24 octobre 2017

Intervention à la commémoration pour les 30 ans de l’assassinat de Thomas Sankara, le 15.10.17



Nous avons choisi d’intituler la commémoration de ce soir : « on peut tuer un homme mais pas ses idées ». Ce titre n’a pas été choisi au hasard. Il fait référence à un des tout derniers discours publics de Thomas Sankara. Le 8 octobre 1987, moins d’une semaine avant son assassinat, le président du Burkina Faso prononçait une allocution pour l’ouverture d’une exposition consacré à Che Guevara, 20 ans après, jour pour jour, qu’il fut abattu par les sbires de la CIA.

Thomas Sankara avait dit notamment à cette occasion : « C’est vrai, on ne tue pas les idées. Les idées ne meurent pas. C’est pourquoi Che Guevara – qui était un concentré d’idées révolutionnaires et de don de soi – n’est pas mort parce qu’aujourd’hui vous êtes venus [de Cuba] et nous nous inspirons de vous. »

Ce discours fut prémonitoire. Tout ce que Sankara dit ce jour-là du Che devait devenir vrai de lui également.  Quelques jours plus tard, Thomas Sankara tombait sous les balles  des assassins tirant sur l’ordre de Blaise Compaoré, son plus proche allié, qui choisit de le trahir, de trahir la révolution, d’y mettre fin pour se rallier au carcan du néocolonialisme et s’enrichir aux dépens de son peuple. Mais si Compaoré parvint à tuer et l’homme que fut Thomas Sankara, et même la révolution qu’il avait conduit, il ne put tuer ses idées, ni son souvenir (et ce n’est pas faute d’avoir essayé). Car on ne tue pas les idées. Le peuple burkinabé n’a pas oublié Sankara, ni la Révolution Démocratique et Populaire. En 2014, Blaise Compaoré était enfin chassé du pouvoir par un soulèvement populaire. L’histoire ne se souviendra de lui que comme d’un criminel et d’un pion de l’impérialisme (l’Etat néocolonialiste français ne l’a pas oublié non plus, qui a envoyé un hélicoptère pour l’extrader, ni la classe dirigeante de Côté d’Ivoire, qui lui a accordé la nationalité ivoirienne pour avoir été le caniche obéissant de Felix Houphouët-Boigny).

On vit en revanche refleurir les portraits de Thomas Sankara, devenu, comme le Che, une figure quasiment légendaire pour les révolutionnaires, en Afrique, mais pas seulement. Le fait que vous soyez si nombreux ce soir pour rendre hommage à sa mémoire suffit à prouver l’intérêt très vif que suscite de nos jours la figure de Thomas Sankara parmi tous ceux qui aspirent à un autre monde.

Un intérêt qui est pleinement justifié. Ce n’est d’ailleurs pas seulement les portraits de Thomas Sankara qui refleurissent, mais aussi des éditions de ses discours. A juste titre, tant toutes les paroles de Thomas Sankara résonnent aujourd’hui plus que jamais d’une actualité brûlante, tant il est indispensable pour tout révolutionnaire de les étudier. La première chose à dire est que la pensée et l’action de Thomas Sankara s’inscrit dans la continuité de toutes les luttes révolutionnaires des peuples pour leur libération, pour un avenir meilleur.

Ainsi que Thomas Sankara l’avait déclaré, devant l’Assemblée générale de l’ONU, le 4 octobre 1984 : « Notre révolution au Burkina Faso est ouverte aux malheurs de tous les peuples. Elle s’inspire aussi de toutes les expériences des hommes depuis le premier souffle de l’humanité. Nous voulons être les héritiers de toutes les révolutions du monde, de toutes les luttes de libération des peuples du tiers monde ».

Profitons de l’occasion pour dire que le Parti du Travail s’inscrit également dans cet héritage révolutionnaire des luttes de tous les peuples pour leur émancipation, et tout particulièrement dans cette séquence ouverte par la Grande Révolution Socialiste d’Octobre, qu’il a toujours apporté un soutien, à la mesure de ses moyens, à tous les mouvements de lutte de par le monde pour la libération nationale, contre l’impérialisme et pour le socialisme. A ce titre, la Révolution Démocratique et Populaire de Thomas Sankara fait partie de notre héritage théorique et politique, et il est de la plus haute importance pour nous d’en préserver la mémoire.

Si l’action de Thomas Sankara prouve quelque chose, c’est que c’est possible. Même dans les conditions objectives apparemment les plus défavorables, même quand toute la planète semble être contre vous, une action révolutionnaire résolue et conséquente est possible. Si la volonté y est, un peuple quel qu’il soit, s’il est prêt à ne compter que sur ses propres forces et lutter jusqu’au bout, peut accomplir une révolution victorieuse, rompre les chaînes du néocolonialisme et du capitalisme, et bâtir une société nouvelle.

Avant la révolution, la Haute-Volta était un pays parmi les plus pauvres de la planète, essentiellement agricole, un petit pays de moins de 8 millions d’habitants, menacé par la désertification, touché par un analphabétisme de masse atteignant plus de 90% de la population, quasiment dépourvu d’industrie. Il semblait ne posséder aucun avantage objectif pour une révolution réussie, seulement des difficultés inouïes. Et pourtant, en seulement quatre ans de révolution, pratiquement sans aucun soutien matériel extérieur, les succès furent remarquables. Grâce à des travaux de construction de barrages et de retenues d’eau par la mobilisation de masse, grâce à la diffusion de techniques agricoles plus modernes, l’autosuffisance alimentaire fut atteinte et la disette vaincue. Une industrie légère commençait à se développer. Le progrès social fut remarquable également : campagnes de vaccination et d’alphabétisation, développement d’un système de santé public, construction de logements…Peu avant l’assassinat de Thomas Sankara, un plan quinquennal était à l’étude. Preuve que la révolution avait réussi à trouver les moyens nécessaires pour une accumulation primitive, malgré les ressources très limitées du pays, et donc la voie d’un développement endogène en faveur du peuple. En ne peut douter que des résultats extraordinaires auraient pu être atteints, si le coup d’Etat de Blaise Compaoré n’avait pas brutalement mis fin à la révolution.

Mais Thomas Sankara ne fut pas seulement un révolutionnaire particulièrement remarquable. La révolution qu’il dirigea fut la dernière d’avant le renversement du socialisme en URSS. Le monde dans lequel il eut à lutter, les défis auxquels la révolution au Burkina Faso fut confrontée, étaient déjà très largement les nôtres. A ce titre, il est, plus que d’autres grands révolutionnaires, notre contemporain. A ce titre, sa pensée a beaucoup à nous apprendre, pour nos luttes d’aujourd’hui.

Sankara devait lutter à une époque où le colonialisme avait laissé la place à une nouvelle forme de domination impérialiste – le néocolonialisme – ce dans la plupart des cas du moins. N’oublions pas que le colonialisme proprement dit existe toujours aujourd’hui, et que le peuple palestinien et le peuple sahraoui ont encore à lutter pour s’en libérer. Reste le fait que, plus que d’autres avant lui, Thomas Sankara comprit bien les rouages du néocolonialisme et les tâches requises pour rompre avec cette nouvelle forme d’oppression. Un des instruments clés du néocolonialisme est la dette extérieure, qui n’est qu’un moyen d’asservissement à perpétuité d’un peuple par l’endettement. Or Thomas Sankara est resté à jamais célèbre pour son discours prononcé le 29 juillet 1987 à Addis-Abeba, à la Conférence de l’Organisation de l’unité africaine. Il convient d’en citer un extrait, pratiquement in extenso :

« La dette, c’est encore le néocolonialisme ou les colonialistes qui se sont transformés en assistants techniques. En fait, nous devrions dire en assassins techniques. Et ce sont eux qui nous ont proposé des sources de financement, des bailleurs de fonds. Un terme que l’on emploie chaque jour comme s’il y avait des hommes dont le bâillement suffirait à créer le développement chez d’autres. Ces bâilleurs de fonds nous ont conseillés, recommandés. On nous a présenté des dossiers et des montages fiduciaires alléchants. Nous nous sommes endettés pour 50 ans, 60 ans et même plus. C’est-à-dire que l’on nous a amenés à compromettre nos peuples pendant 50 ans et plus. »

« La dette sous sa forme actuelle est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, pour que sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangers, faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier – c’est-à-dire l’esclave tout court – de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser. On nous dit de rembourser la dette. Ce n’est pas une question morale. Ce n’est point une question de ce prétendu honneur que de rembourser ou de ne pas rembourser […] La dette ne peut pas être remboursée parce que d’abord, si nous ne payons pas, nos bâilleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en sûrs. Par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir. Soyons-en sûrs également. »

Thomas Sankara avait également affirmé à cette occasion que les pays africains devaient s’unir pour refuser de rembourser la dette extérieure, faute de quoi il ne serait sans doute plus de ce monde au sommet suivant de l’OUA. C’est, hélas, ce qui est arrivé. Il n’empêche que son discours garde de nos jours une actualité brûlante, et pas seulement pour les pays du Tiers monde d’ailleurs. Du temps de Sankara, les peuples d’Europe pouvaient ne pas se sentir concernés par les formes d’oppression néocoloniales, puisqu’ils pouvaient croire qu’ils n’auraient jamais à les subir. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Des pays entiers, la Grèce, le Portugal, et d’autres…ont été traités comme des dominions coloniaux par les eurocrates et la classe dirigeante allemande au nom d’une dette frauduleuse auprès de banques et qu’il est impossible de rembourser. Les Européens gagneraient beaucoup de nos jours à lire Thomas Sankara.

Thomas Sankara eut également à faire face à un problème on ne peut plus actuel : le saccage de notre planète par le capitalisme au nom du profit immédiat et qui menace la survie même, à un terme moins lointain qu’on ne pourrait le penser, de notre espèce. Le problème le plus grave qui touche le Burkina Faso à cet égard est la désertification, l’avancée du désert suite à des déboisements irresponsables au nom d’un intérêt illusoire à court terme. La Révolution Démocratique et Populaire au Burkina Faso a aussi – en seulement quatre ans d’existence – atteint des résultats extraordinaires en matière de reboisement et de préservation des ressources naturelles du pays. Et, contrairement à une certaine écologie politiquement correcte et aseptisée en vogue aujourd’hui en Occident, Thomas Sankara ne séparait pas la question écologique du combat contre le capitalisme et l’impérialisme. Ainsi qu’il le disait en 1986, sur un plateau de la télévision française :

« Nous estimons que la responsabilité de ce fléau n’incombe pas seulement à ces hommes et à ces femmes qui vivent au Burkina Faso mais également à tous ceux qui, loin de chez nous, provoquent de façon directe ou indirecte des perturbations climatiques et écologiques. […] Oui, la lutte contre la désertification est un combat anti-impérialiste ».

A cet égard aussi il est important de lire, ou de relire, Thomas Sankara.

Il y aurait encore bien d’autres choses à dire sur Thomas Sankara et sa pensée, comme sa lutte contre l’impérialisme, pour la façon dont il osa dire brillamment la vérité face à face à François Mitterrand, ou encore son combat pour l’émancipation des femmes. Mais il vaudrait la peine d’en parler pendant des heures. Aussi, vais-je m’arrêter là, et passer  à la conclusion.

Thomas Sankara avait dit en 1985 quelque chose qui pourrait être considéré comme son testament politique : « Je souhaite simplement que mon action serve à convaincre les plus incrédules qu’il y a une force, qu’elle s’appelle le peuple, qu’il faut se battre pour et avec ce peuple… Peut-être dans une autre temps apparaîtrons nous comme des conquérants de l’inutile, mais peut-être aurons-nous ouvert une voie dans laquelle d’autres s’engouffreront allègrement, sans même réfléchir ; un peu comme lorsque l’on marche… Et notre consolation sera réelle, à mes camarades et à moi-même, si nous avons pu être utiles à quelque chose, si nous avons pu être des pionniers. A condition bien sûr que nous puissions recevoir cette consolation là où nous serons… Je souhaite qu’on garde de moi le souvenir d’un homme qui a mené une vie utile pour tous… »


Il est de la responsabilité de ceux qui vivent aujourd’hui que Thomas Sankara n’ait pas lutté en vain, que le souvenir en soit perpétué et inspire les combats et les révolutions futures dont nous avons tant besoin.

On peut tuer un homme mais pas ses idées



30 ans après son assassinat, les peuples n’oublient pas Thomas Sankara et son héritage révolutionnaire

Il y a exactement trente ans de cela, le 15 octobre 1987, vers les 16h00, à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, dans ce complexe de bâtiments qu’est le Conseil de l’Entente, alors siège du pouvoir burkinabé, Thomas Sankara, président du Burkina Faso, était assassiné, ainsi que ses gardes du corps, dans une fusillade meurtrière ordonnée par ceux qui furent ses plus proches alliés. Le même jour, un pseudo « front populaire », dirigé par Blaise Compaoré, Jean-Baptiste Lingani et Henri Zongo annonce son coup d’Etat, dans le but soi-disant de « rectifier » le cours de la révolution burkinabé qui aurait été, paraît-il, trahi par Thomas Sankara. Peu de temps après, Blaise Compaoré faisait fusiller Lingani et Zongo, de même que des centaines d’anciens partisans du défunt président, torturés et massacrés sur son ordre. La Révolution Démocratique et Populaire, qui avait débuté quatre ans plus tôt, prenait ainsi fin, et sa « rectification » n’était rien d’autre que la restauration d’un régime néocolonial. Compaoré lui-même allait régner en autocrate corrompu, réélu plusieurs fois par des scrutins truqués, avant d’être enfin chassé du pouvoir par la seconde révolution burkinabé, en 2014, par un peuple qui n’a nullement oublié Thomas Sankara, devenu depuis une figure quasi-mythique, une symbole d’espérance révolutionnaire.

La révolution du 4 août 1983

Avant la Révolution Démocratique et Populaire, le Burkina Faso était connu sous le nom de Haute-Volta. Ancienne colonie française, la Haute-Volta bénéficia en 1960, comme la plus grande partie des possessions coloniales de la France en Afrique, d’une « indépendance » politique préparée par l’ex colonisateur conformément à ses propres objectifs. Elle resta de fait, malgré son indépendance formelle, totalement dépendante économiquement de la France, et sous son contrôle politique à peine discret. Une vingtaine d’années après son accession au statut d’Etat souverain, la Haute-Volta était un des pays les plus pauvres de la planète, un petit pays de quelques 8 millions d’habitants, sans accès à la mer, situé dans le Sahel et en butte à une désertification menaçante. Un pays dont la population survivait avec moins d’un dollar par jour et par personne en moyenne, dont l’espérance de vie ne dépassait pas les 43 ans, à 92% analphabète, décimée par d’innombrables maladies qui eussent été parfaitement curables si un système de santé un tant soit peu réel avait existé, et en permanence menacée par la disette. Un pays politiquement instable, qui connut plusieurs coups d’Etat, et autant de régimes militaires.

Le 4 août 1983, la Haute-Volta connut un coup d’Etat militaire de plus. Mais qui fut pourtant profondément différent des autres, le début d’une authentique révolution. La révolution du 4 août amena en effet un nouveau gouvernement au pouvoir, le Conseil National de la Révolution, ainsi qu’un nouveau Chef d’Etat, Thomas Sankara. Capitaine au sein de l’armée voltaïque, ayant eu une formation politique marxiste (qui est bien visible dans tous ses discours, tant par leur contenu que par d’innombrables allusions muettes aux écrits des classiques du marxisme), et ayant milité dans le cadre du Rassemblement des officiers communistes (ROC) au sein même de l’armée, Thomas Sankara était devenu immensément populaire en tant qu’éphémère secrétaire d’Etat à l’information (avant de démissionner pour protester contre la violation du droit de grève par le gouvernement), puis premier ministre du gouvernement suivant auquel il tenta de donner un cours progressistes, par ses discours anti-impérialistes, anti-corruption, démocratiques et révolutionnaires, tenus dans un langage simple et accessible au peuple. Il était désormais à la tête d’un nouveau gouvernement, authentiquement révolutionnaire.

Le programme politique du CNR est présenté le 2 octobre par Thomas Sankara. C’est le Discours d’orientation politique (DOP), qui restera le programme officiel de la révolution burkinabé tant qu’elle dura, et qui, à vrai, n’a rien perdu de son actualité de nos jours. Le DOP présente une analyse de la structure de classe particulière de la Haute-Volta d’alors : système néocolonial qui n’est que le colonialisme continué par d’autres moyens, pays essentiellement agraire, classe ouvrière très peu nombreuse, bourgeoisie nationale quasi inexistante, classe dirigeante composée d’une bourgeoisie bureaucratique, assurant l’exploitation du peuple voltaïque au bénéfice de l’ancienne puissance coloniale, classes dirigeantes féodales dans les campagnes, petite bourgeoisie politiquement versatile, mais pouvant être ralliée à la révolution, grande majorité paysanne particulièrement opprimée, mais attachée à un statut de petits propriétaires.

Dans ces conditions, une révolution socialiste n’était guère envisageable. Aussi, le socialisme ne fut jamais proclamé au Burkina Faso ni comme système économique officiel, ni comme objectif, même si son idée était parfois suggérée. L’objectif était de libérer le pays de chaînes du néocolonialisme et de réaliser un développement par ses propres forces, où le peuple retrouve la maîtrise de son propre destin, une révolution démocratique et populaire. Ainsi que l’avait dit à une autre occasion Thomas Sankara : « La démocratie est le peuple avec toutes ses potentialités et sa force. Le bulletin de vote et un appareil électoral ne signifient pas, par eux-mêmes, qu’il existe une démocratie. Ceux qui organisent des élections de temps à autre et ne se préoccupent du peuple qu’avant chaque acte électoral, n’ont pas un système réellement démocratique. Au contraire, là où le peuple peut dire chaque jour ce qu’il pense, il existe une véritable démocratie, car il faut alors que chaque jour l’on mérite sa confiance. On ne peut concevoir la démocratie sans que le pouvoir, sous toutes ses formes, soit remis entre les mains du peuple ; le pouvoir économique, militaire, politique, le pouvoir social et culturel. » Par ailleurs, la Haute-Volta fut bientôt rebaptisée Burkina Faso, le pays des hommes intègres.

Les réalisations de la révolution

La révolution burkinabé n’eut en tout et pour tout que quatre ans pour agir, avant d’être brutalement interrompue par le coup d’Etat de Blaise Compaoré. Si elle n’eut à combattre, en terme d’agression étrangère, qu’une brève incursion du régime réactionnaire en place au Mali, et n’eut jamais à subir un véritable blocus tel que celui qui étouffe toujours Cuba, la révolution au Burkina Faso du pourtant vivre à l’ombre d’un impérialisme hostile et de pénuries d’importations savamment organisées. Néanmoins, malgré la situation difficile dans laquelle elle devait œuvrer et le peu de temps dont elle disposa, ses réalisations furent remarquables. Le peuple fut invité à se réunir localement dans des assemblées pour exprimer ses besoins et aspirations. Une forme de pouvoir populaire direct fut mise en place sous la forme des Comités de défense de la révolution (CDR). Le pouvoir révolutionnaire chercha à améliorer les conditions de vie du peuple par un programme de construction massive de logements, par la mise en place de dispensaires de santé publics dans les campagnes, par une campagne de vaccination massive (avec le soutien de Cuba), qui fit nettement reculer la mortalité infantile. Le Burkina Faso connut aussi un début de révolution culturelle, avec la construction d’écoles, une campagne d’alphabétisation à large échelle, la promotion d’une culture nationale.

Au niveau économique, une réforme agraire fut réalisée, avec abolition de tous les privilèges des chefs traditionnels (qui formaient une véritable aristocratie féodale) et nationalisation de toutes les terres pour protéger les paysans contre la spéculation foncière. Le Burkina Faso s’engagea dans un programme massif de construction de barrages, de retenues d’eau et de systèmes d’irrigations pour vaincre la sécheresse, avec une mobilisation de la population rappelant ce que l’URSS avait connu lors du premier plan quinquennal. Des politiques furent également mises en place pour moderniser les techniques agricoles et développer une petite industrie agro-alimentaire pour transformer les produits agricoles sur place. La révolution était très loin d’avoir épuisé ses possibilités. Peu avant le coup d’Etat de Compaoré, un plan quinquennal était en cours d’élaboration, afin de développer l’économie nationale.

La révolution burkinabé s’illustra également par sa dimension écologique, par la lutte contre l’avancée du désert, par ses campagnes de reboisement massives. Thomas Sankara est resté à jamais célèbre par ses discours internationaux contre l’impérialisme, contre la dette illégitime, instrument de domination néocoloniale, contre laquelle les pays opprimés par l’impérialisme devaient s’unir et refuser de la rembourser. Un discours qui garde une brûlante actualité…

Des difficultés internes au coup d’Etat

Aussi spectaculaires qu’aient été ces réalisations, il n’en reste pas moins que la révolution burkinabé était dès le départ extrêmement fragile, de par sa base sociale réduite (une classe ouvrière très réduite, une partie de la petite bourgeoisie intellectuelle, mais qui demeurait très versatile, une partie de l’armée, une paysannerie nombreuse mais que la révolution n’eut pas le temps d’organiser politiquement en tant que classe en soi), de par l’absence d’un parti révolutionnaire unifié, de par les divisions enfin au sein des révolutionnaires eux-mêmes. Pour réaliser une accumulation primitive minimale nécessaire à la réalisation du programme économique et social de la révolution, Thomas Sankara était obligé d’imposer une frugalité assez drastique à toutes les classes un tant soi peu privilégiées : la fonction publique, la bureaucratie, y compris aux plus hauts niveaux de l’Etat. La nécessité absolue de cette politique ne pouvait pas empêcher de provoquer le mécontentement de ceux qui en faisaient l’objet. Dans ces conditions, un courant s’est structuré au sein même du pouvoir révolutionnaire, autour de Blaise Compaoré, composé d’opportunistes désireux de mettre un terme à la révolution pour pouvoir profiter enfin de leur pouvoir, de prendre la place de la bourgeoisie compradore qu’ils avaient renversé. Il semble que l’Etat français ait été impliqué dans l’assassinat de Thomas Sankara. Ses agents n’ont hélas eu aucune peine à trouver une oreille complaisante au sommet du Burkina Faso.


Ainsi, la Révolution Démocratique et Populaire fut tuée en même temps que son leader, Thomas Sankara. Mais tuer un homme ne suffit jamais pour tuer ses idées. Celles de Thomas Sankara sont aujourd’hui plus vivantes que jamais. Elles sont indispensables pour les luttes d’aujourd’hui.

L’initiative pour une caisse publique a officiellement abouti ; un combat plus qu’urgent



L’initiative populaire constitutionnelle « pour une caisse maladie et accidents publique genevoise à but social », que le Parti du Travail avait lancé le 15 mars 2017, et déposé le 11 juillet avec plus de 14'400 signatures, récoltées par les seules forces de ses militants, a officiellement abouti. Dans son communiqué de la semaine dernière, le Conseil d’Etat a en effet constaté que le nombre de signatures requis a été atteint, ce dont nous ne doutions guère.

Si nous avions lancé cette initiative, c’est avant tout pour répondre à une véritable et pressante aspiration des classes populaires de ce canton. Lorsque nous récoltions les signatures pour notre initiative pour le remboursement des soins dentaires, beaucoup de gens nous demandaient quand ferions nous enfin quelque chose pour l’assurance maladie. La situation semblant provisoirement enlisée au niveau fédéral, après l’échec des initiatives populaires pour une caisse unique et pour une caisse publique (toutes deux largement acceptées à Genève), nous avions décidé d’agir au niveau cantonal, en proposant le maximum de ce qui est possible d’après le droit fédéral : une caisse maladie cantonale publique à but social. Ce qui ne serait pas encore la solution miracle – une caisse publique continuerait à fonctionnerait dans le cadre du système de la LAMal, à côté des caisses privées qui resteraient en place – mais elle permettrait tout de même un progrès appréciable : un caisse publique et à but social pourrait prélever des primes moins élevées que les caisses privées, n’ayant aucun but lucratif et ne pouvant en avoir, n’ayant pas de frais de lobbying, et n’étant pas liée aux intérêts plus ou moins avouables d’un groupe privé. L’Etat pourrait aussi affilier celles et ceux – de plus en plus nombreux – qui ne peuvent payer des primes scandaleusement élevées à une caisse publique, plutôt que de devoir encore subventionner les caisses privées.

L’actualité a le mérite de nous rappeler à quel point l’enjeu est urgent. En effet, la hausse moyenne des primes maladie pour 2018, récemment annoncée, est de près de 4% à l’échelle du pays, mais de 5,4% pour Genève. Une hausse supplémentaire pour des primes qui dépasseront bientôt les 600,- en moyenne par tête et par mois ! Il n’est que trop évident que ce système devient intenable et ne peut plus continuer. Les assureurs continuent bien sûr de prétendre qu’ils n’ont pas d’intérêts lucratifs dans l’assurance de base (puisque la loi l’interdit), et que la hausse continuelle des primes n’est pas de leur responsabilité, mais uniquement du fait de la hausse permanente des coûts de la santé, de la surconsommation des soins par les assurés (faudrait-il se laisser mourir sans consulter de médecin pour ne pas faire augmenter les coûts de la santé ?) et de l’excès de médecins et d’infrastructures médicales dans notre pays (pourtant, ce n’est certainement pas le mot « surinvestissements » qui vient à l’esprit quand on pense aux HUG…)

Quelqu’un croit-il sérieusement encore à la propagande des assureurs en Suisse ? Depuis l’introduction de la LAMal, il y a 20 ans, les primes ont doublé. A-t-on vraiment deux fois plus d’hôpitaux, de médecins…qu’il y a vingt ans ? Si elles n’ont aucun intérêt lucratif dans l’assurance de base, pourquoi les caisses privées, qui font toutes partie de groupes privés à but lucratif, tiennent-elles tant à garder cette partie de leur activité ? Pourquoi dépensent-elles des millions dans chaque campagne de votation qui pourrait impacter leurs intérêts (avec l’argent de nos primes !) ? Que dire des conseiller nationaux, des conseiler aux Etats, désormais aussi d’un conseiller fédéral, généreusement payés par les caisses-maladie pour représenter leurs intérêts au parlement (et comment tolérer encore cette véritable corruption institutionnalisée dans un pays qui se veut démocratique ?) ? Combien contribuent à la hausse continuelle des primes maladie les frais publicitaires des caisses, leurs immeubles luxueux, les salaires de leurs dirigeants, dépassant souvent le million par an ? Que dire de leurs réserves scandaleusement surévaluées et gérées de la façon la plus opaque ? Et n’oublions pas l’argent payé en trop par les assurés genevois pendant des années, dont seule une petite partie a été remboursée. Même le conseiller fédéral Berset a déclaré : "Il y a naturellement une partie de l'augmentation des coûts qui dépend du vieillissement de la population, de l'innovation en matière de santé, mais la partie en plus n'est pas acceptable et c'est ce qu'il nous faut limiter." ; ce qui signifie en clair qu’une partie de la hausse continuelle des primes ne correspond à rien du tout, si ce n’est aux intérêts occultes des assureurs.


Il n’est que temps de se débarasser de la mafia des assureurs privés, pour un système de santé intégralement public et social. Notre initiative est un pas dans ce sens.

Pagani : démission ?



Voilà plusieurs jours que le maire de Genève, Rémy Pagani, élu d’Ensemble à Gauche, fait l’objet d’un lynchage en règle par la droite municipale, tous partis confondus, ainsi que par la presse bourgeoise. Le PLR et le PDC, tôt rejoints par l’UDC et le MCG, appellent avec une véritable hystérie à sa démission de sa fonction de maire, voire de celle de conseiller administratif.

Ce qui lui est reprochée au maire de Genève est la brochure officielle à destination des électeurs de la Ville de Genève pour les votations populaires du 24 septembre dernier, rédigée par ses soins et en principe avalisée par le Conseil administratif in corpore (bien que ses autres membres aient préféré dénier toute responsabilité pour la rejeter sur le seul Rémy Pagani). La droite municipale avait fait recours à la Chambre constitutionnelle contre la dite brochure, qui serait une entrave au libre exercice des droits démocratiques, dans la mesure où elle serait biaisée, plaçant en tête la position du comité référendaire (ce qui n’est pas l’usage), et contenant une synthèse « brève et neutre » pas vraiment neutre, puisque faisant usage de termes évaluatifs la faisant clairement pencher du côté des référendaires.

La Chambre constitutionnelle donna raison aux recourants à quelques jours à peine du scrutin, et annula de ce fait la votation prévue sur quatre référendums lancés par Ensemble à Gauche, avec le soutien de plusieurs associations, contre quatre coupes budgétaires particulièrement scandaleuses votées par la majorité de droite du Conseil municipal dans les domaines des prestations sociales, de la culture et de la solidarité internationale. Des coupes particulièrement imbéciles dans la mesures où les comptes de la Ville sont bénéficiaires depuis plusieurs années, et qui ne sont motivées que par la haine de la droite de tout ce qui ressemble à une politique sociale.

Ainsi, de toutes parts on appelle à la démission de Rémy Pagani, qui aurait par là bafoué de façon scandaleuse la démocratie. Ses collègues du Conseil administratif s’en sont aussitôt désolidarisés. Le PS de la Ville de Genève a même pris la peine de faire paraître un communiqué de presse invitant Rémy Pagani de se décharger temporairement de ses fonctions de maire à titre d’apaisement. Personne ne nie que l’intéressé aura commis une erreur, qu’il a d’ailleurs reconnu. Mais, enfin celle-ci justifie-t-elle tout ce cinéma grotesque ?

Rappelons tout de même que la droite n’a aucune légitimité de donner des leçons de démocratie à qui que ce soit. L’erreur que Rémy Pagani a commise n’est de fait pas une nouveauté dans notre pays, même si elle peut l’être en Ville de Genève. Pas plus loin que l’année passée, la votation sur la RIE III faillit être annulée dans le canton de Genève, suite à un recours déposé par un citoyen, recours parfaitement motivé par le fait que le conseiller d’Etat Serge Dal Busco (PDC) ait appelé à voter pour la RIE III dans un courrier envoyé à tous les contribuables. La droite genevoise ne s’était guère émue de cette propagande gouvernementale clairement caractérisée. Et que dire de la votation fédérale sur la RIE II, lorsque le Tribunal fédéral avait admis que le Conseil fédéral avait sciemment menti sur les pertes fiscales que cette réforme induirait, les minorant d’un facteur dix, mais refusa d’annuler le résultat de la votation pour autant.

En réalité, c’est plutôt la droite genevoise qui fait entrave au libre exercice des droits démocratiques, en empêchant, à coup de manœuvres juridiques une votation populaire. Parce qu’elle sait pertinemment qu’elle aurait perdu face au peuple. Désormais, même si un vote avait encore lieu cette année, et que les coupes budgétaires étaient annulées, il ne serait pourtant pas possible de dépenser l’intégralité des montants budgétés, faute de temps. Et puisque, ainsi que l’a répondu le Conseil d’Etat, le vote populaire ne pourrait avoir lieu qu’en 2018, même si les coupes budgétaires devaient être annulées par le peuple, elles resteraient pourtant effectives, puisqu’il n’est pas possible de dépenser en 2018 des  montant figurant dans le budget 2017. La droite aura ainsi imposé son projet rétrograde malgré la volonté du peuple souverain.

Ces considérations permettent de comprendre qu’il s’agit d’un combat politique, où les principes abstraits du droit et des règles démocratiques ne sont qu’un prétexte hypocrite. Au fond, la droite genevoise veut la tête de Rémy Pagani parce qu’elle ne supporte pas ce qu’il représente : un militant de gauche qui l’est resté même au sein de l’exécutif, plutôt que de céder à l’idéologie du compromis et de la collégialité. Elle ne lui pardonne pas de s’être battu contre son agenda de démantèlement social, d’avoir lui-même massivement récolté des signatures pour les quatre référendums qui furent annulés par la Chambre constitutionnel.


La lutte des classes est par nature sans pitié, tous les coups y sont permis, et la droite est dans son rôle quant elle ne s’arrête pas devant tous les moyens qui s’offrent à elle, même les plus déloyaux. On ne peut le lui reprocher. Mais il convient de rappeler cette vérité à certains qui, à gauche, l’oublient, et cèdent aux arguments hypocrites de l’adversaire de classe plutôt que de le combattre.