28 février 2015

La jeunesse contre Torracinta et la droite : retour sur la lutte de l’AJE



Le 29 janvier eut lieu à Genève une importante manifestation unitaire, organisée avec le soutien du Parti du Travail, contre les politiques d’austérité imposées par la majorité de droite du Grand Conseil et pour la défense du service public. Dans le cadre du cortège, une place importante et remarquée était tenue par près de mille étudiant-e-s du postobligatoire, mobilisés contre la réforme du collège mise en place de façon particulièrement peu démocratique par la conseillère d’Etat Anne-Emery Torracinta, pourtant encartée au PS, et contre les coupes budgétaires dans le DIP voulues par la droite. Cette importante mobilisation de la jeunesse de notre canton était organisée par l’Association des Jeunes Engagés (AJE). Le Parti du Travail a décidé de donner la parole dans les colonnes de son journal au président de l’AJE, Gabriel Millan, actuellement collégien à Rousseau, en plus de plusieurs autres engagements associatifs et citoyens.

La première chose à dire c’est que l’AJE n’a pas été créée de toutes pièces pour contrer la réforme Torracinta ni n’est active sur ce seul objet, puisqu’elle a été fondée en décembre 2013 déjà, pour s’opposer à d’importantes coupes budgétaires prévues alors par la Ville de Genève qui auraient tout particulièrement touché les jeunes, mais aussi avec l’objectif d’en faire un mouvement plus global, un syndicat défendant tous les jeunes, pas seulement les étudiants du postobligatoire, mais aussi les jeunes travailleurs, ainsi que les jeunes sans activité professionnelle, et qui les défende sur leur lieu de travail ou d’étude, et qui lutte pour qu’existent des lieux culturels et de vie pour les jeunes. Un premier rassemblement organisé devant le Collège Rousseau avait réuni une dizaine de collégiens. L’AJE avait par la suite fonctionné avec des hauts et des bas, peu de membres actifs permanents et des coupures parfois longues entre activités.

Durant les vacances d’été 2014, les responsables de l’AJE avaient élaboré tout un planning pour réorganiser l’association dès la rentrée…qu’ils ont dû drastiquement remanier à la rentrée une fois qu’ils eurent appris le contenu de la réforme, profondément scandaleuse, du postobligatoire voulu par la conseillère d’Etat Torracinta. Rappelons en effet qu’elle prévoit de durcir encore le Collège, déjà assez difficile en l’état, sous le prétexte hypocrite d’éviter les mauvais choix en matière d’orientation à la sortie du Cycle d’Orientation, mais en réalité avec le seul et unique but de faire des économies sur le dos des élèves et essayant d’en réorienter le plus possible vers les ECG et les écoles de commerce, ce qui coûterait moins cher à l’Etat. Or il se fait que les classes de ces écoles sont actuellement surchargées bien au delà des normes légales et ne pourraient dans la plupart des cas accueillir des nouveaux élèves en cours d’année…

Face à cette réforme, l’AJE a lancé une pétition, qui a recueilli de l’ordre  de 2'300 signatures, organisé un rassemblement auquel se sont rendues près de 100 personnes, et enfin une manifestation en octobre partant de l’île Rousseau et arrivant au DIP pour remettre les signatures de la pétition, toutes démarches que le Parti du Travail avait soutenues. Toutes ces mobilisations ont beaucoup fait grandir l’AJE. Une rencontre avec Anne-Emery Torracinta eut lieu après la manifestation, mais elle refusa de négocier sur quoi que ce soit. Du reste, l’AJE a dû faire face à une arrogance sans borne de la part du DIP et de sa conseillère d’Etat de tutelle, inacceptable dans une démocratie et particulièrement indigne d’une élue « socialiste » : refus de toute négociation sur quoi que ce soit, réponses arrivant de plus en plus tard et avec à chaque fois le même argumentaire à côté de la plaque et qui pourtant avait déjà été démonté plusieurs fois.

Avec les coupes budgétaires massives, notamment dans le DIP, votées par la majorité de droite du Grand Conseil en décembre 2014, la mobilisation prit une nouvelle dimension. C’était la concrétisation de ce que l’AJE avait prévu : la réforme Torracinta n’était qu’une première coupe budgétaire cachée, suivie désormais par d’autres, cette fois déclarées. La décision fut prise d’organiser une grève étudiante en même temps que la grève de la fonction publique pour lutter contre ces coupes budgétaires. Des assemblées étudiantes furent organisées dans une dizaine d’établissements, avec à l’ordre du jour le choix de participer à la grève ou rien. Au final, la grève du 29 janvier réunit un millier d’étudiants provenant de plus de dix établissements. A propos, un préavis de grève fut envoyé au DIP dix jours à l’avance avec l’espoir d’ouvrir ainsi les négociations. La réponse de la conseillère d’Etat Torracinta fut digne du pire des patrons : aucune ouverture, aucune volonté de négocier, seulement des menaces de sanction (absences non-justifiées en cas de participation à la grève, note de 1 en cas d’épreuve manquée). Une magistrate « socialiste » aurait difficilement pu tomber plus bas…

Grâce à la grève du 29 janvier, l’AJE a gagné encore plus de membres, au point que les Assemblées générales, régulières, qui rassemblent à chaque fois beaucoup de monde et donnent lieu à de longs et intéressants débats, sont devenues compliquées à gérer du fait du nombre important de participants. Au point que l’AJE en songe à modifier ses statuts afin de se doter de sections par établissement et de fonctionner en Assemblées de délégués. Pour ce qui est de la suite, une nouvelle demande de négociation a été envoyée au DIP suite à la grève, pour l’instant restée sans réponse. Une Assemblée générale décidera des mesures à prendre selon quelle aura été la réponse et s’il y en aura eu une.

L’AJE se veut totalement indépendante des partis politiques et surtout des institutions étatiques. Elle tient à cette indépendance politique afin de pouvoir défendre tous les jeunes quelles que puissent être leurs convictions politiques par ailleurs. Cela n’empêche pas que plusieurs membres du comité militent dans des organisations de gauche. C’est du reste très logique. On imagine en effet mal des jeunes de droite animer un mouvement de lutte, à moins d’un scénario de science-fiction. Mais la différence est très bien faite entre travail syndical et politique. Ses seuls revenus proviennent des cotisations des membres, en plus de quelques dons ponctuels. C’est peu, les cotisations étant fixées en fonction du peu que les jeunes peuvent mettre de leur poche, mais c’est le prix à payer pour l’indépendance, pour continuer à rester un syndicat de lutte, de ne pas tomber au niveau de syndicat « officiel », succursale de l’administration d’Etat. L’exemple de la soupô, officiellement syndicat des collégiens depuis un certain nombre d’années, est particulièrement parlant. Devenue totalement dépendante du DIP pour son financement et ses locaux, la soupô n’était en réalité guère plus qu’un comité d’organisation du cortège de l’Escalade (c’est du moins le souvenir qu’avait gardé de ses relativement récentes années de Collège l’auteur de ces lignes). Or elle s’était réveillée l’année passée…pour militer contre la grève ! Certains de ses responsables ont même soutenu ouvertement l’idée que le collège doit être élitiste : drôle d’attitude pour des « syndicalistes »…

Mais l’essentiel n’est pas là. Pour Gabriel Millan, le plus grand succès de l’AJE est d’avoir permis un investissement militant très fort de nombreux jeunes. Des jeunes encore plus nombreux savent désormais que s’ils constatent une injustice à leur égard, ils peuvent s’adresser à leur syndicat, alors qu’ils n’avaient pas la conscience de pouvoir lutter pour leurs droits auparavant. Ainsi qu’il le dit : « Même si au final la lutte contre la réforme Torracinta échoue, cette conscientisation est déjà une victoire. Il se passe vraiment un truc chez les jeunes. Ce n’est pas l’AJE qui a créé la colère chez les jeunes. Il existait déjà en quelque sorte à la fois un briquet et une matière inflammable. Il y avait déjà une volonté de se battre que l’AJE a concrétisée. Ce n’est pas un mouvement qui sort de nulle part. il y avait déjà une volonté revendicatrice, une base politique. Il manquait juste quelques leaders pour organiser tout ça ».


Le Parti du Travail doit continuer à soutenir la lutte de l’AJE avec encore plus de détermination. Cette nouvelle volonté de la jeunesse de ce canton à lutter pour ses droits, cette capacité nouvelle à s’organiser pour cela, est un événement d’une importance qui ne doit pas être sous-estimée. Elle montre de façon éclatante que les années de plomb du consensus néolibéral, de la résignation, de l’individualisme et de la réaction sur toute la ligne touchent à leur fin. Les peuples commencent aujourd’hui à se soulever de plus en plus contre un ordre capitaliste oppressif qui ne peut plus durer. Il revient à la jeunesse une place majeure dans ce combat. Ainsi que le disait Salvador Allende : « Etre jeune et ne pas être révolutionnaire est une contradiction presque biologique ». Quant au rôle de la conseillère d’Etat Torracinta, il ne fait qu’illustrer de façon particulièrement flagrante la faillite totale de la social-démocratie, qui apparaît sous un jour encore plus brutal aujourd’hui que le gouvernement « socialiste » français utilise une astuce particulièrement antidémocratique, l’article 49-3, pour faire passer la loi Macron, ce retour au non-droit du travail qui fut en vigueur durant le capitalisme le plus sauvage du XIXème siècle, et que le Pasok grec se trouve justement laminé du fait d’avoir trop trahi. Si elle vivait en Grèce, Anne-Emery Torracinta aurait eu toute sa place à la direction du Pasok. De cette social-démocratie faillie, il n’y a jamais rien eu à attendre. Il y en a encore moins à attendre aujourd’hui. C’est à nous qu’il revient plus que jamais de donner aux luttes d’aujourd’hui la perspective politique d’une autre société qui seule peut réellement satisfaire leurs revendications.

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