23 décembre 2017

Libéralisme = démocratie ?



L’angle d’attaque habituel aujourd’hui de tous les propagandistes libéraux contre les communistes, et les partisans du socialisme quels qu’ils soient, c’est que le socialisme serait par nature anti-démocratique, dictatorial, tandis que le libéralisme, a contrario, serait per se garant de la démocratie. Beaucoup de stratégies argumentatives existent et sont de fait employées pour contrer cet argument, qui à force de répétition incessante est devenu une quasi-évidence pour beaucoup de gens. Pourtant, il repose sur un mensonge flagrant. Non, le libéralisme n’est pas et n’a jamais été synonyme de démocratie. Historiquement, le syntagme « démocratie libérale » apparaît plutôt comme un oxymore que comme une tautologie.

Les fondateurs du libéralisme n’étaient nullement partisans de la démocratie, et préféraient clairement une monarchie constitutionnelle, au nom de la séparation des pouvoirs, doublée d’une représentation parlementaire de toute manière restreinte aux seuls propriétaires, à travers un suffrage censitaire, reposant sur un cens assez élevé. La grande majorité du peuple se voyait par là privée de tous droits politiques. D’après la classification des régimes politiques selon Aristote, il s’agit là manifestement d’une oligarchie, pas d’une démocratie. Si la bourgeoisie a dû finir par accepter la mise en place d’un suffrage universel, c’est de mauvais cœur, sous la pression des luttes populaires, en guise de concession pour conjurer le danger de la révolution socialiste. Toutefois, une « démocratie » où la majorité des citoyens n’a d’autre droit que de voter à des élections périodiques tous les 4 ou 5 ans, et où finalement très peu de personnes, toutes ou presque issues des classes possédantes, décident de tout au nom de tous est encore une oligarchie, tempérée par quelques éléments démocratiques.

Le néolibéralisme n’a pas une âme plus démocratique que le libéralisme classique. L’extrait suivant de Friedrich Von Hayek, un des théoriciens néolibéraux les plus importants, issus de La route de la servitude, n’a guère besoin de commentaire :

« Nous n’avons toutefois nullement l’intention de faire de la démocratie un fétiche. Il est peut-être vrai que notre génération parle trop de démocratie, et y pense trop, et ne se soucie pas assez des valeurs qu’elle sert. On ne saurait dire de la démocratie ce que Lord Acton a justement dit de la liberté, qu’elle « n’est pas un moyen pour atteindre la fin politique suprême. Elle est en elle-même la fin politique suprême. On en a besoin, non pas pour avoir une bonne administration publique, mais pour garantir la sécurité dans la recherche des fins suprêmes de la société et de la vie privée ». La démocratie est essentiellement un moyen, un procédé utilitaire pour sauvegarder la paix intérieure et la liberté individuelle. En tant que telle, elle n’est aucunement infaillible. N’oublions pas non plus qu’il a souvent existé plus de liberté culturelle et spirituelle sous un pouvoir autocratique que sous certaines démocraties, – et qu’il est au moins concevable que sous le gouvernement d’une majorité homogène et doctrinaire, la démocratie soit aussi tyrannique que la pire des dictatures ».

Von Hayek le disait encore plus clairement en 1981 au journal chilien Mercurio (en pleine dictature d’Augusto Pinochet donc) : « Je suis complètement contre les dictatures comme solutions pour le long terme. Mais parfois une dictature peut être nécessaire pour une période de transition. A certains moments, un pays peut éprouver le besoin d’un gouvernement dictatorial. Vous comprenez qu’un dictateur peut régner d’une façon libérale tout comme un démocrate peut régner d’une façon non-libérale. Personnellement je préfère un dictateur libéral à un régime démocratique sans libéralisme... »

Cette approbation de l’infâme dictature de Pinochet par l’un des pères du néolibéralisme n’a rien qui doive surprendre. En effet, le général Pinochet fut précisément ce « dictateur libéral », préférable aux yeux de Von Hayek au socialisme démocratique qui commençait avec Salvador Allende, qui imposa pour la première fois à un pays l’entièreté du programme néolibéral. Il fut conseillé dans cette tâche par un certain Milton Friedman, autre théoricien majeur du néolibéralisme. Les conséquences sociales en furent évidemment désastreuses…


Le comportement de la droite européenne (« il n’y a pas de choix démocratique possible contre les traités européens », dixit Jean-Claude Juncker), et suisse (ne serait-ce que sa volonté de faire passer en force PF 17, nonobstant le refus populaire flagrant de la RIE III), n’atteste que trop sa fidélité à l’héritage de Friedrich Von Hayek et de Milton Friedman. Mais il n’y a aucune démocratie dans son libéralisme.

Remboursement des soins dentaires : les Vaudois voteront le 4 mars



Exceptionnellement, il n’y aura aucune votation cantonale à Genève lors du scrutin populaire du 4 mars 2018. Mais il n’en va évidemment pas de même dans tous les cantons. Les citoyens du canton de Vaud seront en particulier les premiers en Suisse à se prononcer sur l’initiative populaire « Pour le remboursement des soins dentaires ! », déposée en 2014 conjointement par le POP et solidaritéS avec plus de 15'000 signatures, et qui prévoir l’instauration d’une assurance sociale financée sur le modèle de l’AVS, par des cotisations paritaires employeur-employé, et servant à financer le remboursement des soins dentaires, ainsi que la prévention en matière de santé bucco-dentaire. La même initiative a depuis été déposée à Genève en 2016 par le Parti du Travail, avec ses seules forces et plus de 18'000 signatures (!), à Neuchâtel par le POP et solidaritéS, et en Valais et au Tessin par le PS (qui a repris une de nos idées, ce qu’il convient de souligner). En attendant sans doute que d’autres cantons suivent.

Il aura fallu trois ans pour que finalement le peuple vaudois puisse se prononcer sur l’initiative seule, sans contreprojet. Il s’agit d’une colossale perte de temps, qui n’était sans doute pas justifiée. C’est que le conseiller d’Etat socialiste (dont la réputation de « socialiste de gauche » est à notre avis quelque peu usurpée) Pierre-Yves Maillard a tenté d’élaborer un contreprojet, qui prévoyait un remboursement des soins dentaires limité à seulement certaines catégories de la population (les enfants, certaines personnes âgées) financé grâce à une taxe sur les boissons sucrées. Malgré son caractère très limité, ce contreprojet n’était pas sans intérêt, et constituait sans doute la meilleure chance, si ce n’est la seule, pour la bourgeoisie de torpiller l’initiative pour le remboursement des soins dentaires.

C’était sans compter sur la droite vaudoise, pour qui même le progrès social le plus infime est déjà inadmissible, et qui s’est employée à vider le contreprojet de sa substance. Avec des arguments ridicules : l’initiative coûterait de l’argent ; il s’agirait d’une « politique de l’arrosoir » ; et surtout, la santé dentaire serait une question de « responsabilité individuelle », donc, les gens n’auraient qu’à se débrouiller ; mais de toute façon ce ne serait pas un problème, puisque, paraît-il, le fait de devoir payer de sa poche n’aurait pas d’influence sur la fréquence des visites chez le dentiste (et qu’importe que les faits, ou la simple évidence, disent le contraire !). Les dentistes ont également fait un lobbying intense pour tenter de prouver que rembourser les soins dentaires serait une très mauvaise idée, puisqu’ils n’auraient absolument rien avoir avec les domaines couverts par la LAMal (on ne voit vraiment pas pourquoi). Il n’est que trop évident que la seule motivation derrière cette démagogie est la crainte de ne plus pouvoir appliquer des tarifs complétement et scandaleusement surévalués si ceux-ci devaient être contrôlés par une assurance sociale chargée de rembourser les soins dentaires. Bien entendu, les représentants des dentistes jurent la main sur le cœur qu’il ne s’agit pas de cela, qu’il n’est nullement question de défendre un privilège, mais un « système libéral » (n’est-ce pas la même chose ? il ne s’agit en tout cas nullement du bien des patients)

Le résultat de ces manœuvres d’obstruction étant que le Grand Conseil vaudois a fini par n’adopter aucun contreprojet. Le peuple votera donc sur la seule initiative, qui bénéficiera du soutien du Conseil d’Etat, bien que celui-ci ait une majorité de droite. L’initiative a ainsi de bonnes chances d’être acceptée par le peuple, puisqu’il est évident à quiconque n’a pas les moyens de porter une Patek Philippe au poignet qu’il s’agit d’une véritable urgence sociale. Les tarifs des dentistes sont à l’évidence hors de portée pour les classes populaires, qui bien souvent renoncent à se faire soigner les dents (ce que toutes les statistiques démontrent), avec des conséquences parfois graves sur la santé bucco-dentaire, et la santé en général.

A Genève, le Grand Conseil s’est donné un délai jusqu’au mois de septembre 2018 pour tenter d’élaborer un contreprojet à notre initiative. Vu la composition du Grand Conseil et du Conseil d’Etat genevois, il est encore moins probable qu’il en sorte quoique ce soit que ce ne fut le cas dans le canton de Vaud. Il est vrai par contre que cela renvoie l’inévitable échéance de la votation populaire après les élections cantonales (nous ne doutons pas d’ailleurs qu’il s’agisse là de la principale motivation de la droite genevoise ; en effet, faire campagne contre une initiative aussi évidemment indispensable n’est pas électoralement très vendeur).


Une éventuelle – et très probable – acceptation de l’initiative pour le remboursement des soins dentaires par les citoyens vaudois le 4 mars aurait, quoi qu’il en soit, un impact sur toute la Suisse, et serait un pas décisif vers un nouveau progrès social dans notre pays.