Nous,
la Vague, série allemande réalisée par Daniel Gansel et diffusée sur Netflix,
se veut un remake de la Troisième Vague,
expérience sociologique menée aux USA en 1967 (visant à montrer comment un
régime autoritaire, inspiré du nazisme, peut très vite se mettre en place et
être accepté par la population), du livre qui en est inspiré, ainsi que du film
La Vague, du même Daniel Gansel,
sorti en 2008. Film qui eut un succès important, notamment parmi la jeunesse
aux sensibilités de gauche, d’après les souvenirs de l’auteur de ces lignes,
qui s’inquiétaient de la montée de l’extrême-droite et de ce qu’elle pourrait
signifier. Le film, pourtant, est politiquement superficiel. Il reprend l’idée
de l’expérience sociologique menée par un professeur sur sa classe, mais
attribue à sa Vague une idéologie tellement indéterminée que son totalitarisme en
devient vide. On en est à vrai dire à la critique platement libérale, où toute
forme de collectivisme, voire la simple entraide plutôt que la concurrence (le
professeur Wenger, leader de la Vague, impose aux élèves forts d’aider les plus
faibles ; ce qui est indiscutablement positif), sont suspectés de
totalitarisme.
Cette
fois, seul le titre, ainsi que le symbole de la Vague reste, mais l’inspiration
est clairement différente. Gansel met en scène une Vague de gauche,
anticapitaliste, écologiste, antifasciste, avec des tendances anarchisantes, et
portée à l’action directe et à la désobéissance civile, qui utilise les réseaux
sociaux pour tenter de réveiller les consciences. Un mouvement en résonnance
avec des luttes menées par la jeunesse d’aujourd’hui, sous la forme de la Grève
du Climat, ou Extinction Rébellion par exemple.
Dans
l’Allemagne d’aujourd’hui, au climat politique empoisonné par le parti
d’extrême-droite NfD en pleine ascension (acronyme quasi identique à l’AfD,
graphisme presque pareil), gangrénée par le racisme, la pollution industrielle,
l’infiltration de l’extrême-droite au sein même de la police, Tristan Broch,
adolescent charismatique et rebelle, est un nouvel élève dans un lycée d’une
petite ville. On découvre assez vite qu’il est détenu à la prison du coin, où
il retourne dormir tous les soirs, et qu’il est en phase de réinsertion, après
un passage chez les Black Blocks. Il regroupe autour de lui quatre autre
élèves : Léa, fille de bourgeois, peu portée à la contestation
initialement, mais qui se convertit à l’altermondialisme après avoir lu No Logo
de Naomi Klein (seule référence théorique de gauche présente dans la série),
offert par Tristan (bon, conversion un peu trop rapide et pas très réaliste) ;
Rahim, adolescent arabe persécuté par les néonazis, et dont la famille est sur
le point d’être expulsée par des promoteurs cupides ; Zazie, anciennement
souffre-douleur, qui devient punk et s’émancipe de cette façon ; et Hagen,
fils de paysans qui ont dû mettre la clé sous la porte suite à la pollution de
leurs terres par une usine de papier. Ces cinq mènent des actions d’éclat,
symboliques d’abord, plus radicales et spectaculaires ensuite, pour dénoncer
tout ce qui les révolte. Des actions qui sont inspirées de celles, par exemple,
qui ont été menées lors de la journée des convergences des luttes contre le
Black Friday, mais beaucoup de degré au-dessus niveau préparation comme
spectaculaire. Niveau risque aussi. Nous ne vous recommandons pas forcément de
tenter de les reproduire.
Des
actions qui commencent par des tags et quelques vidéos, puis prennent plus
d’ampleur, comme la redistribution gratuite de vêtements de marque, une
séquestration d’un dirigeant NfD, qui finit dans une vitrine de musée affublé
d’un uniforme nazi, des opérations visant, disons, à perturber le
fonctionnement d’un fast food et d’un vendeur de 4X4, le directeur de la
fameuse fabrique de papier qui se voit victime de sa propre pollution. Et ce
n’est que le début. L’acmé de leurs actions est sans doute atteint lors de
l’infiltration d’une soirée d’affaires, où Tristan se fait passer pour un homme
d’affaire, qui, face au parterre de bourgeois rassemblés, fait un discours
qu’ils approuvent tous : un discours qui renverse le paradigme 99% vs 1%,
du point de vue des 1% ; les 1% sont supérieurs, car ils sont les plus
dynamiques, et méritent leur richesse ; les 99% sont des jaloux à la source
de tous les problèmes de ce monde, qui se porterait bien mieux sans eux. Des
propos que beaucoup de monde dans les conseils d’administration des
multinationales, ou au PLR, doivent penser tout bas, à défaut d’oser les
proférer tout haut. Cette action, toutefois, ne finit pas très bien, ce qui est source
d’une bifurcation majeure du scénario…
La
trame de l’histoire n’est toutefois heureusement pas linéaire, et ne se limite
pas à une succession d’actions de désobéissance civile plus ou moins spectaculaire.
Les cinq protagonistes principaux ne sont pas uniquement des militants
entièrement dévoués à la Cause, mais aussi des personnes mues par leurs
passions, comme le désir de reconnaissance, l’amour (la dynamique de la Vague
fait aussi naître des couples), ou bien encore la quête de vengeance, qui
s’entremêlent de façon parfois compliquée et contradictoire avec leur adhésion
au mouvement. Et l’un parmi eux a aussi dès le départ d’autres motivations…nous
n’en dirons pas plus pour ne pas spoiler.
La
saison 1 de Nous, la Vague comprend 6
épisodes de 45 minutes chacun. Nous éviterons d’en dire plus sur le scénario,
pour éviter le spoil. Plus intéressant pour nous, puisqu’il s’agit d’une série
à contenu politique, et que nous écrivons dans un journal qui est lui aussi
éminemment politique, et pas de n’importe quelle ligne politique, est la
dimension proprement politique du scénario, plus précisément celle de la
stratégie révolutionnaire.
Certains
critiques ont dit que, pour une série qui parle de politique, le contenu
politique en est singulièrement absent. On sait que la Vague est « de
gauche », progressiste, engagée pour toutes les causes progressistes en
vogue. Mais sur la base de quelles idées ? Quelles références
idéologiques ? Ce n’est pas dut tout clair. Cette critique n’est pas
vraiment fondée. En fait, si les discussions doctrinales semblent manquer –
mais il s’agit d’une série après tout, essayez de faire un épisode avec une
réunion de Congrès… – il y a bien une question cruciale qui est débattue par
les protagonistes comme posée par le scénario. Et ce n’est pas celle qu’on a
généralement voulu y voir : action violente ou non violente ; mais
plutôt celle-là : quelle est la forme d’organisation révolutionnaire
appropriée : l’action minoritaire ou l’organisation de masse ?
Car,
s’ils ne débattent guère de programme politique, les cinq membres initiaux de
la Vague ont entre eux toute de même, à plusieurs reprises, un débat de nature
organisationnelle et stratégique : faut-il ou non élargir la Vague, en
faire une organisation ouverte, ou bien en rester au groupuscule, clandestin,
de cinq ?
Léa
soutient l’élargissement, pour que la contestation se répande, pour passer à
des formes de lutte de masse, et ne pas en rester à des actions d’éclat.
Tristan défend fermement la clandestinité et le fait d’en rester à cinq :
les actions de lutte exigent une confiance mutuelle totale, ce qui ne peut se
concevoir qu’en un cercle très restreint. Léa l’emporte une première fois,
mais, faute de préparation, d’organisation, ainsi que de ligne politique
claire, la Vague élargie se laisse sur un coup de tête à l’assaut d’un
abattoir, qui tourne mal. A notre sens, ce n’est pas la violence per se, mais le spontanéisme et l’absence
de ligne politique qui est disqualifié par cette première tentative ratée.
La
Vague en retourne donc à sa formule initiale, ce qui ne l’empêche pas d’aller
au devant d’ennuis encore pires. L’action directe et minoritaire n’est pas
forcément une option plus sûre. Au final, dans des circonstances qu’il est
impossible de révéler sans spoil, c’est l’organisation de masse qui s’impose,
et la violence minoritaire qui est récusée (enfin, « violence »,
n’exagérons rien non plus ; il est question de dommage aux biens, pas les
plus recommandables qui plus est, pas aux personnes). Léa s’impose comme leader
de la Vague à la place de Tristan. Une Vague qui utilise des formes de
protestation non-violentes étant donnés les rapports de force dans la société.
La question de la violence insurrectionnelle n’est pas posée (ce serait une
toute autre série). La ligne de masse se révèle justifiée. La Vague se répand à
travers l’Allemagne.
Concédons
que d’autres n’ont pas fait la même lecture de cette série. Les recensions
parues dans la presse bourgeoise ont plutôt vu dans la série des
questionnements tels que : la violence est-elle légitime ? la fin
justifie-t-elle les moyens ? un mouvement de gauche qui devient extrême
n’en devient-il pas fatalement totalitaire ? Ces critiques y ont vu un
questionnement lucide – de leur point de vue – sur les mouvements sociaux
d’aujourd’hui, qui risqueraient de se perdre dans une forme d’extrémisme, de
totalitarisme même, de perdre ce qui fait leur légitimité en allant trop loin
dans la radicalité.
Admettons
que tout n’est pas entièrement explicite dans la série et que chacun la voit à
la lumière de ses propres questionnements et références. L’auteur de ces lignes
n’interpréterait pas la série comme il fait s’il n’était pas léniniste sans
doute. A contrario, les critiques de la presse bourgeoise ne voient qu’à travers
le prisme de leur idéologie libérale. De ce fait, ils voient très vite du
« totalitarisme » dans ce qui déplaît dans une perspective libérale
et individualiste : la moindre prévalence du collectif sur la sacro sainte
liberté de l’individu libre dans le marché libre peut suffire.
A
quelles conclusions arriverait un lecteur du présent article en regardant Nous,
la Vague ? Il devrait en tout cas trouver la série intéressante, et sans
doute en résonnance avec ses propres interrogations. La première saison en tout
cas mérite d’être vue. Quand elle sortira, la saison 2 rendra peut-être
certaines choses plus claires.
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