Donald J. Trump sera donc le
45ème président des USA. Un résultat qui a au moins le mérite de
rappeler ce que valent les sondages et la parole des « experts »
mainstream. Plaisanterie mise à part, ce n’est certainement pas une bonne
nouvelle. La présence de M. Trump à la présidence de la première puissance mondiale,
une double majorité du Parti républicain au Congrès, comme à la tête de la
plupart des Etats des USA augure une ère de sombre réaction. Au-delà de la dose
massive de démagogie électoraliste, le programme annoncé par le nouveau
président est clair et n’a rien de réjouissant : baisses d’impôts pour les
riches et les grandes entreprises, démantèlement du peu de protection sociale
qui existe encore aux USA, cessation de toutes mesures en faveur de
l’environnement et expulsion en masse des immigrés sans titre de séjour.
Mais une victoire de Hillary
Clinton et du Parti démocrate aurait-elle seulement constitué, a contrario, une bonne nouvelle ?
Mme Clinton pouvait-elle au moins représenter le « moindre mal » lors
de ce scrutin ? Non sans doute. Il est même piquant de voire des gens qui
se réclament de la gauche, parfois radicale, regretter la défaite de la
candidate de Wall Street, de l’oligarchie, des lobbys et de l’impérialisme
US…toutes choses que pourtant d’habitude ils affirment combattre. Quant à la
crainte que suscite légitimement le fait de laisser l’arsenal nucléaire
étatsunien entre les mains de quelqu’un comme Trump, n’oublions pas qu’elle
était la candidate de la guerre bien plus que lui (ce qui ne fait pas bien sûr
du futur président un homme de paix, ni un adversaire de l’impérialisme) et
avait d’ores et déjà beaucoup de sang sur les mains. Elle aurait probablement
eu de plus grandes chances que lui de déclencher un conflit global, et d’appuyer
sur le bouton fatidique le cas échéant.
Du reste, ce résultat était
au fond assez prévisible. Alors, au lieu de nous joindre aux lamentations,
essayons de comprendre. Peut-être y a-t-il une leçon à tirer de tout
cela ? Antonio Gramsci disait, à propos du fascisme : « le vieux
monde se meurt, le nouveau est lent à apparaître. Et c’est dans ce clair-obscur
que surgissent les monstres ». Aujourd’hui, le même phénomène se
reproduit, sous des formes quelque peu différentes sans doute.
Un vote protestataire
Si Hillary Clinton a perdu,
si elle devait perdre, c’est qu’elle incarne justement jusqu’à la caricature le
vieux monde qui se meurt dans ce qu’il a de plus détestable, et dont le peuple
étatsunien ne veut plus : le vieux monde d’une oligarchie financière imbue
d’elle-même, acquise corps et âme au néolibéralisme et à la mondialisation,
engluée dans le mensonge et la corruption, coutumière des arrangements en
coulisses pour une configuration qui ne laisse nulle place à une démocratie
autre que de façade.
Si Donald Trump a pu gagner,
c’est que, face à Mme Clinton, il a su incarner le vote protestataire et
apparaître comme le pourfendeur des élites et de la corruption. Il a donc gagné
en capitalisant un vote « anti-élites » sur son nom, élites
démocrates comme républicaines, puisqu’une grande partie de l’establishment
républicain a lâché le candidat choisi par les primaires de leur parti, contre
l’avis et malgré les manœuvres de son appareil, et ouvertement appelé à voter
Hillary Clinton…y compris un certain Georges W. Bush.
Un aspect peu mis en avant
du discours de M. Trump dans la presse européenne, mais qui n’est pourtant pas
sans importance pour expliquer son succès, c’est son opposition aux traités de
libre-échange et sa défense du protectionnisme économique. Donald Trump a en
effet régulièrement dénoncé les divers traités de libre-échange, qui d’après
lui détruisent nombre d’emplois aux USA, ce qui est tout à fait exact. Il a
également promis de prendre des mesures contre des entreprises qui délocalisent
leur production dans des pays où la main-d’œuvre est moins chère. C’est ce
discours qui explique en grande partie son succès dans les régions
industrielles, et tout particulièrement dans les territoires désindustrialisés,
auprès d’un électorat ouvrier, qui a été massivement mis au chômage et condamné
à la précarité par une mondialisation néolibérale, activement promue par les
époux Clinton.
Le fait est que les
politiques néolibérales mises en place depuis Reagan n’ont massivement profité
qu’à une infime minorité d’ultra-riches. En revanche, la grande majorité de la
population n’a eu pour lot que la paupérisation, le chômage et la précarité.
Ces effets ont pu être quelque peu atténués grâce au crédit à la consommation,
et ce jusqu’à la crise qui s’est déclenchée en 2007. Mais ce mécanisme n’est
plus opérant désormais, et plus rien ne peut plus masquer les ravages du
capitalisme néolibéral. Les travailleurs étatsuniens réagissent très
logiquement par la colère et le rejet envers les élites qui les ont conduit jusque
là, et y recherchent une alternative. Ils n’ont qu’entièrement raison en cela.
…Pour une fausse alternative
L’ironie étant bien sûr que ce
vote protestataire se soit reporté sur un milliardaire qui fait partie
intégrante de l’oligarchie qu’il prétend combattre, et qui, quant au fond, n’en
n’est pas si éloigné que cela au niveau des idées qu’il défend, et encore moins
au niveau des mesures qu’il prendra sans doute effectivement. Le Congrès étant
majoritairement détenu par des Républicains, pas forcément acquis aux idées de
Trump, mais fortement acquis, à l’inverse, aux traités de libre-échange, il est
peu probable que ses promesses de campagne « populistes » ou
protectionnistes soient effectivement mises en place. Du reste, le futur nouveau
président, à peine les résultats tombés, s’est aussitôt empressé d’infléchir
son discours, félicitant son ex-rival, et prêchant la réconciliation
nationale…En revanche, un pouvoir Républicain avec Trump à sa tête n’annonce
que le pire pour ce qui reste des droits démocratiques aux USA…
En cela, Trump s’inscrit
dans un phénomène depuis longtemps connu en Europe : celui d’une
extrême-droite qui prospère des ravages du capitalisme et de la colère du
peuple contre les élites, qui prétend être du côté des petites gens et contre
les élites…tout en étant dirigée par des gens qui font entièrement partie des
dites élites, et entièrement acquis au néolibéralisme. Christophe Blocher,
milliardaire maquillé en tribun
populiste, xénophobe et anti-establishment est même une sorte de Donald Trump
helvétique avant l’heure. Cette façon de dévoyer la colère populaire sur des
solutions autoritaires, dirigées contre les classes populaires, n’est pas
nouvelle. Elle présente même une parenté frappante avec le fascisme historique.
Comme l’avait dit Bertolt Brecht « le fascisme n’est pas le contraire de
la démocratie, mais son évolution par temps de crise ».
…Qui cache la possibilité d’une alternative réelle
Pourtant, Donald Trump
n’aurait jamais eu un tel succès si son adversaire n’avait pas été Hillary
Clinton, celle qui incarne l’oligarchie dans tout ce qu’elle a de pire, et qui
lui a permis a contrario de passer
pour un candidat « antisystème ». Le fait ait qu’il n’a pu avoir la
chance de faire campagne contre Mme Clinton que parce que l’appareil du Parti
démocrate, la DNC (Democratic national convention), a manipulé la primaire pour
éliminer l’homme qui sinon aurait remporté la dite primaire. La présidente de
la DNC a d’ailleurs démissionné suite au scandale. Cet homme qui aurait pu non
seulement remporter la primaire démocrate, mais le cas échéant la
présidentielle face à M. Trump, est bien sûr Bernie Sanders, sénateur du
Vermont, et qui se revendiquait du « socialisme démocratique ». Une
grande partie de la classe ouvrière étatsunienne qui a fini par voter Trump
était précisément celle qui soutenait Sanders aux primaires démocrates.
La victoire quasi-inévitable
– qui n’a pu être empêchée que par les combines de la DNC – d’un candidat
« socialiste » dans un pays où le mot même semblé banni, effacé des
mémoires par des décennies de matraquage anti-communiste, était pourtant un
symptôme du fait qu’une alternative réelle, la seule alternative qui existe,
celle du socialisme, pas celle factice de la démagogie d’extrême-droite, était
en tout cas envisageable, car en dernière analyse nécessaire. Malheureusement,
cette alternative a été provisoirement réduite à néant par Sanders lui-même,
qui, en se ralliant à Mme Clinton sans conditions, a mis fin à toute la
dynamique populaire qui commençait à se structurer à l’occasion de sa campagne
durant les primaires, et qui aurait pu déboucher sur une renaissance d’un
mouvement socialiste aux USA. Il n’a par là nullement empêché l’accession de
Donald Trump au bureau ovale, mais lui a plutôt pavé la voie. C’est sans doute
là qu’il y a une leçon à tirer. La bourgeoisie « démocrate », les « fronts
républicains » avec les représentants politiques « modérés » de
l’oligarchie, ne constitue nullement un rempart contre le fascisme, mais plutôt
un marchepied. La fausse gauche au service de l’oligarchie, comme le
P « S » de Hollande et Valls, pave la voie du pouvoir au
fascisme. Et il ne sera sans doute pas possible de convaincre une nouvelle fois
le peuple de « voter Chirac ». La lutte contre le fascisme passe
nécessairement par la lutte sans concessions contre la bourgeoisie dans son
ensemble et pour le socialisme.