après la défaite d’Hitler. Bien que les interdictions des activités communistes demeuraient en vigueur, il devenait possible de les contourner. Dans cette optique, furent présentées à des élections des « Listes du Travail », ne comportant aucun citoyen frappé d’inéligibilité par les mesures de persécution anticommunistes des autorités, et qui obtinrent des succès retentissants, notamment à Genève aux municipales de mai 1943, malgré que les interdictions soient toujours en vigueur. Sur la vague de ce succès initial furent fondés des partis cantonaux, dont, à Genève, le Parti Ouvrier (qui allait devenir le Parti du Travail peu après) le 8 juin 1943. Ces partis cantonaux se regroupèrent en une Fédération des Partis du Travail, à partir de laquelle allait être fondé un parti national, le Parti Suisse du Travail, lors de son Ier Congrès.

Un programme de progrès social et démocratique

Le Parti Suisse du Travail niait à ses débuts être un parti communiste (mais il affirmera l’être quelques années plus tard), en partie parce que les interdictions anti-communistes étaient toujours en vigueur, mais aussi parce que les fondateurs de notre Parti avaient la volonté de construire un grand parti de masse, correspondant aux espérances de ce qui semblait possible alors, et qui soit plus large que l’ancien PCS, et exempt de certaines de ces erreurs et insuffisances. Le PST était par contre ouvertement solidaire de l’URSS (dont le prestige était alors immense et incontesté, la meilleure réfutation de propagande anticommuniste contemporaine étant peut-être un petit florilège de citations de quelques uns des grands hommes de la bourgeoisie de l’époque), s’inscrivait dans l’héritage du marxisme vivant, celui de Lénine, à l’encontre du réformisme, et appelait à briser la paix du travail, dans une optique de lutte de classe.

Et le PST avait un programme politique immédiat, avec, en premier lieu, le rétablissement intégral de la démocratie et la levée de toutes les mesures répressives instaurées dans le cadre du régime des pleins pouvoirs du Conseil fédéral, pour l’instauration d’une Assurance vieillesse (aucun système de retraite universel n’existait avant 1947), pour la hausse des salaires, pour la semaine de 40 heures de travail, pour deux à quatre semaines au moins de congés payés, pour le droit de vote des femmes, pour l’égalité hommes-femmes et à travail égal salaire égal, pour la nationalisation des banques, des assurances privées, et des secteurs stratégiques de l’économie, pour une société socialiste comme horizon. Certaines de ces mesures furent réalisées, et n’auraient pas pu l’être sans l’engagement résolu de notre Parti. D’autres ne l’ont jamais été, ou pas complétement. D’autres encore n’ont jamais pu être approchées en pratique.

Mais alors, les peuples avaient un optimisme parfois débordant. Il semblait qu’avec la défaite d’Hitler, le champion de la réaction, tout allait changer, que tout avait déjà changé au niveau du rapport des forces au niveau mondial. Et qu’un monde nouveau allait naître rapidement. Un tel optimisme se ressentait aussi dans les rangs de notre Parti. Le secrétaire du PST, Karl Hofmaier, finissait son rapport par les mots suivants : « Notre parti peut être appelé, plus tôt que certains ne le croient aujourd’hui, à jouer un rôle responsable dans la politique de notre pays. L’évolution ne va pas selon le train coutumier d’époques normales. Soyons donc prêts à suivre le rythme de l’évolution. Soyons prêts à jouer, dans l’intérêt de notre peuple, le rôle que jouent déjà dans d’autres pays les partis d’avant-garde de la classe ouvrière ».

75 ans d’histoire, parfois difficile, mais dont nous pouvons être fiers

La réalité allait malheureusement vite décevoir l’optimisme qui avait pu être celui des fondateurs de notre Parti. Les rapports de force avaient certes changé au niveau mondial, à l’avantage des peuples et des travailleurs. L’URSS, malgré de très lourdes blessures, était sortie de la Guerre auréolée d’un prestige immense, et n’était plus l’unique Etat socialiste du monde. Les partis communistes jouissaient d’un crédit important, et la classe ouvrière était un peu partout animée d’une détermination, d’une combativité nouvelle, si bien que la bourgeoisie fut contrainte à faire quelques concessions pour préserver son pouvoir. Le système colonial vivait également ces dernières années. La réaction était sur la défensive, et les forces de progrès indiscutablement à l’offensive. Oui, mais le monde n’avait pas changé du tout au tout. La grande bourgeoisie impérialiste avait conservé l’essentiel de son pouvoir, et préparait déjà la contre-offensive, sous la direction des USA. Les espoirs d’un monde nouveau s’évanouirent vite, dès la fin des années 40, avec le début de la Guerre froide, politique d’agressivité renouvelée et de réaction sur toute la ligne de la bourgeoisie à la tête des métropoles capitalistes.

En Suisse, pays politiquement replié sur lui-même en ces temps et épargné par les bouleversements de la guerre, cette tendance se manifesta encore plus rapidement et plus nettement. Les succès initiaux du PST n’eurent pas de suite. Si le Parti se maintint dans des quelques cantons romands, il fut drastiquement affaibli en Suisse alémanique par une véritable hystérie maccarthyste. Le PSS et l’USS parvinrent globalement à garder la haute main sur le mouvement ouvrier suisse et à continuer à jouer leur rôle de stabilisation au service de la bourgeoisie en ces années cruciales.

Malgré tout, notre Parti resta indéfectiblement fidèle à ses principes fondateurs, à son engagement au service des classes populaires, à sa volonté de rassemblement populaire, à sa haute conscience de son devoir de solidarité internationaliste, à sa perspective révolutionnaire d’une nouvelle société socialiste. Par sa lutte, il parvint à imposer certaines conquêtes sociales : l’AVS, les congés payés, le droit de vote pour les femmes, et tant d’autres victoires n’auraient pas été possibles sans l’engagement résolu de notre Parti. Surtout, notre Parti peut se targuer de n’avoir jamais transigé avec ses principes, de ne s’être jamais éloigné de ses objectifs fondateurs. Plus que jamais, il demeure irremplaçable.

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