21 août 2020

Face la crise économique, il faut un salaire minimum légal



Intervention à la conférence de presse de lancement de la campagne "Protégeons les salaires, pas les frontières!"

L’initiative pour une salaire minimum légal est d’autant plus nécessaire aujourd’hui, compte tenu du contexte de début d’une crise économique majeure, dont on a toutes les raisons de penser qu’elle ira en s’aggravant et risque d’être là pour longtemps. La pandémie du COVID-19 a plongé en effet l’économie mondiale dans une crise systémique profonde, une crise qui était déjà en gestation avant l’épidémie. Les mesures prises par la Confédération – chômage partiel et allocations pour perte de gain – ont retardé les effets les plus graves de cette crise, mais ces mesures sont limitées dans le temps.

Les premiers effets de la crise s’ont d’ores et déjà observables. On peut lire dans Le Temps d’hier, mercredi 19 août, que plusieurs entreprises ont d’ores et déjà procédé à des licencenciements collectifs, et que d’autres s’apprêtent à le faire. Une vague de licencenciements est prévisible pour ce semestre d’automne. Par ailleurs, on peut d’ores et déjà observer un durcissement des relations de travail, des pressions aggravées du patronat sur les travailleurs.

Cette vague de licenciements attendue et ce durcissement des rapports de travail d’ores et déjà visible s’accompagnera inévitablement d’une pression à la baisse sur les salaires de la part du patronat – des salaires qui pour beaucoup trop de travailleurs, dont une majorité sont des travailleuses, sont déjà beaucoup trop bas. Pour mettre un frein à cette pression patronale, pour protéger les travailleuses et les travailleurs, un salaire minimum légal est aujourd’hui un instrument indispensable.

L’argument comme quoi un salaire minimum détruirait des emplois, surtout en contexte de crise, est fallacieux. Nombre d’entreprises qui pratiquent de très bas salaires sont des grandes entreprises, qui peuvent tout à fait se permettre payer correctement leurs travailleurs. De fait, de nombreux exemples démontrent que l’introduction d’un salaire minimum ne cause pas de hausse du chômage.

Par ailleurs, une baisse généralisée des salaires aurait pour conséquence nécessaire – outre la catastrophe sociale qu’elle représenterait – une diminution équivalente de la consommation populaire, et par conséquent, une accentuation des tendances déflationnistes, donc une aggravation de la crise. Face à cela, un salaire minimum légal apparaît comme une mesure anti-crise pertinente, favorable à la consommation populaire, et donc aux petites entreprises et à l’emploi.

A contrario, la démagogie de l’UDC n’apporte aucune solution valable à la crise. La fermeture des frontières sera sans effet sur la crise économique, n’empêchera aucun licenciement et ne protégera en rien les salaires.  Du reste, de par son scandaleux référendum contre l’indemnisation pour les travailleurs non-couverts par le chômage partiel ou l’allocation perte de gain, l’UDC a amplement montré qu’elle n’a strictement rien à faire des conséquences sociales de la crise.

Pour toutes ces raisons, face à la crise économique, l’introduction d’un salaire minimum légal est plus que jamais justifiée.    


Appel pour le maintien des élections en Bolivie, 11.08.20



Je souhaite aujourd’hui, en ma qualité de président de la section cantonale genevoise du Parti Suisse du Travail à exprimer ma solidarité internationaliste avec le peuple bolivien qui lutte pour ses droits, et un appel ferme au gouvernement de facto à respecter ses engagements et à maintenir les élections à la date prévue.

J’avais signé le Manifeste pour de élections libres, justes et transparentes en l’Etat plurinational de Bolivie, dans le cadre d’une soutien internationaliste indéfectible au peuple bolivien, à mes camarades du MAS et au Processus du changement.

Ce soutien est d’autant plus un devoir aujourd’hui. Le coup d’Etat – car il faut bien appeler les choses par leur nom – d’une clique fasciste et raciste qui usurpe aujourd’hui le pouvoir fut un jour noir pour la Bolivie, pour toute l’humanité progressiste. Ce gouvernement illégitime a remis en cause les acquis sociaux et démocratiques que le peuple Bolivien avait gagnés, instauré un régime de persécutions politiques contre les militants du MAS et tous ses opposants, fait régner les violences racistes contre les peuples autochtones. Il n’a que trop retardé des nouvelles élections – alors que les organiser était sa seule obligation.

La pandémie du COVID-19 ne saurait être une raison valable pour suspendre la démocratie. Un nouveau report des élections n’est qu’une misérable tentative d’un gouvernement illégitime de continuer à usurper le pouvoir. La gestion catastrophique de l’épidémie de la part de ce gouvernement le disqualifie pour utiliser ce prétexte, le mieux qu’il puisse faire pour combattre le virus c’est de quitter la scène le plus vite possible.

Le gouvernement putschiste n’a déjà usurpé le pouvoir que trop longtemps ! Ce gouvernement a déjà bien assez nui ! Les élections doivent avoir lieu à la date prévue, le 6 septembre, être libres et transparentes, dans le respect des droits démocratiques, ce qui exige la cessation immédiate et inconditionnel des persécutions du gouvernement illégitime contre ses opposants.

Le peuple bolivien est déterminé à ne pas se laisser faire face à ce nouveau coup de force de la part du gouvernement illégitime. Les syndicats et les mouvements sociaux ont entamé une grande grève illimitée pour exiger le maintien des élections et la destitution du gouvernement de facto. Des axes routiers sont bloqués par des barrages, de nombreuses villes se hérissent de barricades. Face à ce juste soulèvement du peuple bolivien, la clique putschiste n’a qu’une seule réponse : la menace du recours à la force, par sa police, son armée, les bandes fasciste à son service.


Je souhaite exprimer aux grévistes mon entière solidarité. Lorsqu’un gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est le plus sacré des droits, et le plus indispensables des devoirs. Il n’est que grand temps que la clique fasciste qui usurpe le pouvoir en Bolivie aille rejoindre sa place dans les poubelles de l’histoire, et que le peuple bolivien reconquiert sa souveraineté, pour écrire de nouvelles pages de progrès démocratique et social.

Allocution lors de la fête du 04.07.20

Chères et chers camarades,

« Parce que les choses sont ce qu’elles sont, les choses ne resteront pas ce qu’elles sont » avait dit Bertolt Brecht. C’est dans cet état d’esprit que nous avons organisé cette fête, notre premier événement public depuis le début de l’épidémie du COVID-19. Cette petite fête ne remplace pas la traditionnelle Fête des peuples sans frontières, qui aurait lieu le même week-end sur trois jours. Mais la situation est pour le moins particulière. Même l’événement d’aujourd’hui, nous aurions pu hésiter à le tenir, du fait de la situation au plan sanitaire. Mais le fait est que nous y tenions, parce que beaucoup de choses doivent changer, et que nous estimons qu’il est important pour nous de dire ce que notre Parti a à en dire.

Avant toute chose, nous concédons qu’il faut bien être conscients qu’il est beaucoup trop tôt pour parler de l’ « après-corona », comme si on y était. Loin d’être maîtrisée, la pandémie ne fait que prendre de l’ampleur au niveau mondial. Personne ne sait quand est-ce qu’il y aura un vaccin, et s’il y en aura un. Le virus est sans doute là pour encore un moment. En Suisse même, il est loin d’avoir disparu. Nous assistons actuellement au contraire à une inquiétante recrudescence de l’épidémie. Il ne s’agit pas à ce jour d’une deuxième vague à proprement parler. Celle-ci peut encore être évitée. Mais il est essentiel d’en être conscient et de faire preuve de prudence.

Ce n’est pas pour autant que le rôle d’un Parti comme le nôtre devienne moins important, que les divergences politiques devraient s’effacer au profit de l’unité derrière le Conseil fédéral dans la lutte contre l’épidémie, que nous serions tous dans le même bateau.

Car l’épidémie elle-même, ou plutôt les mesures prises, ou l’absence de mesure, de la part des Etats est une question profondément politique, une question de classe. La Suisse ne fait pas exception à la règle. Jusqu’à présent, c’est une classe bien déterminée qui est au pouvoir en Suisse – la grande bourgeoisie. Et ce sont ses intérêts que le Conseil fédéral a choisi de ménager par dessus tout. Le semi-confinement fut décrété avec retard, et levé sans doute trop tôt, au nom des intérêts de l’ « économie ». L’aide aux entreprises fut plus empressée et autrement plus massive que les mesures visant à soulager les classes populaires (et encore, tout le monde n’est pas couvert par le dispositif mis en place par la Confédération et les cantons).

Pour ne prendre que l’exemple le plus récent, le Conseil fédéral a imposé le port du masque dans les transports publics. Plusieurs cantons l’ont imposé aussi dans les commerces. C’est fort bien et nécessaire – mais n’oublions pas que les mêmes disaient au début de l’épidémie, lorsqu’il y avait pénurie de masques, qu’ils ne sont pas vraiment utiles…Rendant le masque obligatoire, ils ne sont pas allés pourtant jusqu’à le rendre gratuit. Le canton de Genève a tout de même pris l’initiative d’en mettre en vente à prix coûtant. Il s’agit pourtant d’un coût important pour des travailleurs mal payés et qui doivent prendre les transports publics tous les jours. Il ne suffit pas qu’une politique soit pertinente d’un point de vue sanitaire pour qu’elle soit socialement juste. Ce n’est pourtant pas acceptable. Nous devons exiger la gratuité des masques !

Et si l’épidémie est loin d’être terminée, nous ne pouvons pas pour autant ne penser qu’à elle, avoir les yeux rivés sur les préoccupations sanitaires, en oubliant tout le reste. Car l’épidémie, malgré sa gravité, risque fort d’être bientôt éclipsée par rien de moins que la crise économique la plus grave que le capitalisme ait connu depuis 1929. Une crise dont on voit d’ores et déjà le commencement, et dont la gravité fait globalement consensus, tant parmi les économistes bourgeois que les marxistes.

Les porte-paroles de la bourgeoisie mentent lorsqu’ils disent que la crise économique est causée par le coronavirus, que la Confédération et les cantons ont fait des efforts financiers conséquents pour ne laisser personne au bord de la route – ce qui n’est pas tout à fait vrai, le dispositif social mis en place pour l’occasion n’est pas sans nombreuses lacunes, ne prend pas en compte tout le monde – et que maintenant, il faudra que tous fassent des « sacrifices » pour « relancer l’économie ».

Car, premièrement, la crise n’est pas due au virus. Elle était déjà là en puissance depuis un moment. L’épidémie n’a fait que précipiter son déclenchement, qui n’a pu être retardé jusque là par l’usage massif de la planche à billet, des taux nuls, voire négatifs, pratiqués par les banques centrales. Cette crise est une crise de suraccumulation du capital. Elle ne peut être résolue, comme les Etats capitalistes essayent de le faire, par l’injection de liquidités. Car cela signifie accroître encore la suraccumulation du capital – qui est cause de la crise – un capital qui cherchera à se valoriser artificiellement sur les marchés financiers…jusqu’au krach, qui est le retour, brutal mais inévitable, à la réalité, suivi de la récession, de la montée du chômage, de la précarité…

Deuxièmement, car, lorsqu’ils parlent de « sacrifices », ce n’est pas pour tous. Les plus riches ne se sont jamais aussi bien portés. Les quelques individus les plus riches du monde ont vu leur fortune, déjà indécente, augmenter encore. En Suisse, les entreprises – les mêmes qui ont bénéficié du chômage partiel et des crédits cautionnés par la Confédération, ont versé à leurs actionnaires des dividendes…plus élevés qu’en 2019 et 2018 ; ce alors que le chômage partiel représente une lourde perte pour des travailleurs déjà sous-payés, et qui ne touchent plus que 80% de leur salaire. Les écarts salariaux ont encore augmenté cette année.

Cette oligarchie, pour laquelle travaille le Conseil fédéral et la majorité de droite à l’Assemblée fédérale, ne compte renoncer à aucun de ses privilèges. Les « sacrifices », ils comptent les imposer au peuple, aux travailleurs : hausse du chômage, pressions à la baisse sur les salaires, attaques contre les droits des travailleurs, hausse du temps de travail, nouveaux démantèlements des acquis sociaux…Il s’agit pour eux d’accroître l’exploitation des travailleurs pour préserver leurs profits, et peut-être de relancer l’économie…une reprise équivoque, jusqu’à la prochaine crise…

La crise sous le capitalisme signifie également danger de guerre. L’isolationnisme croissant, la rhétorique agressive et l’escalade dans une guerre économique parfaitement contraire au droit international contre des Etats souverains qui ont le malheur de lui déplaire de la part de l’Empire sur le déclin que sont les USA de Trump constitue une véritable menace pour tous les peuples du monde. D’autres puissances impérialistes peuvent aussi être tentées de résoudre leurs problèmes dans la guerre. Plus que jamais, l’internationalisme est un devoir.

La crise signifie également la menace du fascisme. Le Brésil vit déjà sous la présidence d’un néonazi déclaré, dont la gestion irresponsable de l’épidémie a viré à la gabegie meurtrière. Partout, chez nous également, l’extrême-droite représente un danger plus menaçant que jamais. Plus que jamais, l’antifascisme, la défense des libertés démocratiques face à une bourgeoisie prête à les sacrifier au nom de la « sécurité » – de la sécurité de son règne – est un devoir.

La crise économique ne devrait pas faire oublier non plus une crise plus grave : celle de notre environnement que le capitalisme prédateur a dégradé, au point qu’il importe d’agir dans un délai historiquement très bref si l’on ne veut pas que la planète devienne inhabitable. Pourtant, des lobbys capitalistes n’hésitent pas à appeler à laisser ce problème de côté pour l’instant, au nom de la « relance de l’économie ». Et quand la bourgeoisie prétend agir, ce n’est guère concluant. Le Conseil national a réussi enfin à s’entendre sur une loi sur le CO2. Que prévoit cette loi pour faire face à l’urgence climatique ? Uniquement des taxes – sur l’essence, les billets d’avions, le mazout – et la responsabilité individuelle. Des taxes socialement injustes au possibles, puisque très lourdes pour les gens modestes, et indolores pour les riches, et dont l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre risque d’être minime. Même les rares mesures positives, comme la rénovation des bâtiments, risquent de retomber sur le peuple, puisque rien n’est prévu pour empêcher que ces rénovations ne soient répercutées sur les loyers. Et aucune mesure visant les entreprises, rien pour la place financière suisse (qui est responsable de 22 fois plus d’émissions que la population suisse, mais pourra continuer impunément à investir dans les hydrocarbures et le charbon), rien sur les importations et les délocalisations…Une écologie digne de ce nom exige de faire mieux et autrement.

Parce que le « jour d’après » que veut la bourgeoisie ressemble à s’y méprendre au jour d’avant, en pire, parce qu’un changement radical est plus nécessaire et urgent que jamais, nous devons nous battre pour l’imposer. C’est pour cela que notre Parti a été fondé en 1943, car les travailleurs, les classes populaires n’ont d’autre force à opposer à la bourgeoisie que leur organisation. Comme l’a dit Che Guevara :

« Sans organisation les idées perdent de leur efficacité après le premier moment d’élan ; elles tombent peu à peu dans la routine, dans le conformisme, et finissent par n’être plus qu’un souvenir »

Le Parti du Travail a été fondé avec la conviction que le Parti de classe, organisé pour une lutte de classe sans concessions, et ayant le socialisme pour perspective, est la forme supérieure d’organisation que les travailleurs puissent se donner. Cette conviction est toujours la nôtre. Du reste, rien de mieux n’a été inventé, ni sans doute ne peut l’être. Notre Parti entend être à la hauteur de sa mission historique dans les temps de crise que nous vivons.

Et la perspective que notre Parti peut proposer actuellement, c’est que, premièrement, ce n’est pas au peuple de payer leur crise. Les travailleurs n’en sont pas responsables. Cette crise est celle du capitalisme. C’est à l’infime oligarchie qui a honteusement profité des politiques néolibérales pendant des années de payer. Il est grand temps de taxer plus le capital et les grandes fortunes. A contrario, les droits des travailleurs doivent être garantis et étendus. Il n’est en particulier pas acceptable de rallonger les heures de travail. Au contraire, face au chômage il faut travailler moins pour pouvoir travailler toutes et tous. Chacun doit disposer d’un revenu garanti – garanti sans le dispositif inquisitorial et humiliant de l’aide sociale. Il y a bien assez de richesses pour cela. C’est sa concentration entre les mains d’une toute petite minorité qui doit cesser.

La pandémie a également amplement révélé toutes les failles du néolibéralisme, l’incapacité du libre-marché à répondre aux exigences élémentaires du bien commun, les aberrations de la mondialisation, la nécessité des services publics, de l’intervention publique dans l’économie. Maintenant que nous sommes au bord d’une crise systémique du capitalisme, il est hors de question de revenir au néolibéralisme intégral, comme le préconise Economiessuisse, alors que c’est la cause de nos problèmes, d’oublier toutes les leçons de la pandémie, d’aggraver le mal pour le seul profit de quelques uns. Il faut au contraire relocaliser les activités productives autant que possible, plus et pas moins d’intervention publique et de contrôle démocratique sur l’économie, plus et pas moins de services publics, plus de secteurs nationalisés.

Enfin, on ne peut se contenter de mesures partielles. Les sombres perspectives où nous entraîne la crise du capitalisme, l’urgence climatique et l’incapacité du capitalisme à y faire face, exigent un changement radical, un changement de société. Un « jour d’après », différent et meilleur du jour d’avant, auquel beaucoup de gens aspirent aujourd’hui, est possible et nécessaire, mais il n’adviendra pas de lui-même, seulement au travers d’une lutte menée jusqu’au bout.

Pour notre Parti, ce « jour d’après » est le socialisme, pour lequel nous nous sommes toujours battus, et dont toutes les contradictions insolubles de notre société réclament la réalisation. Certes, c’est une perspective qui apparaît difficile à atteindre, tant par l’état de nos forces, la situation internationale peu encourageante, et l’histoire mouvementée et complexe du XXème siècle. Mais c’est une perspective pour laquelle nous sommes déterminés à luttés, parce que nous sommes convaincus qu’elle est juste, que le maintien du capitalisme pour plusieurs décennies encore serait certainement fatal à l’humanité, et parce que, comme l’a dit Jean Jaurès :


« Il faut l’effort lent et continu pour triompher ! Cependant la victoire est certaine, parce qu’il serait monstrueux et inadmissible que l’humanité ait pu concevoir un idéal de justice et qu’elle soit incapable de le réaliser. Cette faillite humaine ne se réalisera pas ! »

Déconfinement : retour à la « normale » ?



Depuis, le début du mois de juin, la plupart des mesures de semi-confinement qui avaient été mises en place pour contrer la propagation de l’épidémie du COVID-19 ont été levées. Le 19 juin, le Conseil fédéral a mis fin à l’état de nécessité, et donc aux pouvoirs extraordinaires dont il avait disposé en ces circonstances. Retour à la normale ? A quelle normalité ?

Il faut commencer par insister sur ces faits incontestables : il est trop tôt pour parler d’un « après-corona », comme si on y était déjà. Non seulement l’épidémie est loin d’être terminée, mais, au niveau mondial, elle ne fait que prendre de l’ampleur, tournant à la véritable catastrophe sanitaire aux USA, au Brésil, en Inde (mis à part l’Etat du Kerala, dont le gouvernement communiste a su prendre des mesures efficaces)…L’Europe est le seul continent du monde où l’épidémie est en recul (et encore, pas dans toute l’Europe), grâce aux mesures de confinement prises et à l’existence d’un système de santé public que l’acharnement des néolibéraux n’a pas réussi à démanteler. Le virus est pourtant loin d’y être disparu, et certains pays ont été obligé de recourir à des reconfinements localisés, afin d’endiguer le début d’une deuxième vague. Personne ne sait quand il y aura un vaccin, et s’il y en aura un. Nous devrons vivre avec le COVID-19 pour un certain temps encore, à ce qu’il semble.

En Suisse, le conseiller fédéral Alain Berset dit que la situation serait « sous contrôle ». Pourtant on assiste à une recrudescence du nombre de cas depuis que la plupart des mesures de semi-confinement ont été levées, dynamique inquiétante, qui a poussé le Conseil fédéral a adopter de nouvelles mesures restrictives, dont le port obligatoire du masque dans les transports publics à partir du lundi 6 juillet. Pour préoccupante qu’elle soit, cette recrudescence ne signifie pas qu’il y ait une deuxième vague à proprement parler, et celle-ci peut encore être évitée. Il importe avant de rester conscient que le virus est toujours là, et de faire preuve de prudence.

Pourtant, en un sens, il est correct de parler du « jour d’après ». Même si le virus est toujours là, la mise partielle en mode veille de nos sociétés durant les mesures de semi-confinement est bel et bien terminée. La volonté du Conseil fédéral, des milieux patronaux pour lesquels il travaille, était visiblement de revenir à la « normale » aussi rapidement que possible, et, si l’on considère la remontée inquiétante de cas d’infection au coronavirus, pas aussi lentement qu’il n’aurait été nécessaire. La plupart des gouvernements bourgeois sur la planète ont agi de même.

On peut constater que toutes les belles paroles sur le « monde d’après » se sont envolées, et que ce « monde d’après » ressemble exactement à celui d’avant, en pire. Il aurait été du reste naïf d’espérer que, simplement parce que nos sociétés ont été partiellement mises à l’arrêt à cause d’un virus, un monde meilleur allait émerger. Car c’est la même classe qui reste au pouvoir, et l’exerce dans le sens de ses seuls intérêts. Même la gestion de l’épidémie avait une indéniable dimension de classe. Les autorités ont été beaucoup plus empressées d’aider les entreprises que la population. Les mesures d’aide aux entreprises ont donné lieu à de nombreux abus, qui n’ont pas donné lieu à une « chasse aux abus » comparable à celle visant les bénéficiaires des assurances sociales (pourtant, les montants en jeu sont autrement plus élevés). De fait, les inégalités salariales se sont encore accrues durant l’épidémie. Les milliardaires n’ont jamais été aussi riche sur notre planète. Même le port obligatoire du masque…c’est juste de l’imposer, mais le Conseil fédéral n’est pas allé jusqu’à rendre les masques gratuits. Pourtant, cela peut représenter une somme conséquente pour des gens qui peinent déjà à joindre les deux bouts…



Aujourd’hui, la bourgeoisie travaille à faire payer la crise – celle occasionnée par la pandémie, celle, économique et sociale, qui commence – au peuple. Le retour à la « normale », à sa « normale » signifierait plus d’exploitation, plus de précarité, pas de vraie solution face à l’urgence climatique…un horizon bien sinistre en somme. Pourtant, un monde nouveau et différent, un changement de société, est plus urgent et nécessaire que jamais. Simplement, il ne peut venir que de la lutte, d’une lutte de classe menée jusqu’au bout, pas d’illusions romantiques ou de belles paroles. La principale force des classes populaires pour imposer un tel changement est l’organisation, dont la forme supérieure est le parti politique de classe. Le Parti du Travail a été fondé dans ce but. Il est plus fidèle que jamais à sa mission historique.

De la pandémie à la crise économique

La pandémie du COVID-19 n’est pas encore finie – elle s’accélère même de par le monde – et pourtant, dans son ombre, se profile une crise économique et sociale majeure, plus longue, plus profonde et plus durable que les secousses occasionnées par le virus. Les faits, largement étayés dans la presse, sont parlants.

Dans une interview à NBC, Dave Calhoun, PDG de Boeing Corporation – l’une des plus grosses multinationales de l’aviation et de l’armement – a admis que sa société envisageait très probablement une contraction d’activité, suite à la baisse du trafic aérien, qui ne devrait pas revenir à son niveau d’avant-covid avant plusieurs années, et qu’une faillite n’est pas exclue. Boeing a d’ores et déjà procédé à 16'000 licenciements et réduit sa production.

Boeing Corporation n’est pas la seule entreprise confrontée à ce problème. Tout le secteur aérien est pratiquement à l’arrêt. Personne ne s’attend à un retour de la situation d’avant-covid avant plusieurs années. Malgré l’aide étatique, il semble évident que toutes les compagnies aériennes ne survivront pas. En Suisse, le secteur aérien représente 200'000 emplois directs.

Il ne serait pas correct de voire cette crise du secteur aérien comme un phénomène localisé, dû aux circonstances particulières de la pandémie. Car une entreprise qui fait faillite, c’est une entreprise qui arrête de payer ses salariés, ainsi que ses fournisseurs, qui sont à leur tour confrontés au problème d’honorer leurs propres paiements…la crise peut ainsi occasionner des faillites en chaîne, et contaminer l’économie entière.

En outre, le secteur aérien n’est pas seul à être touché. L’industrie suisse des machines s’attend à un recul notable, car, en prévision de la crise imminente, peu d’entreprises sont prêtes à des investissements productifs. L’industrie horlogère est également confrontée à une contraction de la demande. Et ces secteurs ne sont pas les seuls à être dans ce cas.

Le commissaire européen à l’économie, Paolo Gentiloni, a ouvertement envisagé « un choc économique sans précédent depuis la Grande Dépression ». On prévoit de fait 7,5% de récession dans l’UE, la faillite de 18% des entreprises de l’Union (et jusqu’à 22% en Espagne), et 9% de chômage. D’après les estimations du SECO, le PIB de la Suisse baissera de 6% à 12% cette année. Le taux de chômage devrait atteindre jusqu’à 30% aux USA. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Rien n’incite à penser qu’il ne s’agisse que de difficultés passagères. D’ailleurs, la levée des mesures de confinement n’a nullement mis un terme aux tendances déflationnistes. Nous sommes en réalité au commencement d’une crise économique majeure, sans équivalent depuis 1929.

Causes structurelles de la crise

La crise économique ne saurait s’expliquer seulement par le coronavirus. Des épidémies (certes généralement locales) des dernières décennies ont vu deux ou trois mois de récession, due aux mesures de confinement lorsque celles-ci ont été prises – suivie d’un regain d’activité et d’un retour à la normale. La mise en mode veille de la plupart des activités non-essentielles pendant quelques deux mois ne représenterait pas un problème majeur pour un mode de production moins irrationnel que le capitalisme. Même pour le capitalisme, il n’y aurait là rien d’insurmontable en temps normal.

Mais le fait est que la situation de l’économie mondiale avant l’épidémie n’avait rien de « normal ». Une nouvelle crise systémique était en gestation, son déclenchement n’étant retardé que par l’usage intensif de la planche à billet, des taux nuls, voire négatifs, par les banques centrales. L’épidémie n’a été que la secousse de trop, qui a plongé l’économie mondiale dans la crise qui était imminente. C’est tellement vrai que la Suède, qui n’a mis en place aucune stratégie de confinement – tablant sur une dangereuse et illusoire stratégie de l’ « immunité collective », au prix d’une surmortalité particulièrement élevée – n’en voit pas moins son économie plongée dans la récession.

Il s’agit en réalité d’une crise de suraccumulation du capital – atteignant aujourd’hui des proportions vertigineuses – avec pour conséquence une surproduction relative par rapport à la demande solvable, entraînant nécessairement la crise, selon une dynamique expliquée par Karl Marx dans Le Capital, Livre III, ch. 13 :

« Par rapport à la population, l’énorme force productive qui se développe dans le cadre du mode de production capitaliste, et l’accroissement des valeurs-capital qui augmentent bien plus vite que la population, entrent en contradiction avec la base au profit de laquelle s’exerce cette énorme force productive et qui, relativement à l’accroissement de richesse, s’amenuise de plus en plus, et avec les conditions de mise en valeur de ce capital qui enfle sans cesse. D’où les crises. »

Le déclenchement de la crise n’a été provisoirement retardé, comme nous l’avons dit, que par la planche à billets. Aujourd’hui, c’est en injectant massivement des liquidités dans l’économie par le même procédé que les Etats essayent de la juguler. Or, l’usage de la planche à billet ne saurait être une solution que temporaire, qui repousse un peu le déclenchement de la crise, mais en l’aggravant le moment venu. L’injection de liquidités signifie accroître encore la suraccumulation du capital…qui ne peut être valorisé, étant donnée la suraccumulation existante, impliquant la baisse tendancielle du taux de profit dans l’économie réelle, que dans la fuite en avant dans la spéculation financière, créant l’illusion d’un capital purement financier qui se valorise par lui-même, de l’argent qui engendre de l’argent. Mais cela ne peut durer longtemps. L’autonomie du capital financier n’est qu’apparente, et cette dissociation est fatalement brisée, ramenée à la réalité, ce qui constitue à proprement parler la crise financière (qui semble être une crise financière s’étendant à l’économie réelle, alors qu’il s’agit d’une crise de suraccumulation dont le déclenchement n’a été que retardé par le recours à la spéculation), selon un mécanisme décrit, une fois encore, par Karl Marx, dans Le Capital, Livre III :

« Bien qu’il soit rendu autonome, il n’est jamais autre chose que le mouvement du capital industriel dans la sphère de la circulation. Mais, grâce à son autonomie, ses mouvements sont, dans certaines limites, indépendants des barrières élevées par le processus de reproduction qu’il impulse lui-même au-delà de ses propres limites. La dépendance à l’intérieur et l’autonomie à l’extérieur finissent par conduire les choses jusqu’au point où la connexion interne doit être rétablie par la violence, c’est-à-dire par la crise ».

Nous sommes actuellement à l’aube d’un tel « rétablissement de la connexion interne par la violence ». L’économie réelle est en effet d’ores et déjà en récession, alors que les marchés financiers bénéficient d’une simili-reprise, due à l’injection massive de liquidités par les Etats.

Quelles solutions ?

Il n’est dès lors pas inutile de regarder comment la bourgeoisie a réussi à « résoudre » les précédentes crises structurelles de son système économique. Une reprise après la crise de 1929 ne fut possible qu’après la Deuxième Guerre mondiale, et les colossales destructions de capital – et de vies humaines – qu’elle apporta, ce qui rendit possible un redémarrage de l’accumulation capitaliste, pour une trentaine d’années. La crise du capitalisme monopoliste d’Etat dans les années 70 posait objectivement la question de la transition au socialisme. La bourgeoisie ne parvint à éviter cette issue que par la contre-révolution néolibérale dans les métropoles et un rétablissement aggravé de l’oppression néocoloniale, à coup de guerres et de plans d’ajustement structurels, dans le Tiers Monde. Une nouvelle crise ne fut néanmoins – provisoirement – évitée que par la contre-révolution dans la plupart des pays socialistes à la fin des années 80, qui ouvrit un nouveau champ d’expansion colossale au capitalisme. Le répit ne fut que de 20 ans. Pour « résoudre » la crise de 2008, après quelques propos hypocrites et vite oubliés sur la « moralisation du capitalisme », les décideurs bourgeois eurent recours à des politiques d’austérité d’une violence sans équivalent depuis longtemps. Outre leurs dégâts sociaux, ces mesures sont en réalité récessives – en diminuant brutalement la demande solvable – et de nature à aggraver les causes structurelles de la crise. Pour relancer l’accumulation du capital, la bourgeoisie eut recours, d’une part à l’aggravation de l’exploitation de la force de travail, par l’austérité, la baisse des salaires, l’ubérisation, l’intensification du travail, l’industrie 4.0, d’autre part à la fuite en avant dans la spéculation financière, facilitée par l’usage massif de la planche à billets, les taux nuls, voire négatifs, pratiqués par les banques centrales. De telles « solutions » ne pouvaient que précipiter le retour d’une crise aggravée. Nous y sommes.

Cette histoire nous apprend, d’une part, que la crise systémique du capitalisme s’aggrave – crises plus fréquentes et plus graves, phases de reprise plus courte et plus ambiguës – et, d’autre part, qu’elle ne peut être résolue dans le cadre du système, que ce soit par des mesures keynésiennes, la planche à billet, des solutions « techniques », et encore moins par un prétendu « capitalisme vert », qui n’est que du greenwashing. L’état même du développement des forces productives, le niveau atteint par la concentration du capital, exigent la transition au socialisme. Autrement, la bourgeoisie relancera le cycle d’accumulation du capital, au prix d’une nouvelle aggravation de l’exploitation, de mesures de plus en plus insoutenables pour les peuples comme pour l’environnement, et peut-être de la guerre…jusqu’à la prochaine crise. L’alternative est claire. Le choix est urgent. Beaucoup de gens commencent à le percevoir confusément. Le rôle historique d’un parti tel que le nôtre est crucial dans ces circonstances.

La bourgeoisie suisse, ses associations patronales et ses partis politiques, est d’ores et déjà à l’offensive pour faire payer la crise aux travailleurs, au peuple : pression à la baisse sur les salaires, attaques contre les droits des travailleurs, extension des heures de travail, démantèlement supplémentaire des assurances sociales…Cette offensive est doublée d’une campagne idéologique : nous sommes tous sur le même bateau, la pandémie a coûté cher, personne n’a été laissé au bord du chemin (ce qui n’est pas le cas en réalité), maintenant tout le monde doit faire des sacrifices…Il ne s’agit en réalité pourtant que d’accroître le taux d’exploitation pour le profit du capital, ce qui a peu à voir avec la pandémie. Le Parti du Travail mènera une lutte inlassable pour expliquer la vraie nature de la crise, pour refuser que ce soit le peuple qui la paye, pour un programme alternatif à celui de la bourgeoisie, fondé sur la justice sociale, la solidarité, et qui ouvre la voie vers le socialisme.