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30 décembre 2023

Il y a 80 ans était fondé le Parti du Travail genevois

 



Le 8 juin 1943 se réunit l’Assemblée constitutive du Parti ouvrier (PO), qui allait devenir un an plus tard la section cantonale genevoise du PST-POP. A l’article 2 de ses statuts, le nouveau parti se fixait les buts suivants : « Le Parti ouvrier a pour but la défense des intérêts matériels, spirituels et moraux de l’ensemble des travailleurs citadins et campagnards dans l’ordre politique, économique et social. Il collabore avec tout groupement poursuivant les mêmes buts ». Charles Gorgerat était élu président du PO.

 

Dans la formulation de ces buts statutaires, on en reconnaît sans peine la tradition politique. Et pourtant, beaucoup de choses y manquent : l’idée d’un parti de la classe ouvrière est là, mais pas de but final, ni de base idéologique explicite. C’est que la situation historique était particulière. La fondation du PO genevois, peu après celle du POP vaudois, était un premier pas en vue de la renaissance légale d’un mouvement politique que l’État suisse avait tenté d’éradiquer. Il convient ici de remonter un peu dans le passé.

 

Avant le Parti du Travail

 

Dans l’entre-deux guerres, la Suisse était traversée de tensions sociales aigues, entre une crise économique dont les classes populaires souffraient durement, une bourgeoisie tentée par le fascisme, et une classe ouvrière combative, mais dont les organisations ne l’étaient pas toutes : d’un côté, le PSS et l’USS, dont les dirigeants s’engageaient dans la collaboration de classe avec la bourgeoisie ; et de l’autre un Parti communiste (PCS), combatif minoritaire, et deux louables exceptions à l’intérieur du PSS, les sections Vaud et Genève. Dans ce dernier canton, le PS, avec à sa tête Léon Nicole, était un parti de lutte de classe, marxiste, et plutôt pro-soviétique. Les relations entre ces deux partis étaient compliquées, le PS regardant le PC de haut, et ce dernier critiquant le PS de façon non-objective, appliquant de façon peu pertinente des directives de la IIIème Internationale prenant peu en compte la diversité des réalités locales. Il faut dire que la grève générale de 1918, malgré la capitulation inconditionnelle après trois jours du Comité d’Olten qui la dirigeait – et qui aurait guère pu faire autrement en pratique, le prix à payer pour l’opportunisme et le réformisme du PSS et de l’USS avant la guerre étant que ces organisations n’étaient simplement pas préparées pour une véritable épreuve de force ; le mouvement ouvrier suisse avait besoin d’une régénération, que seul le marxisme-léninisme pouvait apporter – suite à l’ultimatum du Conseil fédéral, la bourgeoisie suisse n’en avait pas moins éprouvé de la peur, et réagi par une attitude ultra-réactionnaire confinant à la pathologie. Il faut dire aussi que la scission qui a donné naissance au PCS s’est faite trop à gauche : si elle a été importante en Suisse alémanique, seule des organisations extrêmement réduites se sont détachées du PS en Romandie, à Genève et Vaud surtout, alors que nombre de camarades qui auraient pu devenir communistes ont préféré rester au PS. Ce processus de séparation entre deux lignes était néanmoins inéluctable, et allait s’achever à la fondation du Parti du Travail.

 

L’aggravation de la crise, la montée du fascisme, et le tournant pris par le VIIIème Congrès de la IIIème Internationale en faveur de la politique du front commun, allaient les rapprocher. Ce qui allait se faire jusqu’au bout dans la clandestinité. C’est que la bourgeoisie suisse était tentée par un rapprochement avec le fascisme pour assurer sa domination. En 1937, le PC est interdit à Genève (et en 1940 dans toute la Suisse). Ses membres passent au PS. En 1939, le PSS exclut ses sections genevoise et vaudoise, qui forment la Fédération socialiste suisse, interdite à son tour en 1941. Le PS genevois actuel provient d’une scission de droite du parti dirigé par Léon Nicole. Et, le 21 juin 1941, 27 députés étaient exclus du Grand Conseil ; 270 citoyens étaient déclarés inéligibles. Les anciens membres du PC et du PS allaient devoir lutter ensemble dans la clandestinité, distribuant sous le manteau brochures et journaux imprimées sur des presses clandestines (publications qui seules en ces sombres années disaient la vérité sur la guerre, et qui pour cette raison se vendaient toujours très bien), en butte à la répression (des camarades étaient condamnés à des peines de prison fermes pour le seul délit d’opinion), pendant que la Suisse officielle travaillait sans scrupules pour le IIIème Reich.

 

Mais la situation change à partir de la bataille de Stalingrad. La bourgeoisie suisse commence à comprendre qu’elle a fait un mauvais pari en misant sur l’Allemagne. Les procès politiques s’enlisent peu à peu, et la répression se fait plus discrète. Néanmoins, les interdictions anti-communistes étaient toujours en vigueur. En 1943, la Liste du Travail, ne comptant que des candidats non frappés d’inéligibilité, obtint la première place aux élections municipales en Ville de Genève. Après la création du POP vaudois, puis du PO genevois, d’autres partis cantonaux sont fondés les uns après les autres.


En août 1944, est autorisée la publication de la Voix ouvrière, ancêtre Voix Populaire, magazine romand de notre Parti, dans lequel est imprimée une version abrégée du présent article. Le PO doit avoir au début une double direction : une officielle, composée de camarades nouveaux, épargnés par les interdictions, et qui est obligée de se réunir sous la surveillance de la police politique ; et une autre, composée de cadres issus des anciens PS et PC.

 

S’il fut désigné président du nouveau PO parce qu’il n’était pas touché par les interdictions, il convient de dire que le camarade Gorgerat (1900-1990) était tout sauf un simple prête-nom. Ce facteur, qui fut mis « au provisoire » (c’est-à-dire privé de possibilité d’avancement), sans toutefois être licencié, suite aux nouvelles mesures de répression anticommunistes qui firent place aux interdictions pures et simples, sera élu dans le premier Comité directeur du PST-POP, puis siégea au Comité central ; il fut conseiller municipal en Ville de Genève de 1943 à 1959 (et président du Conseil municipal en 1945-1946) ; député au Grand conseil de 1945 à 1969. Après sa retraite, il milita activement à l’AVIVO, et en fut le président au niveau genevois et suisse.

 

Des débuts triomphants

 

En 1944, à la fondation du PST-POP, le PO devient sa section cantonale genevoise et prend le nom de Parti du Travail (PdT). Le PdT était composé de militants de l’ancien PC, de ceux issus du PS, plus nombreux, ainsi que nombre de membres qui s’engageaient dans un parti politique pour la première fois. Le choix d’un nom autre que « parti communiste » reflétait toutefois plus les origines du nouveau parti que sa nature. Il n’est pas exact en tout cas de dire que le PST-POP était à sa fondation un « parti de rassemblement populaire » et non un parti communiste, qu’il voulait être ce large parti de rassemblement populaire, et que c’est malgré sa volonté initiale qu’il a fini par devenir un parti communiste lorsque les circonstances lui devinrent hostiles.




 

Jean Vincent (1906-1989), figure centrale du PCS, puis du PST-POP et de sa section genevoise, dirigeant national du Parti, député, conseiller national, orateur de talent, intellectuel d’une immense culture, théoricien marxiste profond, explique les raisons du choix de ce nom dans son livre de souvenirs, Raisons de vivre :

 

« Donc cette union se fit, se scella. Il fallait baptiser le nouveau parti. S’il fut nommé Parti du Travail et non Parti communiste, ce ne fut ni par crainte (on vient de voir qu’elle était assez peu commune) ni par calcul, ni par une manière de ruse politique (qui eût été parfaitement inutile), mais parce que, réellement, il était composé de communiste et de socialistes et que, la plupart du temps, les seconds étaient beaucoup plus nombreux que les premiers ».

 

Le PdT n’aurait pas pu s’appeler « Parti communiste », car il n’était pas le continuateur direct du PCS d’avant-guerre, ni n’était à proprement parler un parti communiste au sens strict que ce terme avait pour désigner les sections de la IIIème Internationale (la volonté de ses fondateurs était de créer un parti moins rigide et plus large, plus ouvert). Mais en un sens à peine plus large, le PdT était indiscutablement un parti communiste, ce qu’il n’a jamais cessé d’être. La base idéologique marxiste du PST-POP ; sa solidarité avec les pays socialistes et le mouvement communiste international ; sa perspective de classe, sa vocation de bâtir le socialisme en Suisse ; tous ces éléments se sont très vite affirmés dans sa pratique comme dans ses publications. Et lorsque le PST-POP se dota d’un programme politique en 1959, celui-ci se fondait explicitement le marxisme-léninisme.

 

En 1945, les interdictions sont levées, et le PdT peut se présenter aux élections cantonales, sans aucune restriction quant à ses candidats. Il réalisera 36% des voix, un score qui fut en-deçà des attentes de Léon Nicole, qui avait surestimé la portée de l’espoir de changement dans l’immédiat après-guerre, et avait escompté une majorité absolue pour le seul PdT. Les dirigeants issus de l’ancien PCS avaient, eux, une vue plus réaliste du rapport de forces. Ce score fut le meilleur jamais réalisé par le PdT. A son apogée, le PdT compta un peu plus de 3'000 membres (contre 20'000 pour le PST-POP dans son entier).

 

Le grand Parti de la classe ouvrière de Genève

 

Malheureusement, ce climat d’optimisme d’après-guerre n’allait pas durer. Car les puissances impérialistes s’engagèrent très vite dans une politique de guerre froide contre l’URSS. Suivit un raidissement violemment anticommuniste de la bourgeoisie suisse. Dès le début des années 50, un climat de persécutions causa des dégâts considérables au PST-POP en Suisse alémanique. Dès la fin des années 40, les effectifs du PST-POP déclinent du fait de ce climat politique devenu plus hostile. Les faits les plus graves se passèrent en 1956, du fait de l’intervention de l’URSS en Hongrie pour empêcher une contre-révolution avec la restauration du capitalisme pour objectif, même si la direction du Parti et de l’État locale, avec Mathias Rakoczy à sa tête (qui devra émigrer en URSS après les faits) était entièrement fautive. Quand bien même le PST-POP n’y était pour rien, la bourgeoisie suisse déchaîna des persécutions anticommunistes délirantes suite à ces événements. Des véritables pogroms anticommunistes eurent lieu en Suisse, qui brisèrent ou presque l’organisation de notre Parti en Suisse alémanique, et les sections cantonales y furent obligées de se replier sur elles-mêmes (quand des cadres devaient fuir en Allemagne de l’Est pour assurer leur sécurité physique, ce dont l’histoire officielle n’aime guère parler). Des événements tragiques, voulus par la bourgeoisie suisse, dont le PST-POP subit encore les conséquences.

 

Ces méthodes furent impuissantes face au PdT, qui était devenu le grand parti de la classe ouvrière de Genève, dépassant le PS en termes d’effectifs (sans en arriver aux 3000 membres du tout début, notre Parti en compta longtemps plus d’un millier) et de scores électoraux pour des années. En 1956, certes, des milieux réactionnaires tentèrent certes, après une action en faveur de l’opposition hongroise et d’une prière collective, de saccager les locaux de la COOPI, l’imprimerie de notre Parti (qui existerait toujours aujourd’hui avec un peu de volonté politique dans les années 90). Mais des camarades surent la défendre, casques sur la tête et battes de baseball à la main, contre les réactionnaires déchaînés, face à une police bourgeoise volontairement passive, et qui n’a consenti à intervenir que lorsque nos camarades l’ont averti qu’il risquait d’y avoir des morts dans le camp d’en face…

 

Si le PdT a pu résister aux pires épreuves, c’est aussi parce que Genève était à cette époque une ville industrielle, passé dont son urbanisme présente de nombreux vestiges. Le PdT était fort de son implantation dans les usines. La section genevoise du PST-POP a longtemps compté des groupes d’entreprise, qui ont fait sa force et qui ont pu forcer la main à des syndicats qui autrement auraient choisi la voie de la collaboration de classe plutôt que de la lutte. L’appareil syndical social-démocrate fut également impuissant à éliminer les communistes des syndicats à Genève, du fait de la force de notre Parti. Le PdT comptait des sections locales dynamiques et réparties sur pratiquement tout le canton, avec une base dévouée et disciplinée, ce qui garantissait son ancrage sur le terrain. Ce qui permettait également de réaliser des ses scores électoraux longtemps élevés. Avec des élu-e-s combatifs et engagés pour le progrès social à la clé. Parmi les succès électoraux passés du PdT, il convient de citer l’accession de Roger Dafflon au Conseil administratif de la Ville Genève en 1970, et que ses collègues rechignèrent, au mépris des usages, à laisser devenir maire de Genève pendant des années. Un maire communiste à Genève, c’était en effet un événement.

 

Notre Parti s’était engagé dans de nombreuses luttes, contre la réaction, et pour le progrès social. Des luttes qui parfois furent directement victorieuses, et même lorsqu’elles ne le furent pas, forcèrent souvent les autorités à aller un peu dans le sens des propositions du PdT. L’AVS, les congés payés, et tant d’autres réalisations sociales n’existeraient pas sans l’action de notre Parti. Que le canton de Genève soit toujours aujourd’hui moins réactionnaire que d’autres est une trace de l’action passée du PdT.

 

Le PdT c’était aussi un intense travail social : les permanences de remplissage des déclarations d’impôt, qui est un service précieux rendu à la population pour un tarif modique, et qui permettait également de conseiller les personnes sur nombre de problèmes sociaux, et qui est un activité que le Parti peut être fier d’avoir réussi à maintenir jusqu’à présent ; ainsi qu’un service social, une aide administrative face à un appareil d’État qui n’aide pas les personnes à faire valoir leurs droits, bien au contraire. Parmi les grands succès au niveau social de notre Parti, il convient ici de citer la création de l’AVIVO, une association qui continue de jouer un rôle indispensable. Le PdT c’était aussi des grandes fêtes populaires, la célèbre Kermesse surtout, à une tout autre ampleur que ce qu’il peut se permettre maintenant. Ce, parmi de nombreuses autres activités.

 

Vers des temps plus difficiles

 

Manifestement, le PdT n’est plus aujourd’hui le grand parti de la classe ouvrière du canton de Genève qu’il fut autrefois. Ce déclin fut progressif, et, bien que les causes en étaient connues, le Parti ne put en empêcher les conséquences d’advenir. C’est d’abord un changement de la structure sociale du canton de Genève qui allait provoquer l’affaiblissement du PdT. Après la fermeture des usines dans les années 70 (délocalisées en Suisse alémanique) et la tertiarisation progressive de l’économie, ce ne fut plus pareil. Dans les bureaux, la dynamique était autre, et le PdT ne réussit pas à s’y implanter. De ce fait, le renouvellement de la base du Parti devint plus difficile, et ses effectifs devinrent vieillissants et s’étiolèrent lentement. 

 

Les vicissitudes du mouvement communiste international, la contre-révolution en URSS et dans la plupart des pays anciennement socialistes, la grande régression néolibérale, furent autant de coups durs pour le PdT. Le PST-POP était mis en difficulté par ce vent mauvais. Le fait de maintenir un lien proche avec le PCUS jusqu’au bout, jusqu’à sa disparition, et de se laisser influencer par sa dérive du temps de la Perestroïka n’aida pas non plus. Le PST-POP renonça au marxisme-léninisme en 1982, puis au centralisme démocratique en 1990, et adopta en 1991 un programme politique (théoriquement toujours en vigueur, même si plus personne ne s’y réfère plus), qui était plus une réaction de traumatisme face à la contre-révolution qui balayait le système des États socialistes qu’un programme politique révolutionnaire. Notre Parti entamait de ce fait le tournant des années 90 dans de mauvaises conditions, doutant de lui-même et de son projet politique. Les propositions de dissolution de notre Parti dans un vague machin unifié de la gauche radicale furent ainsi régulièrement prônées par certains de ses membres, jusqu’à la fin des années 2000, même si, heureusement, elles furent toujours refusées, et ne seraient plus envisageables aujourd’hui.

 

En 1989, le PdT frôla le quorum de 7% par le haut, mais c’était de justesse. Continuer à se présenter seul aux élections devenait risqué. C’est pourquoi, en 1993, le PdT conclut une coalition électorale, avec solidaritéS et des indépendants, sous le nom d’Alliance de Gauche. Un choix qui s’avéra payant d’abord : la liste commune remporta 21% des suffrages aux élections cantonales. Mais, à terme, cette politique des alliances conduisit à un certain effacement du Parti au profit de l’entité qu’est devenue la coalition, et à sa focalisation sur le parlementarisme, ce qui amplifia ses difficultés et son affaiblissement progressif. Et cette coalition, ou plutôt les coalitions successives, devint vite un piège mortel, du fait des méthodes détestables de certains individus, dont nous ne parlerons pas ici, car ils ne valent pas la peine d’être cités dans cet article. Toujours est-il que le PdT aborda le tournant du troisième millénaire dans un état de grave affaiblissement, vivant même une crise aiguë en 2009, par la faute d’éléments nuisibles qui avaient pu s’y infiltrer, et qui faillit presque lui être fatale.

 

Un Parti qui représente l’avenir malgré tout

 

Néanmoins, le PdT est toujours debout après cette période difficile, et a entamé un patient travail de reconstruction après cette crise. Ce en restant fidèle à ses racines, à ce qu’il a toujours été, en s’inspirant, dans des conditions nouvelles, de ce qu’il avait été naguère. Ce travail de reconstruction de l’organisation du Parti, de clarification idéologique, ne fut pas toujours facile, mais il finit par payer. Aujourd’hui le PdT est renforcé, ses rangs ont été rajeunis, la fondation des Jeunes POP Genève lui a donné un nouveau souffle, et il peut envisager l’avenir avec optimisme et détermination (cf. le communiqué sur le dernier Congrès cantonal en page 2). La perte – certainement provisoire – de tous ses mandats électoraux constitue une difficulté supplémentaire, elle signifie aussi la fin d’un cycle, la rupture avec une équipe de personnages peu recommandables qui monopolisaient les sièges parlementaires de la coalition Ensemble à Gauche, et dont les manigances avaient fini par faire perdre tout son sens à cette présence au parlement. La rupture avec ces individus constitue au fond une opportunité, la possibilité de repartir sur des bases saines. 

 

Beaucoup de choses ont changé en 80 ans. A certains égards, nous vivons dans un monde très différent de celui de 1943. Mais les raisons qui ont amené à la fondation de notre Parti restent inchangées aujourd’hui, et l’espérance qui animait ses fondateurs, leur combat, même s’il n’a pas pu triompher alors, restent toujours les nôtres aujourd’hui. C’est en restant fidèle à ce qu’il fut autrefois, en demeurant ferme sur ses principes, fidèle à sa tradition, à l’idéologie révolutionnaire qu’est le marxisme-léninisme, tout en sachant être souple et ouvert aux réalités nouvelles que notre Parti peut jouer son rôle historique. Car, aujourd’hui que le capitalisme conduit à toute vitesse l’humanité vers l’abîme, son remplacement pour une nouvelle société socialiste, qui pourra enfin réaliser la justice social dans le respect des équilibres naturels, est plus indispensable et urgent que jamais.

 

Alexander Eniline

 

Version amplifiée de l’article paru dans le n° 16 de Voix populaire, le magazine en langue française de notre Parti, successeur de la Voix ouvrière, fondée en 1944

 

Pour en savoir plus :

 

U André Rauber, Histoire du mouvement communiste suisseDu XIXe siècle à 1943, Tome I, Éditions Slatkine, Genève, 1997

U André Rauber, Histoire du mouvement communiste suisseDe 1944 à 1991, Tome II, Éditions Slatkine, Genève, 2000

U Jean Vincent, Raisons de vivre, Éditions de l’Aire, Lausanne, 1985

14ème Fête des peuples sans frontières : apprendre des succès et des échecs du passé pour construire l’avenir

 



Il y a 80 ans, le 8 juin 1943, était fondé le Parti ouvrier, qui devient une année après le Parti du Travail, section genevoise du PST-POP.

 

Et il y a 50 ans, le 11 septembre 1973, qu’un coup d’Etat, orchestré par la CIA, avec la collaboration d’une oligarchie locale et d’un commandement militaire réactionnaire,  renversait le président Salvador Allende, démocratiquement élu par le peuple chilien,  mettant ainsi fin à l’expérience de l’Unité populaire, et à la perspective d’une transition démocratique au socialisme qu’elle portait, mettant à la place la sanguinaire dictature du général Augusto Pinochet,  à l’ombre de laquelle des économistes comme Milton Friedman, allaient imposer pour la première fois à un peuple les recettes empoisonnées du néolibéralisme.

 

C’est autour de ces deux anniversaires, l’un glorieux, et l’autre terrible,  que le Parti du Travail a décidé de structurer le programme de la 14ème édition la Fête des peuples sans frontières, traditionnelle fête annuelle de notre Parti, dédiée à l’internationalisme.

 

1943 et 1973, ces deux années marquent en quelque sorte le début et la fin d’un cycle.

 

1943, c’était la bataille de Stalingrad, le tournant de la Deuxième Guerre mondiale, à partir duquel il devint clair  pour tout le monde que les forces de la pire réaction, incarnées par le Troisième Reich et ses alliés, allaient perdre, et que l’Europe allait être libéré par l’Armée rouge, que le premier État socialiste de l’histoire non seulement  ne serait pas anéanti, mais triompherait.

 

Tous les espoirs semblaient alors permis, les peuples aspiraient au changement, voulaient que l’avenir soit meilleur que le passé, que la défaite du nazisme ouvrirait la porte à une ère de progrès social. Le Parti du Travail est né dans cette ambiance d’optimisme, avec pour objectif de faire de ces espérances une rélité.

 

Mais, hélas, cet optimisme de  la seconde moitié des années 40 n’alllait pas durer. Bientôt, lui succèda la Guerre froide. Toutefois, si en Europe occidentale et en Amérique du Nord, la bourgeoisie parvint à garder la main, moyennant quelques concessions à sa classe ouvrière (assez peu d’ailleurs en Suisse, qui est resté un pays socialement très retardataire), au plan mondiale la tendance était posititive : extension du système des États socialistes, décolonisation, expériences progressistes…

 

Le coup d’État de Pinochet marqua la fin de ce cycle et le début d’une ère de réaction : contre-révolutions,  dictatures militaires, régression néolibérale, néocolonialisme, puis disparition de l’URSS et de la plupart des pays socialiste et démantèlement par la bourgeoisie des concessions qu’elle avait dû faire.

 

On peut dire aussi que c’est parce que les changements gagnés dans l’après-guerre ne furent que partiels, qu’ils n’allèrent pas jusqu’à renverser le système capitaliste, et se limitèrent, dans les pays d’Europe occidentale du moins, à des progrès sociaux et démocratiques dans le cadre du capitalisme, qu’ils restèrent précaires et purent être ainsi remis en cause.

 

La  non réalisation du socialisme a conduit au fascisme du général Pinochet. Le programme politique de la 14ème Fête des peuples sans frontières est aussi une occasion d’apprendre des succès et des échecs du passé – la table ronde sur la répression organisée par les Jeunes POP s’inscrit aussi dans ce cadre, afin de se donner les moyens de réaliser les objectifs exaltants pour lesquels notre Parti avait été fondé.

15 mars 2023

Sens des réalités ?




Le PLR fera campagne pour les élections cantonales du 2 avril 2023 au nom du « sens des réalités ». Admettons. Mais de quelles « réalités » parle le PLR. Il s’agit d’une réalité plus que partielle, abordée au travers d’un prisme déformant.

 

Le PLR dit ainsi que sa priorité est de défendre les « classes moyennes ». C’est un grand classique, un peu éculé tout de même. Tous les partis bourgeois prétendent défendre les classes moyennes lors des élections, parce que la bourgeoisie représente trop peu d’électeurs, et parce qu’ils ne peuvent décemment prétendre être du côté de la classe ouvrière. Prétendre se préoccuper des PME alors qu’on veut éviter aux seules multinationales de voir leurs privilèges un tout petit peu réduits, c’est classique aussi. Les propositions du PLR pour les classes moyennes : des baisses d’impôts, et plus de PPE pour moins de logements sociaux, afin de favoriser l’accès à la propriété. Ce même sens des réalités amène le PLR à défendre avec véhémence la place de la voiture en ville, et de s’opposer à toute mesure qui gênerait un tant soit peu les entreprises ou perturberait l’économie capitaliste. Un sens des réalités profondément conservateur, dont le seul réalisme est de toucher le moins possible à l’ordre établi.

 

Ce prétendu « sens des réalités » est en revanche totalement aveugle, volontairement aveugle aux conséquences du réalisme préconisé sur les classes populaires, et même les classes moyennes qu’on prétend défendre lors des campagnes électorales. Car ce prétendu réalisme est réaliste pour les seuls qui sont réellement censés en profiter : la bourgeoisie ; c’est à cette classe que bénéficieront les baisses d’impôts et un plus grand pourcentage de PPE. A la limite, ce serait faire un mauvais procès au PLR que de le lui reprocher. En menant une lutte de classe du côté de la bourgeoisie, il est dans son rôle. Celui de la gauche devrait être de mener une lutte de classe avec la même fermeté contre lui, du côté de la classe ouvrière, plutôt que de chercher le « compromis ». 

 

Le problème c’est qu’il serait plus exact de qualifier de sens du déni ce prétendu réalisme. Un déni aux conséquences désastreuses si on n’y met pas fin. Car, la défense des seuls intérêts de la bourgeoisie conduit à rendre la planète inhabitable dans un avenir proche. Le business as usual est pur aveuglement, une forme de climatoscepticisme plus dangereux car plus pernicieux que la négation ouverte des acquis scientifiques. Seul un changement radical de cette société est aujourd’hui réalisme. 

 

Le Parti du Travail est également mu par un sens des réalités, mais fondamentalement différent de celui du PLR. Nous partons de la réalité matérielle, de celle que vivent les travailleuses et travailleurs, les classes populaires, une réalité dont les partis de la bourgeoisie n’en savent rien ni n’en veulent rien savoir. La raison d’être de notre Parti est de mener une lutte de classe sans concessions, du côté de la classe ouvrière et contre la bourgeoisie, pour changer cette société, pour remplacer le capitalisme par une nouvelle société socialiste, qui assurera la justice sociale et environnementale. L’urgence climatique ne rend que plus indispensable ce changement de société pour lequel nous luttons.

 

C’est au nom de ce sens des réalités que nous nous présentons pour les élections cantonales, sur une liste commune Ensemble à Gauche, avec nos partenaires de solidaritéS et le DAL. Notre alliance n'est pas purement de circonstance, mais se base sur une réelle convergence politique et sur des bases saines. Nos trois organisations proviennent du reste des diverses recompositions du mouvement ouvrier à partir de la Ière Internationale, elles appartiennent à des traditions politiques apparentées. Notre alliance comprend toutes les organisations significatives de la gauche radicale genevoise. Que quelques individus aux méthodes néfastes, et qui ne représentent qu’eux-mêmes, n’y soient pas, n’est pas une rupture de l’unité, bien au contraire.

 

Notre slogan de campagne – « On n’a plus le temps, créons le changement ! » – reflète le véritable réalisme qui porte notre lutte. Si nous voulons avoir des élus au parlement, et éventuellement au Conseil d’État, ce n’est pas pour gérer cette société dans le compromis sans en toucher les bases, mais pour utiliser la marge de manœuvre que ces institutions permettent pour la transformer radicalement. Cet objectif mérite qu’on se batte pour lui.

La neutralité carbone en 2050 ? Impasse du capitalisme vert et du réformisme écologiste




On aurait envie de dire : ils ont enfin compris. En effet, tous les partis, hormis l’UDC, semblent, si on écoute leur discours public, avoir enfin pris la mesure de l’urgence climatique et s’engager à y apporter des solutions fortes qui s’imposent. On pourrait même avoir l’impression que leur engagement ne se limite pas aux paroles, mais que les actes suivent, tant au niveau fédéral, que cantonal et communal. 

 

Tant la Confédération que le canton de Genève, parmi d’autres collectivités publiques, semblent enfin avoir pris la mesure de l’urgence de la situation et adopter des mesures fortes : la loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat et le plan climat cantonal. Les autorités n’hésitent plus à parler de changements structurels, et disent se donner les moyens pour atteindre la neutralité carbone, soit une situation où l’on n’émet pas plus de gaz à effet de serre en une année que la biosphère n’est pas capable d’en résorber. 

 

Malheureusement, il ne faut pas se réjouir trop vite. Les partis au pouvoir sont loin d’avoir pris la mesure de la situation, car les biais de classe qui limitent leur action politique les en empêchent. Contrairement aux apparences, ils sont loin de traiter la crise en cours comme une crise, et veulent surtout tout changer pour que rien ne change. Quant à l’objectif de neutralité carbone, il est invariablement fixé à…2050. Les partis gouvernementaux prétendent qu’il s’agit déjà d’un objectif très radical. Ce n’est hélas pas le cas. Un tel délai, avec tout ce qu’il implique, aurait même des conséquences irréparables. Seuls certains biais cognitifs de nature politique amènent à se fixer des limites de ce qui est politiquement « réaliste » (du point de vue de la bourgeoisie), quitte à sombrer dans le négationnisme scientifique le plus complet, et à ce que la grande majorité de la population le paye très cher dans un avenir aussi proche que les toutes prochaines décennies.

 

Rappel de la réalité scientifique

 

Il faut commencer par rappeler quelque chose qui devrait aller de soi, mais que le système politique actuel et ses partis gouvernementaux peinent à intégrer : la réalité scientifique prévaut nécessairement sur le « réalisme » politique ; avec les lois de la nature, on ne peut pas faire de compromis.

 

Or, que dit le consensus scientifique à ce sujet ? Par « consensus » scientifique, nous voulons parler du GIEC, dont la représentativité et la rigueur scientifique sont incontestables. Non seulement toutes les projections du GIEC ont été amplement confirmées par les faits, mais, loin d’être alarmistes, elles sont en général très prudentes, trop même, et ont dû régulièrement être revues à la hausse.

 

Ce consensus scientifique dit clairement que, si on veut encore avoir une chance de stabiliser le réchauffement climatique à 1,5°C, il faut atteindre la neutralité carbone en 2030 déjà. Ce qui implique de renoncer très rapidement aux énergies fossiles. L’objectif est certes très radical. Mais il faut être conscient du fait que le taux de COdans l’atmosphère est déjà trop élevé, plus qu’il ne l’a été depuis des millions d’années, que cette concentration va rester pour des siècles encore, et que cette crise est cumulative : continuer à rajouter des émissions de gaz à effet de serre, fût-ce plus lentement, revient à aggraver le problème, pas à le résoudre. Et chaque année de perdue aura des conséquences tangibles désormais. Certaines conséquences sont d’ores et déjà irréversibles, et des boucles de rétroaction positive sont enclenchées qui ne peuvent plus être arrêtées.

 

Il est peut-être « économiquement insoutenable », dans un cadre capitaliste, de mettre en œuvre de tels changements structurels aussi vite. Au point extrêmement avancé des dégâts infligés à l’environnement, l’exercice serait particulièrement difficile même sous le socialisme. Mais l’économie actuelle est « soutenable » pour peut-être dix ans encore. Mais dans un monde réchauffé à deux degrés ou plus, où le climat sera encore plus dégradé, quelle économie aurons-nous, et de quelle « soutenabilité » pourrons-nous encore parler ?

 

Actuellement, le réchauffement climatique atteint d’ores et déjà 1,2°C. Et les conséquences en sont dramatiques, même en Suisse. Et elles sont meurtrières ailleurs : ouragans de plus en plus dévastateurs, inondations catastrophiques, montée du niveau de la mer qui stérilise les cotes dont les nappes phréatiques sont envahies par l’eau de mer, sécheresses qui causent des famines…1,5°C est en réalité un scénario catastrophe, mais c’est encore l’objectif le moins pire qu’on puisse encore espérer atteindre. Et, au rythme actuel, on se dirige vers un réchauffement à 3°C d’ici la fin du siècle. Mais tout le monde ne sait pas à quel point la situation deviendra pire, pas dans des décennies, mais d’ici dix ans. Un exemple, si on ne change rien, ou peu, d’ici 15 ans, le niveau de la Méditerranée aura monté de 20 cm. Ce qui est énorme. Cela implique que le delta du Nil sera envahi par l’eau salé et deviendra stérile. Où iront vivre les dizaines de millions de personnes qui y habitent ?


Un plan climat cantonal notoirement insuffisant

 

Le Conseil d’État de la République et canton de Genève, à majorité PS-Verts, est très fier de son Plan climat cantonal, et de quatre autres projets de loi liés, soumis au Grand Conseil.

 

Ce plan climat se veut une réponse à l’urgence climatique ambitieuse et impliquant des transformations structurelles. Il contient des mesures utiles, comme l’accélération de la rénovation des bâtiments, la réduction du trafic motorisé, etc. C’est mieux que rien. Mais il est hélas bien moins radical que le Conseil d’État ne le dit, et loin d’être à la hauteur des enjeux. Il prévoit une réduction de 60% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, et la neutralité carbone pour 2050. Non seulement c’est trop tard, mais d’autres gouvernements cantonaux ont été plus ambitieux : Neuchâtel vise 2040, et Bâle-Ville 2037. Mais même cet objectif excessivement insuffisant de la neutralité carbone en 2050, ce plan climat ne permettrait pas en fait de l’atteindre.

 

Car ce plan climat reste entièrement dans le cadre du capitalisme vert. La plupart des mesures sont purement incitatives. La principale en est le subventionnement, à hauteur de 300 millions de francs, des entreprises et des propriétaires immobiliers pour la transition. Sans aucune considération de justice sociale et climatique : alors que les émissions de gaz à effet de serre sont très majoritairement le fait des plus riches (l’empreinte carbone d’un millionnaire est en moyenne de 66 fois plus que celle d’une personne appartenant aux 10% les plus modestes de la population suisse) et des grandes entreprises, non seulement on ne leur interdit rien, on ne les fait pas payer (alors que les sociétés de trading font des profits record sur le pétrole et le charbon !), mais on veut encore les subventionner, avec nos impôts. En revanche, aucune mesure sociale en faveur des classes populaires, aucune mesure de protection de la santé au travail (alors que les vagues de chaleur font de plus en plus de dégâts).

 

Le Conseil d’État est fier de comptabiliser aussi les émissions de gaz à effet de serre indirectes, par les importations et par l’aviation…mais il veut y faire face grâce à des mesures de compensation dans d’autres pays. Or, non seulement celles-ci sont souvent colonialistes et au détriment des populations locales, mais aussi totalement inefficaces, et se limitent à l’achat d’indulgences pour pouvoir continuer le business as usual. Or, faire semblant de faire quelque chose en se donnant bonne conscience est pire que de ne rien faire, car on croit en avoir fait assez. En revanche, les émissions indirectes des entreprises ne sont pas même prises en compte ; et une mesure phare est la promotion de la « finance durable », alors qu’il est bien connu que c’est du greenwashing. Des solutions techno-optimistes aussi – promotion des voitures électriques, plutôt qu’une diminution drastique de la voiture individuelle, « smart agriculture » plutôt qu’agroécologie – sans aucun souci de la demande en métaux rares et d’énergie que cela implique ; sans même envisager une indispensable sobriété. Certes, le droit supérieur limite la marge de manœuvre au niveau cantonal. Mais de la part d’un Conseil d’État à majorité « de gauche » on aurait pu attendre un peu plus de courage politique.

 

Une loi fédérale tout aussi insuffisante

 

Le 18 juin le peuple devra voter sur la Loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique, contreprojet à l’Initiative sur les glaciers, qui demandait notamment l'interdiction des énergies fossiles d’ici 2050. Les initiants ont retiré leur texte car ils ont estimé que le contreprojet est satisfaisant.

Or, il ne l’est pas et cumule les mêmes défauts que le plan climat genevois. Il ne prévoit pas même l’interdiction des énergies fossiles en 2050, mais vise la neutralité carbone à cette date, et des objectifs de réduction des émissions progressives, en commençant en 2030, pour y parvenir. Sinon, aussi des mesures utiles (rénovation des bâtiments), mais pour le reste incitatives, et qui se doivent d’être « économiquement supportables ». Pour atteindre nonobstant ces objectifs de neutralité carbone, la loi mise sur les « technologies d’émissions négatives », dont on sait fort bien qu’il ne s’agit que d’une goutte d’eau dans la mer, d’une pure campagne de relations publiques pour continuer à polluer en se donnant bonne conscience. Il faudra voter pour bien sûr, parce que c’est mieux que rien, et parce que c’est l’UDC qui a lancé le référendum avec des arguments démagogiques et des délires climatosceptiques. Mais en étant conscient que cette loi sera loin d’être à la hauteur des enjeux.

Bref, toutes ces mesures sont ridiculement insuffisantes. Elles impliquent de faire aujourd’hui ce qui aurait dû être fait dans les années 90, où une transition en douceur était encore possible, mais qui précisément n’a pas été fait, parce que les décideurs bourgeois avaient alors décidé…de ne pratiquement rien faire du tout. Aujourd’hui, il est trop tard pour ça. On ne peut pas rattraper le temps perdu. 

 

Toutefois, le fait d’accepter le mode de production actuel, le capitalisme, comme cadre intangible (ce que même la gauche modérée fait) implique de s’imposer des contraintes qui ne rendent « soutenables » que des bricolages réformistes, qui permettront tout juste de faire semblant que nous faisons quelque chose…jusqu’à ce que le réchauffement climatique nous rattrape.  Il est urgent de changer de système pour briser ces contraintes. Le GIEC parle du reste de la nécessité de changements systémiques. Mais de tels changements systémiques constituent précisément une révolution. Mais une révolution nécessite une théorie révolutionnaire. Or une théorie révolutionnaire, et une seule, a été validée par l’histoire. C’est le marxisme-léninisme.


Le marxisme-léninisme et l’écologie

 

Contrairement à une idée reçue, mais fausse, le marxisme-léninisme n’est pas un productivisme, antinomique de l'écologie. Une conscience écologique est non seulement présente, mais constitutive de la pensée des fondateurs. Citons à ce propos cet extrait célèbre du livre I du Capital de Marx :

 

« Tout progrès dans l’agriculture capitaliste est non seulement un progrès dans l’art de piller les travailleurs, mais aussi dans l’art de piller le sol ; tout progrès dans l’accroissement de sa fertilité pour un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité. Plus un pays, comme par exemple les Etats-Unis d’Amérique part de la grande industrie comme arrière-plan de son développement, et plus ce processus de destruction est rapide. Si bien que la production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en ruinant dans le même temps les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur. »

 

Ou cet autre passage de Friedrich Engels, dans Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme :

 

« Là où des capitalistes individuels produisent et échangent pour le profit immédiat, on ne peut prendre en considération en premier que les résultats les plus proches, les plus immédiats. Pourvu qu’individuellement le fabricant ou le négociant vende la marchandise produite ou achetée avec le petit profit d’usage, il est satisfait et ne se préoccupe pas de ce qu’il advient ensuite de la marchandise et de son acheteur. Il en va de même des effets naturels de ces actions. Les planteurs espagnols à Cuba qui incendièrent les forêts sur les pentes trouvèrent dans la cendre assez d’engrais pour une génération d’arbres à café extrêmement rentables. Que leur importait que, par la suite, les averses tropicales emportent la couche de terre superficielle désormais sans protection, ne laissant derrière elle que les rochers nus ? Vis-à-vis de la nature comme de la société, on ne considère principalement, dans le mode de production actuel, que le résultat le plus proche, le plus tangible ; et ensuite on s’étonne encore que les conséquences lointaines des actions visant à ce résultat immédiat soient tout autres, le plus souvent tout à fait opposées ».

 

Les préoccupations écologiques ne furent pas non plus absentes de la mise en pratique du marxisme-léninisme, le socialisme réel. La réalité du réchauffement climatique fut prise au sérieux en URSS, comme en témoigne le rapport présenté par V. Kirilline, vice-président du Conseil des ministres, au Soviet suprême, en 1972 déjà :

 

« L’atmosphère de notre planète est immense. Le poids de l’air atmosphérique est d’environ 5'000 billions de tonnes. On pourrait penser que les centaines de millions de tonnes de pollutions qui se sont répandues chaque année dans l’atmosphère et représentent moins de 0,0001% du poids de l’air atmosphérique, sont comme une goutte d’eau dans la mer. Or, c’est loin d’être le cas. Premièrement, avec le temps la quantité de substances polluant l’atmosphère s’accumule, deuxièmement les substances polluantes sont inégalement réparties et, en certains endroits, leur concentration dépasse, dès maintenant, la limite admissible, et, troisièmement, des concentrations même faibles de certaines substances sont dangereuses. Les observations montrent que la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère ne cesse de croître. De l’avis de certains savants, cela peut aboutir, par suite de ce que l’on appelle « l’effet de serre », à une élévation de la température de notre planète qui entraînerait la fonte des glaciers et d’autres conséquences indésirables ».

 

Cette prise de conscience s’accompagnait également en tout cas de la volonté d’en tirer les conséquences pratiques, ainsi qu’on peut en juger d’après l’extrait suivant du rapport présenté par Léonide Brejnev au XIVème Congrès du PCUS, en 1977 :

 

  « En prenant les mesures qui vont permettre d’accélérer le progrès scientifique et technique, nous devons tout faire pour qu’il s’accompagne d’une épargne des ressources naturelles, qu’il ne donne pas lieu à une pollution dangereuse de l’atmosphère et des eaux, qu’il n’ait pas pour effet d’épuiser le sol. Le Parti augmente ses exigences vis-à-vis des organismes de la planification et de la gestion, vis-à-vis des commissions d’étude de projets, vis-à-vis de tous les cadres, en ce qui concerne l’étude et la construction d’entreprises nouvelles, l’amélioration du fonctionnement des entreprises existantes sous l’angle de la sauvegarde de l’environnement. Nous devons, et les générations futures doivent avoir la possibilité de jouir pleinement de tout ce que nous offre la généreuse nature de notre pays. Nous sommes prêts à participer également aux mesures collectives internationales ayant trait à la protection de la nature et à l’utilisation rationnelle de ses ressources. »

 

Il ne faut bien entendu pas idéaliser le tableau non plus. Même dans la théorie, la conscience écologique n’a pas toujours été centrale, et une tendance majeure a été de voir comme tâche centrale de la construction du socialisme, puis du communisme, l’accroissement de la production matérielle. Il faut dire néanmoins que ce développement de la production n’a jamais été une fin en soi – contrairement à la croissance infinie sans laquelle le capitalisme ne peut se concevoir – mais un moyen pour répondre à des besoins criants et insatisfaits dans des pays qui partaient d’un niveau de développement extrêmement bas et dont la population avait un niveau de vie très insuffisant. Mais les limites planétaires n’ont pas toujours été prises en compte.

 

La pratique fut encore en-deçà de la théorie, et l’URSS et les pays  socialistes d’Europe de l’Est et d’Asie ne furent pas toujours des modèles en matière d’écologie. L’efficacité énergétique était souvent basse, la consommation d’énergies fossiles guère remise en cause, le gaspillage de ressources parfois important, et les problèmes de pollution et les dégâts à l’environnement réels. Le bilan du socialisme réel en matière d’écologie n’était toutefois pas globalement négatif, et meilleur que celui du capitalisme. Des efforts pour la préservation de l’environnement furent constants et réels, l’obsolescence programmée y était impensable et les produits industriels conçus pour être durables et réparables, des objectifs d'économie de ressources et de recyclages conséquents. Il n’est certes plus possible aujourd’hui de concevoir le socialisme, et la transition du socialisme au communisme, exactement de la même façon qu’on le faisait au XXème siècle. Mais il n’est pas nécessaire de sortir du cadre conceptuel du marxisme-léninisme pour intégrer les enjeux écologiques d’aujourd’hui, et y apporter les réponses radicales qu’ils exigent. La République de Cuba, un pays socialiste, se montre exemplaire en matière d’écologie, et arrive même à être le seul pays qui atteint les objectifs onusiens de développement durable, malgré le blocus ruineux et assassin imposé par les USA.

 

Le Parti du Travail et l’écologie




 

Tout le monde ne le sait pas nécessairement, mais le Parti du Travail a toujours accordé de l’importance à la protection de l’environnement. La question écologique n’était certes pas directement thématisée dans les premiers programmes ; on était, dans les années 40 à 70 au début de la grande accélération de l’économie capitaliste, et que les ravages à l’environnement constatables en Suisse et dans le monde étaient encore moindres. Ces questions n’étaient en revanche pas ignorées dans la pratique du Parti. Et l’écologie entre dans les documents officiels du Parti dès les années 70, pour y prendre une importance croissante. Citons par exemple, le programme d’action du PST-POP, Vivre mieux et autrement, de 1979 :

 

« Le développement anarchique de la société capitaliste porte à l’environnement des atteintes souvent graves. Une solution complète des problèmes écologiques exige donc une modification du caractère de la société. Mais il est indispensable d’utiliser immédiatement tous les moyens efficaces pour sauvegarder et rétablir un environnement naturel sain ».

 

Ou encore la brochure pour les élections municipales genevoises de 1983, Avec vous… : 

 

« Le Parti du Travail est-il un parti écologiste? Non et oui! Non, si l’on considère comme « écologiste » une organisation, un parti dont la protection de l’environnement est le premier, l’unique champ d’intervention; oui, si l’écologie est une préoccupation constante, prioritaire à côté d’autres telles que la recherche de la paix, la défense des intérêts des plus défavorisés, la lutte contre la crise, pour des logements décents, etc.; oui, si le maintien et la protection de l’environnement visent à l’amélioration globale de la qualité de la vie pour tous. Dans ce sens protéger le travailleur, l’habitant, des nuisances auxquelles ils sont exposés par le développement anarchique de notre société visant uniquement à la recherche du profit maximum, a toujours été une de nos préoccupations majeures ».

 

Les préoccupations écologiques du Parti concernaient alors peu le climat (question qui était encore peu connue du grand public). Il était principalement question des problèmes dus à la pollution, la dégradation des milieux naturels, la finitude des ressources naturelles. Mais les solutions proposées par le Parti étaient assez radicales : limitation du trafic automobile en ville et développement des transports publics, opposition à de nouvelles infrastructures routières. Dans le programme politique de 1991 du PST-POP la question du réchauffement climatique fait son apparition, et il y est écrit que la voiture individuelle devra devenir l’exception plutôt que la norme à l’avenir.

 

Aujourd’hui, le Parti du Travail prend la réalité de l’urgence climatique au sérieux, et lutte pour des changements structurels radicaux et rapides nécessaires pour sortir dans de courts délais des énergies fossiles et bâtir une économie durable et économe en ressources, compatible tant avec la justice sociale qu’avec les limites planétaires. Nous pouvons conseiller la lecture de la résolution « Pour une planification énergétique » adoptée par le Comité central du PST-POP du 17 septembre 2022. De tels changements structurels nécessitent une rupture avec le capitalisme dans un avenir proche. Autrement c’est le capitalisme qui rendra bientôt la planète inhabitable.



Quand Alain Berset s’oppose au parti de la guerre




C’est peut-être surprenant, mais il arrive à Alain Berset, conseiller fédéral socialiste (même si ce n’est pas flagrant) et actuel président de la Confédération, de tenir des propos intelligents, à contre-courant et même courageux (quand il ne parle ni des retraites, ni des assurances maladie évidemment).

 

Alain Berset donnait en effet une interview au journal Le Temps, parue dans le numéro du 4 mars 2023. Il était interrogé sur la politique étrangère de la Confédération, principalement en lien avec la guerre en Ukraine. Il a défendu à cette occasion la politique menée par le Conseil fédéral, avec une posture globalement conservatrice – il ne faut pas changer les règles en temps de crise, ne pas toucher aux fondamentaux – et en insistant sur le rôle particulier de la Suisse. Mais il a fondé cette posture sur une analyse plutôt lucide et à contre-courant de la propagande de guerre atlantiste, avec des propos comme ceux qui suivent :

 

« Je suis très préoccupé par le climat guerrier qui règne actuellement un peu partout dans le monde, y compris en Suisse. On a l’impression que certains acteurs, même d’anciens pacifistes, sont comme emportés par l’ivresse de la guerre. Pourtant, l’histoire du continent et du XXe siècle nous a appris à rester très prudents face à une situation qui pourrait devenir extrêmement dangereuse pour l’Europe, pour la Suisse, pour le respect du droit international. Je le dis en rappelant bien sûr que cette guerre est une véritable tragédie pour l’Ukraine et pour le continent. En même temps, nous ne sommes pas naïfs. Ce conflit dure au moins depuis 2014. Nous devons prendre la mesure de la brutalité de l’invasion russe de février 2022, mais on ne peut pas faire comme si l’annexion de la Crimée en 2014 n’avait pas existé ».

 

L’analyse des événements survenus en 2014 devrait naturellement être plus complexe. La question de la Crimée n’est pas non plus si simple. Mais c’est en soi un signe de lucidité à saluer que de ne pas s’aligner sur le récit de l’invasion russe comme une sorte d’éclair dans un ciel serein, et de dire que le conflit date en tout cas de 2014. Mais pour le reste, ce n’est pas rien d’entendre le président de la Confédération dénoncer, fût-ce en des mots choisis, la propagande de guerre et ses dangers. Quel contraste avec des décideurs de l’UE et de l’OTAN qui affirment que la guerre ne doit se conclure que par la victoire de l’Ukraine, sans préciser jusqu’où devrait aller cette victoire, ni ne se soucier des conséquences de cette posture belliciste, des désastres sans nombre d’une guerre à outrance ! Dénoncer la dérive de certains pacifistes qui cèdent à la propagande de guerre et deviennent des atlantistes enflammés est un acte courageux et important. Certains devraient écouter ces propos d’Alain Berset.

 

Alain Berset a également le mérite de s’opposer fermement à tout affaiblissement des clauses de non-réexportation de matériel de guerre vers des pays belligérants, contre les pressions de l’OTAN et les velléités de certains partis au parlement, dont malheureusement aussi le PSS : 

 

« Nous devons être prudents et ne pas changer les règles de droit en pleine crise. La nécessité, pour les pays qui achètent des armes à la Suisse, d’obtenir une autorisation de réexportation ne vient pas de nulle part. Nous avons eu des cas par le passé où des armes de facture suisse ont été utilisées dans des zones de conflit. Aussi, quelle que soit notre appréciation de cette loi, nous sommes tenus de l’appliquer ».

 

Naturellement, tout cela ne change rien au fait qu’Alain Berset reste un homme d’État au service de la bourgeoisie, et que sa carte de membre du Parti socialiste n’a pour ainsi dire aucune influence sur la politique qu’il mène. En politique étrangère également, il ne déroge par réellement à cette position de classe. Qu’il ait osé tenir des propos à contre-courant de la pesante ambiance d’union sacrée et de propagande de guerre mérite néanmoins d’être salué. Il a reçu du reste pour cela des critiques de la part du PSS (qui ne le critique pas tant pour ses réformes antisociales), d’inspiration atlantiste. Et que le président de la Confédération ait ouvertement donné raison, en partie du moins, à la position soutenue par le Parti du Travail depuis le début de la guerre en Ukraine mérite d’être remarqué. Alors que la guerre en Ukraine a ouvert la boîte de Pandore, favorisé un retour en force du militarisme un peu partout, permis la renaissance sans restriction du militarisme allemand et du militarisme japonais, conduit à une hausse spectaculaire des dépenses d’armement et de la production d’armes, accru les tensions avec un danger en hausse dramatique d’une conflagration mondiale, aucun allié pour une politique de paix n’est de trop.