05 décembre 2018

La France à l’heure de Mai 68, ou de 1789



Il n’a pas fallu plus de 18 mois à Emmanuel Macron, président des ultra-riches, et à son pseudo-parti ectoplasmique rempli d’arrivistes brillant par une incompétence défiant l’imagination, La République en marche (LREM), pour monter pratiquement tout le peuple français contre lui, avec pour résultat un mouvement social d’une ampleur telle que la France n’en a pas connu depuis 50 ans. La plus belle des commémorations pour Mai 68 d’ailleurs.

Ce qui, au départ, avait été lancé comme un mouvement de protestation spontanée par quelques personnes non-politisées et qui n’avaient jamais milité auparavant sur Facebook contre la hausse de la taxe sur l’essence a vite pris des proportions auxquelles personnes ne s’attendait. Le mouvement dit des Gilets jaunes a en effet pris une ampleur inattendue, déferlant sur toute la France, et mobilisant des centaines de milliers de personnes, avec le soutien de plus de trois quarts de la population d’après tous les sondages.  La popularité du président et du premier ministre a, à l’inverse atteint un plancher historique, à une vitesse record dans l’histoire de la Vème République.

Il est vite devenu clair qu’il ne s’agissait pas seulement de la taxe tant décriée sur l’essence, mais d’un phénomène beaucoup plus profond. Pourquoi ce succès, et quelle est la nature de ce mouvement des Gilets jaunes ?

Un soulèvement populaire légitime

La hausse de la taxe sur l’essence n’a en effet été que la goutte d’eau qui a fait déborder un océan de colère, depuis longtemps prêt à déborder. En son essence, le mouvement des Gilets jaunes est avant tout un mouvement social de grande ampleur, un mouvement des classes populaires, et au-delà de toutes les classes et couches sociales autres que la grande bourgeoisie, et que son régime opprime, un mouvement de protestation contre des conditions de vie de plus en plus dures, contre un régime capitaliste devenant de plus en plus insoutenable pour l’immenses majorité de la population, contre un système profondément injuste, qui ne tourne qu’au seul bénéfice des très riches. Un mouvement de revendication d’une vie digne pour les travailleurs, d’une hausse du pouvoir d’achat, d’augmentation des salaires et des pensions, de reconstruction des services publics, d’une fiscalité plus juste, qui fasse porter plus l’effort sur les épaules des possédants plutôt que d’écraser le peuple.

En l’occurrence, la hausse de la taxe sur l’essence n’a fait que faire exploser une colère et un désespoir accumulés en plus de trente ans de politiques néolibérales, autant d’années de redistribution des richesses à l’envers, du bas vers le haut, d’un enrichissement éhonté de quelques milliardaires, et d’une caste politique à leur service, parallèlement à un effondrement du niveau de vie des classes populaires (le SMIC net est à 1149 € par mois, essayez de vivre avec une somme pareille !), d’un démantèlement organisé des services publics, de quartiers et zones rurales entières laissées à l’abandon. Et colère bien sûr contre un pouvoir qui est au service exclusif, jusqu’à la caricature, de l’oligarchie.

Certes, et c’est le cas de tout grand mouvement populaire, celui-ci est très diversifié, au prix de sa cohérence. On y trouve de tout, du meilleur comme du pire. Mais ce serait une erreur politique grave que de ne pas voir son essence, de la confondre avec des accidents, qui n’en restent pas moins condamnables. Comme l’avait dit Lénine, en 1916 à propos de la Russie – mais son jugement vaut pour la France d’aujourd’hui : « Ce qui est certain, c’est qu’actuellement on ne peut nier qu’il se passe quelque chose dans notre pays. Qu’on soit d’accord ou pas tel n’est pas le problème. Bien sûr qu’il y a des aspects qui ne nous plaisent pas et qu’il faut combattre. On sait aussi que les gens qui sont dans cette révolte ne sont pas tous des révolutionnaires, mais c’est eux, le peuple dans sa colère, qui ouvrent la voie au changement… »

Un mouvement qui n’est pas d’extrême-droite, ni poujadiste

Pour délégitimer le mouvement des Gilets jaunes, la presse bourgeoise a longtemps cherché à faire croire par tous les moyens – et s’y essaye encore, malgré l’évidence des faits – que les Gilets jaunes sont un mouvement d’extrême-droite, et/ou un mouvement poujadiste, démagogiquement anti-impôt, individualiste, anti-écologiste. Rien n’est plus faux. L’extrême-droite n’est nullement à l’origine de ce mouvement. Certes, le RN (nouveau nom du FN), et toutes, ou presque, organisations et mouvances de droite et d’extrême-droite ont immédiatement essayé d’infiltrer le mouvement, de le récupérer. Beaucoup de politiciens d’extrême-droite, ou de droite, sont apparus dans les médias portant un gilet jaune. Mais, malgré des efforts très importants, l’extrême-droite est toujours restée très minoritaire dans un mouvement populaire qui dépasse très largement l’aire de son influence, et qui s’est soulevé pour des revendications sociales profondément étrangères à une mouvance réactionnaire et acquise corps et âme aux classes possédantes (l’héritière Marine Le Pen, qui a grandi dans un manoir, a aussi peu en commun avec la masse des Gilets jaunes qu’Emmanuel Macron, elle qui s’est prononcée contre la hausse du SMIC, et qui prône une politique économique et sociale de droite, au bénéfice du patronat français, nullement des travailleurs français). Des individus d’extrême-droite ont essayé localement de s’autoproclamer porte-paroles du mouvement, avant de se voir à chaque brutalement remettre à leur place par une base qui ne veut pas voir sa lutte confisquée par des arrivistes.


Arrogance du pouvoir et mépris de classe

Le mouvement des Gilets jaunes a fait l’objet d’un traitement médiatique, et de réactions gouvernementales, trahissant un mépris de classe et une arrogance des puissants digne d’une véritable caricature de l’Ancien Régime finissant. Ce n’est pas pour rien que les comparaisons avec Louis XVI et Marie-Antoinette ont vite fusé.

Tous les éditorialistes, les plumitifs, et les pseudo-intellectuels liés à la bourgeoisie, en passant de l’inénarrable Cohn-Bendit à l’infâme BHL, ont rivalisé d’injures pour les Gilets jaunes : révolte irrationnelle, ploucs, crétins, gens sans instruction, grogne (les gens du peuple ne réfléchissent pas, ni ne contestent, ce sont des animaux qui émettent des sons inarticulés…) …Un condensé du mépris de classe de l’auto-proclamée élite pour la vile populace qui ose s’exprimer, pire, exiger quelque chose, au lien de subir son sort en silence. Une journaliste a même osé se scandaliser du fait qu’on ait laissé ces « gens », issus de régions rurales et peu éduqués, venir jusqu’aux Champs-Elysées. Tout un état d’esprit qui fleure bon l’Ancien Régime.

Macron lui-même, son gouvernement, et sa majorité parlementaire n’ont eu d’autre ligne, après qu’il ne fut plus possible de simplement balayer le mouvement des Gilets jaunes d’un revers de la main comme « irrationnel », que de dire : « on vous comprend, mais on tiendra le cap qu’on s’est fixé ». « Allez vous faire voir ! » aurait été plus court, et plus honnête. En outre de cela, depuis le début du quinquennat, c’est comme s’ils avaient tout fait pour mettre de l’huile sur le feu, à un point tel que c’en est difficilement concevable. Chaque sortie publique était une provocation de plus : de Macron qui ne peut prendre la parole sans insulter ou dénigrer une partie de son peuple, surtout les classes populaires, en passant par le ministre Gérald Darmanin qui a dit comprendre la colère des Gilets jaunes, car c’est difficile à vivre avec un petit salaire, alors que l’addition moyenne pour un repas au restaurant à Paris se monte à 200€ (de tels restaurants existent bien sûr, mais ne sont pas, de très loin, la majorité du genre), en passant à cette députée qui a dit que depuis qu’elle n’est plus dans le privé et qu’elle ne touche plus que 5’000€ par mois (sans compter tous les autres avantages), elle a dû ressortir des vêtements de la cave et manger plus souvent des pattes (on la plaindrait presque), ces autres ministres qui justifient la hausse des salaires de leurs cadres en disant qu’on ne peut pas vivre dignement à 5’000€ par mois (les smicards apprécieront), cette autre députée qui a dit qu’elle a dû dissuader son mari d’acheter une Porsche Cayenne parce que les gens la jugeraient, ce qu’elle trouve terrible, alors qu’elle aime les belles bagnoles ; sans oublier cette autre députée qui a dit que le pouvoir d’achat est un concept inventé par Nicolas Sarkozy…Bref, la cour de Louis XVI ne devait pas être aussi caricaturale.

Et, en pleine révolte des Gilets jaunes, Brigitte Macron a engagé des travaux de rénovation de l’Elysée de l’ordre de 500'000€ (changement des rideaux, des moquettes, etc.) Non pas que ces travaux fussent nécessaires, mais Madame trouvait l’Elysée insuffisamment « lumineux », et voulait améliorer la déco. Rappelons que Macron avait récemment aussi fait changer toute la vaisselle de l’Elysée, aussi pour une valeur de 500'000€. Quand on vous parle de Marie-Antoinette…

De la montée des luttes à une situation « quasi-insurrectionnelle »

Le qualificatif de situation « quasi-insurrectionnelle » ne vient pas de militants révolutionnaires, susceptibles de prendre parfois leurs désirs pour la réalité. Il vient de la plus officielle et la plus autorisée des sources : les préfets de France, ces hauts-fonctionnaires servant de courroies de transmission du pouvoir central sur le terrain. Plusieurs d’entre eux ont en effet fait part, anonymement, à la presse de leur extrême préoccupation face à la gravité de la situation, et l’arrogance du pouvoir, qui ne veut rien entendre, ni personne. D'après Le Monde, du 3 décembre 2018: "Alors que la préfecture de Haute-Loire, au Puy-en-Velay, a été incendiée, samedi 1er décembre, plusieurs représentants de ce corps de hauts fonctionnaires parlent de situation "explosive et quasi-insurrectionnelle" voire "pré-révolutionnaire". Comme en 1789, lorsqu'une partie de la population s'est soulevée contre les impôts, confie un préfet: "Ce qui s'exprime le plus, c'est la haine du président de la République". Ces préfets conseillent aussi au pouvoir de négocier, de faire des concessions. 

Situation « quasi-insurrectionnelle », voire « pré-révolutionnaire » ; les termes choisis sont forts. Ils ne doivent en aucun cas être banalisés. Et ils sont loin d’être infondés. Le mouvement dure depuis trois samedis déjà. Dès le premier samedi, il avait eu un impact massif sans doute de loin supérieur à ce que le pouvoir s’imaginait. Et il n’a fait que prendre de l’ampleur depuis. Et il a très vite dépassé le stade initial de protestation des automobilistes contre la hausse de la taxe sur l’essence, pour se transformer en mouvement global pour exiger des conditions de vie dignes, et contre Macron et son régime. Un catalogue de mesures préconisées par des assemblées de Gilets jaunes à été transmis à l’Assemblée nationale : plus un seul SDF, hausse du SMIC, rétablissement de l’ISF, renforcement des services publics…Des revendications sociales, dont des journalistes bourgeois ont été obligé de conclure qu’elles sont proches du programme du PCF. A partir de là, on a pu assister à une convergence des luttes : jonction entre mobilisations des Gilets jaunes et celles de la CGT (malgré des réticenses initiales, des deux côtés, qui ne sont pas encore partout dépassées), occupation de plus de 100 lycées à l’échelle du pays par un mouvement lycéen indépendant du mouvement des Gilets jaunes, mais convergent avec lui…

L’auteur de ces lignes a eu l’occasion de participer à la manifestation de la CGT contre le chômage, et en soutien aux justes revendications populaires, samedi dernier, à laquelle avaient également participé nombre de Gilets jaunes, ainsi que d’observer le blocage du rond-point de la Bastille par les Gilets jaunes. Nul part ou presque on ne voyait de CRS. Ils étaient tous mobilisés aux Champs-Elysées, où de violents affrontements ont eu lieu, des Gilets jaunes ayant pris l’offensive et que les forces de répression de l’Etat ont eu beaucoup de mal à contenir. La presse bourgeoise a poussé des cris d’orfraie frisant le ridicule sur l’horrible « violence » des Gilets jaunes : des voitures en flammes, des vitrines brisées, quelques magazins dévalisés, quelques tags sur des monuments historiques. Les mêmes n’ont pas trouvé grand chose à redire à la violence de l’Etat : coups de matraque, usage massif de lacrymogènes, de flashballs, de grenades de désencerclement…qui ont tout de même fait en tout cas un mort (une vielle dame qui n’a pas refermé assez vite sa fenêtre), et d’innombrables blessés, dont beaucoup de très graves. Les mêmes moyens de répression ont été utilisés sans retenue contre des lycéens (mineurs dans leur grande majorité). Quant à la violence qui consiste à réduire des millions de personnes à la précarité, voire au seuil de la survie, pour enrichir démesurément une infime poignée de « premiers de cordée », et qui est sans doute la pire, elle est purement et simplement ignorée.

Vers un point de non-retour

La brutalité de la répression ne change pourtant rien au fait que l’Etat était visiblement dépassé par les mobilisations de ce qui est certes un mouvement social important, mais qui est loin d’avoir atteint le sommet de son potentiel. Si le mouvement était, disons, cinq fois plus important, le pouvoir serait complétement submergé. Macron a d’ailleurs décidé d’octroyer une prime extraordinaire aux policiers mobilisés ce samedi. Visiblement, il se sent obligé de tenter d’acheter leur loyauté. Celle-ci ne lui est en effet plus forcément acquise. Des CRS ont en effet parlé à la presse, anonymement, et même pas toujours anonymement, pour dire leur lassitude, leur épuisement, et que par ailleurs il ne sont pas loin d’être sur le fond d’accord avec les revendications des Gilets jaunes. Un syndicaliste policier a publiquement appelé le gouvernement à faire des concessions. Des doutes similaires, non sans un désarroi certain, se sont aussi massivement manifestés dans le groupe parlementaire LREM. La faiblesse du pouvoir macronien est désormais patente.

Face à cette situation, le gouvernement s’est livré à une manœuvre d’enfumage grotesque, faisant comme si il avait accepté de faire quelques concessions à titre d’apaisement : un simple moratoire de 3 mois sur la hausse de la taxe sur l’essence (soit jusqu’aux élections européennes), qui plus est compensé par une coupe équivalente dans les dépenses publiques, et une « revalorisation de 3% » du SMIC (en réalité une indexation prévue par la loi, et donc en rien une décision du gouvernement, sur l’inflation, plus une baisse des cotisations sociales, et donc une baisse du salaire socialisé des travailleurs). Ces mesures auraient déjà tenu de la mauvaise plaisanterie aux débuts du mouvement, quand il était encore possible de le désamorcer. Là, elles arrivent définitivement trop tard, et n’auront d’autre effet qu’exaspérer encore plus les Gilets jaunes, à renforcer et radicaliser encore leur mouvement. Le ministre de l’intérieur Christophe Castaner a encore appelé les Gilets jaunes « responsables » à ne pas venir manifester à Paris samedi prochain. Si quelqu’un hésitait à venir manifester, sans doute cette raison sera suffisante seule pour se décider à venir.

Certes, des manifestations, qui plus est seulement le samedi, même si elles sont accompagnées de violences, et des blocages de ronds points ne suffiront jamais à faire plier le régime macronien. L’arme la plus efficace dont les travailleurs disposent pour cela est la grève, plus particulièrement la grève générale. Celle-ci ne se décrète pas. Elle ne peut devenir réalité que si elle est consciemment voulue par la base, par une majorité de travailleurs. Mais on en voit peut-être les signes avant coureurs. Les syndicats CGT et FO ont annoncé une grève illimitée des routiers. La CGT des services publics a déposé un préavis de grève du 8 au 31 décembre. Les employés de la banque BNP Paribas sont également en grève. Ce n’est peut-être que le début. Par ailleurs, les facultés de Tolbiac et de Sorbonne-Nouvelle sont désormais bloquées. Tenant compte du fait que jusque là Macron et son gouvernement n’ont fait qu’attiser le mouvement, et que l’exaspération populaire a atteint un point trop élevé pour être désamorcée simplement, on est en toute probabilité encore loin du point culminant de la révolte.

Seul la lutte décidera de l’avenir

Il est indéniable qu’il se passe quelque chose d’historique en France actuellement, et nous en avons fait une analyse plutôt optimiste (c’est indispensable : pour avoir la force d’agir il faut croire, ne serait-ce qu’un peu, en la victoire). Ceci dit, il est trop tôt, beaucoup trop tôt pour parler de situation réellement insurrectionnelle, et encore moins pour prophétiser la révolution. L’avenir reste plus que jamais incertain. Macron et son gouvernement ont beau s’être discrédité, ils n’ont pas encore joué toutes leurs cartes, et feront tout leur possible pour tenter de diviser le mouvement populaire, faire de fausses concessions si besoin est, céder sur certaines choses s’il le faut, ruser, tout faire pour rétablir la situation. La bourgeoisie française est encore très loin d’avoir perdu le contrôle sur le pays. Il est vrai aussi que ce qui a permis au mouvement des Gilets jaunes de prendre si vite une telle ampleur, d’agréger des milliers de personnes qui ne s’étaient jamais engagées auparavant – son absence d’organisation, son caractère pluriel – constitue aussi sa faiblesse majeure. Il est dans la nature d’un grand mouvement populaire d’être l’agrégation de tous les mécontents, au prix d’une diversité d’idées qui implique fatalement le flou, un mélange d’options irréductiblement contradictoires.
Mais un tel mouvement, s’il peut à la rigueur contraindre un dirigeant détesté à s’en aller, ne peut en aucune manière imposer ses exigences au pouvoir, encore moins le remplacer. Pour cela, il faut bien une organisation, ainsi qu’une ligne politique. Pour pallier à la faiblesse organisationnelle du mouvement, et pour empêcher des porte-paroles autoproclamés de le prendre en otage, des Gilets jaunes de la Meuse ont proposé la mise en place d’Assemblées populaires sur le terrain, avec réunions régulières et Maisons ou Cabanes du peuple pour cela. Le début d’un contre-pouvoir ? Ce n’est toutefois pour l’instant qu’une proposition. Nul ne sait si elle sera concrétisée.


Mais la victoire exige aussi une direction politique. C’est là le rôle historique d’un parti communiste. Or il y a toujours en France un grand parti communiste, le PCF, qui a récemment tenu son 38ème Congrès, qui a élu un nouveau secrétaire national, Fabien Roussel, et manifesté la volonté d’enrayer la tendance à l’effacement du PCF, à renoncer à chercher le rassemblement à gauche à n’importe quel prix, et redonner au PCF toute sa place, avec une ligne plus combative, au service des travailleurs. Fabien Roussel a clairement exprimé son total soutien au mouvement des Gilets jaunes, et a appelé à se mobiliser pour les justes revendications des travailleurs, quelle que soit la couleur de leur gilet, qu’ils portent un gilet ou pas. Le PCF se bat actuellement pour un débouché politique au mouvement, pour imposer faire plier le gouvernement, lui imposer un changement de cap. L’issue de cette lutte sera déterminante pour l’avenir.

Pour une année 2019 de luttes et de victoires !




L’année 2018, celle du bicentenaire de la naissance de Karl Marx, du centenaire de la Révolution allemande, des 50 ans de Mai 68, est pratiquement écoulée. Cette année 2018, le Parti du Travail a dû conduire une campagne électorale longue et intense pour les élections cantonales, qui a permis de reconduire un groupe Ensemble à Gauche de 9 personnes au Grand Conseil, et de maintenir notre siège dans cette instance. Notre Parti n’en a pas moins trouvé le temps et les forces requises pour être présent dans les luttes, qu’il s’agisse d’initiatives, de référendums, de campagnes de votations, de manifestations ; organiser des événements publics, dont une mémorable 11ème Fête des peuples sans frontières ; tenir un Congrès cantonal politiquement fourni et constructif, définissant plusieurs chantiers de travail pour l’avenir proche ; assurer son fonctionnement et son travail social. Notre Parti peut aussi se targuer de s’être raisonnablement renforcer, et de compter de nouveaux camarades dans ses rangs, parmi lesquels quatre élu-e-s au Conseil municipal en Ville de Genève. Notre Parti peut être fier d’avoir levé et haut et porté dignement l’étendard rouge de Marx, Engels et Lénine, celui du socialisme. Si l’avenir s’annonce sans doute plein de défis, nous pouvons néanmoins le regarder avec confiance, et le Parti du Travail y a toute sa place, et un rôle majeur à jouer, en travaillant certes avec d’autres, mais pleinement conscient de son rôle propre et irremplaçable, en toute souveraineté et indépendance, puisqu’aucun autre parti n’est et ne pourra jamais être pleinement celui des travailleurs et des classes populaires, le parti qui non seulement lutte contre les méfaits du capitalisme, mais incarne la perspective d’une société nouvelle, socialiste.

Bientôt, nous entrerons dans l’année 2019. Cette année marquera les 75 ans du Parti Suisse du Travail. Cette année sera aussi celle de batailles majeures pour notre Parti. Ce sera notamment l’année des prochaines élections fédérales, où notre Parti tâchera d’être présent, et de lever haut l’étendard de ses idées et des perspectives d’avenir qu’il propose au peuple de notre pays. Cette année 2019, plus particulièrement la votation populaire du 10 février prochain, signifiera aussi pour nous une bataille bien plus importante : celle de faire aboutir devant le peuple les deux initiatives que le Parti du Travail avait lancées et déposées successivement, avec un nombre record de signatures, récoltées par les seules forces de ses militants : celle pour le remboursement des soins dentaires, avec plus de 18'000 signatures, et celle pour une caisse d’assurance maladie et accidents publique genevoise à but social, avec plus de 14'000 signatures. Ces deux initiatives constituent une réponse socialement juste et progressiste à un problème vital et brûlant pour les classes populaires de notre canton : celui de la santé. Nous avons beaucoup parlé de ces deux initiatives dans ces colonnes. Vous trouverez également un nouvel argumentaire pour l’initiative pour une caisse publique dans les deux pages qui suivent. La campagne de votation constitue un enjeu majeur pour notre Parti, qui doit mobiliser toutes ses forces, l’énergie de tous ses membres. L’initiative pour le remboursement des soins dentaires avait échoué devant le peuple – à un score loin d’être écrasant – suite à une campagne grotesque, mensongère, à coups de millions, de la droite, du patronat et du lobby des dentistes. Néanmoins, la victoire reste possible sur Genève, comme elle l’est pour la caisse publique. Une fois encore, notre canton peut ouvrir le chemin du progrès social dans notre pays, et, comme par le passé, c’est notre Parti qui montrera la voie.


Comme l’avait dit Lénine : « L’histoire sera pour les exploités, car ils ont pour eux la vie, la force du nombre, la force de la masse, les sources  intarissables de l’abnégation, de l’idéal, de l’honnêteté, de ce qu’on appelle le « simple peuple », des ouvriers et des paysans qui prennent leur essor, qui s’éveillent pour édifier un monde nouveau et dont les réserves d’énergie et de talents sont gigantesques. La victoire est à eux ». C’est à nous qu’il appartient de faire cet avenir réalité.

18 novembre 2018

Il y a cent ans, la Révolution allemande

Ce mois de novembre marque le centenaire d’une grande révolution, qui, pour avoir été trahie et écrasée dans le sang, n’en reste pas moins une des plus importantes révolution de l’histoire : la révolution allemande. Sans cette page d’histoire, on ne peut comprendre ni la suite de l’histoire du mouvement communiste et ouvrier international, ni celle de la montée du nazisme, ni celle de la grève générale en Suisse. Tâchons d’en retracer dans les grandes lignes l’histoire.

Avant 1918

Le SPD (Parti Social-démocrate d’Allemagne) avait été le parti le plus puissant de la IIème Internationale, et, à ses débuts, le plus marxiste. Mais, après des premières années héroïques, le SPD avait bien changé. Entre temps, le nouveau Kaiser, Guillaume II, avait pris la décision de libéraliser quelque peu l’Allemagne. Le parti social-démocrate put agir dans la légalité, dans les limites posées par un droit impérial qui laissait de très larges pouvoirs au bénéfice de l’Empereur, pour n’en laisser pratiquement aucun au parlement central, le Reichstag. Le SPD en profita pour s’engager à fond dans la politique parlementaire, et, ses scores progressant d’élection en élection, en vint à se parlementariser. Il n’avait certes pratiquement aucune influence sur la politique menée, mais espérait changer cet état de fait en démocratisant progressivement le système. Il faut dire que, de par leurs luttes, les ouvriers allemands avaient gagné d’appréciables améliorations de leurs conditions de vie.

Il faut dire aussi que le SPD était frappé d’une faiblesse théorique originelle. Il ne s’était jamais posé la question de Lénine : Que faire ? Pour le SPD la révolution était quelque chose qui finirait par arriver, dont il fallait bien expliquer la nécessité historique, mais pas quelque chose à préparer ni à faire. A la longue, les drapeaux rouges et les chants révolutionnaires finirent par relever du folklore pour un parti qui, trop concentré sur le travail parlementaire, avait cessé en fait de vouloir la révolution. Le SPD avait aussi depuis peu pour président Friedrich Ebert, un ancien artisan sans véritable pensée politique, qui s’est fait remarqué par son absence lors des grands débats théoriques d’avant 1914, mais qui avait eu le mérite de moderniser le fonctionnement du secrétariat du SPD. C’est ce SPD parlementarisé qui dut faire face au déclenchement du la Première Guerre mondiale, et qui rentra très vite dans le rang en votant les crédits de guerre, et en devenant dès lors un parti loyal et bien vu des autorités. Une minorité quitta le parti, pour former l’USPD. Un parti sans guère de colonne vertébrale idéologique, puisqu’il comprenait Eduard Bernstein, le théoricien révisionniste, et Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, et qui n’était uni que par son opposition à la guerre

De la Guerre à la Révolution

Les années de Guerre furent pour l’Allemagne des années d’hécatombe sur le front, de dictature militaire à l’arrière, de privations sans fin pour la population, et de communiqués interminables de victoire. Pourtant la guerre ne se passait pas si bien pour le Reich. La défaite de l’Autriche-Hongrie laissait l’Allemagne exposée au Sud. La guerre ne pouvait plus être gagnée. L’Allemande en guerre était gouvernée effectivement par le chef de l’état-major, le maréchal Paul Von Hindenburg, et en réalité par son second, le général Erich Ludendorff. Ludendorff comprenait que la guerre était perdue. Pour sauver l’honneur de l’armée autant que possible, il échafauda un plan machiavélique pour faire porter le chapeau par les civils. Il convainquit donc l’empereur de faire du IIème Reich une démocratie constitutionnelle, et de confier les rênes d’un gouvernement parlementaire, avec participation social-démocrate, au prince libéral Max de Bade. Ce « cadeau » de la démocratie parlementaire était toutefois empoisonné : le nouveau gouvernement avait pour mission de prendre la responsabilité de conclure une paix humiliante, et donc de se voir accuser par la suite de trahison.

Mais tout ne se passa pas comme Ludendorff l’avait prévu. Tous ses officiers n’étaient pas prêts à accepter la capitulation. Quelques commandants de la marine de la mer Baltique tentèrent de déclencher une offensive navale meurtrière pour faire redémarrer la guerre. Des marins qui se mutinèrent, ne voulant pas donner leur vie au service d’une opération suicide furent emprisonnés et condamnés à mort. Leurs camarades se soulevèrent alors, le 4 novembre, pour les libérer. C’était la révolte des marins de Kiel. Mais, s’étant soulevés, ils avaient le choix : prendre franchement le pouvoir, ou attendre de se faire fusiller. Ils choisirent la révolution. Une révolution qui balaya bientôt toute l’Allemagne. Partout, des conseils de soldats et d’ouvriers se constituaient, généralement dirigés paritairement par le SPD et l’USPD local. Les autorités militaires étaient renversées par la révolution, et les autorités civiles étaient obligées de reconnaître le pouvoir des conseils. La révolution allemande fut un modèle de modération : si des prisonniers politiques furent libérés, il n’y eut presque aucun acte de violence. Le prince de Bade n’avait pas le cœur à réprimer cette révolution. De toute manière, il n’aurait pas trouvé de troupes prêtes à tirer pour le faire. Il choisit donc de démissionner, en laissant les clés de la chancellerie à Friedrich Ebert. Le Kaiser dut également abdiquer dans la foulée, et s’enfuir en Hollande. Le 9 novembre la révolution balayait Berlin. La révolution de novembre n’était pas une révolution socialiste. Elle ne s’était pas attaquée directement à la propriété des moyens de production. Ce n’était pas non plus une révolution communiste. Le KPD n’était pas encore fondé. C’était une révolution sociale-démocrate, menée par des ouvriers et soldats dont la culture politique avait été formée par le SPD. C’était la révolution que le SPD annonçait depuis des années. Hélas, ses dirigeants avaient cessé de la vouloir.

De la Révolution à la trahison

Ebert se retrouvait donc chancelier du Reich. Le rêve de sa vie était réalisé. Mais, voilà. La révolution ne voulait pas s’arrêter. Situation plus qu’embêtante pour lui. A force de s’être trop intégré au système, il avait fini par s’y identifier. L’ordre bourgeois était pour lui l’ordre tout court ; la révolution, le désordre. Il n’avait plus qu’une envie : y mettre fin. Et, cerise sur le gâteau, il apprit que le lendemain allait se tenir une assemblée des délégués des conseils ouvriers et soldats, afin d’élire un Conseil des commissaires du peuple, gouvernement d’une révolution dont le peuple allemand ne voulait pas se voir déposséder. La solution qu’il trouva pour cela c’était que, pour étouffer la révolution, il devait en prendre la tête, pour mieux la trahir. Le SPD avait encore beaucoup d’influence chez les ouvriers, et plus encore chez les soldats rentrés du front. Friedrich Ebert sut parler à l’assemblée un langage qu’elle apprécierait, et put ainsi être élu au sein d’un conseil des commissaires du peuple, formé à sa convenance. La révolution allemande venait de confier sa direction à l’homme décidé à la perdre.

Ebert usa donc de son siège au conseil des commissaires du peuple pour mener la révolution à l’enlisement, pendant que son comparse Gustav Noske travaillait discrètement avec les officiers irrédentistes à constituer les Freikörper, unités composées d’hommes triés sur le volet, et ne devant fidélité qu’à leur commandant. Ces unités étaient animées d’une idéologie qui préfigurait celle de la Waffen SS.

De la contre-révolution à la guerre civile

Lorsqu’ils estimèrent la situation mûre, Ebert et Noske œuvrèrent, de concert avec les officiers réactionnaires, pour dissoudre les conseils de soldats, rétablir la hiérarchie militaire, et, à court terme, en finir avec le pouvoir des conseils pour rétablir la légalité bourgeoise. S’ensuivit une sanglante guerre civile, où les ouvriers allemands se battirent avec le courage du désespoir pour tenter de sauver leur révolution, alors que les nervis de Noske couvrirent leurs mains de sang. Ils assassinèrent notamment Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, qui ne dirigeaient pas la révolution, mais avaient à leurs yeux le tort de dénoncer la trahison des dirigeants sociaux-démocrates. Lorsque quelques officiers des plus réactionnaires pensèrent qu’ils n’avaient plus besoin du SPD, et tentèrent un coup d’Etat militaire, Ebert et ses « commissaires du peuple » en carton s’enfuirent, et eurent le front d’appeler les ouvriers à prendre les armes pour défendre la révolution. Mais quand les putschistes furent neutralisés, ils laissèrent l’armée « revenue sur le terrain constitutionnel » massacrer avec la dernière sauvagerie les révolutionnaires qui avaient sauvé leur peau. La révolution allemande fut noyée dans le sang par ceux à qui elle avait fait l’erreur de confier son destin.

La contre-révolution antichambre du nazisme


Toutes ces trahisons répétées finirent par avoir raison de la confiance que la classe ouvrière allemande avait portée au SPD. Aux élections parlementaires de janvier 1919, celui-ci perdit la moitié de ses voix, et fut définitivement relégué dans l’opposition jusqu’à la fin de la République de Weimar. Ebert fut certes élu président du Reich, mais fut vite accusé publiquement de trahison pour la capitulation de 1918 – la fameuse théorie du « coup de poignard dans le dos ». Le piège de Ludendorff se refermait sur lui. Malade, il négligea pourtant de se soigner à trop essayer de se disculper, et décéda en 1925. On n’arrive pas à ressentir la moindre compassion pour lui. L’Allemagne se retrouvait humiliée par la défaite, étranglées par les conditions léonines du traité de Versailles. La République de Weimar ne pouvait convenir ni pour les ouvriers, qui y voyaient le tombeau de leur révolution, ni pour la réaction, pour laquelle elle était irrémédiablement entachée par la révolution. Avide de revanche, ne pouvant envisager de restauration en l’absence d’un héritier crédible pour incarner la monarchie, elle se mit à la recherche d’un nouveau type de despotisme. Un certain caporal Hitler avait été infiltré par le commandement militaire allemand dans un des groupuscules d’extrême-droite qui s’étaient formés après-guerre pour voir s’il pourrait être utilisé à cette fin. Il surpassa les attentes de ses commanditaires. Parmi les premiers idéologues du NSDAP (qui il est vrai s’est brouillé avec Hitler après 1933) on retrouve Ludendorff. La classe ouvrière allemande ne put empêcher l’ascension du NSDAP. Les historiens bourgeois ou trotskistes en accusent généralement le KPD, qui aurait eu le tort de refuser le front commun avec le SPD (que celui ne voulait pas non plus en réalité). Mais quand on repense à l’histoire de la révolution allemande, on ne peut qu’avoir une certaine compréhension pour des camarades qui n’ont pas pu faire confiance à  un parti qui avait fait semblant d’incarner la révolution, pour ensuite la trahir et la noyer dans le sang. Et, quand on pense qu’une des origines du NSDAP étaient les Freikörper de Noske, on ne peut s’empêcher de penser que le terme de « social-fasciste » n’était pas qu’une lubie de Staline. La révolution allemande aurait pu triompher pourtant. Elle ne le put, car il lui manqua à sa tête un parti qui voulait la révolution et était en mesure de la diriger. Aussi, elle fit l’erreur de confier son sort à une direction réformiste qui n’en voulait pas, et qui la trahit. Les pires conséquences s’en sont suivies. C’est une page d’histoire à ne jamais oublier.