L’historiographie officielle l’oublie
souvent, mais une des causes
majeures du déclenchement de la
Première Guerre mondiale était la
compétition inter impérialiste entre
l’Empire allemand et le Royaume-
Uni pour le pétrole, qui
commençait à devenir
indispensable, de Mésopotamie –
une province ottomane que l’on
n’appelait pas encore l’Irak. Le
Royaume-Uni avait besoin de
pétrole pour la Royal navy, et ne
pouvait se permettre de dépendre
des USA pour son
approvisionnement. L’élite
britannique décida donc de ravir la
Mésopotamie à l’Empire ottoman.
C’était sans compter que l’Empire
allemand avait déjà commencé la
construction d’un chemin de fer
jusqu’à Baghdâd en passant par
Constantinople, pour importer le
pétrole ottoman. Pour s’emparer
de ce pétrole, il faudrait donc faire
la guerre aussi à l’Allemagne. Ce
qui rendait indispensable l’alliance
avec la France, pays qui n’avait
pas vraiment été un allié jusque là.
Mais les affaires sont les affaires.
Des accords secrets furent donc
signés entre la France et le
Royaume-Uni, préparant le
déclenchement prochain de la
guerre. La violation de la neutralité
belge par l’Allemagne n’offrit qu’un
prétexte trop commode pour une
entrée en guerre britannique
prévue depuis bien longtemps.
Cette histoire vielle d’un siècle
explique pourquoi le Royaume-Uni
a gardé une forte implication dans
toutes les agressions impérialistes
dans la région, y compris dans la
guerre criminelle déchaînée contre
Georges W. Bush et Tony Blair
contre l’Irak en 2003. Elle a aussi
façonné l’avenir de la région pour
le siècle qui allait suivre. A la fin de
la guerre, la carte de la région était
redessinée par les vainqueurs.
L’Empire ottoman était démantelé,
et ses provinces fractionnées en
protectorats et Etats plus ou moins
viables dessinés sur une carte
selon les intérêts exclusifs des
puissances impérialistes. C’était
les accords Sykes-Picot. Ainsi, par
exemple, l’Etat du Koweït était
créé de toutes pièces, uniquement pour ne laisser à l’Irak
nouvellement indépendant qu’un
accès étroit à la mer, et donc de le
rendre entièrement à la merci des
puissances impérialistes. Dans
l’esprit des vainqueurs de la
Première Guerre mondiale, le
Proche Orient n’avait pour
vocation que de servir de réserve
pétrolière pour l’Occident, ce grâce
à une domination coloniale directe
ou néocoloniale. Le droit à
l’autodétermination, la volonté et
les intérêts les plus élémentaires
des peuples de la région n’avaient
strictement aucune importance.
L’histoire des peuples arabes du
XXème siècle a, a contrario, été
l’histoire de leurs luttes pour leur
libération de cette domination
directe ou indirecte exercée par
l’impérialisme. Des luttes pour
organiser lesquelles la IIIème
Internationale aura joué un rôle
indispensable, qui ont pris une
nouvelle ampleur avec le
mouvement de Bandung et qui ont
culminé dans les nationalismes
arabes, dont l’objectif majeur était
de libérer leurs pays des chaînes
du colonialisme et du
néocolonialisme. Le baasisme
irakien et syrien s’inscrit dans cette
mouvance, cet héritage les a
marqué à jamais. C’est ce qui
explique l’acharnement des
puissances impérialiste à anéantir
le régime de Saddam Hussein à
n’importe quel prix, et à tenter de
détruire par tous les moyens celui
de Bachar El-Assad en Syrie
aujourd’hui. C’est un aspect qu’il
faut résolument prendre en
compte avant de proférer quelque
critique que ce soit sur les régimes
en question, quoi que l’on puisse
en penser légitimement par
ailleurs, et surtout de gober la
moindre miette de la propagande
impérialiste, qui n’est jamais
désintéressée ni sincère.
A ces luttes de libération,
l’impérialisme a aussitôt répondu
par l’agression la plus cynique, la
plus éhontée, la plus criminelle.
Pour lui, il n’y avait qu’un seul but,
tenir la région dans les chaînes, à
n’importe quel prix.
L’importance économique et géopolitique du
Proche Orient rend la perspective
d’en perdre le contrôle
inenvisageable pour les USA, ce
qui en fait un point focal de ses
interventions criminelles. A défaut
de pouvoir établir un ordre
néocolonial digne de ce nom, trop
compliqué à maintenir et en
pratique hors de portée, les
stratèges étatsuniens ont préféré
opter pour la stratégie du chaos,
selon l’antique maxime divide ut
regnes, diviser pour régner. En
pratique, morceler la région en une
mosaïque de micro Etats,
dévastés par l’intervention
étrangères, déchirés par des
conflits sectaires, en guerre les
uns contre les autres, et par là
tous réduits à l’impuissance. Pour
ce faire, les USA ne
s’embarrassent pas de scrupules
pour ce qui est des moyens :
pétromonarchies
ultraréactionnaires du Golfe, qui
sont les meilleurs alliés de
l’Occident ; l’allié israélien bien
sûr ; les groupes les plus
obscurantistes et les plus
rétrogrades qui puissent se
trouver, et que les agents de
l’impérialisme n’hésitent pas à
créer au besoin (n’oublions pas
tout de même qu’Al Qaeda, hier
encore considérée comme
incarnation du Mal...mais dont l’ex
ministre français des affaires
étrangères Laurent Fabius avait dit
pourtant que sa branche locale en
Syrie faisait du « bon travail » face
aux troupes loyales au président
El-Assad...était au départ une
pure création américano-
saoudienne dans le seul but de
lutter contre le gouvernement
légitime et socialiste de la
République démocratique
d’Afghanistan !).
Malheureusement, il faut dire aussi
que le nationalisme arabe, malgré
sa rhétorique anti-impérialiste et
socialisante, n’a pas été à la
hauteur de sa tâche historique, et
n’aurait probablement pas pu
l’être, étant un mouvement
essentiellement de la bourgeoisie
nationale et non de la classe
ouvrière. Nombre de régimes qui
en sont issus finirent par tourner à la dictature de la bourgeoisie compradore
sans projet autre que de se
maintenir au pouvoir, et n’hésitant
pas à reprendre leur place
subordonnée dans la chaîne de
l’impérialisme dans ce but. La
déchéance du nassérisme
égyptien après la mort de son
fondateur est à cet égard un cas
d’école. Cette dégénérescence, et
la grande déception y consécutive,
laissa le champ libre à l’idéologie
réactionnaire de l’islam politique.
Mais certains régimes issus du
nationalisme arabes, quoi qu’ils
puissent valoir par ailleurs,
demeuraient malgré tout trop
indépendants par rapport à ce que
l’impérialisme est désormais
disposer à tolérer. Il fallait donc
éradiquer ces régimes à n’importe
quel prix, par l’intervention militaire
si besoin.
D’où la guerre criminelle
déchaînée par Bush et Blair contre
l’Irak, qui a fait au bas mot un
million de morts, transformé la
Mésopotamie, foyer de la première
civilisation connue, en tas de
décombre pollué par l’uranium
« appauvri » et rendu quasiment
inhabitable, plongé le pays dans
une véritable guerre civile entre
sunnites, chiites et kurdes, mis à
sa tête une mafia dénuée de toute
légitimité. Une guerre qui fut
comme il se doit lancée sur des
mensonges éhontés, avec un coût
humain absolument terrifiant. Le
chaos et le désespoir qui en ont
résulté ont jeté massivement les
sunnites dans les bras de Daesh.
Sombre tableau, illustrant
parfaitement la stratégie du chaos
de l’impérialisme...
Mais ce chaos servait aussi les
intérêts des USA d’une autre
façon. L’autre régime à abattre
dans la région à tout prix était en
effet la Syrie de Bachar El-Assad.
Mais plutôt que de passer par une
invasion directe, trop coûteuse et
risquée en l’espèce, les USA
préférèrent sous-traiter l’opération
à des bandes armées islamistes,
dans le cadre d’une guerre civile
provoquée pour l’occasion. Ce
plan était prévu depuis bien avant
les manifestations de l’opposition
syrienne de 2012, ainsi que les documents dévoilés par Noam
Chomsky l’attestent. Du reste,
comme il fallait s’y attendre, on se
retrouva vite avec une guerre
opposant l’armée syrienne à des
groupes armées islamistes surtout
composés de combattants
étrangers. Une guerre impérialiste
par procuration donc. Il faut par
contre y aller à la loupe, si ce n’est
au microscope électronique, pour
trouver sur la carte les fameux
rebelles « modérés » et
« démocrates » dont la presse
occidentale mainstream fait si
grand cas.
Dans tout ce dispositif impérialiste,
la Turquie joue un rôle particulier.
Partie centrale la plus avancée
économiquement du défunt Empire
ottoman, elle devint une république
démocratique bourgeoise après la
Première Guerre mondiale. Pays
possédant un capitalisme
endogène, sa bourgeoisie était en
position de revendiquer une place
plus avantageuse dans la chaîne
impérialiste que celle d’une simple
bourgeoisie compradore. Pays
membre de l’OTAN, la Turquie
joue un rôle crucial dans la
stratégie de l’impérialisme
étatsunien au Proche Orient. La
sombre période des dictatures
militaires a ouvert la porte à
l’ascension de la force politique
profondément réactionnaire,
néolibérale, islamiste et pro-
impérialiste qu’est l’AKP de l’actuel
président Erdogan. Tous ces
aspects vont d’ailleurs de pair. Le
discours néo-ottomaniste du
président Erdogan, loin de refléter
uniquement la folie des grandeurs
du sultan auto-proclamé, sert
surtout les ambitions impérialistes
de la bourgeoisie turque. L’AKP a
établi un régime, que la presse
occidentale de révérence
dépeignait il n’y a pas si longtemps
comme « islamiste modéré » (bon,
on dit « islamo-conservateur »
désormais, le mensonge serait
trop flagrant sinon), comme une
synthèse réussie entre islam,
démocratie et modernité, voire
comme un modèle à suivre pour
les pays de la région. Un régime
qui pourtant est très loin d’être une
démocratie, mais bien plutôt une
dictature réactionnaire etobscurantiste brutale, qui
persécute toute opposition un tant
soit peu conséquente à coup de
procès truqués montés à large
échelle, et qui conduit
progressivement la Turquie dans
les ténèbres de la pire tyrannie qui
soit. Un régime qui mène aussi
une guerre criminelle contre une
partie de son propre peuple, le
peuple kurde, dont les droits sont
brutalement niés, et ce de la pire
façon qui soit : région toute entière
soumise à un état de siège,
massacres de civils à large
échelle, localités entières
détruites...Un régime qui mène
aussi, sous couvert d’une guerre
contre Daesh qu’il ne mène
absolument pas, une sale guerre
contre les kurdes syriens
regroupés au sein du PYD, qui
sont les seuls à combattre sur le
terrain les hordes de l’Etat
islamique mis à part l’armée
syrienne, et qui mettent en place
dans les zones libérées une
démocratie populaire dont
l’existence est insupportable au
régime réactionnaire d’Ankara.
Cette démocratie populaire n’en
représente que plus d’intérêt pour
celles et ceux qui luttent pour un
monde plus juste...
La lutte des communistes, des
combattants du PYD et du PKK
dans cette zone focale de
l’agression impérialiste qu’est le
Proche Orient, est très loin d’être
facile, en butte qu’ils sont à la fois
aux forces de l’impérialisme, des
bandes armées islamistes et des
régimes réactionnaires locaux. Elle
n’en est que plus importante, pour
les peuples de la région comme
pour toute l’humanité progressiste.
Le soutien des communistes des
centres impérialistes à cette lutte
en est d’autant plus un devoir.
Certains jeunes militants
d’aujourd’hui ont commencé leur
conscientisation politique dans les
manifestations contre la guerre en
Irak. Aujourd’hui, la lutte contre
l’impérialisme, au Proche Orient
comme partout, est plus
indispensable que jamais.
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