Le quotidien Le Temps a consacré dans son numéro du 18 décembre 2020 un article totalement dénué de distance critique (de la part de ce journal on aurait pu s’attendre à un peu mieux), au Geneva Science and Diplomacy Anticipator (Gesda). Une fondation créée par la Confédération – sous les auspices de l’ancien Conseiller fédéral Didier Burkhalter – composée de scientifiques de pointe, de politiciens et de diplomates de la planète entière, et qui a pour mission « d’identifier les innovations scientifiques de demain et d’en anticiper l’impact sur nos sociétés ».
Or le président du Gesda n’est autre que Peter Brabeck-Letmathe, ancien PDG de Nestlé. L’homme qui a déclaré – mais cela, Le Temps n’a pas jugé utile de le rappeler – « les ONG ont un avis extrême quant au problème de l’accès à l’eau. Ils souhaitent que l’accès à l’eau soit nationalisé, c’est-à-dire que tout le monde puisse avoir accès à l’eau. Mon point de vue n’est pas celui-ci. Il faut que l’eau soit considérée comme une denrée, et comme toute denrée alimentaire, qu’elle ait une valeur, un coût. » Conclusion logique : l’eau doit être privatisée, c’est-à-dire vendue aux multinationales pour qu’elles puissent s’enrichir sur cette ressource vitale. Nous pensons inutile de rappeler les désastres sociaux et environnementaux que provoque un tel accaparement d’une ressource vitale par des multinationales, ni d’insister sur le caractère parasitaire et infâme d’un tel business. Nous aurions bien aimé rappeler par contre, si nous en avions la place, les luttes menées par les peuples partout sur la planète contre de tels agissements.
Une fondation présidée par un tel homme ne saurait avoir un rapport quelconque, même lointain, avec le bien commun. Il ne s’agit pas non plus simplement d’ « anticipation », de « réflexion ». Rien dans la biographie de M. Brabeck-Letmathe ne le qualifie pour être un homme de réflexion, encore moins un bienfaiter de l’humanité. Un malfaiteur plutôt. Du reste, parmi tout le bavardage apologétique de l’article du Temps, on retrouve facilement l’objectif réel du Gesda, énoncé clairement par M. Brabeck-Letmathe : « Nombre de scientifiques sont très fustrés. Ils font des progrès scientifiques majeurs, mais leurs applications font souvent l’objet de moratoires pour freiner une avancée qui est allée plus vite que l’évolution de la société et des mentalités ».
Eh bien, non ! Nous n’avons pas besoin de toujours plus de technologies, et surtout pas n’importe comment, ni n’importe lesquelles. La croissance débridée de la « tech » ne vise pas le progrès humain, mais les profits des entreprises de ce secteur. Certaines de ces technologies sont potentiellement dangereuses, et le principes de précaution doit s’appliquer le cas échéant. Et surtout, la fuite en avant dans le high tech implique une gabegie énergétique et extractiviste (cf. notre éditorial) écologiquement catastrophique. Ce n’est certainement pas l’ancien PDG de Nestlé qui mérite qu’on l’écoute.
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