Chères et chers camarades,
Nous aurions pu commencer ce cycle de conférences ouvertes aux membres en vue de l’adoption d’un nouveau programme politique du PST-POP par bien des sujets. La rédaction d’un programme politique peut être abordée par bien des angles. Si nous avons choisi de partir de l’analyse de la Suisse, et plus spécifiquement de sa structure de classe, ses rapports de classe aujourd’hui, c’est bien parce que la réalité de la division de la société en classes sociales, et la lutte qui les oppose, constitue précisément la base sur laquelle une société s’édifie, et qui détermine en dernière instance toute le reste. Qui détermine également la stratégie de notre Parti.
Comme tout parti politique, le PST-POP tire sa raison d’être d’incarner, de représenter politiquement certains intérêts et aspiration de classe bien déterminés, et de chercher à les faire prévaloir. Contrairement à la plupart des autres partis politiques de notre pays, non seulement il en est conscient, mais il l’affirme ouvertement. Il fut fondé en effet explicitement comme parti politique de la classe ouvrière. Son nom, du reste, affirme par lui-même son ancrage de classe : Parti Suisse du Travail (« Travail » par opposition au « Capital »), Parti Ouvrier Populaire.
Le deuxième programme politique du PST-POP, datant de 1968, qui était lui-même une version mise à jour du premier, datant de 1959, définit clairement notre Parti comme un Parti de classe :
« Le Parti du Travail est l’unique force politique qui s’oppose réellement au régime capitaliste et à la domination de la bourgeoisie. Il est aussi l’unique parti qui soit fidèle aux principes du socialisme scientifique. Il est le seul parti qui lutte pour une transformation fondamentale de la société, pour la prise de pouvoir par les ouvriers et les paysans, pour une Suisse nouvelle qui mettra le travail à la première place et supprimera l’exploitation de l’homme par l’homme, la crainte du lendemain, la peur du chômage, de la maladie, de la vieillesse. Le Parti du Travail joue donc dans la politique suisse un rôle nécessaire et irremplaçable.
Le Parti du Travail est l’héritier des meilleures traditions démocratiques et progressistes du mouvement ouvrier suisse et de l’esprit humaniste de notre peuple. Il a groupé dans ses rangs depuis 1944 les communistes, les socialistes et les sans parti qui avaient uni leurs forces avant et pendant la seconde guerre mondiale pour lutter dans notre pays contre le fascisme et la guerre et contre la réaction.
Le Parti du Travail est une communauté où se sont librement associés pour la lutte politique des citoyens et des citoyennes animés des mêmes convictions, des socialistes et des communistes. Il est le détachement le plus conscient et le plus discipliné des classes laborieuses ».
Pour l’essentiel, cette définition demeure juste aujourd’hui. Le tout est que le Parti soit à la hauteur de cette définition. C’est un combat de tous les jours que d’y parvenir.
Un des objectifs majeurs adoptés par le XXIVème Congrès du PST-POP était d’organiser notre Parti en tant que Parti des travailleuses et travailleurs. Quelques pas ont été réalisés en ce sens, comme la constitution d’un département syndical fonctionnel dans ses instances nationales, l’adoption d’une résolution pour une campagne pour la réduction du temps de travail par le Comité central, et une participation active du Parti au mouvement de lutte des travailleuses et travailleurs de la construction. L’organisation du Parti sur les lieux de travail, et pas uniquement sur une base territoriale, reste en revanche un objectif encore lointain. Un sondage auprès de nos membres a aussi montré qu’ils sont, pour plus de la moitié d’entre eux, fonctionnaires ou enseignants. Un grand travail reste à faire pour que notre Parti devienne réellement celui des travailleuses et travailleurs de notre pays.
Mais qu’est-ce que cela signifie, un parti de classe, un parti de la classe ouvrière ? L’incipit du Manifeste du Parti communiste est bien connu : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte des classes ».
Ce qui est moins généralement compris, c’est que cette thèse, si elle n’est pas manifestement fausse, recouvre une théorie générale du conflit social, dans toutes ses dimensions, et pas uniquement l’affrontement direct entre classes dominantes et classes opprimées. La contradiction fondamentale de toute formation sociale est celle opposant les deux classes, respectivement exploiteuse et exploitée, de son mode de production dominant : pour une société capitaliste, la contradiction entre bourgeoisie et prolétariat. La lutte de classe, c’est avant tout l’opposition irréductible, antagonique, entre ces deux classes. Mais c’est aussi le combat pour leurs intérêts d’autres classes, héritées du passé, ou bien produites par le mode de production dominant, et les alliances, provisoires ou temporaires que celles-ci concluent avec, respectivement, la bourgeoisie et le prolétariat : anciennement la noblesse féodale, la petite bourgeoisie, l’encadrement, et peut-être d’autres. La lutte des classes, c’est aussi la lutte pour l’hégémonie entre classes dominantes, et la lutte internationale de différentes bourgeoisies nationales pour des débouchés commerciaux, le contrôle de matières premières, de marchés, de zones d’influences…C’est aussi la lutte de pays du Sud global pour se libérer des chaînes du néocolonialisme et de l’échange inégal, pour un développement endogène – en ce cas la question sociale peut prendre une forme principalement nationale. La lutte des classes recouvre également la lutte des femmes pour mettre fin à une division sociale du travail inégale, un système patriarcal construit à leur détriment. La lutte des classes recouvre certainement d’autres contradictions objectives encore.
Si la classe ouvrière est la seule classe réellement révolutionnaire, de par ses conditions d’existence, dans une société capitaliste, la seule classe capable de conduire la lutte de classe jusqu’au bout, jusqu’au renversement de la classe dominante, et l’édification d’une nouvelle société socialiste, phase de transition vers une société communiste où la division de la société en classes ne sera plus, elle doit néanmoins, si elle veut pouvoir triompher, prendre en compte toutes ces contradictions, et faire converger toutes ces luttes émancipatrices en un combat anticapitaliste commun. Car cette convergence ne va pas de soi. Il peut exister des contradictions tendancielles entre différentes exigences émancipatrices, toutes également légitimes en elles-mêmes, qui, si elles ne sont pas résolues dans un sens de convergence des luttes, peuvent être exploitées par la bourgeoisie pour les dévoyer, et cimenter des alliances sociales à son profit, au profit du maintien du système dominant. L’intégration d’une partie de la classe ouvrière à un projet impérial, en échange de quelques retombées de l’exploitation des peuples colonisés, la rupture de ce fait de la solidarité internationaliste, n’est que l’exemple le plus connu de ce type de stratégie de la part de la classe dominante. Dans les conflits sociaux objectivement existants la dimension de lutte des classes n’est pas toujours directement évidente, c’est le rôle de l’analyse scientifique que la déceler.
Ainsi que l’écrit Lénine dans Que faire ?, la conscience de classe pour la classe ouvrière est quelque chose d’extrêmement exigeant :
« La conscience de la classe ouvrière ne peut être une conscience politique véritable si les ouvriers ne sont pas habitués à réagir contre tout abus, toute manifestation d'arbitraire, d'oppression, de violence, quelles que soient les classes qui en sont victimes, et à réagir justement du point de vue social-démocrate, et non d'un autre. La conscience des masses ouvrières ne peut être une conscience de classe véritable si les ouvriers n'apprennent pas à profiter des faits et événements politiques concrets et actuels pour observer chacune des autres classes sociales dans toutes les manifestations de leur vie intellectuelle, morale et politique, s'ils n'apprennent pas à appliquer pratiquement l'analyse et le critérium matérialistes à toutes les formes de l'activité et de la vie de toutes les classes, catégories et groupes de la population. Quiconque attire l'attention, l'esprit d'observation et la conscience de la classe ouvrière uniquement ou même principalement sur elle-même, n'est pas un social-démocrate ; car, pour se bien connaître elle-même, la classe ouvrière doit avoir une connaissance précise des rapports réciproques de la société contemporaine, connaissance non seulement théorique... disons plutôt : moins théorique que fondée sur l'expérience de la vie politique. Voilà pourquoi nos économistes qui prêchent la lutte économique comme le moyen le plus largement applicable pour entraîner les masses dans le mouvement politique, font œuvre profondément nuisible et profondément réactionnaire dans ses résultats pratiques. Pour devenir social-démocrate, l'ouvrier doit se représenter clairement la nature économique, la physionomie politique et sociale du gros propriétaire foncier et du pope, du dignitaire et du paysan, de l'étudiant et du vagabond, connaître leurs côtés forts et leurs côtés faibles, savoir démêler le sens des formules courantes et des sophismes de toute sorte, dont chaque classe et chaque couche sociale recouvre ses appétits égoïstes et sa “nature” véritable; savoir distinguer quels intérêts reflètent les institutions et les lois et comment elles les reflètent. »
Une stratégie de classe pour le PST-POP suppose, premièrement qu’il devienne le Parti de la classe ouvrière, et deuxièmement, l’art de la formation d’alliances avec d’autres classes et couches sociales intéressées à un changement de société. Ces alliances ne vont pas de soi, et doivent être fondées sur une analyse scientifique de la société, et rendre justice aux exigences et revendications particulières de ces différentes classes et couches sociales afin de cimenter l’alliance. Par opposition à tout populisme de gauche - qui croit pouvoir construire un clivage binaire peuple versus élites sur la base de critères plus ou moins arbitrairement choisis en fonction d’une dimension de communication plutôt que d’une analyse scientifique, et qui voit le peuple comme une masse indivise – une alliance de classe ne peut être fondée que sur des critères objectifs, scientifiquement attestés, et ne peut être que l’aboutissement d’un patient travail qui prend à la fois en compte la complexité de la réalité et des exigences et revendications particulières des différences composantes de l’alliances et de l’objectif commun, qui ne peut être amené et suivi jusqu’au bout que par la classe ouvrière. Le « peuple », alors, loin d’être un tout indivis et immédiatement saisissable, est le résultat de cette stratégie d’alliance cimentée par le parti de la classe ouvrière.
Comment le PST-POP a-t-il pensé une telle alliance de classe ? Comme il est encore écrit dans le programme politique de 1968 du PST-POP :
« La classe ouvrière, la paysannerie laborieuse, les artisans et commerçants, les employés, les techniciens, les intellectuels constituent ensemble les vraies forces créatrices du pays et l’immense majorité de sa population. Or toutes ces couches sociales sont exploitées par le grand capital, que ce soit à titre de salariés ou de producteurs agricoles, de consommateurs ou de locataires, de débiteurs, etc. Qu’il s’agisse des uns ou des autres, leur niveau de vie ou leur existence même sont menacés par les monopoles industriels et bancaires et par la concentration capitaliste.
Le grand effort qui s’impose, c’est donc de grouper ces forces aujourd’hui dispersées en un puissant mouvement populaire, de forger leur union à travers des actions communes pour la défense de leurs intérêts communs contre les trusts et les puissances d’argent ».
Cette stratégie d’alliance, de rassemblement de ces classes et couches sociales autour de la classe ouvrière, en vue d’un changement de rapport de forces et de premier pas vers un changement de société, était-elle juste ? Certainement. Elle était fondée sur une analyse scientifique, marxiste, de la société suisse de cette époque. Elle reste certainement juste dans ses grandes lignes aujourd’hui. Toujours est-il que le Parti ne fut pas en mesure de mettre cette stratégie alors, et que ce qu’il représente actuellement n’est qu’une fraction de ce qu’il était en 1968. Et la Suisse d’aujourd’hui est naturellement différente de ce qu’elle était il y a cinquante ans. Il faudrait reprendre aujourd’hui ce travail à nouveau frais, ce qui suppose premièrement une analyse scientifique de la société suisse et de sa structuration en classes, et deuxièmement une lutte de tous les instants pour une alliance entre les classes et couches sociales intéressées objectivement à un changement de société. Ce qui est tout sauf une sinécure, comme la situation présente du Parti ne le démontre que trop bien.
Le Parti se doit de redéfinir sa stratégie, sur la base d’une analyse scientifique de la société suisse d’aujourd’hui, et se donner les moyens de la mettre en œuvre, de vaincre afin de pouvoir enfin rompre avec le capitalisme et de changer cette société. Au rythme de la dégradation accélérée de notre planète, causée par la course au profit à court terme et à tout prix, il ne nous reste que peu d’années pour cela.
Mais le PST-POP peut y parvenir. Le seul fait que notre Parti existe toujours depuis 80 ans, malgré tous les propagandistes bourgeois qui prédisaient sa disparition imminente, prouve qu’il a un rôle irremplaçable à jouer dans la société suisse. Encore faut-il qu’il s’en donne les moyens. Mais notre Parti en est certainement capable. Parce que, à part lui, personne ne peut le faire.
La conférence d’aujourd’hui, la très utile présentation du professeur Ueli Mäder que nous venons d’écouter, et le débat qui va suivre cet après-midi, devraient grandement contribuer à cette avancée décisive en vue d’un programme politique du PST-POP, et, dans un avenir prochain, d’une transformation radicale de notre pays.