07 février 2022

Le liquidateur du socialisme renversé par le peuple au Kazakhstan

 


L’ancienne république soviétique qu’est le Kazakhstan fait rarement les gros titres de la presse suisse. Lorsque c’est le cas, ça l’est généralement dans les pages économiques. En effet, des entreprises suisses – les sociétés de trading en matières premières notamment – ont des intérêts hautement lucratifs dans ce pays d’Asie centrale, grand comme l’Europe occidentale, avec seulement 19 millions d’habitants. C’est que le Kazakhstan détient d’immense richesses minérales : pétrole, gaz naturel, charbon, fer, manganèse, uranium, cuivre, chrome, or, etc. Le lien avec la Suisse est même plus profond : une des filles de l’ex-dictateur, désormais déchu, s’est entichée de la région genevoise, et a acquis un château dans la commune de Collonge-Bellerive, où une partie du clan Nazarbaïev vit semble-t-il désormais en exil. Ces liens intéressés expliqueraient apparemment les propos toujours plus que mesurés de la Confédération quant aux agissements de l’ancien maître de ce pays, comme du nouveau.

 

Un soulèvement populaire

 

Pourtant, pour une fois, le Kazakhstan a fait les gros titres, et il n’était question ni de trading, ni d’immobilier. Le 4 janvier de cette année, le Kazakhstan était secoué par un soulèvement populaire massif, parti de la région de Mangistau, à l’ouest du pays, la région productrices des hydrocarbures. Le mouvement de grève – générale à plusieurs endroits –, de manifestations et d’occupations de bâtiments officiels, s’est répandu comme une traînée de poudre à travers le pays.

 

La raison de la colère populaire ? La libéralisation du marché du gaz liquéfié – dont le gouvernement prétendait qu’elle allait attirer les investissements et favoriser le développement des PME (rhétorique que nous connaissons bien par chez nous) – a conduit au doublement des tarifs. Or le gaz liquéfié est au Kazakhstan massivement utilisé pour le chauffage – et les hivers y sont très froids – et par 90% des voitures. Cette hausse fut la dernière goutte d’eau, qui fit déborder la colère populaire, aggravée par l’indignation justifiée d’ouvriers travaillant dans l’extraction des hydrocarbures qui non seulement ne touchent pas leur juste part des richesses colossales que retire l’oligarchie kazakhe de leur travail, mais se voient encore doubler le prix à la pompe…

 

Cette explosion sociale conduisit à un mouvement très semblable aux Gilets jaunes : la hausse du prix des carburants n’ayant été dans les deux cas que l’élément déclencheur d’une protestation sociale trop longtemps refoulée. Les revendications dépassèrent donc très vite la question initiale des tarifs du gaz, pour porter sur des exigences de justice sociale, de baisse de l’âge de départ à la retraite, de contrôle des prix, etc. Il faut savoir en effet que la situation devenait intenable depuis longtemps au Kazakhstan, pour une population dont le niveau de niveau s’est dramatiquement dégradé depuis la restauration du capitalisme, qui est confrontée au « libre choix » entre des salaires bas et un chômage élevé, dont les services publics ont été conduit à un état de dévastation avancée par une « optimisation » néolibérale, et dont une inflation galopante achève de rendre l’existence insupportable. Ce pendant qu’une poignée d’oligarques, liés au clan au pouvoir, accumule des richesses colossales. Des revendications politiques également : le droit de créer des syndicats indépendants, et le départ du pouvoir en place, en commençant par l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev, qui avait reçu un titre honorifique de « Elbasy », père de la nation, et conservait le contrôle de l’essentiel du pouvoir entre ses mains, son clan gardant la maîtrise de la manne pétrolière et gazière. On n’y a pas entendu en revanche de slogans pro-occidentaux.

 

Le lendemain, le président en exercice Kassym Jomart-Tokaev, un ancien diplomate de carrière, et que Nazarbaïev pensait voué à rester son homme de paille, réagit par un mélange de concessions et de répression : il annule la hausse des tarifs du gaz, promet un contrôle des prix (mais temporaire) sur les produits de première nécessité, et accuse le gouvernement d’avoir failli à sa tâche. Il limoge le gouvernement, et s’attribue le titre de président du Conseil de sécurité (que Nazarbaïev détenait encore). Il instaure également l’état d’urgence, et un couvre-feu. Il s’émancipe visiblement de son prédécesseur.

 

Cela ne suffit toutefois pas à calmer le mouvement. Des administrations et des sièges du parti au pouvoir, Nour Otan, sont incendiés, des statues de Nazarbaïev déboulonnées. Font irruption des groupes armés, apparemment bien organisés, qui se livrent à des actes de pillage, de vandalisme et de violence. Organisations d’opposition qui veulent passer à la lutte armée ? Agents provocateurs ? A la solde du clan Nazarbaïev ? du président ? Islamistes ? Difficile à l’établir.

 

Pendant ce temps, les forces de sécurité restent étrangement passives. Début de fraternisation avec le peuple ? Sabotage du clan Nazarbaïev ? Toujours est-il que Tokaïev crie à l’agression de mercenaires étrangers (il ne dira jamais envoyés par quel pays), radicalisés (il ne dira jamais dans quelle idéologie) qui veulent s’en prendre à la souveraineté du Kazakhstan. Il instaure la loi martiale, et fait appel à l’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective), une alliance militaire sous hégémonie russe. L’OTSC répond présent (Vladimir Poutine surtout), et envoie un contingent de troupes (principalement russes, un quota plus réduit de soldats biélorusses, et une participation plus symbolique des autres pays affiliés), le 6 janvier déjà. Les troupes de l’OTSC n’ont pas même besoin de tirer. Leur présence suffit pour que les forces kazakhes recommencent à obéir aux ordres du président Tokaïev. A présent sûr de lui, ce dernier donne un ordre criminel : tirer pour tuer, sans sommation, noyer la révolte populaire dans le sang. La répression est brutale et sanglante : des centaines de morts, des milliers d’arrestations. 

 

Kassym Jomart-Tokaïev a beau parler du « jour le plus noir » de l’histoire du Kazakhstan indépendant, avec une mine tragique, il est clair que c’est le jour le plus heureux de sa vie. Qu’il ait planifié une partie de ce qui s’est passé, ou qu’il ait simplement improvisé, reste qu’il a profité de la révolte du peuple pour évincer son prédécesseur, et d’arracher tous les leviers du pouvoir et de la richesse. Le clan Nazarbaïev est dispersé. L’ex-président du KNB (les services secrets), Karim Massinov, lié à la famille Nazarbaïev, est arrêté pour haute trahison. Quelques jours après les faits, c’est l’ancien président lui-même qui fut forcé de s’exprimer devant la caméra, pour dire qu’il n’est qu’un retraité qui ne prétend plus à rien. Le Sénat du Kazakhstan lui a retiré ses derniers titres. Pourtant, Noursoultan Nazarbaïev avait bénéficié il y a une poignée d’années seulement d’un culte de la personnalité délirant et ridicule, dont le chef d’orchestre ne fut autre que Kassym Jomart-Tokaïev. S’il est en lui-même un personnage parfaitement méprisable, il n’est pas inintéressant de revenir sur le parcours de l’autocrate déchu, car il est représentatif de l’Histoire, qui le dépasse largement.

 

La Kazakhstan socialiste et sa liquidation

 

Il faut remonter au début de l’histoire. Les Kazakhes étaient originairement un peuple nomade, vivant de l’élevage. Ils étaient pourtant dotés de leur État, le Khanat kazakh, qui connut son apogée au XVIIIème siècle. Puis, au XIXème siècle, l’actuel Kazakhstan fut peu à peu soumis à la domination coloniale de l’Empire russe. Une domination prédatrice, n’hésitant pas à réprimer brutalement toute opposition. A ce colonialisme, la Grande Révolution Socialiste d’Octobre mit fin. Après plusieurs redécoupages administratifs, la RSS du Kazakhstan fut officiellement fondée en 1936. Durant la période stalinienne, les bases du socialisme furent édifiées au Kazakhstan – malgré les excès aux conséquences graves de la collectivisation, et les violations de la légalité socialistes – qui pour l’essentiel resta un pays agricole.

 



Dès 1960, et jusqu’à 1986 (avec deux années d’interruptions à la suite d’une ingérence de Khrouchtchev), le PC du Kazakhstan eut pour premier secrétaire Dinmouhammed Kounaev, ingénieur de profession, académicien, un homme d’État remarquable, entièrement dévoué à son pays et à la cause du socialisme, un personnage en tout point admirable, sans comparaison avec les arrivistes qui l’ont remplacé. Un des plus hauts dirigeants de l’URSS, membre du Politbureau du PCUS, et proche ami de Léonide Brejnev.

 

Sous sa direction, le Kazakhstan devint un pays moderne, la troisième économie de l’URSS. Le potentiel productif de cette république a cru de 700%, l’industrie d’un facteur 9, l’agriculture d’un facteur 6, la construction d’un facteur 8. Le progrès économique, sous le socialisme, était au service d’un progrès social, culturel, scientifique, d’une amélioration des conditions de vie du peuple, de développement de services publics…Loin de l’image mensongère de la « stagnation », la période brejnévienne fut dynamique et constructive, même si des points négatifs y existaient et que des problèmes non résolus s’accumulèrent.

 

Puis vint la Perestroïka. Dinmouhammed Kounaev avait, aux yeux de Gorbatchev, le défaut d’être un fidèle communiste, qui n’aurait pas soutenu la liquidation de ce pour quoi il a œuvré durant toute sa vie. De fait, il dira tout le mal qu’il pense de la Perestroïka, et livrera une analyse profonde et lucide de l’histoire du Kazakstan socialiste dans De Staline à Gorbatchev, paru après sa mort en 1993. C’est pourquoi il fut, en 1986 déjà, quand la Perestroïka commençait à peine, déchu de tous ses mandats, d’une façon scandaleusement arbitraire. La camarilla gorbatchévienne se livra à une campagne de calomnie éhontée contre un homme bien meilleur qu’eux tous réunis, et tenta de le poursuivre pour corruption. Peine perdue. Les procureurs ne trouvèrent rien, puisque Dinmouhammed Kounaev a toujours été d’une honnêteté irréprochable, et menait même un train de vie modeste en comparaison d’autres dirigeants de la période brejnévienne (dont les privilèges, restaient ridicule comparés au luxe dans lequel vivent les dirigeants actuels des pays qui furent socialistes).

 

A la tête du PC du Kazakhstan fut désigné Guennadi Kolbine, qui non seulement était un russe qui ne maîtrisait pas la langue kazakhe, mais n’avait jamais vécu au Kazakhstan, et ne connaissait cette république que par la presse. Provocation criminelle ou stupidité sans bornes ? Le fait est que cette nomination mit le feu aux poudres au Kazakhstan, et engendra un mouvement de protestation à large échelle. Un mouvement qui fut taxé de « nationalisme kazakh » à Moscou, et durement réprimé par les autorités. Mais dans l’ombre de Kolbine s’affairait son adjoint, un jeune cadre dynamique, qui avait commencé sa carrière sous Kounaev, un certain Noursoultan Nazarbaïev. Il était de la pire espèce de cadres qui polluait alors l’appareil du PCUS finissant : ni un communiste, bien entendu, ni un libéral – eux, au moins, jouaient franc jeu, avant même que leur victoire ne fut certaine – mais un carrièriste sans aucun principe particulier, autre que son intérêt personnel. C’est ce marais-là qui soutint Gorbatchev jusqu’au bout, dans tous les méandres de ses errances, tant qu’il incarna le pouvoir, et qui le lâcha pour piller les décombres du pays qu’ils avaient juré de servir lorsque l’URSS disparut.

 

Mais n’anticipons pas. Nazarbaïev appelait publiquement au calme, pendant que ses hommes de main attisaient la révolte. Il parvint à gagner la confiance de Gorbatchev, et à remplacer bientôt Kolbine à la tête du PC du Kazakhstan. Peu probable qu’il ait apprécié que, à trois décennies de distance, Tokaïev lui eût rejoué le même coup…

 

Lorsque l’URSS commença à s’effondrer, Nazarbaïev conduisit le Kazakhstan à l’indépendance, mais dans son seul intérêt à lui. Avec prudence. La RSS du Kazakhstan ne proclama son indépendance, sous le nom de République du Kazakhstan que la toute dernière des 15 ex républiques soviétiques, 9 jours avant que l’URSS ne cesse d’exister. La propagande gorbatchévienne avant inscrit la Perestroïka sous le triptique « Socialisme – Démocratie – Glasnost ». Mais le seul but de l’opération était de détruire le socialisme. La « démocratie » n’avait pour but que d’anéantir le PCUS, et la « glasnost » de noyer sous des torrents de boue le marxisme-léninisme. Une fois la tâche achevée, elles pouvaient disparaître.

 

C’est ainsi que les choses se passèrent au Kazakhstan. Nazarbaïev voulait y restaurer le capitalisme – pour pouvoir s’en mettre plein les poches – mais sans démocratie, ni libertés politiques. Il instaura une dictature personnelle féroce, avec une façade démocratique en carton pâte. Quelques partis d’opposition factices, point d’opposition véritable tolérée. Le Parti communiste du Kazakhstan fut interdit. Il existe sous le nom de Mouvement des socialistes du Kazakhstan, mais dans l’illégalité, et n’a qu’une force limitée. Pas de liberté de la presse, ni de médias indépendants. Pas de libertés syndicales, et les grèves furent régulièrement réprimées dans le sang. Pour légitimer cette régression, le régime joua du nationalisme kazakh, d’un anticommunisme virulent – noircissant la période soviétique jusqu’au grotesque, – et d’une russophobie non moins virulente. Se sentant discriminés, non sans raison, les Russes du Kazakhstan ont en grand nombre quitté ce pays, où ils avaient vécu toute leur vie, pour la Fédération de Russie. Une politique semblable à celle qui a cours en Ukraine, et que la Russie se fait fort de dénoncer. Mais puisque le Kazakhstan est un régime « ami », la Russie officielle n’a jamais levé le petit doigt pour en défendre la minorité russophone.

 

Le clan Nazarbaïev s’appropria les sources de revenu , recherchant surtout l’argent facile. Sous son règne, le Kazakhstan « indépendant » intégra la chaîne de l’impérialisme dans un rôle subordonné, celui d’une économie extractiviste, dont les richesses ne profitent qu’à une toute petite minorité. Faute d’investissements, l’industrie et l’agriculture périclitèrent peu à peu.

 

Rien n’est fini

 

Le peuple finit par se révolter contre la tyrannie prédatrice du clan Nazarbaïev, mais, jusque là, c’est surtout Kassym-Jomart Tokaïev qui en a récolté les fruits. Dans cette histoire, l’OTSC et Vladimir Poutine ont joué un bien sombre rôle d’intervenir militairement dans le seul but de préserver un régime oligarchique et dictatorial de la colère de son peuple. Certains croient que la Russie poutinienne serait, au moins dans une certaine mesure, un pays anti-impérialiste. Elle ne l’est pas.

 

Le peuple n’a-t-il gagné que de changer de maître, que le droit d’être pillé impunément par le clan des Tokaïev plutôt que celui des Nazarbaïev ? Ce serait une bien triste fin. Mais qui dit que c’est la fin ? Pour calmer le mécontentement populaire, le président Tokaïev a promis des réformes, mais qui sont au mieux des demi-mesures. Il a également continué dans la répression.

 

Mais, nous pouvons lire dans la Pravda du 27 janvier 2022, que le peuple Kazakh ne veut ni se laisser endormir par de vaines promesses, ni se laisser abattre par la répression. Des mouvements de protestations reprennent – à petite échelle pour l’instant, mais il est clair que la dynamique est à la hausse – contre la répression, pour des hausses de salaires, contre la vie chère. L’avenir n’est pas écrit d’avance. Mais ce n’est qu’en reconstruisant ses propres organisations, politiques et syndicales, qu’en s’appuyant sur l’héritage du socialisme et en le faisant revivre, que la classe ouvrière du Kazakhstan parviendra à se débarasser de la clique mafieuse qui la pille et à reprendre en main son destin.

La dimension « libérale » du fascisme

 

Ludwig Von Mises

Notre titre apparaîtra assurément paradoxal à certains de nos lecteurs. Après tout, le fascisme n’est-il pas aux antipodes du libéralisme ? Friedrich Von Hayek a même prétendu que le libéralisme est l’idéologie dont le fascisme est le plus éloigné, la preuve en étant que Hitler ait pu dire que le nazisme serait le vrai socialisme, le vrai nationalisme, etc. …la seule chose qu’il n’aurait jamais dite, et pour cause, c’est que le nazisme serait le vrai libéralisme.

 

Mais, les apparences – ou plutôt l’idéologie officielle – sont trompeuses, et Hayek, comme d’habitude, ment comme un arracheur de dents. Le fascisme – et cela se vérifie dans le fascisme italien, le nazisme et le phalangisme – se veut avant tout comme un antimarxisme. Le fascisme n’est pas non plus une idéologie autonome, mais est construit à partir de bouts d’idéologies antérieures, radicalisées, poussés jusqu’à des conséquences extrémistes. Principalement d’idéologies réactionnaires, mais des idées libérales font aussi partie de ces sources du fascisme. Que le fascisme soit un édifice doctrinal composite ne doit pas faire oublier que ses différents éléments d’emprunt ne sont pas au même niveau. Les emprunts au socialisme sont au niveau le plus superficiel, celui du décorum, de la nomenclature, d’une certaine phraséologie qui n’engage à rien. Des emprunts à des courants réformistes peuvent se retrouver dans des revendications vaguement sociales, qui ne sont pas destinées à être prises au pied de la lettre, et qui sont toujours oubliées sitôt après la prise du pouvoir. Cela tient au caractère intrinsèquement démagogique, non-sincère de l’idéologie fasciste, dont le but est d’embrigader les masses au service d’un projet qui va contre leurs intérêts. Les éléments repris d’idéologie réactionnaires se retrouvent en revanche dans les principes fondamentaux du fascisme. Ceux issus du libéralisme se retrouvent au niveau des principes les plus fondamentaux, à un niveau pour ainsi dire anthropologique.

 

Une telle affirmation ne manquera pas de surprendre : quoi de plus opposés que l’anthropologie du libéralisme, qui fait de la liberté de l’individu sa valeur suprême, et celle du fascisme, qui nie l’individu et sa liberté, le subsume sous un collectif qui l’écrase et auquel il doit accorder une soumission aveugle ? Et c’est vrai. Mais ce n’est pas toute la vérité.

 

Le fascisme prétend également – tous les fascismes sont d’accord là-dessus –, et sans contradiction, être aussi un individualisme, de défendre l’individualité et la liberté de la personne humaine. « La reconnaissance de l’individualité humaine est l’une des bases idéologiques fondamentales », écrit J.-A. Primo de Rivera, le fondateur de la Phalange. Et ce n’est pas seulement hypocrisie, ni démagogie antisocialiste, même si le fasciste reconnaît la liberté de l’individu d’une façon très singulière.

 

Certes, le fascisme insiste que l’individu qu’il conçoit n’est pas l’individu isolé et égoïste du libéralisme, mais qu’il ne peut exister et être libre qu’au sein d’une communauté et à son service : la nation, la profession, la famille. L’affirmation de la singularité irréductible de chaque personne individuelle est aussi une façon d’atomiser en fait les individus, de les isoler les uns des autres, de les priver d’une solidarité fondamentale : la solidarité de classe ; de faire disparaître jusqu’au sens de la conscience de classe.

 

Mais l’individu du fascisme est encore isolé d’une façon plus radicale. La nation fasciste n’est qu’une communauté apparente. En réalité, elle n’a rien d’une communauté. L’individu y est, plus encore que dans le capitalisme sauvage du libéralisme classique, isolé et livré à une concurrence impitoyable contre ses semblables. Le fascisme a en fait repris et radicalisé l’idée libérale de concurrence entre individus libres, où les meilleurs émergent, et les moins bons sombrent. Mais en la dépouillant de toutes les restrictions et scrupules moraux par lesquels le libéralisme pouvait en restreindre l’application. D’une conception fallacieusement biologisante de la « lutte pour la vie », le fascisme applique jusqu’au bout de ses conséquences un social-darwinisme sans fards – qu’il accepte non seulement entre nations et races, mais à l’intérieur même du peuple des seigneurs : les êtres humains sont naturellement inégaux, il est naturel que les meilleurs triomphent ; ils doivent pouvoir le faire, et rien ne doit limiter la latitude des individus supérieurs à dominer leurs semblables, parce qu’au final il est bon pour la société dans son ensemble qu’une élite des hommes (le fascisme et structurellement sexiste) les plus forts, les meilleurs, les plus énergiques, la dirigent. La masse des médiocres mérite son échec, et doit courber l’échine en silence. Non seulement les inégalités sont justifiées, mais elles devraient être creusées davantage. Loin de la rhétorique fallacieusement socialisante de la démagogie destinée aux masses, là se trouve le cœur de la doctrine.

 

Cette idée élitiste, c’est Adolf Hitler qui l’exprime le plus clairement dans Mein Kampf :

 

« Ce n’est pas la masse qui crée ni la majorité qui organise ou réfléchit, mais toujours et partout l’individu isolé.

 

Une communauté d’hommes apparaît comme bien organisée alors seulement qu’elle facilite au maximum le travail de ces forces créatrices et qu’elle les utilise aux mieux des intérêts de la communauté. Ce qui a le plus de prix pour l’invention, qu’elle se rapporte au monde matériel ou au monde de la pensée, c’est d’abord la personne de l’inventeur. Le premier et suprême devoir dans l’organisation d’une communauté est de l’utiliser au profit de tous.

 

En vérité, l’organisation elle-même ne doit pas perdre de vue un seul instant l’application de ce principe. Ainsi seulement elle sera libérée de la malédiction du mécanisme et deviendra un organisme vivant. Elle doit elle-même personnifier la tendance à placer les têtes au-dessus de la masse et réciproquement à mettre celle-ci sous leurs ordres. »

 

La prose hitlérienne est passablement antipathique. Rien d’étonnant, c’est Hitler après tout. Mais la même idée est exprimée, en des mots encore plus détestables que ceux du fondateur du Troisième Reich – il fallait le faire ! – sous la plume d’une autrice qui n’est généralement pas rattachée à l’extrême-droite :

 

« C’est l’homme qui se trouve au sommet de la pyramide intellectuelle qui peut apporter le plus à tous ceux qui se trouvent en dessous de lui. Il ne reçoit aucun bonus intellectuel, n’a besoin d’aucune sorte de leçon de la part de qui que ce soit. L’homme d’en bas sombrerait à coup sûr dans un crétinisme désespéré s’il venait à être abandonné à lui-même. Il ne peut en aucune manière apporter quelque forme de contribution à celui qui se trouve au-dessus de lui. Mais il reçoit bien le bonus, fourni par l’intelligence de l’homme au sommet. Telle est la nature de la concurrence entre les esprits supérieurs et les faibles d’esprit »

 

Ce passage est tiré de La Grève, un roman « philosophique » (nous contestons énergiquement une telle catégorisation) de la plume d’Ayn Rand, une romancière étatsunienne. C’est, paraît-il, le livre plus influent aux USA après la Bible. La grève en question est celle des élites, des entrepreneurs et cadres supérieurs, qui en ont assez de devoir payer des impôts, contribuer au bien commun et suivre les règles décidées par les autorités démocratiquement élues. Ils font sécession alors, et se retirent dans une vallée en Californie – la Sillicon Valley ? – où ils se parlent entre eux avec une totale franchise : ils sont supérieurs, et devraient donc de ce fait être libres d’agir à leur guise, de ne suivre que leur propre égoïsme, sans avoir de comptes à rendre à qui que ce soit. La masse des êtres inférieurs n’ont de meilleur choix à faire que de se soumettre à la direction de cette élite éclairée. Sans son élite, la société sombre dans le chaos, l’État dirigiste s’effondre misérablement, et la dystopie néolibérale peut alors s’installer.

 

Ayn Rand est une libérale extrémiste, grotesque, qu’il est difficile de prendre au sérieux. Tout ce qu’il y a chez elle de « supérieur », c’est le caractère supérieurement ennuyeux de sa prose. Mais on trouve les mots suivants sous la plume du respectable Ludwig Von Mises, un des théoriciens de l’école autrichienne, le courant mainstream du néolibéralisme, dans une lettre destinée à Ayn Rand :

 

« Tu as le courage de dire aux foules ce qu’aucun politicien n’ose leur dire : vous êtes inférieurs et tout progrès dans vos vies, que vous considérez comme normal, vous le devez aux efforts d’hommes qui valent bien mieux que vous. »

 

Nous ne souhaitons nullement tirer de ce rapprochement – qui choquera sans doute nos éventuels lecteurs libéraux – que le néolibéralisme puisse se confondre avec le fascisme. Nous n’ignorons pas la différence essentielle entre ces deux doctrines. Mais cette convergence au niveau des fondements anthropologiques existe, et il est impossible d’en faire l’impasse.

 

Nous ne disons pas non plus que le libéralisme de l’école autrichienne soit le seul libéralisme. D’autres courants du libéralisme sont autrement plus respectables, et rejettent l’élitisme de Von Mises et de Rand. Mais le fait est que personne ne pourrait sérieusement soutenir que le libéralisme de l’école autrichienne n’est pas du libéralisme du tout, et il faut donc en conclure que cette communauté de pensée à certains égards avec le fascisme est au moins non contradictoire avec les principes du libéralisme.

 

Cette convergence doctrinale peut d’ailleurs se muer en convergence politique. La majorité est rarement d’accord de plier l’échine devant une élite supérieure autoproclamée, et la terreur fasciste peut être utile si la lecture de La Grève n’y suffit pas. Ludwig Von Mises a du reste félicité Benito Mussolini d’avoir « sauvé la civilisation ». Il faut supposer que les exactions des chemises noires étaient un modus agendi parfaitement « civilisé ». Et Friedrich Von Hayek et Milton Friedman ont soutenu, et conseillé, la dictature d’Augusto Pinochet, premier régime à mettre en application le néolibéralisme.

 

Évidemment, aucun politicien libéral « n’ose dire aux foules » les « vérités » dont parle Ludwig Von Mises : après tout, ça ne se fait pas d’insulter des électeurs potentiels en les qualifiant d’êtres inférieurs. Est-ce parce qu’en vérité ils partagent les idées de Von Mises, et ne le disent pas, ou bien parce qu’ils les désapprouvent ? Beaucoup de politiciens libéraux de notre pays nieraient avec véhémence, et jurerait que leur libéralisme est pour la liberté de toutes et tous, pas seulement pour l’élite. Quant à d’autres, c’est moins sûr. Certains membres du PLR se réclament notoirement de penseurs de l’école autrichienne. Et les positions systématiques en faveur de la « politique du ruissellement » – laisser faire l’ « élite », pour le plus grand bien de toutes et tous –, le combat pour une école élitaire, ou encore l’admiration quasi-irrationnelle pour les milliardaires de la tech, dont on estime naturel qu’ils se sentent supérieurs à la loi commune, tendent à indiquer que les libéraux de notre pays acceptent au moins une forme édulcorée des idées de Rand et de Von Mises. Il serait démocratiquement sain de systématiquement leur poser la question quant à leurs vues à ce sujet.

Lazaro Pary n’écrira plus dans l’Encre Rouge

 


Un camarade précieux, irremplaçable, a hélas quitté trop tôt ce monde. Le cœur de Lázaro Pary Anagua a cessé de battre le 29 décembre 2021.

 

Ce décès est une lourde perte. Lazaro, d’origine autochtone de Bolivie, fut un membre dévoué de notre Parti pendant de longues années. Communiste exemplaire, toute sa vie fut un combat pour la justice sociale, la solidarité internationale, les idéaux du socialisme. Homme de principes, Lazaro était toujours ferme dans son adhésion au marxisme, et s’opposait à tout écart. Il était également coordinateur général du Mouvement Indien « Tupaj Amaru ». A ce titre, il menait au sein de l’ONU, en qualité de représentant d’ONG, la lutte pour les droits des peuples autochtones. Pour l’auteur de ces lignes, ce fut aussi un ami, dont la perte est humainement douloureuse.

 

Lazaro avait été un contributeur régulier de l’Encre Rouge. Nos lecteurs se souviennent encore de ses articles théoriques solidement sourcés, profonds, toujours pertinents, et qui rehaussaient le niveau de notre journal.

 

Nous lui laisserons pour finir la parole, avec un extrait du dernier article de sa plume qui a paru dans l’Encre Rouge, n°58, daté du mois de décembre 2020 :

 

« Mais la crise écologique de dimensions dévastatrices nous a montré que toute politique de croissance économique et toujours plus de croissance qui entraîne la spoliation anarchique des ressources provoquant la contamination de l’eau et l’air n’a fait qu’élargir le fossé entre les pauvres et les riches débouchant sur la crise du coronavirus 19.

 

Cette logique nous paraît absurde en elle-même, car une telle logique irrationnelle entraîne inévitablement la destruction de toute vie sur cette Terre ancestrale.

 

Le peuple suisse, notamment les travailleurs devraient être conscients, que, la croissance économique vers l'infini, c'est le chemin vers la mort, c'est-dire vers l'autodestruction de notre civilisation par la destruction de la Terre et ses ressources naturels et ses diversité biologiques - vitale pour la survie de l’Homme sur cette Terre ancestrale »

 

Nous honorerons la mémoire de Lazaro en continuant le combat qui fut le sien.

Oui au développement des réseaux thermiques structurants, et à leur monopole public

 


Cette loi constitutionnelle, proposée par le Conseil d’Etat et votée par une majorité du Grand Conseil, vise à accorder le monopole à une entité publique – qui serait en pratique les SIG – du déployement des réseaux thermiques structurants dans le canton de Genève. Par « réseaux thermiques », il faut comprendre des grandes conduites d’eau chaude, tiède ou froide, servant au chauffage, la préparation d’eau chaude sanitaire ou à la climatisation. Par « structurants », les grandes conduites : le chauffage et la climatisation à l’échelle de l’immeuble individuel resterait soumis à la concurrence, et le maître d’œuvre aurait toujours le droit de choisir l’entreprise avec laquelle ils travaillent ; ce qui peut se justifier, dans la mesure où chaque immeuble à un concept de chauffage ou de climatisation particulier, correspondant à ses caractéristiques particulières.

 

Il existe déjà plusieurs de ces réseaux, certains appartenant aux SIG, d’autres privés, d’autres mixtes. Ces réseaux permettent d’exploiter la chaleur de la géotermie, de l’incinération des déchets, ou la chaleur résiduaire de l’industrie, ou au contraire la froideur de l’eau du lac. Le développement de ces réseaux est essentiel pour décarbonner le chauffage des bâtiments et la production d’eau chaude sanitaire – qui fonctionne encore à 90% aux énergies fossiles à Genève, ainsi que la climatisation – dont le bilan écologique est actuellement désastreux – ainsi que de réutiliser la chaleur produite par la combustion des déchets et l’industrie.

 

Le Conseil d’Etat a voulu instaurer un monopole public du déployement de ces réseaux structurants, car celui-ci est indispensable pour garantir leur développement cohérent, en fonction d’objectifs globaux et écologiques, et avec des tarifs raisonnables pour les usagers ; plutôt que de le laisser parasiter par une concurrence désorganisatrice et le seul critère de rentabilité. Ce monopole est en revanche combattu par le PLR, l’UDC et la FER, qui voudraiet l’ouvrir à la concurrence, au privé, au marché. Ces gens sont prêts à privatiser notre air, notre eau, tant qu’ils peuvent s’y enrichir…quelles qu’en soient les conséquences. Le Parti du Travail se rallie à la position du Conseil d’Etat en l’occurrence, dont il espère qu’il sera systèmatique en la matière. Les services publics exigent par nature le monopole public. L’ouverture au marché n’est jamais que prédation organisée, au détriment du bien commun.

Non à la loi antisociale et discriminatoire de priorité au logement

 


Parce que c’est bientôt les élections cantonales, le MCG a tenu à retrouver un peu de son aura poujadiste en renouant avec la démagogie qui avait fait son succès au début : défendre soi-disant les résidants contre les frontaliers. Il a ainsi fait passer au Grand Conseil, avec l’appui de la droite – preuve que toute préoccupation sociale en est absente – une modification de la Loi générale sur le logement et la protection des locataires. Une modification dont la teneur est de faire passer le délai pour avoir le droit à postuler pour un logement social de deux années consécutives de résidence préalable dans le canton à quatre, ce pour « accorder la priorité aux résidents ». Ce durcissement a été contesté par référendum par une vaste coalition rassemblant les partis de gauche, les syndicats et les associations de défense de locataires.

 

Nul doute que des électeurs se laisseront tenter par cette manœuvre, pour des raisons tout à fait compréhensibles. La pénurie de logements sociaux à Genève est en effet criante, le taux de vacance excessivement bas, et les loyers scandaleusement élevés.

 

Mais cette loi ne rémédiera à aucun de ces problèmes. Elle ne contribuera à créer aucun logement social, et ne raccourcira même pas réellement le délai d’attente. Il faut savoir en effet que 80% des demandeurs actuellement inscrits sur les listes pour un logement social ont habité sur le canton pendant au moins cinq ans au cours des huit dernières années.

 

Mais elle instaurera une discrimination injustifiée et antisociale envers un grand nombre de personnes précaires, qui ont réellement besoin d’accéder à un logement social, et qui sont contraintes actuellement de vivre dans des logements exigus et insalubres, ou bien de s’expatrier en France voisine ou dans le canton de Vaud.

 

Si le MCG et la droite se préoccupaient réellement des locataires, ils ne feraient pas obstruction à la construction de logements sociaux, au profit de logements en PPE, de villas ou de bureaux, dans le seul intérêt des promoteurs immobiliers. Cette alliance hypocrite rappelle ce que vaut la démagogie « sociale » de l’extrême-droite, dirigée contre les étrangers, les frontaliers et autres boucs-émissaires, plutôt que contre les maîtres du capital : un appât pour mobiliser les classes populaires contre leurs intérêts réels, et pour ceux de leurs oppreseurs.

Non à la suppression du droit de timbre, un combat de classe fondamental

 


La pandémie n’est pas encore finie, l’encre n’a même pas eu le temps de sécher sur les différentes publications liées à l’étrange débat sur le « monde d’après » – qui devait être plus solidaire que celui d’avant le Covid – que la droite suisse montre pleinement qu’elle n’en a rien appris, et qu’elle est toujours dans ses vielles lubies de l’ère Reagan et Thatcher, puisque nous sommes appelés à voter sur une nouvelle baisse d’impôt pour le capital : la suppression du droit de timbre d’émission.

 

Qu’est-ce que le droit de timbre ?

 

Les droits de timbre sont des taxes prélevées sur l’émission et la négociation de titres. Impôt introduit il y a un siècle, il a été nommé ainsi parce qu’à l’époque un stampel était réellement apposé sur les titres en question. Cela rapporte à la confédération 2,2 milliards de francs suisses au moins de recettes annuelles.


La Confédération reconnaît trois types de taxes de timbre :

  1. Droit de timbre d’émission (sur l’émission d’actions, actions ordinaires). Recettes : 250 millions par an  
  2. Impôt sur le chiffre d’affaires (sur l’achat et la vente de titres). Recettes : 220 millions par an 
  3.  Prélèvement sur les primes d’assurance (sur les primes d’assurance responsabilité civile, incendie, ménage). Recettes : 1,8 milliard par an.
Le vote du 13 février ne portera que sur le droit de timbre d’émission, qui rapporte 250 millions par an, puisque, pour l’instant, la majorité de droite n’a décidé de supprimer que celui-là. Mais la suppression de tous les droits de timbre fait partie de ces projets à terme, même si elle affirme y avoir renoncé, pour l’instant en tout cas. Alors que nous n’avons pas même voté sur l’abolition du droit de timbre d’émission, il nous faut déjà récolter pour un référendum contre l’abolition de l’impôt anticipé sur les obligations (200 millions de francs par année). Ce n’est pas la seule baisse d’impôts dans l’agenda politique de la droite

 

La taxe d’émission sur les capitaux propres s’élève à 1 % sur l’émission d’actions, d’apports de capitaux, de parts sociales coopératives, etc., pour les sociétés nationales. Une contribution très modeste donc. Les coopératives à but non lucratif sont exemptées.

 

Pour les nouvelles entreprises, ou l’augmentation du capital propre, le premier million de francs est exonéré de droit de timbre. En cas de restructuration, le montant exonéré d’impôt peut atteindre 10 millions de francs.

 

Qui profiterait de la suppression du droit de timbre d’émission ?

 

« Nos PME », prétend la droite, conformément à une rhétorique usée jusqu’à la corde. Un symptôme qui ne trompe pas : quand la droite prétend défendre les PME, elle n’agit en réalité qu’en faveur des grandes entreprises et des multinationales.

 

C’est le cas en l’occurrence. Il y a quelques 600'000 entreprises en Suisse. Parmi elles, 2'300, soit 0,3% du total, ont payé un droit de timbre en 2019. Et 33 entreprises seulement représentent la moitié du droit de timbre acquitté. Ce qui implique qu’elles ont levé de l’ordre de 100 millions de francs chacune. Faut-il vraiment faire un cadeau fiscal à ces « PME » ? Un quart du droit de timbre d’émission est d’ailleurs acquitté par entreprises basées dans le canton de Zoug, plus célèbre pour ses sociétés boîtes aux lettres que pour ses PME.

 

En outre, le droit de timbre d’émission est principalement acquitté par les entreprises et les groupes du secteur financier. Par conséquent, ils seraient les principaux bénéficiaires de son abolition.

 

Les droits de timbre servent également à corriger la sous-imposition de la finance, puisque les services financiers sont exonérés de TVA en Suisse, qui n’a ni impôt sur les gains en capital ni taxe sur les transactions. Trop dur pour ces « pauvres » entreprises de payer une modeste taxe de 1%, alors que nous sommes toutes et tous soumis à une TVA de 2,4% à 7%, quel que soit notre revenu ?

 

Mais la droite prétend que l’abolition du droit de timbre ne serait pas un cadeau, mais une mesure de relance de l’économie après la crise du Covid – inutile pourtant, parce qu’une telle relance n’est pas nécessaire, l’économie suisse se portant bien, et que les entreprises qui en auraient besoin sont de vraies PME et n’en bénéficieraient de fait pas – de promotion économique, et de soutien aux startups. Ce serait apparemment une épouvantable injustice que des entreprises doivent payer des impôts sur leur capital propre avant même d’avoir perçu des bénéfices, que ce serait décourager l’innovation et l’investissement en capital propre (et par conséquent encourager l’endettement). Rappelons que le droit de timbre a été mis en place par les ancêtres du PLR. Pourquoi ne se sont-ils pas aperçus de la « terrible injustice » ?

 



Mais les startups ont-elles seulement besoin de ce cadeau fiscal ? La réponse est non. Les startups se portent très bien dans notre pays. Le Temps – un journal libéral, comme tout le monde le sait – faisait état dans son édition du 28 janvier 2022 d’un intéressant rapport qui établit clairement que les startups suisses n’ont jamais levé autant de fonds propres qu’en 2021 (cf. graphique reproduit ici). Visiblement, le droit de timbre d’émission n’a pas été un obstacle pour attirer les capitaux. Pour la petite histoire, l’éditorial du même numéro du Temps appelle à voter Oui à l’abolition du taux de timbre, au nom du soutien aux startups. Quand l’idéologie néolibérale est plus forte que les faits…

 

Qui payerait pour ce cadeau fiscal ?

 

Nous payerions toutes et tous la facture ! Les 250 millions qui n’entreraient plus dans les caisses de la Confédération à la suite de la suppression du droit de timbre, manqueraient pour les hôpitaux, les services publics, l’éducation ou pour la réduction des primes d’assurance maladie, par exemple.

 

La droite prétend que 250 millions ne représentent qu’une partie infime des rentrées de la Confédération, et que leur perte ne poserait pas de problème ni n’impliquerait aucune coupe. Certes. S’il n’y avait que cette baisse d’impôts là de prévue. Mais elle s’inscrit dans une tactique des tranches de salami, une offensive pour des baisses d’impôt sur le capital et pour les riches, dont chacune est indolore prise en soi, mais qui, cumulées, impliquent des pertes de rentrées plus que considérables.

 

Non à une nouvelle offensive néolibérale

 

Derrière la rhétorique hypocrite de campagne, il faut voir le véritable projet derrière la suppression du droit de timbre, qui est celui d’une nouvelle offensive néolibérale. La suppression du droit de timbre est un vieux projet de la droite, qui date des années 90 déjà. L’efficacité économique de ce type de mesure est nulle. Avatar tardif de la soi-disant « politique de ruissellement », elle n’aura aucun impact économique, mis à part le fait de faire ruisseler encore plus l’argent dans les poches de l’oligarchie – vérité dont certains théoriciens du néolibéralisme ne cachent pas que c’est bien là leur véritable but. C’est pourquoi, l’abolition du droit de timbre n’est qu’une étape d’une vaste offensive de baisse d’impôts pour les riches et les grandes entreprises, soi-disant dans un but de « compétitivité » : RFFA, abolition de l’impôt anticipé sur les obligations, abolition de la taxe professionnelle communale, suggestion d’Ueli Maurer d’aplatir la progressivité de l’impôt pour les tranches supérieures…

 

Ce serait apporter encore plus de déréglementation, plus de néolibéralisme, plus de latitude à une finance tentaculaire…un modèle à l’origine de la crise, et qui a déjà apporté tant de mal. Que serait un monde où tous les pays suivraient ces recettes empoisonnées ? Tous les pays y seraient certes « compétitifs », les plus riches et les entreprises n’y payeraient presque pas d’impôts, tandis que la grande majorité devrait survivre sans droits, sans prestations sociales, sans services publics, avec des salaires de misère pour celles et ceux qui en auraient. Un retour au capitalisme sauvage du XIXème siècle, mais dominé par les monopoles. Le règne despotique des 1%. De la part de la droite, il s’agit purement et simplement d’une offensive de classe, en faveur de l’oligarchie. Il s’agit pour nous d’une lutte de classe fondamentale que de la contrer.

L’initiative pour une contribution temporaire de solidarité sur les grandes fortunes déposée avec 6'873 signatures à l’appui


 

Ce mardi 1er février, à un mois du délai légal, l’initiative populaire cantonale « pour une contribution temporaire de solidarité sur les grandes fortunes » fut déposée au Service des votations. Elle a d’ores et déjà abouti, et sera soumise au peuple. Initiative commune des partis de gauche et des syndicats – Parti du Travail, Parti socialiste, les Verts, solidaritéS, DAL, Résistons, CGAS, Cartel intersyndical, SIT, SSP, UNIA – elle avait été lancée sur proposition de notre Parti, qui avait fait la démarche de formuler la proposition initiale et de réunir toutes les forces qui se sont engagées dans ce combat – le texte définitif étant le fruit d’un travail collectif entre toutes les organisations concernées. La constitution de ce front commun et l’aboutissement de l’initiative constituent un grand succès politique pour le Parti du Travail.

 

Rappelons que notre initiative propose d’instaurer un impôt de solidarité limité dans le temps (10 ans) sur les très grandes fortunes. Il s’agit d’un impôt de 5 pour mille (0.5%) sur la part de la fortune imposable supérieure à 3 millions de francs. En outre, elle réduit les manques à gagner dus au « bouclier fiscal », qui permet aux très grosses fortunes d’échapper à une partie de l’impôt et qui fait actuellement perdre 173 millions de francs à l’État et 40 millions aux communes (chiffres de 2018). Enfin, afin de ne pas pénaliser les petit-es propriétaires et les artisan-es, nous avons prévu de tripler le montant des déductions sociales. Cette initiative renforce de ce fait le principe de progressivité de l’impôt tel que le prévoit notamment l’initiative « Zéro pertes » acceptée par le peuple en septembre 2020.

 

Tous nos partenaires ne voyaient pas nécessairement les choses en ces termes, mais à nos yeux cette initiative constitue essentiellement une contre-offensive de classe, une façon de reprendre l’offensive sur un terrain où la bourgeoisie est, depuis la contre-révolution néolibérale, largement hégémonique, et où ses victoires successives ont des conséquences dévastatrices : celui de la fiscalité.

 

Les idéologues du néolibéralisme ont réussi à persuader une trop grande partie de l’opinion que les politiques redistributives, pourtant limitées, que la bourgeoisie fut obligée de concéder après la Deuxième Guerre mondiale, étaient inefficaces, que les riches méritaient de garder leur argent, qu’il faut baisser les impôts pour rester compétitif, que les riches et les entreprises vont partir sous des cieux plus cléments si on ne baisse par leurs impôts…

 

S’en sont succédées trois décennies de baisses d’impôts continues pour la classe possédante : RIE I, RIE II, RFFA, baisse d’impôts sur le revenu, concurrence fiscale entre cantons, entre communes, attaques sur l’impôt sur la fortune…l’argent a bien fini par « ruisseler », dans la seule direction où il devait en fait le faire : dans les poches des 1%. Jamais la richesse sociale n’a été autant concentrée en aussi peu de mains. Une concentration indécente, qui s’est encore accrue pendant la pandémie. Le patrimoine des milliardaires a cru de 3'600,- € durant cette période, pendant que 100 millions de personnes supplémentaires tombaient dans la pauvreté.

 

Cette tendance se vérifie aussi dans notre canton. A Genève plus que partout en Suisse, les inégalités sont en nette augmentation. Les fortunes privées ont crû de 7.7% par année depuis quinze ans, alors qu’elles n’ont crû « que » de 4.7% en moyenne dans le reste de la Suisse. La précarité, en revanche, s’est encore accrue pendant la pandémie. Selon l’OCSTAT, le risque de pauvreté touche 18.5% de la population à Genève, alors qu’il est de 15.7% en moyenne en Suisse.

 

Les baisses d’impôts pour les riches et le capital a creusé le déficit de l’État, dont la droite tire prétexte pour démanteler des prestations et des services publics indispensables. Et les privilégiés n’en ont toujours pas assez, continuent de prôner de nouvelles baisses d’impôts pour eux. Ne seront-ils satisfaits que lorsqu’ils ne payeront plus d’impôts du tout ?

 

Notre initiative permet de mettre un stop à cette sous-enchère. Les recettes supplémentaires qu’elle générerait permettraient de combler le déficit de l’État, de financer les prestations, les services publics, la transition écologique. Les montants demeurent certes modestes, ce d’autant plus que l’initiative ne prévoit qu’une contribution temporaire, sur dix ans. Mais c’est à nos yeux un premier pas indispensable, le début de la contre-offensive, une victoire qui en sera suivie d’autres.

Pourquoi le débat sur les pénuries annoncées d’énergie ?

 



Depuis quelque temps, un débat agite l’espace médiatique suisse, soulevé souvent d’une façon anxiogène : la Suisse risque prochainement une pénurie d’électricité, jusqu’à plusieurs jours de black-out.

 

Jusque-là, c’est la droite qui s’est profilée sur ces enjeux. L’UDC, qui a violemment reproché à la stratégie actuelle du Conseil fédéral de n’être pas à la hauteur des besoins de sécurité énergétique du pays, s’est livré à une diatribe grotesque contre la « gauche rose-verte » qui « détruit la Suisse », et a exigé la relance du nucléaire, ainsi que l’extension de l’hydraulique. Le PLR s’est prononcé pour rouvrir le débat sur le nucléaire, et d’envisager positivement la construction de nouvelles centrales, de ne pas fermer la porte au développement de la fusion nucléaire ou de la filière du thorium – des technologies qui en sont à l’état théorique pour l’instant.

 

Pourquoi ce débat maintenant ? La Suisse ne risque pourtant pas de pénurie d’électricité à court terme. Et si l’on voulait remplacer toutes les énergies fossiles par de l’électrique, une hausse de la production d’électricité de quelques 20% suffirait. La relance du nucléaire ne saurait être une solution. Outre toutes les critiques que l’on peut adresser à cette technologie, la faisabilité politique de nouvelles centrales est égale à zéro, et cela prendrait au moins vingt ans. L’UDC et le PLR ne peuvent l’ignorer. Mais ces partis ont ainsi l’occasion de reprendre la main sur des thématiques où leurs idées étaient discréditées.

 

Mais le capitalisme bute aujourd’hui sur les limites naturelles de la planète. Pas seulement celles du climat, mais aussi sur celles des ressources naturelles, qu’il a exploitées sans songer à leur finitude. Énergies fossiles, terres arables, métaux, dont certains sont rares, et dont il faut une quantité délirante pour les nouvelles technologies, dont certaines estampillées « vertes ». En quelques décennies, il a été extrait plus de métaux que durant toute l’histoire de l’humanité. Personne de sensé ne pouvait douter qu’une telle gabegie indescriptible puisse continuer longtemps. De fait, les prix de l’énergie et des matières premières flambent, d’où l’inflation qu’on peut observer actuellement.

 

Ces problèmes, le capitalisme ne peut leur apporter de solution rationnelle et pour le bien de toutes et tous. Parce qu’il ne peut pas, par définition, se limiter, étant contraint par le seul impératif d’accumulation du capital. Parce qu’il est contraire à sa nature de répartir des biens rares de façon équitable, de ne pas les concentrer entre les mains de quelques-uns.

 

C’est un enjeu fondamental auquel il revient aux communistes que nous sommes d’apporter des solutions conformes au bien commun ; qui ne pourraient être complètement mises en place que sous le socialisme. Autrement, la droite détournera dans un sens nationaliste et technocratique une problématique qui devrait être traitée sous un angle social et écologique.