21 décembre 2021

Solidarité avec nos camarades du HDP, persécutés par le régime d’Erdogan

Le 2 décembre 2021, le PST-POP avait rencontré, à Berne, une délégation de parlementaires du HDP, composée de Feleknas Uca (Vice-présidente du HDP, Co-Porte-parole de la Commission des Relations Extérieures & Parlementaire de Batman) ; Tülay Hatimogullari (co-présidente adjointe du HDP & parlementaire de Hatay) ; Nejdet Ipekyüz (parlementaire HDP de Batman) ; et Devriş Çimen, représentant européen du HDP, venus en Suisse dénoncer la répression dont ils font l’objet et chercher des soutiens. Nous avons assuré nos camarades de Turquie de tout le soutien qu’il nous sera possible de leur témoigner.



La Turquie glisse toujours plus dans les ténèbres et le despotisme. Aujourd’hui, c’est le HDP (Parti démocratique des peuples) – parti formé d’une coalition de partis et d’organisations de gauche radicale et qui défend la cause kurde – qui est la cible d’une procédure d’interdiction de la part du parquet turc, victime d’une persécution grossièrement politique, en réalité pour le seul « crime » d’avoir rassemblé plus de 10% des voix, et de porter un programme qui déplaît au régime en place, celui du président Recep Tayyip Erdogan. Il est de notre devoir d’être solidaires de nos camarades du HDP, et pour commencer d’informer le public de la vraie nature dudit régime.

 

Un régime islamofasciste 

 

Le régime dirigé par le président Erdogan peut être proprement qualifié d’islamofasciste. Erdogan lui-même est un idéologue islamiste, qui inspire toute cette sinistre mouvance au Moyen Orient. Il n’hésite d’ailleurs pas à dire ouvertement qu’il a les mêmes idées que Talibans. Ce régime repose sur une coalition entre deux partis : l’AKP, « Parti de la justice et du développement » (qui dans les faits a apporté l’injustice et la gabegie économique), parti d’Erdogan, islamofasciste, et d’un partenaire minoritaire, le MHP (Parti d’action nationaliste), parti national-fasciste (très proche des partis fascistes tels que l’Europe n’en a que trop connu). La Turquie a connu son lot de fausses démocraties et de vraies dictatures, mais jamais n’a eu encore un gouvernement aussi infâme.

 

Pour être sans nuance, la qualification de « fasciste » n’est pas abusive pour le régime actuellement en place en Turquie. Non pas en sens vague et générique, pouvant qualifier n’importe quel mouvement d’extrême-droite, mais dans la mesure où la Turquie présente aujourd’hui des ressemblances inquiétantes avec les régimes fascistes du XXème siècle. Si elle n’est pas formellement une dictature, la Turquie n’est en tout cas plus une démocratie. Les libertés politiques n’existent plus guère, la liberté de manifester n’est pas respectée. Les syndicats n’arrivent à mobiliser qu’une fraction de leur potentiel militant, car les gens craignent trop la répression pour se mobiliser ouvertement. La liberté de la presse n’est qu’un lointain souvenir. Il n’y a plus de presse indépendante qui puisse paraître. Celle qui existe est ou ouvertement liée au régime, ou achetée, ou contrainte par une censure de fait. L’État de droit a depuis longtemps disparu. Plus de mille académiciens ont été licenciés pour délit d’opinion : ils avaient signé une pétition pour la paix au Kurdistan. Il n’y a plus de justice indépendante. Les tribunaux sont tous à la botte d’Erdogan. Aucun procureur n’ose ouvrir une procédure à l’encontre d’agents du régime. Aussi les crimes commis par les mafias liées au pouvoir, les meurtres d’opposants, les crimes pédophiles commis par des religieux…ne sont jamais poursuivis.

 

Une opposition légale existe certes toujours en Turquie, mais de plus en plus difficilement vus l’acharnement du régime à l’éradiquer, ainsi qu’une opposition révolutionnaire en réalité nombreuse, mais peu visible, car réprimée. Actuellement, ce sont nos camarades du HDP qui sont victimes de cette répression. Plus de 10'000 membres de ce parti – à tous niveaux, des militants de base jusqu’à la présidence – sont emprisonnés ; presque tous les maires élus sous l’étiquette HDP ont été arbitrairement destitués et remplacés par des administrateurs temporaires à la solde du régime ; et le HDP pourrait être prochainement interdit. Mais toutes ces persécutions ne pourront jamais réduire le HDP au silence.

 

Des persécutions arbitraires et illégales qui plus est. Dernièrement, le Tribunal constitutionnel de Turquie a intimé au gouvernement de libérer Selahattin Demirtas, Coprésident du HDP, et Osman Kavala, homme d’affaires, philanthrope et opposant au régime. Le gouvernement a décidé d’ignorer le verdict de la juridiction la plus haute de son pays. Les avocats des deux prisonniers d’opinion ont mené l’affaire jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme, qui a conclu que la détention était dans les deux cas arbitraire, sans verdict valablement prononcé, donc purement politique. Elle a exigé leur libération, sans que le régime obtempère. La Turquie risque l’exclusion du Conseil de l’Europe pour cela.

 

Principal parti d’opposition, le CHP (Parti républicain du peuple), parti du premier président Mustafa Kemal Atatürk et officiellement social-démocrate, est pour l’instant toléré, mais même lui commence à être victime de persécutions judiciaires de la part du pouvoir, ainsi que de menaces de mort venant des mafieux proches du régime.

 

Un régime semi mafieux

 

Ce régime a également une troisième composante non-officielle, mais essentielle : la mafia turque. Une amnistie spéciale a été ordonnée il y a une année, dans le seul but de libérer des leaders mafieux « utiles ». Le parrain de la mafia le plus important lié au régime est Alaattin Çakici, actif dans le commerce de drogue, le racket et la prostitution, ayant une armée loups gris (fascistes turcs) sous ses ordres. Il est également habitué des menaces de morts proférés contre des opposants au gouvernement – dont nombre de membres du HDP, mais également le président du CHP, ont fait les frais – et certainement d’un grand nombre de meurtres, jamais élucidés.

 

Un autre boss majeur de la mafia, un temps allié du gouvernement, mais rival du précédent, est Sedat Peker, lui aussi un fasciste (son signe de reconnaissance est celui des loups gris). Un personnage peu recommandable : lui aussi spécialiste des menaces de morts, il avait déclaré à l’intention des universitaires qui avaient signé une pétition pour la paix avec les Kurdes qu’il « allait faire couler leur sang et prendre une douche avec ». Mais le fait est qu’il s’est retrouvé en difficulté, et a dû fuir aux Émirats Arabes Unis. Un procureur lui avait téléphoné en personne pour l’avertir qu’il risquait d’être arrêté s’il ne quittait pas la Turquie. Depuis, il a rompu avec le gouvernement et, par vengeance, diffuse régulièrement sur YouTube des vidéos remplies d’accusations, sans preuves mais non dénuées de crédibilité, portant sur toutes sortes d’affaires criminelles dans lesquelles le régime est impliqué. Des accusations dévastatrices pour le régime d’Erdogan. Un journaliste de l’agence d’informations publique a été licencié pour avoir osé poser une question à un ministre à ce sujet. En revanche, aucune enquête n’a été ouverte à la suite de ces accusations contre ne serait-ce qu’un seul agent du régime…

 

Il accuse notamment l’État turc d’être impliqué dans le commerce de drogue. Il semble que de la cocaïne en provenance de Colombie est régulièrement déchargée à Izmir, où elle est livrée par bateau. Le gouvernement colombien n’a obtenu aucune réponse sérieuse, ni aucune ouverture de procédure pénale dans ce dossier. L’opposition accuse le régime de trafic de drogue à large échelle.

 

La Turquie a exigé l’extradition de Sedat Peker au gouvernement des Émirats, sans que cette demande ne soit satisfaite. Depuis, les deux pays sont en froid.  Il faut dire que la Turquie a accusé les USA, l’UE, l’Arabie saoudite et les Émirats d’être derrière le putsch raté de 2015…

 

Un régime corrompu et incompétent

 

La crise économique et sociale née du Covid aurait été dure en Turquie sous n’importe quel gouvernement, tant que le capitalisme y règne. Mais l’incompétence doublée à la corruption du régime d’Erdogan en a fait une calamité sans précédent.

 

Le système économique en place en Turquie est un capitalisme monopoliste d’État particulièrement dispendieux, inefficace, corrompu, laissant la place belle au népotisme et aux détournements de fonds, ainsi qu’à un capitalisme sauvage à base de chantiers à la légalité douteuse et de ravages profonds à l’urbanisme. Comme par hasard, depuis qu’Erdogan est au pouvoir, tous les grands chantiers – ponts, autoroutes, aéroports, infrastructures, etc. – sont attribués, sans appel d’offre, à cinq oligarques, fascistes et religieux, qui se trouvent par ailleurs être ses amis. Des chantiers facturés plus du double du prix normal. D’après une enquête du HDP, toutes ces sommes sont détournées en passant par le Qatar, et garantis par des tribunaux anglais. Si bien que non seulement ces cinq oligarques se soient enrichis considérablement, mais cette part mal acquise de la richesse nationale pourrait difficilement être recouvrée par un gouvernement démocratique qui remplacerait celui d’Erdogan (qui se serait lui-même bien rempli les poches dans toutes ces affaires…)

 

Erdogan a également pris le contrôle de la Banque centrale de Turquie, dont il a supprimé de fait l’indépendance et changé quatre présidents en un bref laps de temps. Non pas que l’indépendance de la banque centrale soit un principe intangible, mais encore faut-il que le gouvernement soit compétent pour la gérer, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence. Erdogan a forcé la banque centrale à baisser les taux d’intérêt (sous peine de licenciement pour sa direction). Cette dévaluation n’a amené aucune reprise économique, mais a conduit à un effondrement de la Lire turque, qui a perdu 45% depuis le début de l’année 2021, dont 30% ces trois derniers mois. D’où a suivi une inflation catastrophique, pour un pays qui importe la majeure partie de ses biens de consommation, et où opèrent les mêmes chaînes de magasins qu’en Europe (et qui pratiquent les mêmes prix que dans l’UE).

 

Cette combinaison détonante de corruption et d’incompétence a conduit à une véritable catastrophe sociale. La pauvreté était en effet déjà massive en Turquie. Le salaire minimum y est ainsi scandaleusement bas : 187$ par mois (très bas) = 2225 lires. Ce qui est en dessous du seuil de pauvreté absolue, fixé à 8'000 lires par mois, soit 500$. En comparaison, le salaire minimum le plus bas dans l’UE est en Bulgarie : un peu plus de 300€ par mois. La crise actuelle a conduit à une véritable misère de masse. Beaucoup de gens souffrent de la faim, et sont obligés de faire les poubelles pour survivre.

 

Un régime impérialiste et va-t’en guerre

 

Pendant que le peuple souffre, Erdogan fantasme de restaurer la grandeur impériale passée, et a impliqué la Turquie dans des guerres tous azimuts au nom de son idéologie islamiste. Guerre contre les Kurdes, au nord de la Syrie (deux incursions meurtrières à ce jour), au nord de l’Irak, guerre contre les Yézidis. Implication dans la guerre civile libyenne, aux côtés du président, islamiste, en poste à Tripoli, contre le maréchal Haftar, au service du parlement, sis à Benghazi, et soutenu par une coalition rassemblant la Russie et les pays occidentaux. Pour cette implication en Lybie, la Turquie paye une armée privée et non officielle, SAADAT, créée par le premier conseiller d’Erdogan, ancien général d’armée ; avec l’armée officielle présente en renfort. Sans parler de l’épreuve de force avec la Grèce, ni de la 

 véritable guerre civile déchaînée par le régime au Kurdistan turc.

 

Outre cette implication militaire directe, le régime d’Erdogan soutient activement les islamistes au Moyen Orient. Tous les moyens de l’État, les services secrets notamment, sont mis à contribution pour cela. Environ 80'000 islamistes auraient combattu en Syrie, avec une solde payée par l’État turc (bien supérieure au salaire minimum turc), contre le régime de Bachar El Assad. C’est que El Assad est alévi (un courant libéral du chiisme, considéré comme hérétique par les islamistes), et que la révolte contre lui est d’inspiration islamiste sunnite. Sans parler des intérêts économiques et géopolitiques évidemment. En raison de cette politique, le Qatar est le seul allié de la Turquie dans la région. Pour cette même raison, l’UE l’a mise dans la liste grise des États qui soutiennent le terrorisme depuis un mois.

 

Cette politique impériale est toutefois au-dessus des moyens de la Turquie, proprement dispendieuse. Le peuple souffre de toutes ces guerres, dont il paye le prix, et qui l’enfoncent dans la misère. Selahattin Demirtas a dénoncé cette politique de guerre, criminelle et ruineuse, chiffres à l’appui. Ce n’est pas la moindre raison de la haine que lui voue le régime…

 

Un régime obscurantiste

 

L’incompétence sans limite manifesté par le régime AKP n’est pas surprenante dans la mesure où il s’appuie sur des islamistes profondément ignorants, dont les compétences s’arrêtent à leur vision obscurantiste de la religion. En commençant par le président Erdogan en personne. La loi turque exige en effet que, pour accéder à la présidence de la République, il faille présenter un diplôme universitaire. Erdogan a bien présenté une copie d’un diplôme d’économie censément obtenu à l’Université de Marmara…sauf qu’il s’agit d’un faux. Il n’existe aucune trace du passage d’un étudiant nommé Recep Tayyip Erdogan dans les archives de cette université, qui est obligée de se taire, vue qu’elle fait l’objet de pressions de la part du régime, et qu’un recteur islamiste lui a été imposé. En réalité, Erdogan a étudié dans un lycée religieux – type d’institution dans laquelle il ne faut pas voir l’équivalent des lycées catholiques français, qui dispensent souvent une très bonne formation, mais d’un lieu de formation obscurantiste, après lequel il n’est pas possible de s’inscrire à l’université.

 

Le président Erdogan n’est pas une exception. La politique des cadres du régime est de recruter, pour des postes à responsabilité de tout niveau, y compris les plus élevés, des religieux, militants de l’AKP (ou à la rigueur du MHP), à l’exclusion de tout autre critère, que ce soit d’études, de diplômes, de publications ou de compétences. Des islamistes complètement incultes se retrouvent ainsi à occuper les plus hautes questions. La gabegie était à prévoir…

 

À l’Université de Bogaziçi, c’est ainsi un islamiste totalement ignorant, sans diplôme, sans publications, ni aucun lien avec l’université, qui fut nommé recteur. Les étudiants sont en grève pour protester contre cette décision…

 

Un obscurantisme dangereux. Lorsque Erdogan transforma officiellement Sainte Sophie en mosquée, tous les islamistes s’y sont rendus à la prière du vendredi pour fêter cet événement. Le président des affaires religieuses (dignitaire d’un niveau ministériel) est monté parler en chaire ceint d’une épée, évocation explicite de la guerre sainte menée naguère pour, notamment, islamiser les Kurdes, par la force des armes. Ce qui évoque aujourd’hui encore des souvenirs douloureux pour les Kurdes, et est ressenti comme une menace non dissimulée.

 

Un régime rétrograde, qui liquide tout l’héritage progressiste, pourtant relatif, de la Turquie

 

Le projet de l’AKP est de revenir à un Moyen Age fantasmé, aux temps du Prophète tels qu’ils se l’imaginent, et qui n’ont jamais existé. Pour illusoire que soit ce projet de retour en arrière, il a pour conséquence pratique la liquidation de tous les acquis progressistes de la République Turque, pourtant limités, s’agissant d’un État colonialiste, peu progressiste, qui ne connut qu’une démocratie très relative et une succession régulière de dictatures militaires.

 

Il convient ici de revenir un peu en arrière, d’inscrire la situation actuelle de la Turquie dans son histoire. Durant la Première Guerre mondiale, l’Empire Ottoman tenta de jouer sa dernière carte en s’alliant à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie. Comme pour ces deux empires, la défaite lui fut fatale. Les vainqueurs souhaitaient se partager les décombres d’une puissance qui naguère avait fait trembler l’Europe. Le traité de Sèvres, traité de capitulation signé en 1920 par le sultan Mehmed VI, prévoyait le démantèlement de l’empire, un Kurdistan autonome et une Arménie indépendante. Mais, après le génocide, il ne subsista de territoire arménien que la République soviétique d’Arménie. L’autonomie kurde ne fut jamais réalisée. Une partie de la Thrace revint à la Grèce. La France et l’Angleterre se partagèrent la Syrie, le Liban, la Palestine et la Mésopotamie. Des parties de l’Anatolie étaient occupées militairement par les vainqueurs de la guerre. Mais la décision finale sur le sort de la Turquie fut remise à plus tard.

 

Tous les Turcs n’étaient pas prêts à se résigner à ce démembrement et à cette occupation militaire de leur pays. Mustafa Kemal, auquel le parlement de la République turque accordera le patronyme d’Atatürk pour son œuvre, général et héros de guerre, mais aussi, secrètement, révolutionnaire et opposant au régime impérial (et qui, par ailleurs, avait lu près de 6'000 livres), refuse de l’accepter. Il organise donc un congrès pour refuser cette occupation, et conduit la lutte armée pour libérer la Turquie des occupants étrangers, et contre le sultan qui s’était soumis à leur volonté.

 

Une lutte soutenue par Lénine et le jeune pays des Soviets, au nom des principes anti-impérialistes, et pour desserrer quelque peu l’encerclement impérialiste du premier État prolétarien de l’histoire. Une partie de la Turquie occupée par l’armée tsariste, à la frontière géorgienne, lui fut rendue. L’URSS apporta un soutien important à la nouvelle République turque, et aida à son industrialisation. Un soutien pour lequel Atatürk était reconnaissant – et promettait une amitié éternelle – et qui dura jusqu’à sa mort, en 1938.

 

La nouvelle Turquie se voulait démocratique. Un parlement fut élu en 1920, dont Atatürk tenait son mandat. La République fut instaurée en 1923, dont il devint le premier président. Ce fut un régime plutôt autoritaire, mais qui entreprit des réformes progressistes majeures. Des réformes visant à la modernisation et à la sécularisation du pays. Le califat fut aboli, et la laïcité instaurée. Les sectes religieuses furent dissoutes (aujourd’hui, elles dirigent la Turquie dans l’ombre du régime d’Erdogan). L’habillement européen fut imposé. L’alphabet latin remplaça l’alphabet arabe. Et l’égalité hommes-femmes fut introduite, au moins sur le plan légal. Les femmes reçurent les droits politiques, en 1934. Aux premières élections auxquelles elles purent participer, en 1937, 18 femmes furent élues au parlement. Atatürk eut également le mérite d’avoir compris, et dénoncé, le danger que représentait Hitler pour le monde, et d’avoir tout fait pour tenir la Turquie éloignée de la nouvelle guerre.

 

Mais ses mérites ne doivent pas faire oublier sa part d’ombre. C’était un dirigeant nationaliste, qui réprima dans le sang les revendications nationales du peuple kurde. En 1925, la République turque écrasa un soulèvement kurde, dirigé par le Sheikh Sait. Cette répression fut justifiée par le prétexte qu’il s’agissait d’un mouvement réactionnaire, conduit par un leader religieux et féodal, qui plus est allié aux britanniques (qui avaient leurs propres raisons de vouloir affaiblir la nouvelle Turquie). Un gouvernement réellement révolutionnaire n’aurait pas agi ainsi. Le Kurdistan était une colonie, et les revendications portées par la révolte du Sheikh Sait étaient légitimes, bien qu’exprimées sous forme religieuse. En 1930, le soulèvement d’Agri, révolte kurde cette fois-ci explicitement nationale et non religieuse fut violemment réprimée. Et, en 1937-1938, la répression d’une révolte à Dersim fit plus de 40'000 morts, un véritable génocide. La République turque amena aussi l’achèvement de la colonisation turque au Kurdistan, dans la violence.

 

Malgré sa part d’ombre, les acquis de la République turque furent bel et bien réels. La Turquie fut également, en réalité, un pays très révolutionnaire, doté d’une mouvement révolutionnaire puissant et théoriquement solide. Un mouvement face auquel la bourgeoisie turque estima n’avoir d’autre choix que de recourir à une succession de juntes militaires. Ce sont ces acquis que le régime d’Erdogan s’emploie à démolir, tout en aggravant encore ce qu’il y avait de négatif.

 

Mais, aussi malfaisant fût-il, le régime d’Erdogan n’a pas à ce jour établi de dictature complètement consolidée. Complètement discrédité, il a peur – à juste titre – d’une débâcle aux prochaines élections. Ce régime peut et doit être vaincu. Il est de notre responsabilité internationaliste de soutenir, ici en Suisse, la juste lutte des travailleurs et de tous les progressistes en Turquie, nos camarades du HDP, ainsi que les revendications légitimes du peuple kurde, dans toutes les parties du Kurdistan ; la juste aspiration à un Kurdistan unifié, indépendant et démocratique.

 

Alexander Eniline (avec la participation de Burhan Aktas)

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