11 décembre 2011

Législatives russes : le début de la fin du régime de Poutine


Dimanche 4 décembre dernier, la Russie élisait la Douma d’Etat, la chambre basse de son parlement. Tous les médias l’ont souligné : ce scrutin constitue un revers pour le Parti au pouvoir Russie Unie, le Parti du Poutine, qui perd la majorité des deux tiers qu’il avait à la législature précédente, et chute à 49,35%. C’est un désaveu cinglant du régime par le peuple, même si grâce à un système proportionnel complexe de répartition des sièges Russie Unie gardera une très faible majorité absolue au parlement…désaveu d’autant plus cinglant que des fraudes massives en faveur du parti au pouvoir sont avérées, mais n’ont malgré tout pas suffit pour lui permettre d’atteindre la barrière symbolique de 50%, nécessaire pour donner un semblant de légitimité au pouvoir monocolore actuel. Ce que les médias bourgeois ont beaucoup moins dit, c’est que le Parti communiste de la fédération de Russie (KPRF), deuxième parti du pays et seule véritable force d’opposition, a gagné 19,2% des voix, doublant ainsi son score des dernières législatives de 2007, et ce malgré les falsifications à grande échelle en faveur de Russie Unie. Deux autres partis d’opposition de façade, objectivement satellites de Russie Unie, seront représentés au parlement. Russie Juste tout d’abord, avec 13,25% des voix, parti officiellement social-démocrate créé par les stratèges de Poutine en 2006 pour prendre des voix au KPRF, dont le nom fait miroir à celui de Russie Unie, et qui est présidé Par Serguei Mironov, ancien président de la chambre haute (même la présentatrice de la première chaîne de la télévision officielle n’a pu s’empêcher une pointe d’ironie dans la voix en annonçant que «Mironov se révèle en fait un opposant»). A la Douma, Russie Juste vote presque toujours avec Russie Unie, a soutenu Dmitri Medvedev aux présidentielles de 2008, et a annoncé son soutien au tandem Poutine-Medvedev en 2010. Le Parti libéral-démocrate de Russie (LDPR), ensuite, avec 11,68% des voix. Ce parti, fondé en 1989, le plus ancien de la Russie postsoviétique, est dirigé par Vladimir Jirinovski pratiquement depuis sa fondation. Démagogue d’extrême-droite ultranationaliste qui ferait passer Blocher pour la réincarnation de la rationalité et de la modération en comparaison, et bien que considéré généralement comme un clown, Jirinovski arrive à séduire les couches les plus dépolitisées de la population. Pour le reste, le LDPR est un parti fantoche du régime qui vote généralement avec Russie Unie. Les partis libéraux, si chouchoutés par la presse bourgeoise occidentale, n’ont aucun poids politique réel en Russie, et aucun n’a approché, ne serait-ce que de loin, le quorum de 7%.

Ces résultats marquent le début de la fin de la parenthèse tragique ouverte par la liquidation de l’URSS. Depuis le renversement du socialisme, la Russie a évolué vers un modèle capitaliste compradore et mafieux, fondé sur l’exportation des ressources naturelles et leur concentration des les mains de quelques oligarques, au prix d’un brutal déclin de la production industrielle et agricole et d’une misère généralisée : plus de la majorité des Russes vient aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Depuis les années 2000, ce capitalisme compradore est doublé d’un régime politique autoritaire créé par Vladimir Poutine. Pour permettre à leur régime de plus en plus impopulaire de survivre, les grands oligarques se sont rassemblés en une force politique unique, un parti contrôlant la majorité qualifiée des sièges au parlement : Russie Unie ; et autour d’un chef unique : Vladimir Poutine. Communément surnommée «parti des escrocs et des voleurs», Russie Unie se présente comme un parti de droite conservateur à l’idéologie incohérente et fourre-tout : nationalisme, libéralisme, conservatisme, centrisme...En réalité c’est un parti très proche par sa nature du RCD de Ben Ali ou du PND de Moubarak : un parti-Etat mafieux et corrompu, contrôlant l’Etat et assurant une façade démocratique grâce à quelques partis d’opposition fantoches. Pendant un certain temps, Poutine à pu se maintenir, lui et son parti, grâce à un discours démagogique à géométrie variable : réutilisation de symboles soviétiques, étatisme, patriotisme, anti-américanisme…Mais aujourd’hui, plus personne ne croit à ce discours et le régime s’effrite. Malgré une propagande permanente sur toutes les chaînes de télévision et des fraudes électorales massives et variées, Russie Unie n’arrive pas à atteindre la majorité absolue des voix, et son score réel est certainement bien inférieur encore. La contestation populaire croît et des milliers de gens ont manifesté au lendemain des élections pour dénoncer les fraudes et exiger le départ de Poutine.

La presse bourgeoise parle beaucoup des opposants libéraux. Mais en réalité, les libéraux en Russie sont pour la plupart des anciens notables de l’époque Eltsine qui n’ont pas su se maintenir au pouvoir, et ne sont dans l’opposition que par nécessité, non par convictions démocratiques. Ils n’ont aucun soutien populaire et sont détestés plus encore que Poutine pour leur rôle dans les privatisations des années nonante. Mais à la différence de la Tunisie et de l’Egypte, il y a en Russie une force politique organisée et influente, capable de proposer une alternative politique au régime des oligarques, et cette force est le Parti communiste. Le score du KPRF, déjà excellent d’après les chiffres officiels (en Europe, l’AKEL est le seul parti communiste qui obtient des résultats supérieurs), et encore fortement sous-évalué du fait des falsifications, est la preuve du discrédit total des tenants du capitalisme, qu’ils soient libéraux, conservateurs ou nationalistes, la prise de conscience des classes populaires que le capitalisme va à l’encontre de leurs intérêts et que le rétablissement d’une société socialiste est au contraire une nécessité absolue, mais aussi du résultat du propre travail politique du KPRF. Créé comme reconstruction du PCUS de la Fédération de Russie, interdit par Eltsine, le KPRF n’a pas su lutter efficacement contre la restauration intégrale du capitalisme et l’instauration du pouvoir oligarchique, et a dû passer par des hauts et des bas, par de multiples luttes internes, tergiversations idéologiques et scissions, accusations parfois justifiées d’opportunisme et de collaboration avec le pouvoir, pour se débarrasser des séquelles héritées du PCUS tardif et redevenir pleinement un parti communiste de masse et de lutte, organisé, combatif, prêt à lutter jusqu’au bout pour la réalisation d’un programme révolutionnaire cohérent. Grâce à une politique d’opposition sans concession au parlement et à l’organisation de manifestations dans la rue, une lutte idéologique contre la propagande anticommuniste du pouvoir oligarchique et pour la défense de l’héritage soviétique ; ainsi qu’un programme politique clair et cohérant, centré sur la nécessité de renationalisation des filières stratégiques de l’économie, la réindustrialisation du pays, la reconstruction des services publics, la hausse du niveau de vie et la défense de la souveraineté nationale, le KPRF a pu renforcer son ancrage populaire et renflouer ses rangs avec des nouveaux et jeunes militants. Dans une conférence de presse donnée le lendemain des élections, Guennadi Ziouganov, président du Comité central du KPRF, a déclaré celles-ci «totalement illégitime», mais aussi que «Russie Unie a non seulement subi une défaite, mais une défaite fracassante». Le KPRF a organisé des manifestations dans de nombreuses villes de Russie et a fait des recours en masse aux tribunaux pour contester les résultats et exiger le départ de Poutine. Ziouganov a aussi souligné que le doublement de son groupe parlementaire à la Douma offre au KPRF de nouvelles possibilités, comme «des saisies extraordinaires du Tribunal constitutionnel, de la Cour des comptes, jusqu’au lancement d’une motion de censure contre le gouvernement» et que dans tous les cas ce n’est que le début de la lutte pour le renversement du pouvoir de Russie Unie et le rétablissement du socialisme.