18 décembre 2019

Nous, la Vague, une série politique



Nous, la Vague, série allemande réalisée par Daniel Gansel et diffusée sur Netflix, se veut un remake de la Troisième Vague, expérience sociologique menée aux USA en 1967 (visant à montrer comment un régime autoritaire, inspiré du nazisme, peut très vite se mettre en place et être accepté par la population), du livre qui en est inspiré, ainsi que du film La Vague, du même Daniel Gansel, sorti en 2008. Film qui eut un succès important, notamment parmi la jeunesse aux sensibilités de gauche, d’après les souvenirs de l’auteur de ces lignes, qui s’inquiétaient de la montée de l’extrême-droite et de ce qu’elle pourrait signifier. Le film, pourtant, est politiquement superficiel. Il reprend l’idée de l’expérience sociologique menée par un professeur sur sa classe, mais attribue à sa Vague une idéologie tellement indéterminée que son totalitarisme en devient vide. On en est à vrai dire à la critique platement libérale, où toute forme de collectivisme, voire la simple entraide plutôt que la concurrence (le professeur Wenger, leader de la Vague, impose aux élèves forts d’aider les plus faibles ; ce qui est indiscutablement positif), sont suspectés de totalitarisme.

Cette fois, seul le titre, ainsi que le symbole de la Vague reste, mais l’inspiration est clairement différente. Gansel met en scène une Vague de gauche, anticapitaliste, écologiste, antifasciste, avec des tendances anarchisantes, et portée à l’action directe et à la désobéissance civile, qui utilise les réseaux sociaux pour tenter de réveiller les consciences. Un mouvement en résonnance avec des luttes menées par la jeunesse d’aujourd’hui, sous la forme de la Grève du Climat, ou Extinction Rébellion par exemple.

Dans l’Allemagne d’aujourd’hui, au climat politique empoisonné par le parti d’extrême-droite NfD en pleine ascension (acronyme quasi identique à l’AfD, graphisme presque pareil), gangrénée par le racisme, la pollution industrielle, l’infiltration de l’extrême-droite au sein même de la police, Tristan Broch, adolescent charismatique et rebelle, est un nouvel élève dans un lycée d’une petite ville. On découvre assez vite qu’il est détenu à la prison du coin, où il retourne dormir tous les soirs, et qu’il est en phase de réinsertion, après un passage chez les Black Blocks. Il regroupe autour de lui quatre autre élèves : Léa, fille de bourgeois, peu portée à la contestation initialement, mais qui se convertit à l’altermondialisme après avoir lu No Logo de Naomi Klein (seule référence théorique de gauche présente dans la série), offert par Tristan (bon, conversion un peu trop rapide et pas très réaliste) ; Rahim, adolescent arabe persécuté par les néonazis, et dont la famille est sur le point d’être expulsée par des promoteurs cupides ; Zazie, anciennement souffre-douleur, qui devient punk et s’émancipe de cette façon ; et Hagen, fils de paysans qui ont dû mettre la clé sous la porte suite à la pollution de leurs terres par une usine de papier. Ces cinq mènent des actions d’éclat, symboliques d’abord, plus radicales et spectaculaires ensuite, pour dénoncer tout ce qui les révolte. Des actions qui sont inspirées de celles, par exemple, qui ont été menées lors de la journée des convergences des luttes contre le Black Friday, mais beaucoup de degré au-dessus niveau préparation comme spectaculaire. Niveau risque aussi. Nous ne vous recommandons pas forcément de tenter de les reproduire.

Des actions qui commencent par des tags et quelques vidéos, puis prennent plus d’ampleur, comme la redistribution gratuite de vêtements de marque, une séquestration d’un dirigeant NfD, qui finit dans une vitrine de musée affublé d’un uniforme nazi, des opérations visant, disons, à perturber le fonctionnement d’un fast food et d’un vendeur de 4X4, le directeur de la fameuse fabrique de papier qui se voit victime de sa propre pollution. Et ce n’est que le début. L’acmé de leurs actions est sans doute atteint lors de l’infiltration d’une soirée d’affaires, où Tristan se fait passer pour un homme d’affaire, qui, face au parterre de bourgeois rassemblés, fait un discours qu’ils approuvent tous : un discours qui renverse le paradigme 99% vs 1%, du point de vue des 1% ; les 1% sont supérieurs, car ils sont les plus dynamiques, et méritent leur richesse ; les 99% sont des jaloux à la source de tous les problèmes de ce monde, qui se porterait bien mieux sans eux. Des propos que beaucoup de monde dans les conseils d’administration des multinationales, ou au PLR, doivent penser tout bas, à défaut d’oser les proférer tout haut. Cette action, toutefois,  ne finit pas très bien, ce qui est source d’une bifurcation majeure du scénario…

La trame de l’histoire n’est toutefois heureusement pas linéaire, et ne se limite pas à une succession d’actions de désobéissance civile plus ou moins spectaculaire. Les cinq protagonistes principaux ne sont pas uniquement des militants entièrement dévoués à la Cause, mais aussi des personnes mues par leurs passions, comme le désir de reconnaissance, l’amour (la dynamique de la Vague fait aussi naître des couples), ou bien encore la quête de vengeance, qui s’entremêlent de façon parfois compliquée et contradictoire avec leur adhésion au mouvement. Et l’un parmi eux a aussi dès le départ d’autres motivations…nous n’en dirons pas plus pour ne pas spoiler.

La saison 1 de Nous, la Vague comprend 6 épisodes de 45 minutes chacun. Nous éviterons d’en dire plus sur le scénario, pour éviter le spoil. Plus intéressant pour nous, puisqu’il s’agit d’une série à contenu politique, et que nous écrivons dans un journal qui est lui aussi éminemment politique, et pas de n’importe quelle ligne politique, est la dimension proprement politique du scénario, plus précisément celle de la stratégie révolutionnaire.

Certains critiques ont dit que, pour une série qui parle de politique, le contenu politique en est singulièrement absent. On sait que la Vague est « de gauche », progressiste, engagée pour toutes les causes progressistes en vogue. Mais sur la base de quelles idées ? Quelles références idéologiques ? Ce n’est pas dut tout clair. Cette critique n’est pas vraiment fondée. En fait, si les discussions doctrinales semblent manquer – mais il s’agit d’une série après tout, essayez de faire un épisode avec une réunion de Congrès… – il y a bien une question cruciale qui est débattue par les protagonistes comme posée par le scénario. Et ce n’est pas celle qu’on a généralement voulu y voir : action violente ou non violente ; mais plutôt celle-là : quelle est la forme d’organisation révolutionnaire appropriée : l’action minoritaire ou l’organisation de masse ?

Car, s’ils ne débattent guère de programme politique, les cinq membres initiaux de la Vague ont entre eux toute de même, à plusieurs reprises, un débat de nature organisationnelle et stratégique : faut-il ou non élargir la Vague, en faire une organisation ouverte, ou bien en rester au groupuscule, clandestin, de cinq ?

Léa soutient l’élargissement, pour que la contestation se répande, pour passer à des formes de lutte de masse, et ne pas en rester à des actions d’éclat. Tristan défend fermement la clandestinité et le fait d’en rester à cinq : les actions de lutte exigent une confiance mutuelle totale, ce qui ne peut se concevoir qu’en un cercle très restreint. Léa l’emporte une première fois, mais, faute de préparation, d’organisation, ainsi que de ligne politique claire, la Vague élargie se laisse sur un coup de tête à l’assaut d’un abattoir, qui tourne mal. A notre sens, ce n’est pas la violence per se, mais le spontanéisme et l’absence de ligne politique qui est disqualifié par cette première tentative ratée.

La Vague en retourne donc à sa formule initiale, ce qui ne l’empêche pas d’aller au devant d’ennuis encore pires. L’action directe et minoritaire n’est pas forcément une option plus sûre. Au final, dans des circonstances qu’il est impossible de révéler sans spoil, c’est l’organisation de masse qui s’impose, et la violence minoritaire qui est récusée (enfin, « violence », n’exagérons rien non plus ; il est question de dommage aux biens, pas les plus recommandables qui plus est, pas aux personnes). Léa s’impose comme leader de la Vague à la place de Tristan. Une Vague qui utilise des formes de protestation non-violentes étant donnés les rapports de force dans la société. La question de la violence insurrectionnelle n’est pas posée (ce serait une toute autre série). La ligne de masse se révèle justifiée. La Vague se répand à travers l’Allemagne.

Concédons que d’autres n’ont pas fait la même lecture de cette série. Les recensions parues dans la presse bourgeoise ont plutôt vu dans la série des questionnements tels que : la violence est-elle légitime ? la fin justifie-t-elle les moyens ? un mouvement de gauche qui devient extrême n’en devient-il pas fatalement totalitaire ? Ces critiques y ont vu un questionnement lucide – de leur point de vue – sur les mouvements sociaux d’aujourd’hui, qui risqueraient de se perdre dans une forme d’extrémisme, de totalitarisme même, de perdre ce qui fait leur légitimité en allant trop loin dans la radicalité.

Admettons que tout n’est pas entièrement explicite dans la série et que chacun la voit à la lumière de ses propres questionnements et références. L’auteur de ces lignes n’interpréterait pas la série comme il fait s’il n’était pas léniniste sans doute. A contrario, les critiques de la presse bourgeoise ne voient qu’à travers le prisme de leur idéologie libérale. De ce fait, ils voient très vite du « totalitarisme » dans ce qui déplaît dans une perspective libérale et individualiste : la moindre prévalence du collectif sur la sacro sainte liberté de l’individu libre dans le marché libre peut suffire.


A quelles conclusions arriverait un lecteur du présent article en regardant Nous, la Vague ? Il devrait en tout cas trouver la série intéressante, et sans doute en résonnance avec ses propres interrogations. La première saison en tout cas mérite d’être vue. Quand elle sortira, la saison 2 rendra peut-être certaines choses plus claires.

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