Affichage des articles dont le libellé est Gauchebdo. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Gauchebdo. Afficher tous les articles

05 octobre 2022

Qanga, une exposition sur le Groenland d’autrefois et d’aujourd’hui à découvrir à Lausanne

 


En kalaallisut, langue du peuple Inuit, le peuple autochtone du Groenland, « Qanga » signifie « autrefois ». C’est là l’objet d’une exposition du même nom, que l’on peut visiter à Lausanne, au Palais de Rumine, jusqu’au 29 janvier 2023. L’exposition Qanga, fruit d’une collaboration avec le Musée national du Danemark et du Groenland, permet de découvrir l’histoire naturelle et humaine de la plus grande île du monde, au travers d’une impressionnante collection d’artefacts archéologiques et historiques, d’animaux, de minéraux et d’autres objets, issus de collections danoises et suisses, remarquablement bien présentés – et dont beaucoup n’ont jamais été montrés au public –, le tout rythmé par des extraits de quatre bandes dessinées réalisées par le dessinateur et artiste groenlandais Konrad Nuka Godtfredsen.

 

Au fil de l’exposition, on peut explorer l’histoire géologique du Groenland, sa faune et sa flore ; son histoire humaine, depuis les premières traces attestées de la présence de chasseurs-pêcheurs il y a 4'500 ans ; le mode de vie, la culture, les croyances du peuple inuit d’avant la colonisation – on apprend ainsi que « kayak » et « anorak » sont des mots empruntés au kalaallisut – ; la tentative de colonisation viking au Groenland, qui dura tout de même plus de deux siècles ; la colonisation danoise enfin, les changements socio-économiques, l’impact du commerce avec le Danemark, mais aussi les ravages infligés à la culture inuite et l’évangélisation imposée au peuple groenlandais.

 

Malgré son nom, Qanga ne porte pas que sur le passé. On y trouve aussi un aperçu du Groenland d’aujourd’hui, un territoire autonome sous souveraineté danoise, dont les quelques 55'000 habitants luttent pour se libérer des séquelles de la colonisation, reconquérir leur propre culture, et aspirent à l’indépendance. On y apprend enfin les enjeux liés au réchauffement climatique auxquels est confronté le Groenland, et ceux auxquels il pourrait faire face à l’avenir. Un problème majeur, même si la situation particulière au Grand Nord pour ce qui est du changement climatique n’est pas forcément très connue par chez nous.

 

Plus que la plupart des régions du monde, l’Arctique est aujourd’hui touchée par le réchauffement climatique. Les banquises fondent, le permafrost dégèle et la forêt évince la toundra. Ce n’est pas une bonne nouvelle. C’est même une catastrophe pour l’extrême-nord de notre planète. Car la faune, terrestre et maritime, ne parvient pas à s’adapter à un changement aussi rapide. C’est tout un écosystème qui est dramatiquement bouleversé, et donc aussi le mode de vie de peuples qui existent en symbiose avec lui. Au Groenland, la banquise fond à toute vitesse, et de vastes régions en pourraient être submergées d’ici quelques décennies.

 

Mais cette tragédie est vue comme une opportunité par quelques-uns, une opportunité de profits supplémentaires. Le Groenland possède en effet des ressources minières, des terres rares, du pétrole…qui deviennent accessibles maintenant que la banquise disparaît. Le peuple groenlandais doit aujourd’hui se battre contre ces velléités extractivistes, qui auraient pour effet d’aggraver le réchauffement climatique, et d’endommager plus encore un écosystème fragile. Un gouvernement qui voulait autoriser l’ouverture d’exploitations minières pour extraire des terres rares a ainsi été renversé sous la pression populaire.

 

Une sélection de livres en vente sur le Groenland et de littérature groenlandaise contemporaine est à disposition pour qui souhaiterait en savoir plus.

 

Une exposition qui mérite d’être visitée ; parce qu’elle est passionnante et instructive ; et parce que le sort et les luttes du peuple du Groenland nous concernent.

21 décembre 2021

Julian Assange, bouc émissaire des Etats-Unis

 

PROCÈS • Les défenseurs de la liberté, réunis autour de Joe Biden pour un Sommet pour la démocratie, poursuivent Julian Assange pour «crime» de journalisme.

 

Les USA de Joe Biden avaient réuni un « Sommet pour la démocratie » les 9 et 10 décembre. Celui-ci était sensé réunir les pays démocratiques de la planète, pour défendre les valeurs de la démocratie, partout menacées, contre leur principal ennemi, les régimes autoritaires. Plus que les discours creux d’un sommet qui a tourné à vide, c’est la liste des pays invités qui a suscité l’intérêt. Non seulement les USA se considèrent en droit de définir quel pays est démocratique et lequel ne l’est pas, mais cette définition recoupe en pratique…le fait d’être allié des USA. Certes, l’administration Biden n’a pas osé inviter des despotismes déclarés, comme les monarchies du Golfe, mais il n’a pas été question non plus de ces régimes, qui propagent pourtant une idéologie obscurantiste hostile à toute démocratie. Les grandes menaces désignées étaient la Chine et la Russie, qui se trouvent être des rivaux stratégiques des USA. Parmi les pays invités, par contre, se trouvaient les « démocraties » exemplaires que sont le Brésil de Jair Bolsonaro, les Philippines de Rodrigo Duterte, la Colombie d’Ivan Duque. La Bolivie n’est apparemment pas considérée comme une démocratie, mais, si la dictatrice fasciste Jeanine Añez avait conservé le pouvoir, ça aurait sans doute été différent… Et, provocation caractérisée, Taiwan figurait dans la liste, alors que cette île, que la Chine considère comme une province séparatiste, n’est officiellement reconnue, ni par l’ONU, ni par…les USA. Le ministère chinois des affaires étrangères n’a pas eu tort de dénoncer une démarche digne d’une nouvelle Guerre froide, et de qualifier la démocratie américaine d'"arme de destruction massive utilisée par les États-Unis pour s'ingérer dans les autres pays"

 

Mais, pendant que les chefs d’État « démocrates » rivalisaient de beaux discours, le 10 décembre, la Cour d’appel de la Haute Cour de justice d’Angleterre et du Pays de Galles a autorisé l’extradition de Julian Assange vers les USA. Journaliste, Julian Assange est surtout connu comme fondateur de WikiLeaks, organisation non-gouvernementale qui a publié des documents transmis par des lanceurs d’alerte, faisant état d’abus et de violation de droits humains de la part de différents États. Son seul « crime » est d’avoir rendu publics des documents classifiés émanant des USA, qui ont permis de documenter les crimes de guerres et les actes de torture de l’empire qui tyrannise aujourd’hui la planète. Aucun de ces criminels de guerre n’a été poursuivi, évidemment.

 

En représailles, les USA se sont livrés à un véritable acharnement judiciaire, l’accusant d’« espionnage » et exigeant son extradition, alors qu’on ne voit pas très bien en quoi ce citoyen australien devrait rendre des comptes à la justice étatsunienne. Est-ce que toute la planète serait devenu un territoire asservi de l’empire ? De 2012 à 2019, Julian Assange dut vivre refugié à l’ambassade de l’Équateur à Londres. Mais l’ancien président équatorien Lenin Moreno, qui porte si mal son prénom et qui trahit l’héritage de son prédécesseur, Rafael Correa, l’a livré à la « justice » britannique. Depuis, Julian Assange est détenu dans une prison de haute sécurité, à l’isolement total, dans des conditions proches de la torture psychologique, et qui ont gravement affecté sa santé. Les USA ont multiplié des recours malhonnêtes et des arguties abracadabrantesques pour obtenir son extradition. Le Royaume Uni vient de céder à la volonté de l’Empire, et d’accepter de lui livrer un homme dont le seul « crime » fut d’avoir été journaliste et d’avoir révélé la vérité.

 

La démocratie "ne connaît pas de frontière. Elle parle toutes les langues. Elle vit chez les militants anti-corruption, chez les défenseurs des droits humains, chez les journalistes", a pourtant dit Joe Biden à son sommet. Les journalistes qui travaillent pour les intérêts étatsuniens uniquement, était-il visiblement sous-entendu. Plus que les discours creux, ce sont les actes qui disent le mieux la contribution réelle des USA et du Royaume-Uni à la cause de la démocratie, de la liberté de la presse et des droits humains

08 mars 2021

Un enjeu méconnu relatif à l’accord de libre-échange avec l’Indonésie : l’occupation de la Papouasie occidentale

 


Vous aurez certainement déjà remarqué sur une carte l’île de la Nouvelle-Guinée, coupée en son milieu par une ligne quasiment verticale. Cette frontière tracée à la règle – héritage tristement typique de l’époque coloniale – sépare conventionnellement le continent asiatique de l’Océanie. À l’est de cette frontière se trouve l’État indépendant qu’est la Papouasie Nouvelle-Guinée. La partie ouest de l’île est rattachée à l’Indonésie. Ne vous êtes-vous jamais interrogé sur l’étrangeté de cette frontière ? Cette frontière est en fait parfaitement artificielle : à l’est comme à l’ouest vivent les Papous, un peuple autochtone de culture mélanésienne, apparentés malgré une très grande diversité culturelle et linguistique ; et la frontière officielle passe souvent au milieu de villages. Et il ne s’agit pas que d’un découpage arbitraire : la situation de la Papouasie occidentale est celle d’une occupation coloniale brutale, peu connue mais qui devrait l’être au même titre que celle de la Palestine et du Sahara occidental, et qui a fait près de 400'000 morts, sur une population qui est aujourd’hui de 3,5 millions d’habitants.

 

Le rattachement de la Papouasie occidentale à l’État indonésien ne repose sur aucune légitimité hormis celle issue de la force des armes. L’Indonésie, ancienne colonie hollandaise, occupe militairement la partie occidentale de la Nouvelle-Guinée en 1962 – sous contrôle hollandais jusque là – et l’annexe de force, contre l’avis de son peuple, qui résista immédiatement à cette nouvelle occupation. La partie orientale de l’île était alors sous mandat de l’Australie, jusqu’à son indépendance en 1975. Suite à un accord conclu entre les USA, les Pays-Bas et l’Indonésie (sans aucun représentant du peuple de Papouasie occidentale), un référendum d’autodétermination devrait être organisé, pour que le peuple de Papouasie occidentale puisse décider de son avenir. Jusque-là, la région serait administrée par l’Indonésie, sous mandat de l’ONU. Mais l’Indonésie se comporte de fait comme une puissance occupante. Si le gouvernement indonésien eut jamais l’intention de tenir parole, cette perspective devint caduque avec le coup d’État du général Soeharto, de sinistre mémoire, qui commença son règne de terreur avec un véritable génocide dirigé contre ce qui était alors le plus grand parti communiste du monde capitaliste. Il réprime également dans le sang la résistance Papoue.

 

Le dictateur Soeharto organise un scandaleux simulacre d’autodétermination en 1969 : 1'054 chefs triés sur le volet se voient obligés de se prononcer pour le rattachement à l’Indonésie sous la menace des armes des soldats de l’armée d’occupation. Depuis, la Papouasie occidentale vit sous une chape de plomb : occupation militaire, loi martiale de fait, politique raciste de discrimination envers les Papous, assimilation forcée, exactions innombrable de l’armée indonésienne (qui n’a pas hésité à exterminer des villages entiers)…Malgré la brutalité de la répression, l’Organisation pour une Papouasie libre n’a jamais cessé la guérilla contre l’occupant.

 

Si la dictature n’est plus, l’Indonésie ne peut guère être qualifiée de démocratie de nos jours, et les méthodes héritées de Soeharto demeurent. Ce qui est vrai du pays entier l’est a fortiori pour la Papouasie occidentale. Malgré une éphémère tentative de dialogue, la répression n’a jamais cessé. La Papouasie occidentale reste toujours soumise à une occupation coloniale, difficilement accessible aux étrangers et à la presse, et l’armée indonésienne y continue ses exactions : répression violente, assassinats, torture… C’est que cette moitié de l’île de la Nouvelle-Guinée possède de grandes richesses naturelles : plus grande mine d’or du monde, colossales réserves de cuivre, de nickel, de cobalt…Des richesses que l’élite indonésienne ne compte nullement laisser au peuple autochtone à qui elles reviennent pourtant de droit. Ces ressources naturelles sont livrées à un véritable pillage au profit de compagnies minières, avec des ravages irréparables à l’environnement. La forêt vierge de Papouasie occidentale – avec la biodiversité inestimable qu’elle abrite – se voit défrichée à large échelle, et les populations autochtones expulsées de leurs terres ancestrales, pour laisser place aux monocultures à échelle industrielle, notamment celles des palmiers à huile.

 

Malgré la répression, le peuple de Papouasie occidentale n’a jamais abandonné sa lutte, et celle-ci est même passée à un niveau qualitativement supérieur : en plus de la guérilla sur une échelle limitée, un mouvement de protestation massif, dans les villes de Papouasie occidentale comme dans le reste de l’Indonésie, des mobilisations de la diaspora et des efforts de trouver des appuis diplomatiques à l’étranger. En 2014 fut fondé le Mouvement uni pour la libération de la Papouasie occidentale, un mouvement politique indépendantiste, et plus seulement de guérilla. Le 1er décembre celui-ci adopte une Constitution provisoire pour une future République de Papouasie occidentale, et fait de Benny Wenda le président d’un gouvernement provisoire, en exil (que l’Indonésie s’est évidemment empressée de déclarer illégitime). Le but de ce gouvernement est de parvenir à un référendum d’autodétermination, visant à donner naissance, selon Benny Wenda au « premier État vert au monde et un modèle de droits de l'homme - à l'opposé des décennies de colonisation indonésienne sanglante ».

 

S’il n’y avait pas déjà plus de raisons qu’il n’en faut pour rejeter l’accord de libre-échange avec l’Indonésie qu’il n’en faut, c’est qu’il contribue à favoriser le pillage colonial et écocidaire de ressources naturelles appartenant de droit à un peuple soumis à une occupation illégitime. Si le Conseil fédéral avait le moindre égard pour les valeurs dont il se réclame, il dénoncerait cette occupation, plutôt que de faire hypocritement des affaires avec la puissance occupante. Tout anti-impérialiste conséquent, ou même quiconque considère que le droit des peuples à l’autodétermination n’est pas qu’un vain mot, doit soutenir la légitime exigence du peuple de Papouasie occidentale de faire enfin usage de ce droit.

11 septembre 2020

Aide aux victimes de la pandémie au Kerala



INDE • La jeunesse communiste du Kerala rassemble 1,4 million de dollars pour soutenir les victimes du Covid-19. Une action méconnue et déterminante.

Situé tout au sud de l’Inde, l’Etat du Kerala, densément peuplé avec plus de 38 millions d’habitants, se caractérise par un indice de développement humain et un niveau de vie plutôt élevé, un taux d’alphabétisation et une espérance de vie très au-dessus de la moyenne nationale (74 ans, contre 62 pour toute l’Inde), un taux de mortalité infantile très nettement inférieur et le meilleur système de santé de tout le pays. La raison de ces bons chiffres? L’Etat du Kerala est dirigé, avec peu d’interruptions depuis l’indépendance, par un gouvernement communiste. La majorité est en effet détenue par le Left Democratic Front, coalition de gauche sous la direction du PCI(M) – Parti communiste d’Inde (Marxiste). L’actuel ministre en chef est Pinarayi Vijayan, membre du PCI(M).
Face aux trois vagues
Le Kerala a pu faire face à deux vagues du Covid-19 – et lutte actuellement contre la troisième – grâce à des politiques efficaces à base d’un système de santé public et performant, un dépistage systématique, un confinement prononcé à temps, un déblocage de fonds d’urgence, des distributions alimentaires, et actuellement un plan de relance. Le succès de cette politique est unanimement salué. Ce succès n’est pas dû seulement à l’action des pouvoirs publics, mais aussi du Parti et de la jeunesse communiste, la DYFI (Fédération démocratique de la jeunesse d’Inde).
L’une des plus notables, et la plus récente, des campagnes de la DYFI face à la crise du Covid est la campagne «Recycle Kerala». Elle a permis de rassembler 1,4 million de dollars, remis le 6 août au Fonds d’assistance pour les victimes du Covid auprès du ministre en chef.
Action multiforme
A partir du mois de mai, les militants de toutes les 27’240 organisations de base de la DYFI ont rendu visite aux ménages de leurs localités pour collecter des biens. Vieux journaux, livres, appareils électriques usagés et autres objets du même type furent ensuite revendus à des entreprises de recyclage. Certains ménages offrirent également des objets de valeur, comme des œuvres d’art, ce qui aida beaucoup à atteindre les objectifs de la campagne. La DYFI reçut également des contributions en produits agricoles, tels que riz, légumes, volaille…, de la part des paysans du Kerala.
Une partie fut distribuée à bas prix à la population dans des cantines, et l’autre revendue. Des paysans de villages reculés du Kerala, qui avaient des difficultés à vendre leur production à cause du confinement, purent l’écouler grâce à cette campagne de la DYFI. Une action importante au cours de cette campagne fut le nettoyage des rivières de l’Etat, dont la DYFI retira près de 6,5 tonnes de plastique, des bouteilles notamment. Le tout fut revendu à des entreprises de recyclage. Des artistes membres de la DYFI animèrent la campagne par des concerts de rue et d’autres actions. Bien qu’ignorée par les médias mainstream, la campagne «Recycle Kerala» fut bien accueillie sur les réseaux sociaux. Elle fut saluée par le ministre en chef du Kerala, Pinarayi Vijayan, comme un modèle à suivre pour le monde. Il déclara lors de sa conférence de presse du 7 août: «Cette initiative restera dans les mémoires comme une marque de la valeur de la jeunesse de notre Etat, qui est prête à lutter pour le bien commun, bravant tous les obstacles».
Alexander Eniline

21 août 2020

D'après Lula, la vérité vaincra



Livre : Lula, ancien président du Brésil, dit sa vérité sur son engagement pour le peuple, les persécutions dont il fait l’objet et l’avenir de son pays

Si vous entendez parler aujourd’hui du Brésil, il y a de grandes chances que ce soit par rapport aux méfaits du néonazi qui en occupe la présidence. Vous devriez être au courant également à propos de celui qui aurait certainement occupé aujourd’hui sa place, épargnant ainsi au peuple brésilien nombre de calamités, s’il n’avait été injustement emprisonné suite à un procès inique basé sur des accusations calomnieuses, avant d’être libéré, sans que cessent les persécutions contre lui : l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula. 

Or justement, les éditions Le Temps des Cerises ont récemment publié une traduction d’une longue interview de Lula, réalisée par les éditions Boitempo (un éditeur progressiste brésilien), réalisée en 2018, peu avant l’emprisonnent de l’ancien président, agrémentée d’une nouvelle interview réalisée en 2019, juste avant sa libération, et de trois discours prononcés entre et juste après ces dates. La conversation est à bâtons rompus, un peu décousue parfois, et bien que les notes de bas de page soient nombreuses, elles ne suffisent pas toujours à rendre transparentes des allusions à l’actualité politique brésilienne à un lecteur suisse. C’est sans doute dommage, mais en fin de compte le problème est mineur, et on perd assez peu en termes d’informativité et d’intérêt. 

 Lula y dit tout ce qu’il a à dire sur son parcours militant en tant que syndicaliste puis à la tête du Parti des travailleurs (PT), le coup d’Etat parlementaire qui a mené à la destitution de Dilma Roussef (qui lui a succédé à la présidence du Brésil), ses réalisations lorsqu’il fut président, les calomnies et persécutions judiciaires dont il fait l’objet, la situation du Brésil aujourd’hui, ce qui peut être son avenir, et beaucoup d’autres choses encore. Il y définit sa vision politique de la façon suivante : 

 « Ce à quoi je ne me suis pas préparé, c’est la résistance armée, je n’ai plus l’âge. Comme je suis un démocrate, je n’ai même pas appris à tirer. Alors, c’est exclu. Le PT n’est pas né pour être un parti révolutionnaire, il est né pour être un parti démocratique et porter la démocratie jusqu’à ses dernières conséquences. […] Le PT n’a pas été créé pour ça, il a été créé pour réaliser, au sein du régime démocratique, les transformations dont le Brésil a besoin, et nous avons prouvé qu’il était possible de le faire ». 

 L’ancien président du Brésil exprime ici l’essence du réformisme dans tout ce qu’il peut avoir d’honnêteté, de grandeur, de dévouement sincère pour le peuple, mais aussi d’irréductibles limites. Il avait fait le choix d’une action dans le cadre des règles du jeu de la démocratie bourgeoise et du capitalisme, sans jamais briser ce cadre, du dialogue avec la bourgeoisie et l’impérialisme. Ce choix permit au PT, sous la présidence de Lula, de sortir des millions de Brésiliens de la pauvreté, de sortir le Brésil lui-même d’un retard séculaire et de sa place subordonnée dans la chaîne de l’impérialisme, de réaliser des progrès sociaux remarquables. Mais cette politique finit par atteindre ses limites sous la présidence de Dilma Roussef. Et la bourgeoisie brésilienne, égoïstement, fanatiquement attachée à son intérêt étroit de classe, a traité le PT avec une haine telle qu’elle aurait difficilement pu lui en réserver plus si cela avait vraiment été un parti révolutionnaire, sans tenir aucun compte de principes démocratiques : coup d’Etat parlementaire, campagne calomnieuse dans la presse, procès truqués, et finalement, recours au fascisme… 

 Au final, l’histoire récente du Brésil est plutôt de nature à nous renforcer dans la conviction qu’entre capitalisme et socialisme, il n’y a pas de troisième voie, et que la révolution socialiste, quelle que soit la forme qu’elle puisse prendre selon les circonstances, demeure une nécessité si l’on veut rendre le progrès social pérenne. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui que le Brésil plonge dans les ténèbres du fascisme, que la gestion déplorable de la pandémie du COVID-19 par le gouvernement de Bolsonaro tourne à la gabegie meurtrière, que les travailleurs et les peuples autochtones luttent pour leur avenir, la vérité du premier président ouvrier de ce pays doit être entendue. 

Alexander Eniline

 Lula, La vérité vaincra (le peuple sait pourquoi on me condamne), préface de Dilma Roussef, traduit du portugais pas Pedro Afonso, Antoine Chareyre et Elodie Dupau, éditions le Temps des Cerises, Paris, 2020

26 mai 2020

Le socialisme en URSS, tel qu’il fut



Recension de livre pour le journal Gauchebdo : Il était une fois en U.R.S.S. de Jean-Paul Batisse

Lénine aurait eu 150 ans le 22 avril de cette année. Cela fait presque trente ans que l’Etat à jamais rattaché à son œuvre de révolutionnaire et dont il fut le premier dirigeant, le premier Etat socialiste de l’histoire, l’URSS, n’est plus. Pourtant, la propagande anti-communiste n’en continue pas moins d’en calomnier la mémoire. Preuve éloquente que la bourgeoisie continue de craindre ce que l’URSS a représenté. Mais cette propagande n’empêche pas que les peuples qui ont connu le socialisme continuent majoritairement d’en être nostalgiques, de penser que c’était mieux avant. Peut-être n’ont-ils pas tort ? Comment quelqu’un n’ayant jamais vécu dans un système autre que le capitalisme pourrait-il se faire une opinion éclairée, et si possible impartiale, sur cette question ? La lecture de Il était une fois en U.R.S.S. de Jean-Paul Batisse ne peut qu’être recommandée en ce cas.

Jean-Paul Batisse, ancien professeur à l’Université de Reims, séjourna plusieurs fois en URSS, entre 1972 et 1989. La période brejnévienne donc – péjorativement qualifiée de « stagnation » par la propagande anti-communiste, mais dont nombre d’ex-soviétiques se souviennent comme de la plus heureuse que connut leur pays – et la perestroïka. Ayant travaillé pour l’ambassade de France, à des postes différents, dans trois pays socialistes – l’URSS, la Bulgarie et la Macédoine – ainsi que comme professeurs de français (un travailleur comme un autre donc) de 1985 à 1988 à Alma-Ata (République socialiste soviétique du Kazakhstan) – c’est en connaissance de cause qu’il écrit sur ce que fut le socialisme dans le premier pays où il fut édifié et de sa fin tragique.

Pour démentir la propagande anti-communiste, qui falsifie la réalité de façon éhontée, mais sans reproduire non plus la vision idéalisée que l’URSS avait parfois chercher à donner d’elle-même, Jean-Paul Batisse raconte la réalité quotidienne du socialisme telle qu’il a pu la connaître, avec une certaine exhaustivité, abordant des aspects comme la vie de tous les jours, le travail, la culture, les loisirs, le Parti et la vie politique…pour finir par la fin, la perestroïka. Sans faire l’impasse sur les problèmes et les contradictions de la réalité soviétique – un approvisionnement défaillant pour les produits de consommations, une société imparfaitement égalitaire, une censure pas toujours judicieuse, une idéologie devenue parfois conformiste et formelle ; problème que l’auteur explique, montre comment ils auraient pu être résolus, et surtout qu’on les retrouve, souvent en pire, en Occident – Batisse décrit une société socialement plus avancée, plus égalitaire, plus unie, plus écologique aussi globalement (il faut le dire) et à la qualité de vie supérieure au capitalisme. Une société mue par des valeurs supérieures à celles du libre-marché, qui rencontrait une adhésion réelle de sa population, et qui était en progression…avant qu’une direction indigne de son rôle choisisse de tout liquider.

Au final, le socialisme soviétique que décrit Jean-Paul Batisse n’était pas paradisiaque, ni exempt de défauts et de contradictions, mais représentait néanmoins une forme de société plus civilisée et plus humaine que le capitalisme, et surtout un début, une promesse de ce que l’avenir pourrait être. Une avancée historique brutalement arrêtée par la perestroïka, et qui laissa la place à la restauration d’un capitalisme sauvage, sous la coupe de régimes mafieux. Aujourd’hui que sortir du capitalisme devient une question de survie pour l’humanité, la première tentative d’édifier une société nouvelle, socialiste, ne peut certes pas servir de modèle indiscutable, mais constitue en tout cas une référence incontournable dont il y a beaucoup à apprendre.

Alexander Eniline

Jean-Paul Batisse, Il était une fois en U.R.S.S., Paris, Editions Delga, 2019, 241 pages





27 janvier 2020

Le 15 mars, exigeons le respect



Le 15 mars 2020 auront lieu dans le canton de Genève des élections municipales, ainsi que le premier tour des élections pour les conseils administratifs. Le Parti du Travail présente des listes en Ville de Genève, à Vernier et à Carouge, ainsi que des candidatures individuelles sur des listes communes à Confignon et à Russin.

Pour la première fois depuis longtemps, le Parti du Travail partira seul, suite à la rupture  imposée par le jusqu’au-boutisme de solidaritéS – dans des circonstances qui ne sont pour le moins pas à leur honneur –, qui ont préféré casser l’alliance, dont ils tentent abusivement d’usurper le nom. Bien que nous n’ayons pas voulu cette rupture, elle constitue peut-être un bien pour un mal. Le Parti du Travail va en effet pouvoir de nouveau se présenter sous ses propres couleurs, libre de lutter ouvertement et sans compromis pour ses idées.

Le Parti du Travail a décidé de mener cette campagne électorale sous le signe de l’exigence du respect, du respect pour les classes populaires. Genève est en effet considérée comme l’une des villes les plus riches du monde. Mais la richesse y est fort mal répartie. La politique de la droite au pouvoir est d’attirer à coup de privilèges fiscaux des sociétés de négoces et des multinationales, et pour cela d’aménager un centre urbain sur mesure pour traders et managers, qui devient hors de prix pour les gens ordinaires. Pendant ce temps, les besoins des classes populaires sont négligés. Une certaine gauche modérée accompagne trop souvent cette évolution.

Mais les communes, échelon démocratique le plus proche des citoyens, peuvent aussi être des bastions de résistance, et se donner d’autres priorités, au service des classes populaires : une politique sociale ambitieuse, un plan d’investissement pour répondre à l’urgence climatique, construction et rénovation de logements accessibles, culture pour toutes et tous…

Les communes genevoises devront également, durant la législature qui s’annonce, faire face aux pertes de revenus induits par la RFFA. Il n’est pour le moins pas indifférent de savoir quelle majorité sera chargée de faire les choix budgétaires qui s’imposeront dans ces circonstances.


Pour des communes populaires, féministes et écologistes, votez pour les candidatures présentées par le Parti du Travail !

28 mars 2019

Militants kurdes en grève de la faim



7'000 prisonniers kurdes sont en grève de la faim dans les geôles turques. C’est un mouvement lancé par Leyla Güven, députée du parti progressiste, démocratique et défendant la cause kurde HDP, et soutenu par la diaspora kurde. Il y a actuellement 14 grévistes de la faim à Strasbourg, et il est prévu que le mouvement prenne une ampleur autrement spectaculaire, avec 300 personnes à Bruxelles, et 1000 à Strasbourg ces prochains jours. Revendications de cette grève de la faim ? La levée de l’isolement pour Abdullah Öcalan, leader du mouvement kurde, et prisonnier politique du régime turc depuis 1999. A Genève, où la communauté kurde compte près de 2'500 personnes, le mot d’ordre est également suivi. Nous avons rencontré Mehmet Ali Koçak, gréviste de la faim (il a déjà perdu 4 kg), au local du Centre Démocratique Kurde de Genève, dont il est membre.

Il faut comprendre qu’il ne s’agit pas du seul cas d’Abdullah Öcalan, même si la stratégie communicationnelle de l’Etat turc est de tout centrer sur sa personne. Il s’agit en réalité d’une exigence élémentaire de respect du droit international, et du droit turc par lequel le régime, ne se sent plus lié, des droits du peuple kurde, des droits fondamentaux et de la démocratie pour toutes et tous. Il faut savoir en effet que, depuis l’accession au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan et de son parti, l’AKP, au pouvoir – que certains médias bourgeois ont très longtemps présenté comme des « islamistes modérés », voire comme un modèle à suivre pour le monde musulman – la Turquie a connu un processus d’islamisation et de dérive autoritaire. Le coup d’Etat raté en 2016 a servi à Erdogan de prétexte pour mettre en place des mesures d’exception, instaurant de fait un régime qu’il n’est pas abusif de qualifier d’islamo-fascisme. Une propagande fascisante étouffe aujourd’hui la Turquie, la  répression y est généralisée, les procès truqués sont devenus la norme, et la liberté d’expression n’est plus qu’un lointain souvenir. Il n’y a plus de médias indépendants, tous ceux qui subsistent sont aujourd’hui totalement pro-gouvernementaux, et s’autocensurent avec une minutie implacable. Les principales victimes de ce régime sont les Kurdes, mais aussi les femmes.

Pour ce qui est du peuple kurde – près de 40 millions dans toute la Mésopotamie – et dont les droits les plus fondamentaux, comme celui de parler sa propre langue, ont toujours été niés en Turquie – sa situation est devenue tragique sous la dictature d’Erdogan. Au succès électoral du HDP, le pouvoir a répondu a répondu par une répression brutale. Son co-président, Selahattin Demirtas, est placé en détention administrative, de façon parfaitement arbitraire, depuis 2016. Les arrestations et les menaces se succèdent tous les jours. L’action légale du HDP devient de plus en plus aléatoire à l’approche des élections municipales. Erdogan se livre à chacun de ses meetings à des discours d’inspiration hitlérienne, qualifiant les électeurs du HDP de « terroristes ». Et en 2016, l’armée turque s’est livrée à une véritable guerre civile contre le peuple kurde, multipliant les crimes contre l’humanité. 11 villes au total – parmi lesquelles Sur, Cizre, Sirnak, Slopi, Nusaykin, Silvan – ont été pratiquement réduites en cendres, et d’horribles crimes de guerre ont été commis à cette occasion. Depuis, le Kurdistan turc est devenu une véritable prison à ciel ouvert. Une loi martiale de fait y règne, et les journalistes ne peuvent y accéder. Ainsi, par exemple, deux délégations invitées pour Newroz, le nouvel an kurde, une du PCF et une norvégienne, ont été arrêtées et expulsées sans explication : pas de témoin ! Plus de 7'000 prisonniers kurdes croupissent dans les prisons turques, dans des conditions de détention contraires au droit international, et même au droit turc : isolement, interdiction de recevoir la visite de leur famille, de voir un avocat, ou d’accéder à des livres (choses que pourtant le droit turc normalement garantit).

Face à cette dictature, la grève de la faim est apparue aux militants kurdes comme l’arme de dernier recours, en restant pacifiques et respectueux des valeurs humaines. En Turquie, la presse ne parle pas du tout de cette grève de la faim. En Occident, ce n’est guère mieux. Les Etats occidentaux ne peuvent ignorer les crimes du régime d’Erdogan. Mais ils n’y trouvent rien à redire. Les médias bourgeois pour la plupart préfèrent ne guère en parler. Le Centre Société Démocratique Kurde de Genève a essayé de médiatiser leur action : seuls Gauchebdo et le Courrier en ont parlé. Pour ce qui est de la grève de la faim, il était prévu de la faire à la Place des Nations. Un préavis favorable avait été accordé par la police…puis l’autorisation a été refusée, pour des raisons assez mystérieuses. Des pressions de l’Etat turc ? Ce refus est dans tous les cas scandaleux. Jamais les Kurdes n’ont occasionné le moindre trouble de l’ordre public en Suisse. Quoi qu’il en soit, le peuple kurde va continuer sa lutte héroïque, démocratique, écologique et humaine, une lutte pas seulement pour eux, mais pour tous les peuples du monde. Tous les militants que nous avons pu rencontrer sont intimement convaincus que leur cause finira par triompher.