21 décembre 2021

Pénuries d’électricité annoncées : que faire ? Compte-rendu du débat public organisé par le Parti du Travail le 10 décembre 2021


De gauche à droite : Morten Gisselbaek, Zakaria Dridi, Alexander Eniline, Teo Frei, Pierre Eckert

 

 

L’information ne vous aura sans doute pas échappé, puisque les médias en ont abondamment parlé, sur un ton volontiers anxiogène : le risque de pénuries d’électricité en Suisse devient réel, pouvant aller jusqu’à plusieurs jours de black-out. Une analyse superficielle pourrait faire penser que le problème est dû aux relations compliquées actuellement avec l’UE, mais le fait est que d’autres pays rencontrent aussi ce problème. Une des raisons pourquoi l’UE ne souhaite pas renouveler l’accord sur l’électricité est qu’elle-même risque d’en manquer. La Chine est obligée d’imposer un ralentissement d’activité à ses entreprises pour ne pas courir le risque de devoir couper le courant à la population. La hausse des prix de l’énergie et des matières première, les pénuries déjà existantes et les menaces de pénuries sont une tendance généralisée.

 

Alors, que faire ? Certains n’hésitent pas à prôner la relance du nucléaire. D’autres disent qu’il faut massivement développer les énergies renouvelables, mais cela pour garder une consommation d’énergie constante, et augmenter notablement la production d’électricité pour remplacer les énergies fossiles. Cela est-il seulement réaliste ? Des économies d’énergie, une sobriété énergétique ne sont-elles pas indispensables ? Le fait est que, pendant presque deux siècles, le capitalisme fut alimenté par les énergies fossiles et les matières premières à bas coût. Mais cette époque est révolue. Le système en place bute sur les limites naturelles de la planète. Vouloir continuer la gabegie actuelle n’est ni réaliste ni même souhaitable. Ce serait la certitude de rendre la Terre inhabitable. Un changement de modèle est aujourd’hui nécessaire. Mais quel modèle alternatif adopter ? Et comment y arriver ? On voit que cette question d’une possible rupture d’approvisionnement d’électricité amène à soulever plusieurs enjeux cruciaux.

 

Pour discuter de ces importantes questions, le Parti du Travail avait organisé un débat public le 10 décembre 2021. Avec un parterre d’intervenants de qualité, et assurant une raisonnable diversité d’opinions. Nous avions été heureux de compter sur la présence de : Zakaria Dridi, gymnasien, membre du POP Vaud, gréviste pour le climat ; Pierre Eckert, député Vert au Grand Conseil, physicien et météorologue ; Teo Frei, étudiant, gréviste pour le climat, membre du groupe écosocialiste de solidaritéS ; et Morten Gisselbaek, architecte, membre du PdT, ancien conseiller municipal. Aucune femme malheureusement, mais ce n’était point notre faute. Tous les intervenants invités – parmi lesquels plusieurs intervenantes – n’ont pu répondre par la positive à notre invitation. Le public fut au rendez-vous, et le débat fut riche et intéressant.

 

Il est en effet crucial d’empoigner ces problèmes, et de leur apporter des réponses progressistes. Pour l’instant, c’est l’UDC qui est à l’offensive sur cette question. Le parti blochérien a récemment publié un document sur l’approvisionnement en électricité, autour duquel il a fait beaucoup de bruit. Un papier qui a l’air bien fait, documenté, mais qui est aussi passablement démagogique, dans le plus pur style UDC. Rodomontades contre la stratégie énergétique 2050 du Conseil fédéral (qui serait inefficace) la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga – qui aurait le choix d’obtempérer aux injonctions de l’UDC ou d’être dessaisie du dossier –, présentation de la situation sur un ton anxiogène : on court à la catastrophe ! la patrie est danger ! Sans oublier le bavardage sur la « gauche rose-verte », accusée de détruire la Suisse, ni les affirmations comme quoi, s’il y a un problème d’approvisionnement en électricité, c’est à cause de l’immigration. Véritable pensée magique : quel que soit le problème, la cause, ce sont les étrangers, les virer est la solution. Après tout, pourquoi réfléchir ? Il est vrai qu’il y a des élections fédérales en 2023…Il est important d’empoigner ces enjeux, ne serait-ce que pour empêcher que l’extrême-droite ne les monopolise, et ne les détourne en un sens nationaliste, plutôt qu’écologique et social, comme il faudrait les traiter.

 

Quant aux solutions proposées par l’UDC, c’est : les énergies renouvelables ne sont pas efficaces, alors, pour sortir du fossile, il faut renforcer l’hydraulique et relancer le nucléaire. Or, le nucléaire n’est pas une solution. Outre le problème, irrésolu à ce jour, des déchets, et du coût réel (si on prend en compte les frais de démantèlement des centrales qui ont fait leur temps), les risques sont trop élevés : un accident sérieux impliquerait d’évacuer une partie de la Suisse pour des dizaines, voire des centaines d’années. Vers où ? Et la faisabilité politique est nulle. Avec toutes les complications légales et la durée des travaux, une nouvelle centrale ne pourrait pas être mise en service avant 2050. Or c’est maintenant qu’il faut des solutions. 

 

Or, la Suisse ne risque pas réellement de pénurie. La bourgeoisie suisse est suffisamment riche pour conserver ses positions – et l’infrastructure nécessaire pour cela, dont l’énergie – pendant encore un moment. Ce sont d’autres parties du monde qui payeront hélas pour que les pays riches continuent leur gabegie. Et, si on circonscrit le problème à l’approvisionnement de l’électricité en Suisse stricto sensu, il n’est pas insurmontable. Il est faux de penser que la demande d’électricité augmente de façon incontrôlable. La consommation d’électricité dans notre pays a été stabilisée ces dernières années. Les progrès en matière d’efficacité énergétique sont réels et significatifs. Et, même si on voulait remplacer toutes les énergies fossiles par l’électricité (remplacer les voitures thermiques par des voitures électriques par exemple), une hausse de la production d’électricité de 20% suffirait. C’est si on considère tous les enjeux sous-jacents, si on élargit la focale, que le problème apparaît dans toute son ampleur.

 

Pour ce qui concerne l’approvisionnement en électricité, une marge importante existe pour le développement du renouvelable, solaire et éolien. Que ces sources d’énergies soient intermittentes n’est pas un problème insurmontable. Des solutions de stockage existent. Centralisées, avec des centrales de pompage-turbinage. Ou locales. D’ailleurs, un système plus décentralisé aurait l’avantage d’être plus résilient, plus souple, et de minimiser les gaspillages. Mais si l’on veut sortir du nucléaire, il faudra compenser par des économies d’énergie proportionnelles. 

 

Il existe d’autres raisons pour la sobriété énergétique. La technologie ne saurait être la solution miracle. Il n’est ni raisonnable ni souhaitable de continuer la gabegie actuelle, le modèle d’économie linéaire, génératrice de gaspillages colossaux, même si l’approvisionnement en énergie peut être assuré pendant encore quelque temps. Car les solutions technologiques – mêmes les plus « vertes » – nécessitent une quantité phénoménale de métaux, dont certains sont fort rares sur notre planète, et qu’on en a extrait plus en quelques décennies que durant toute l’histoire de l’humanité. Les infrastructures requises exigent une quantité toute aussi considérable de béton, filière pourtant très polluante et émettrice de CO2. Et ce qui semble « vert » ne l’est pas toujours si on regarde sur toute sa chaîne de production. Le bilan écologique d’une voiture électrique est par exemple loin d’être bon. S’agissant de technologie, non seulement elle ne résoudra pas tout, mais il faut là aussi faire preuve de mesure. En particulier, il faut refuser le principe selon lequel il faudrait tout digitaliser (sans même réfléchir si c’est vraiment utile). Car le numérique – malgré son image d’immatérialité – est un secteur extrêmement énergivore et consommateur de ressources. Il faut en faire un usage raisonnable.

 

Ce ne sont à vrai dire pas les solutions techniques – qui existent et sont connues ; même s’il y a matière à débat pour nombre de leurs aspects, toutes ces questions peuvent être rationnellement résolues – qui posent problème, mais l’acceptabilité politique des mesures, les conditions subjectives pour les changements radicaux requis. Le moins que l’on puisse dire est que le système en place est peu favorable à une telle rupture, et manifeste une inertie désespérante. Il est indispensable d’en changer. Oui, mais comment ? La première chose à dire que, pour être socialement acceptable, l’écologie doit être sociale. Des solutions punitives, basées sur des taxes, qui frappent durement les gens modestes, les moins responsables de la catastrophe en cours, tout en permettant aux plus riches – dont le mode de vie est écologiquement insoutenable – de continuer comme avant, ne seront pas acceptées par le peuple. Mais si les changements sont socialement justes, ils peuvent non seulement être réalistes, mais aller dans le sens du progrès social. Des solutions collectives et égalitaires, la socialisation de la production et de la consommation, sont de mise : la meilleure mesure en faveur du transfert modal est la gratuité des transports publics. Des mesures de rationnement seront sans doute inévitables. Une façon de procéder socialement juste est l’établissement de quotas de consommation par personne (de voyages en avion par exemple).

 

Des mesures réellement radicales ne pourront être réellement mises en place sans sortir du capitalisme. Pour le Parti du Travail, le seul système pouvant prendre la place du capitalisme est le socialisme. Mais un socialisme qui devra faire face à des enjeux différents de ceux du socialisme réel du XXème siècle – il ne devra pas viser le but de développer au maximum les forces productives pour sortir le pays de la pauvreté, mais mieux repartir une production soutenable – et pour cette raison devra fonctionner de façon un peu différente.

 

Certes, il n’est plus réaliste de nos jours de regarder vers l’avenir avec la même certitude qu’autrefois. Le scénario du pire – que nous ne puissions pas empêcher le capitalisme d’entraîner l’humanité vers l’abîme – est malheureusement plausible, et doit être pris au sérieux. Mais il n’est pas non plus certain, et peut être empêché. L’avenir n’est pas obligé d’être sombre. C’est à nous, à nos luttes, qu’il revient de faire en sorte qu’il ne le soit pas. Le débat que nous avions eu le 10 décembre n’a pas permis d’aboutir à des réponses définitives aux questions qui y étaient posées – mais celles-ci sont trop vastes et trop complexes pour être épuisées en un si bref laps de temps – ; il a en tout cas été utile et inspirant pour avancer vers la résolution de ces enjeux cruciaux pour l’avenir de l’humanité.

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