Le
29 janvier eut lieu à Genève une importante manifestation unitaire, organisée
avec le soutien du Parti du Travail, contre les politiques d’austérité imposées
par la majorité de droite du Grand Conseil et pour la défense du service
public. Dans le cadre du cortège, une place importante et remarquée était tenue
par près de mille étudiant-e-s du postobligatoire, mobilisés contre la réforme
du collège mise en place de façon particulièrement peu démocratique par la
conseillère d’Etat Anne-Emery Torracinta, pourtant encartée au PS, et contre
les coupes budgétaires dans le DIP voulues par la droite. Cette importante
mobilisation de la jeunesse de notre canton était organisée par l’Association
des Jeunes Engagés (AJE). Le Parti du Travail a décidé de donner la parole dans
les colonnes de son journal au président de l’AJE, Gabriel Millan, actuellement
collégien à Rousseau, en plus de plusieurs autres engagements associatifs et
citoyens.
La
première chose à dire c’est que l’AJE n’a pas été créée de toutes pièces pour
contrer la réforme Torracinta ni n’est active sur ce seul objet, puisqu’elle a
été fondée en décembre 2013 déjà, pour s’opposer à d’importantes coupes
budgétaires prévues alors par la Ville de Genève qui auraient tout
particulièrement touché les jeunes, mais aussi avec l’objectif d’en faire un
mouvement plus global, un syndicat défendant tous les jeunes, pas seulement les
étudiants du postobligatoire, mais aussi les jeunes travailleurs, ainsi que les
jeunes sans activité professionnelle, et qui les défende sur leur lieu de
travail ou d’étude, et qui lutte pour qu’existent des lieux culturels et de vie
pour les jeunes. Un premier rassemblement organisé devant le Collège Rousseau
avait réuni une dizaine de collégiens. L’AJE avait par la suite fonctionné avec
des hauts et des bas, peu de membres actifs permanents et des coupures parfois
longues entre activités.
Durant
les vacances d’été 2014, les responsables de l’AJE avaient élaboré tout un
planning pour réorganiser l’association dès la rentrée…qu’ils ont dû
drastiquement remanier à la rentrée une fois qu’ils eurent appris le contenu de
la réforme, profondément scandaleuse, du postobligatoire voulu par la
conseillère d’Etat Torracinta. Rappelons en effet qu’elle prévoit de durcir
encore le Collège, déjà assez difficile en l’état, sous le prétexte hypocrite
d’éviter les mauvais choix en matière d’orientation à la sortie du Cycle
d’Orientation, mais en réalité avec le seul et unique but de faire des
économies sur le dos des élèves et essayant d’en réorienter le plus possible
vers les ECG et les écoles de commerce, ce qui coûterait moins cher à l’Etat.
Or il se fait que les classes de ces écoles sont actuellement surchargées bien
au delà des normes légales et ne pourraient dans la plupart des cas accueillir
des nouveaux élèves en cours d’année…
Face
à cette réforme, l’AJE a lancé une pétition, qui a recueilli de l’ordre de 2'300 signatures, organisé un
rassemblement auquel se sont rendues près de 100 personnes, et enfin une
manifestation en octobre partant de l’île Rousseau et arrivant au DIP pour
remettre les signatures de la pétition, toutes démarches que le Parti du Travail
avait soutenues. Toutes ces mobilisations ont beaucoup fait grandir l’AJE. Une
rencontre avec Anne-Emery Torracinta eut lieu après la manifestation, mais elle
refusa de négocier sur quoi que ce soit. Du reste, l’AJE a dû faire face à une
arrogance sans borne de la part du DIP et de sa conseillère d’Etat de tutelle,
inacceptable dans une démocratie et particulièrement indigne d’une élue
« socialiste » : refus de toute négociation sur quoi que ce
soit, réponses arrivant de plus en plus tard et avec à chaque fois le même
argumentaire à côté de la plaque et qui pourtant avait déjà été démonté
plusieurs fois.
Avec
les coupes budgétaires massives, notamment dans le DIP, votées par la majorité
de droite du Grand Conseil en décembre 2014, la mobilisation prit une nouvelle
dimension. C’était la concrétisation de ce que l’AJE avait prévu : la
réforme Torracinta n’était qu’une première coupe budgétaire cachée, suivie
désormais par d’autres, cette fois déclarées. La décision fut prise d’organiser
une grève étudiante en même temps que la grève de la fonction publique pour
lutter contre ces coupes budgétaires. Des assemblées étudiantes furent
organisées dans une dizaine d’établissements, avec à l’ordre du jour le choix
de participer à la grève ou rien. Au final, la grève du 29 janvier réunit un
millier d’étudiants provenant de plus de dix établissements. A propos, un
préavis de grève fut envoyé au DIP dix jours à l’avance avec l’espoir d’ouvrir
ainsi les négociations. La réponse de la conseillère d’Etat Torracinta fut digne
du pire des patrons : aucune ouverture, aucune volonté de négocier,
seulement des menaces de sanction (absences non-justifiées en cas de
participation à la grève, note de 1 en cas d’épreuve manquée). Une magistrate
« socialiste » aurait difficilement pu tomber plus bas…
Grâce
à la grève du 29 janvier, l’AJE a gagné encore plus de membres, au point que
les Assemblées générales, régulières, qui rassemblent à chaque fois beaucoup de
monde et donnent lieu à de longs et intéressants débats, sont devenues compliquées
à gérer du fait du nombre important de participants. Au point que l’AJE en
songe à modifier ses statuts afin de se doter de sections par établissement et
de fonctionner en Assemblées de délégués. Pour ce qui est de la suite, une
nouvelle demande de négociation a été envoyée au DIP suite à la grève, pour
l’instant restée sans réponse. Une Assemblée générale décidera des mesures à
prendre selon quelle aura été la réponse et s’il y en aura eu une.
L’AJE
se veut totalement indépendante des partis politiques et surtout des
institutions étatiques. Elle tient à cette indépendance politique afin de
pouvoir défendre tous les jeunes quelles que puissent être leurs convictions
politiques par ailleurs. Cela n’empêche pas que plusieurs membres du comité
militent dans des organisations de gauche. C’est du reste très logique. On
imagine en effet mal des jeunes de droite animer un mouvement de lutte, à moins
d’un scénario de science-fiction. Mais la différence est très bien faite entre
travail syndical et politique. Ses seuls revenus proviennent des cotisations
des membres, en plus de quelques dons ponctuels. C’est peu, les cotisations
étant fixées en fonction du peu que les jeunes peuvent mettre de leur poche,
mais c’est le prix à payer pour l’indépendance, pour continuer à rester un
syndicat de lutte, de ne pas tomber au niveau de syndicat
« officiel », succursale de l’administration d’Etat. L’exemple de la
soupô, officiellement syndicat des collégiens depuis un certain nombre
d’années, est particulièrement parlant. Devenue totalement dépendante du DIP
pour son financement et ses locaux, la soupô n’était en réalité guère plus
qu’un comité d’organisation du cortège de l’Escalade (c’est du moins le
souvenir qu’avait gardé de ses relativement récentes années de Collège l’auteur
de ces lignes). Or elle s’était réveillée l’année passée…pour militer contre la
grève ! Certains de ses responsables ont même soutenu ouvertement l’idée
que le collège doit être élitiste : drôle d’attitude pour des « syndicalistes »…
Mais
l’essentiel n’est pas là. Pour Gabriel Millan, le plus grand succès de l’AJE
est d’avoir permis un investissement militant très fort de nombreux jeunes. Des
jeunes encore plus nombreux savent désormais que s’ils constatent une injustice
à leur égard, ils peuvent s’adresser à leur syndicat, alors qu’ils n’avaient
pas la conscience de pouvoir lutter pour leurs droits auparavant. Ainsi qu’il
le dit : « Même si au final la lutte contre la réforme
Torracinta échoue, cette conscientisation est déjà une victoire. Il se passe
vraiment un truc chez les jeunes. Ce n’est pas l’AJE qui a créé la colère chez
les jeunes. Il existait déjà en quelque sorte à la fois un briquet et une
matière inflammable. Il y avait déjà une volonté de se battre que l’AJE a
concrétisée. Ce n’est pas un mouvement qui sort de nulle part. il y avait déjà
une volonté revendicatrice, une base politique. Il manquait juste quelques
leaders pour organiser tout ça ».
Le
Parti du Travail doit continuer à soutenir la lutte de l’AJE avec encore plus
de détermination. Cette nouvelle volonté de la jeunesse de ce canton à lutter
pour ses droits, cette capacité nouvelle à s’organiser pour cela, est un
événement d’une importance qui ne doit pas être sous-estimée. Elle montre de
façon éclatante que les années de plomb du consensus néolibéral, de la
résignation, de l’individualisme et de la réaction sur toute la ligne touchent
à leur fin. Les peuples commencent aujourd’hui à se soulever de plus en plus
contre un ordre capitaliste oppressif qui ne peut plus durer. Il revient à la
jeunesse une place majeure dans ce combat. Ainsi que le disait Salvador
Allende : « Etre jeune et ne pas être révolutionnaire est une
contradiction presque biologique ». Quant au rôle de la conseillère d’Etat
Torracinta, il ne fait qu’illustrer de façon particulièrement flagrante la
faillite totale de la social-démocratie, qui apparaît sous un jour encore plus
brutal aujourd’hui que le gouvernement « socialiste » français
utilise une astuce particulièrement antidémocratique, l’article 49-3, pour
faire passer la loi Macron, ce retour au non-droit du travail qui fut en
vigueur durant le capitalisme le plus sauvage du XIXème siècle, et que le Pasok
grec se trouve justement laminé du fait d’avoir trop trahi. Si elle vivait en
Grèce, Anne-Emery Torracinta aurait eu toute sa place à la direction du Pasok.
De cette social-démocratie faillie, il n’y a jamais rien eu à attendre. Il y en
a encore moins à attendre aujourd’hui. C’est à nous qu’il revient plus que
jamais de donner aux luttes d’aujourd’hui la perspective politique d’une autre
société qui seule peut réellement satisfaire leurs revendications.
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