11 juillet 2016

Le Proche Orient, l’impérialisme et le sultan auto-proclamé Erdogan


L’historiographie officielle l’oublie souvent, mais une des causes majeures du déclenchement de la Première Guerre mondiale était la compétition inter impérialiste entre l’Empire allemand et le Royaume- Uni pour le pétrole, qui commençait à devenir indispensable, de Mésopotamie – une province ottomane que l’on n’appelait pas encore l’Irak. Le Royaume-Uni avait besoin de pétrole pour la Royal navy, et ne pouvait se permettre de dépendre des USA pour son approvisionnement. L’élite britannique décida donc de ravir la Mésopotamie à l’Empire ottoman. C’était sans compter que l’Empire allemand avait déjà commencé la construction d’un chemin de fer jusqu’à Baghdâd en passant par Constantinople, pour importer le pétrole ottoman. Pour s’emparer de ce pétrole, il faudrait donc faire la guerre aussi à l’Allemagne. Ce qui rendait indispensable l’alliance avec la France, pays qui n’avait pas vraiment été un allié jusque là. Mais les affaires sont les affaires. Des accords secrets furent donc signés entre la France et le Royaume-Uni, préparant le déclenchement prochain de la guerre. La violation de la neutralité belge par l’Allemagne n’offrit qu’un prétexte trop commode pour une entrée en guerre britannique prévue depuis bien longtemps. Cette histoire vielle d’un siècle explique pourquoi le Royaume-Uni a gardé une forte implication dans toutes les agressions impérialistes dans la région, y compris dans la guerre criminelle déchaînée contre Georges W. Bush et Tony Blair contre l’Irak en 2003. Elle a aussi façonné l’avenir de la région pour le siècle qui allait suivre. A la fin de la guerre, la carte de la région était redessinée par les vainqueurs. L’Empire ottoman était démantelé, et ses provinces fractionnées en protectorats et Etats plus ou moins viables dessinés sur une carte selon les intérêts exclusifs des puissances impérialistes. C’était les accords Sykes-Picot. Ainsi, par exemple, l’Etat du Koweït était créé de toutes pièces, uniquement pour ne laisser à l’Irak nouvellement indépendant qu’un accès étroit à la mer, et donc de le rendre entièrement à la merci des puissances impérialistes. Dans l’esprit des vainqueurs de la Première Guerre mondiale, le Proche Orient n’avait pour vocation que de servir de réserve pétrolière pour l’Occident, ce grâce à une domination coloniale directe ou néocoloniale. Le droit à l’autodétermination, la volonté et les intérêts les plus élémentaires des peuples de la région n’avaient strictement aucune importance.

L’histoire des peuples arabes du XXème siècle a, a contrario, été l’histoire de leurs luttes pour leur libération de cette domination directe ou indirecte exercée par l’impérialisme. Des luttes pour organiser lesquelles la IIIème Internationale aura joué un rôle indispensable, qui ont pris une nouvelle ampleur avec le mouvement de Bandung et qui ont culminé dans les nationalismes arabes, dont l’objectif majeur était de libérer leurs pays des chaînes du colonialisme et du néocolonialisme. Le baasisme irakien et syrien s’inscrit dans cette mouvance, cet héritage les a marqué à jamais. C’est ce qui explique l’acharnement des puissances impérialiste à anéantir le régime de Saddam Hussein à n’importe quel prix, et à tenter de détruire par tous les moyens celui de Bachar El-Assad en Syrie aujourd’hui. C’est un aspect qu’il faut résolument prendre en compte avant de proférer quelque critique que ce soit sur les régimes en question, quoi que l’on puisse en penser légitimement par ailleurs, et surtout de gober la moindre miette de la propagande impérialiste, qui n’est jamais désintéressée ni sincère.

A ces luttes de libération, l’impérialisme a aussitôt répondu par l’agression la plus cynique, la plus éhontée, la plus criminelle. Pour lui, il n’y avait qu’un seul but, tenir la région dans les chaînes, à n’importe quel prix. 
L’importance économique et géopolitique du Proche Orient rend la perspective d’en perdre le contrôle inenvisageable pour les USA, ce qui en fait un point focal de ses interventions criminelles. A défaut de pouvoir établir un ordre néocolonial digne de ce nom, trop compliqué à maintenir et en pratique hors de portée, les stratèges étatsuniens ont préféré opter pour la stratégie du chaos, selon l’antique maxime divide ut regnes, diviser pour régner. En pratique, morceler la région en une mosaïque de micro Etats, dévastés par l’intervention étrangères, déchirés par des conflits sectaires, en guerre les uns contre les autres, et par là tous réduits à l’impuissance. Pour ce faire, les USA ne s’embarrassent pas de scrupules pour ce qui est des moyens : pétromonarchies ultraréactionnaires du Golfe, qui sont les meilleurs alliés de l’Occident ; l’allié israélien bien sûr ; les groupes les plus obscurantistes et les plus rétrogrades qui puissent se trouver, et que les agents de l’impérialisme n’hésitent pas à créer au besoin (n’oublions pas tout de même qu’Al Qaeda, hier encore considérée comme incarnation du Mal...mais dont l’ex ministre français des affaires étrangères Laurent Fabius avait dit pourtant que sa branche locale en Syrie faisait du « bon travail » face aux troupes loyales au président El-Assad...était au départ une pure création américano- saoudienne dans le seul but de lutter contre le gouvernement légitime et socialiste de la République démocratique d’Afghanistan !). Malheureusement, il faut dire aussi que le nationalisme arabe, malgré sa rhétorique anti-impérialiste et socialisante, n’a pas été à la hauteur de sa tâche historique, et n’aurait probablement pas pu l’être, étant un mouvement essentiellement de la bourgeoisie nationale et non de la classe ouvrière. Nombre de régimes qui en sont issus finirent par tourner à la dictature de la bourgeoisie compradore sans projet autre que de se maintenir au pouvoir, et n’hésitant pas à reprendre leur place subordonnée dans la chaîne de l’impérialisme dans ce but. La déchéance du nassérisme égyptien après la mort de son fondateur est à cet égard un cas d’école. Cette dégénérescence, et la grande déception y consécutive, laissa le champ libre à l’idéologie réactionnaire de l’islam politique. Mais certains régimes issus du nationalisme arabes, quoi qu’ils puissent valoir par ailleurs, demeuraient malgré tout trop indépendants par rapport à ce que l’impérialisme est désormais disposer à tolérer. Il fallait donc éradiquer ces régimes à n’importe quel prix, par l’intervention militaire si besoin.

D’où la guerre criminelle déchaînée par Bush et Blair contre l’Irak, qui a fait au bas mot un million de morts, transformé la Mésopotamie, foyer de la première civilisation connue, en tas de décombre pollué par l’uranium « appauvri » et rendu quasiment inhabitable, plongé le pays dans une véritable guerre civile entre sunnites, chiites et kurdes, mis à sa tête une mafia dénuée de toute légitimité. Une guerre qui fut comme il se doit lancée sur des mensonges éhontés, avec un coût humain absolument terrifiant. Le chaos et le désespoir qui en ont résulté ont jeté massivement les sunnites dans les bras de Daesh. Sombre tableau, illustrant parfaitement la stratégie du chaos de l’impérialisme...

Mais ce chaos servait aussi les intérêts des USA d’une autre façon. L’autre régime à abattre dans la région à tout prix était en effet la Syrie de Bachar El-Assad. Mais plutôt que de passer par une invasion directe, trop coûteuse et risquée en l’espèce, les USA préférèrent sous-traiter l’opération à des bandes armées islamistes, dans le cadre d’une guerre civile provoquée pour l’occasion. Ce plan était prévu depuis bien avant les manifestations de l’opposition syrienne de 2012, ainsi que les documents dévoilés par Noam Chomsky l’attestent. Du reste, comme il fallait s’y attendre, on se retrouva vite avec une guerre opposant l’armée syrienne à des groupes armées islamistes surtout composés de combattants étrangers. Une guerre impérialiste par procuration donc. Il faut par contre y aller à la loupe, si ce n’est au microscope électronique, pour trouver sur la carte les fameux rebelles « modérés » et « démocrates » dont la presse occidentale mainstream fait si grand cas.

Dans tout ce dispositif impérialiste, la Turquie joue un rôle particulier. Partie centrale la plus avancée économiquement du défunt Empire ottoman, elle devint une république démocratique bourgeoise après la Première Guerre mondiale. Pays possédant un capitalisme endogène, sa bourgeoisie était en position de revendiquer une place plus avantageuse dans la chaîne impérialiste que celle d’une simple bourgeoisie compradore. Pays membre de l’OTAN, la Turquie joue un rôle crucial dans la stratégie de l’impérialisme étatsunien au Proche Orient. La sombre période des dictatures militaires a ouvert la porte à l’ascension de la force politique profondément réactionnaire, néolibérale, islamiste et pro- impérialiste qu’est l’AKP de l’actuel président Erdogan. Tous ces aspects vont d’ailleurs de pair. Le discours néo-ottomaniste du président Erdogan, loin de refléter uniquement la folie des grandeurs du sultan auto-proclamé, sert surtout les ambitions impérialistes de la bourgeoisie turque. L’AKP a établi un régime, que la presse occidentale de révérence dépeignait il n’y a pas si longtemps comme « islamiste modéré » (bon, on dit « islamo-conservateur » désormais, le mensonge serait trop flagrant sinon), comme une synthèse réussie entre islam, démocratie et modernité, voire comme un modèle à suivre pour les pays de la région. Un régime qui pourtant est très loin d’être une démocratie, mais bien plutôt une dictature réactionnaire etobscurantiste brutale, qui persécute toute opposition un tant soit peu conséquente à coup de procès truqués montés à large échelle, et qui conduit progressivement la Turquie dans les ténèbres de la pire tyrannie qui soit. Un régime qui mène aussi une guerre criminelle contre une partie de son propre peuple, le peuple kurde, dont les droits sont brutalement niés, et ce de la pire façon qui soit : région toute entière soumise à un état de siège, massacres de civils à large échelle, localités entières détruites...Un régime qui mène aussi, sous couvert d’une guerre contre Daesh qu’il ne mène absolument pas, une sale guerre contre les kurdes syriens regroupés au sein du PYD, qui sont les seuls à combattre sur le terrain les hordes de l’Etat islamique mis à part l’armée syrienne, et qui mettent en place dans les zones libérées une démocratie populaire dont l’existence est insupportable au régime réactionnaire d’Ankara. Cette démocratie populaire n’en représente que plus d’intérêt pour celles et ceux qui luttent pour un monde plus juste... 

La lutte des communistes, des combattants du PYD et du PKK dans cette zone focale de l’agression impérialiste qu’est le Proche Orient, est très loin d’être facile, en butte qu’ils sont à la fois aux forces de l’impérialisme, des bandes armées islamistes et des régimes réactionnaires locaux. Elle n’en est que plus importante, pour les peuples de la région comme pour toute l’humanité progressiste. Le soutien des communistes des centres impérialistes à cette lutte en est d’autant plus un devoir. Certains jeunes militants d’aujourd’hui ont commencé leur conscientisation politique dans les manifestations contre la guerre en Irak. Aujourd’hui, la lutte contre l’impérialisme, au Proche Orient comme partout, est plus indispensable que jamais. 

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