15 mars 2023

Quand Alain Berset s’oppose au parti de la guerre




C’est peut-être surprenant, mais il arrive à Alain Berset, conseiller fédéral socialiste (même si ce n’est pas flagrant) et actuel président de la Confédération, de tenir des propos intelligents, à contre-courant et même courageux (quand il ne parle ni des retraites, ni des assurances maladie évidemment).

 

Alain Berset donnait en effet une interview au journal Le Temps, parue dans le numéro du 4 mars 2023. Il était interrogé sur la politique étrangère de la Confédération, principalement en lien avec la guerre en Ukraine. Il a défendu à cette occasion la politique menée par le Conseil fédéral, avec une posture globalement conservatrice – il ne faut pas changer les règles en temps de crise, ne pas toucher aux fondamentaux – et en insistant sur le rôle particulier de la Suisse. Mais il a fondé cette posture sur une analyse plutôt lucide et à contre-courant de la propagande de guerre atlantiste, avec des propos comme ceux qui suivent :

 

« Je suis très préoccupé par le climat guerrier qui règne actuellement un peu partout dans le monde, y compris en Suisse. On a l’impression que certains acteurs, même d’anciens pacifistes, sont comme emportés par l’ivresse de la guerre. Pourtant, l’histoire du continent et du XXe siècle nous a appris à rester très prudents face à une situation qui pourrait devenir extrêmement dangereuse pour l’Europe, pour la Suisse, pour le respect du droit international. Je le dis en rappelant bien sûr que cette guerre est une véritable tragédie pour l’Ukraine et pour le continent. En même temps, nous ne sommes pas naïfs. Ce conflit dure au moins depuis 2014. Nous devons prendre la mesure de la brutalité de l’invasion russe de février 2022, mais on ne peut pas faire comme si l’annexion de la Crimée en 2014 n’avait pas existé ».

 

L’analyse des événements survenus en 2014 devrait naturellement être plus complexe. La question de la Crimée n’est pas non plus si simple. Mais c’est en soi un signe de lucidité à saluer que de ne pas s’aligner sur le récit de l’invasion russe comme une sorte d’éclair dans un ciel serein, et de dire que le conflit date en tout cas de 2014. Mais pour le reste, ce n’est pas rien d’entendre le président de la Confédération dénoncer, fût-ce en des mots choisis, la propagande de guerre et ses dangers. Quel contraste avec des décideurs de l’UE et de l’OTAN qui affirment que la guerre ne doit se conclure que par la victoire de l’Ukraine, sans préciser jusqu’où devrait aller cette victoire, ni ne se soucier des conséquences de cette posture belliciste, des désastres sans nombre d’une guerre à outrance ! Dénoncer la dérive de certains pacifistes qui cèdent à la propagande de guerre et deviennent des atlantistes enflammés est un acte courageux et important. Certains devraient écouter ces propos d’Alain Berset.

 

Alain Berset a également le mérite de s’opposer fermement à tout affaiblissement des clauses de non-réexportation de matériel de guerre vers des pays belligérants, contre les pressions de l’OTAN et les velléités de certains partis au parlement, dont malheureusement aussi le PSS : 

 

« Nous devons être prudents et ne pas changer les règles de droit en pleine crise. La nécessité, pour les pays qui achètent des armes à la Suisse, d’obtenir une autorisation de réexportation ne vient pas de nulle part. Nous avons eu des cas par le passé où des armes de facture suisse ont été utilisées dans des zones de conflit. Aussi, quelle que soit notre appréciation de cette loi, nous sommes tenus de l’appliquer ».

 

Naturellement, tout cela ne change rien au fait qu’Alain Berset reste un homme d’État au service de la bourgeoisie, et que sa carte de membre du Parti socialiste n’a pour ainsi dire aucune influence sur la politique qu’il mène. En politique étrangère également, il ne déroge par réellement à cette position de classe. Qu’il ait osé tenir des propos à contre-courant de la pesante ambiance d’union sacrée et de propagande de guerre mérite néanmoins d’être salué. Il a reçu du reste pour cela des critiques de la part du PSS (qui ne le critique pas tant pour ses réformes antisociales), d’inspiration atlantiste. Et que le président de la Confédération ait ouvertement donné raison, en partie du moins, à la position soutenue par le Parti du Travail depuis le début de la guerre en Ukraine mérite d’être remarqué. Alors que la guerre en Ukraine a ouvert la boîte de Pandore, favorisé un retour en force du militarisme un peu partout, permis la renaissance sans restriction du militarisme allemand et du militarisme japonais, conduit à une hausse spectaculaire des dépenses d’armement et de la production d’armes, accru les tensions avec un danger en hausse dramatique d’une conflagration mondiale, aucun allié pour une politique de paix n’est de trop.

 

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