07 février 2022

Non à la suppression du droit de timbre, un combat de classe fondamental

 


La pandémie n’est pas encore finie, l’encre n’a même pas eu le temps de sécher sur les différentes publications liées à l’étrange débat sur le « monde d’après » – qui devait être plus solidaire que celui d’avant le Covid – que la droite suisse montre pleinement qu’elle n’en a rien appris, et qu’elle est toujours dans ses vielles lubies de l’ère Reagan et Thatcher, puisque nous sommes appelés à voter sur une nouvelle baisse d’impôt pour le capital : la suppression du droit de timbre d’émission.

 

Qu’est-ce que le droit de timbre ?

 

Les droits de timbre sont des taxes prélevées sur l’émission et la négociation de titres. Impôt introduit il y a un siècle, il a été nommé ainsi parce qu’à l’époque un stampel était réellement apposé sur les titres en question. Cela rapporte à la confédération 2,2 milliards de francs suisses au moins de recettes annuelles.


La Confédération reconnaît trois types de taxes de timbre :

  1. Droit de timbre d’émission (sur l’émission d’actions, actions ordinaires). Recettes : 250 millions par an  
  2. Impôt sur le chiffre d’affaires (sur l’achat et la vente de titres). Recettes : 220 millions par an 
  3.  Prélèvement sur les primes d’assurance (sur les primes d’assurance responsabilité civile, incendie, ménage). Recettes : 1,8 milliard par an.
Le vote du 13 février ne portera que sur le droit de timbre d’émission, qui rapporte 250 millions par an, puisque, pour l’instant, la majorité de droite n’a décidé de supprimer que celui-là. Mais la suppression de tous les droits de timbre fait partie de ces projets à terme, même si elle affirme y avoir renoncé, pour l’instant en tout cas. Alors que nous n’avons pas même voté sur l’abolition du droit de timbre d’émission, il nous faut déjà récolter pour un référendum contre l’abolition de l’impôt anticipé sur les obligations (200 millions de francs par année). Ce n’est pas la seule baisse d’impôts dans l’agenda politique de la droite

 

La taxe d’émission sur les capitaux propres s’élève à 1 % sur l’émission d’actions, d’apports de capitaux, de parts sociales coopératives, etc., pour les sociétés nationales. Une contribution très modeste donc. Les coopératives à but non lucratif sont exemptées.

 

Pour les nouvelles entreprises, ou l’augmentation du capital propre, le premier million de francs est exonéré de droit de timbre. En cas de restructuration, le montant exonéré d’impôt peut atteindre 10 millions de francs.

 

Qui profiterait de la suppression du droit de timbre d’émission ?

 

« Nos PME », prétend la droite, conformément à une rhétorique usée jusqu’à la corde. Un symptôme qui ne trompe pas : quand la droite prétend défendre les PME, elle n’agit en réalité qu’en faveur des grandes entreprises et des multinationales.

 

C’est le cas en l’occurrence. Il y a quelques 600'000 entreprises en Suisse. Parmi elles, 2'300, soit 0,3% du total, ont payé un droit de timbre en 2019. Et 33 entreprises seulement représentent la moitié du droit de timbre acquitté. Ce qui implique qu’elles ont levé de l’ordre de 100 millions de francs chacune. Faut-il vraiment faire un cadeau fiscal à ces « PME » ? Un quart du droit de timbre d’émission est d’ailleurs acquitté par entreprises basées dans le canton de Zoug, plus célèbre pour ses sociétés boîtes aux lettres que pour ses PME.

 

En outre, le droit de timbre d’émission est principalement acquitté par les entreprises et les groupes du secteur financier. Par conséquent, ils seraient les principaux bénéficiaires de son abolition.

 

Les droits de timbre servent également à corriger la sous-imposition de la finance, puisque les services financiers sont exonérés de TVA en Suisse, qui n’a ni impôt sur les gains en capital ni taxe sur les transactions. Trop dur pour ces « pauvres » entreprises de payer une modeste taxe de 1%, alors que nous sommes toutes et tous soumis à une TVA de 2,4% à 7%, quel que soit notre revenu ?

 

Mais la droite prétend que l’abolition du droit de timbre ne serait pas un cadeau, mais une mesure de relance de l’économie après la crise du Covid – inutile pourtant, parce qu’une telle relance n’est pas nécessaire, l’économie suisse se portant bien, et que les entreprises qui en auraient besoin sont de vraies PME et n’en bénéficieraient de fait pas – de promotion économique, et de soutien aux startups. Ce serait apparemment une épouvantable injustice que des entreprises doivent payer des impôts sur leur capital propre avant même d’avoir perçu des bénéfices, que ce serait décourager l’innovation et l’investissement en capital propre (et par conséquent encourager l’endettement). Rappelons que le droit de timbre a été mis en place par les ancêtres du PLR. Pourquoi ne se sont-ils pas aperçus de la « terrible injustice » ?

 



Mais les startups ont-elles seulement besoin de ce cadeau fiscal ? La réponse est non. Les startups se portent très bien dans notre pays. Le Temps – un journal libéral, comme tout le monde le sait – faisait état dans son édition du 28 janvier 2022 d’un intéressant rapport qui établit clairement que les startups suisses n’ont jamais levé autant de fonds propres qu’en 2021 (cf. graphique reproduit ici). Visiblement, le droit de timbre d’émission n’a pas été un obstacle pour attirer les capitaux. Pour la petite histoire, l’éditorial du même numéro du Temps appelle à voter Oui à l’abolition du taux de timbre, au nom du soutien aux startups. Quand l’idéologie néolibérale est plus forte que les faits…

 

Qui payerait pour ce cadeau fiscal ?

 

Nous payerions toutes et tous la facture ! Les 250 millions qui n’entreraient plus dans les caisses de la Confédération à la suite de la suppression du droit de timbre, manqueraient pour les hôpitaux, les services publics, l’éducation ou pour la réduction des primes d’assurance maladie, par exemple.

 

La droite prétend que 250 millions ne représentent qu’une partie infime des rentrées de la Confédération, et que leur perte ne poserait pas de problème ni n’impliquerait aucune coupe. Certes. S’il n’y avait que cette baisse d’impôts là de prévue. Mais elle s’inscrit dans une tactique des tranches de salami, une offensive pour des baisses d’impôt sur le capital et pour les riches, dont chacune est indolore prise en soi, mais qui, cumulées, impliquent des pertes de rentrées plus que considérables.

 

Non à une nouvelle offensive néolibérale

 

Derrière la rhétorique hypocrite de campagne, il faut voir le véritable projet derrière la suppression du droit de timbre, qui est celui d’une nouvelle offensive néolibérale. La suppression du droit de timbre est un vieux projet de la droite, qui date des années 90 déjà. L’efficacité économique de ce type de mesure est nulle. Avatar tardif de la soi-disant « politique de ruissellement », elle n’aura aucun impact économique, mis à part le fait de faire ruisseler encore plus l’argent dans les poches de l’oligarchie – vérité dont certains théoriciens du néolibéralisme ne cachent pas que c’est bien là leur véritable but. C’est pourquoi, l’abolition du droit de timbre n’est qu’une étape d’une vaste offensive de baisse d’impôts pour les riches et les grandes entreprises, soi-disant dans un but de « compétitivité » : RFFA, abolition de l’impôt anticipé sur les obligations, abolition de la taxe professionnelle communale, suggestion d’Ueli Maurer d’aplatir la progressivité de l’impôt pour les tranches supérieures…

 

Ce serait apporter encore plus de déréglementation, plus de néolibéralisme, plus de latitude à une finance tentaculaire…un modèle à l’origine de la crise, et qui a déjà apporté tant de mal. Que serait un monde où tous les pays suivraient ces recettes empoisonnées ? Tous les pays y seraient certes « compétitifs », les plus riches et les entreprises n’y payeraient presque pas d’impôts, tandis que la grande majorité devrait survivre sans droits, sans prestations sociales, sans services publics, avec des salaires de misère pour celles et ceux qui en auraient. Un retour au capitalisme sauvage du XIXème siècle, mais dominé par les monopoles. Le règne despotique des 1%. De la part de la droite, il s’agit purement et simplement d’une offensive de classe, en faveur de l’oligarchie. Il s’agit pour nous d’une lutte de classe fondamentale que de la contrer.

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