12 décembre 2010

X pas en arrière, N pas en avant


Le week-end dernier, du trois au cinq décembre, le Parti de la Gauche Européenne (PGE) s’est réuni à Paris, à la Défense, pour son troisième Congrès. Le PST y était représenté par une délégation de six camarades, Norberto Crivelli, président du PST, son épouse Sonja Crivelli, Nathalie Mühlenstein, membre du Comité directeur du PST et présidente de la section Jura, Alexander Eniline, secrétaire cantonal du PdT Genève et membre du Comité central, Eduardo Galland, membre du Comité central, ainsi que le camarade Alp de Zürich. En effet, bien que la Suisse ne soit pas membre de l’Union Européenne, le PST fait partie de ceux qui en 2004 ont fondé le PGE, un rassemblement de partis communistes et de partis à la gauche de la social-démocratie, de pays membres de l’UE ou pas. Aujourd’hui le PGE compte 27 partis membres de plein droit, ainsi que 11 partis observateurs. Parmi les partis communistes notables d’Europe, le KKE et le PCP ont toujours refusé d’adhérer au PGE ou d’en être observateurs, et le Parti Communiste des Travailleurs de Hongrie en fut membre fondateur avant de le quitter en 2009 pour cause de divergences idéologiques. Il est à noter aussi que le PGE n’a pas de sections au Royaume-Uni ni en Irlande. Et puisque l’on est en plein catalogue des partis, citons pour finir une liste (non exhaustive) des invités au IIIe Congrès du PGE : Pedro Paez, ministre équatorien de la Coordination de la politique économique chargé de la mise en place de la Banque du Sud, le MAS de Bolivie, le Parti des Travailleurs de République dominicaine, plusieurs partis de gauche africains, le Front Polisario du Sahara occidental, le Parti Communiste du Vietnam.
IIIe Congrès pour un PGE plus fort et plus combatif
Beaucoup trop de nos membres ne connaissent que peu sur le PGE, et beaucoup d’autres en ont une mauvaise image, allant jusqu’à lancer un appel pour que le PST s’y retire (cf. ci-dessous). Les critiques adressées au PGE par ses détracteurs ont incontestablement un fondement objectif et sont en partie justes, mais en partie seulement, et en fin de compte l’image négative du PGE comme d’un bloc monolithique droitier et inféodé à la Commission européenne est très éloignée de la réalité et infirmée par le dernier Congrès. Avant d’adopter des conclusions hâtives, il ne serait pourtant pas inutile de savoir précisément ce qu’est le PGE, plus particulièrement les orientations prises au dernier Congrès, pour alors pouvoir juger en connaissance de cause. Aussi, avant de commencer il convient d’insister sur deux choses. Premièrement, le PGE, très loin du monolithe réformiste que d’aucuns s’imaginent, est une structure fondamentalement hétérogène, formée de partis membres aux cultures politiques et lignes très différentes, dont beaucoup ne correspondent pas, et de très loin, à un avatar vaguement gauchisant de la social-démocratie. Deuxièmement, pour ce qui est de la ligne politique, l’objectif affirmé par le Congrès de par la quasi-totalité des intervenants est de rendre le PGE plus fort et politiquement plus présent pour en faire un instrument de lutte contre la politique de l’UE et le capitalisme, et non de compromis ou de caution de gauche aux institutions européennes
La plateforme officielle et ses ambigüités
Le Congrès fut placé sous le signe de la crise du capitalisme, du problème des états en faillite auxquels sont imposées des politiques d’austérité brutales par le FMI et par l’UE et sur les moyens de combattre ces politiques. Le débat principal porta sur un texte programmatique présenté par le bureau exécutif du PGE et intitulé «Feuille de route pour une Europe sociale». Ce texte fut présenté par le président sortant du PGE et son auteur, l’ex-président du PDS et coprésident de die Linke Lothar Bisky. Le texte lui-même reste fondamentalement ambigu (mais les nôtres le sont-ils toujours moins ?), essayant l’impossible synthèse, sans trancher, entre deux conceptions radicalement différentes et in fine incompatibles, celle du fantasme réformiste de l’ «Europe sociale» et celle révolutionnaire du socialisme. Les deux objectifs sont affirmés dans le texte, qui fait une analyse de la crise du capitalisme, imputable aux politiques néolibérales et à la toute-puissance des marchés financiers, dénonce les politiques de l’UE et du FMI qui prétendent résoudre la crise en appliquant les mêmes politiques que celles qui l’ont provoqué et imposent aux peuples des programmes d’austérité drastiques pour le seul intérêt du capital financier, détruisent les acquis sociaux, la cohésion sociale et favorisent la montée de l’extrême-droite. Le texte dénonce aussi la dérive antidémocratique de l’UE, qui tend à imposer une «gouvernance» autoritaire, niant les droits démocratiques et la souveraineté des Etats membres, notamment en attribuant à la Commission européenne le droit de contrôler leurs budgets avant même que les parlements nationaux les aient vus, ce qui est un véritable retour à l’Ancien Régime. Il dénonce aussi la dérive militariste de l’UE et appelle à la dissolution de l’OTAN. Le texte définit la raison d’être du PGE comme celle de fédérer tous les mouvements de lutte contre les politiques néolibérales de l’UE, d’offrir une alternative politique à tous ceux qui aspirent à une «autre Europe» (le slogan «Une autre Europe est possible», et qui n’est pas exactement «Une autre UE est possible», est susceptible d’une double lecture, comme nous l’avons dit plus haut), et de faire de cette autre Europe une réalité. Comme mesures principales de lutte contre la crise et le néolibéralisme, le texte propose le refus de toutes les mesures réactionnaires, la reconstruction du service publique, l’extension des droits sociaux, une démocratie élargie, la taxation des transactions financières, l’interdiction des fonds spéculatifs, une réforme de la BCE pour lui attribuer un rôle de régulation d’intérêt public, des prêts à taux bas, nuls, voire des dons aux pays en difficulté, l’émission d’euro-obligations pour qu’ils ne doivent plus dépendre des marchés financiers pour leurs budgets. Pour ce qui est de la question de l’UE per se, le texte demeure ambigu au possible, donnant raison à ceux qui disent que l’UE est une institution antidémocratique et réactionnaire, mais dans d’autres passages semblant en faire abstraction et défendant les institutions européennes, qu’il faudrait simplement recrédibiliser en leur donnant un autre rôle. Le texte conclut par : «Le Parti de la gauche européenne s’inscrit dans la perspective d’un monde radicalement différent, de la démocratie et du socialisme. Le Parti de la gauche européenne est ouvert à tous ceux qui veulent soutenir cette feuille de route. Nous aspirons à un monde de liberté, de justice et d’égalité, sans répression, sans exploitation, sans faim, sans besoins insatisfaits. Nous voulons faire de ce rêve une réalité.»

Dans son discours d’introduction, Lothar Bisky a pris clairement position pour la lecture réformiste et européiste du texte. Comme analyse de la crise, il a affirmé que «les politiques ont abandonné le pouvoir aux multinationales et n’ont pas le courage de le reprendre en main», a martelé plusieurs fois que pour lui l’objectif est «l’Europe sociale» et a déclaré en particulier : «Si nous voulons que les peuples nous suivent, nous ne devons pas en demander trop […] nous voulons une meilleure Europe, ne l’oublions jamais, mais nous savons aussi que cela prendra du temps, il faudra plusieurs étapes pour y parvenir».
Et le débat au Congrès
Nous entendons déjà les objections qui seront légitimement faites à la ligne politique dont nous venons de faire la synthèse, mais il faut savoir que ces objections ont été faites au Congrès même. La camarade Inger V. Johansen de l’Alliance Rouge-Verte du Danemark (un parti qui milite pour le retrait de son pays de l’UE…contrairement à une idée répandue, le PGE n’est pas tout entier européiste) a soulignée qu’en cette période de crise ce serait une faute politique que d’appeler au renforcement de l’UE, qui est une machine de guerre du capital contre les peuples. Pour le PST est intervenu sur le texte l’auteur des présentes lignes, pour dire que dans la «feuille de route» manque une analyse en termes de classes, et qu’il faut concevoir la lutte politique comme lutte de classe, et non seulement contre le néolibéralisme, que l’analyse de Lothar Bisky sur la crise (cf plus haut) est inexacte, car l’Etat n’est pas un arbitre neutre au dessus des classes, mais sous le capitalisme un appareil de domination au main des classes dominantes (le discours fut interrompu à ce moment précis, qui était une reprise à peu près littérale de l’Etat et la Révolution par des applaudissements, ce qui ne fut, et de loin, pas le cas pour tous les discours…ce que nous disons non à but d’autocongratulation, mais pour dire que la réalité du PGE n’est pas tout à fait ce que d’aucuns l’imaginent être) et que donc les politiciens bourgeois font bien ce pourquoi ils sont là, que dans la situation de réaction sur toute la ligne que nous vivons les peuples ont besoin d’une gauche de lutte et non pas de compromis, et qu’enfin néolibéral ou régulé le capitalisme demeure toujours le capitalisme, et que par conséquent l’objectif du socialisme doit être affiché haut et fort.

La très grande majorité des intervenants se sont prononcés en faveur d’un renforcement des structures et des activités du PGE, non pas pour inféoder les partis communistes à l’UE, mais pour faire du PGE un instrument de lutte, de coordination des luttes à l’échelle européenne contre les politiques de l’UE et du FMI et pour le socialisme. Comme décision forte, le Congrès vota une proposition de Francis Wurtz de lancer une initiative citoyenne, telle que le permet une nouvelle norme du Traité de Lisbonne, contre le Fonds de stabilisation européen (machine de guerre pour imposer des cures d’austérité aux pays en difficulté), et pour la création en remplacement d’un Fonds européen pour le développement social, qui serait un instrument de régulation publique et de progrès social. Si le PGE serait ainsi le premier parti à utiliser cette disposition du Traité, ce n’est pas, Francis Wurtz l’a souligné, qu’il reconnaisse les traités, mais au contraire pour lutter contre la logique des traités. A la fin eurent lieu les élections statutaires, et Pierre Laurent, premier secrétaire du PCF, fut élu président du PGE pour les trois prochaines années.

Les communistes et le PGE, quelles perspectives ?
Désormais que le KKE a lancé un appel public pour le retrait des communistes du PGE et que des camarades du PST l’ont relayé, la question du bien-fondé de notre participation au PGE doit être posée, mais la poser ne signifie pas, et de loin, y répondre. Avant tout il faut éviter les réponses péremptoires et les positions a priori. Comme nous l’avons dit, le PGE est une structure hétérogène, et les rapports de force y sont mouvants. S’il fut fondé sur les positions que l’on lui reproche d’avoir, c’est que cette position était largement dominante à l’intérieure des partis communistes d’Europe au début du troisième millénaire. Mais désormais que la période de désorientation qui a suivi la chute du camp socialiste est en train de se clore, la ligne réformiste à l’intérieure des partis communistes est contestée, au PGE y compris. La majorité des partis membres sont des partis communistes, et le rapport de forces interne y est aussi susceptible de changer. Il est certain qu’il serait préférable d’avoir au niveau européen un parti communiste, et non seulement de gauche, mais si plusieurs partis observateurs y adhérent et que des partis membres changent leur ligne, le PGE serait susceptible de devenir ouvertement un parti communiste. Nous avons pu voir que la donne est actuellement au tournant à gauche, vers la lutte. Désormais une lutte idéologique est possible à l’intérieur du PGE, et cette lutte doit être menée, mais pour pouvoir la mener, encore faut il avoir le cadre pour cela, et non pas le briser sans rien proposer de concret en remplacement. Aucune norme du PGE ne pousse les partis membres d’un même pays à fusionner, et donc ne pousse les partis communistes à la dissolution. Si cette position de fusion des différentes forces de gauche fut défendue au Congrès par Oskar Lafontaine, il fut bien le seul. Actuellement des partis communistes d’Europe et d’ailleurs essayent de trouver des formes de regroupement autres que le PGE, et nous devons participer à ce mouvement de reconstruction du Mouvement communiste international, mais cela ne nous oblige en rien de quitter le PGE. Si le rejet de l’UE est une position juste, il n’en demeure pas moins que l’UE existe et forme une structure quasi-étatique, qui permet à la bourgeoisie de se regrouper au niveau européen contre les travailleurs. La désunion de la classe ouvrière face à l’UE lui serait dommageable. Un parti qui la regroupe au niveau européen et dirige sa lutte face à l’UE est nécessaire, et le PGE est susceptible de devenir un tel parti. Il importe avant tout de lutter pour une évolution en ce sens, plutôt que de claquer la porte, ce qui dans la situation actuelle de notre parti nous mènerait vers un enfermement dans les questions locales plus qu’autre chose.