15 mars 2023

Sens des réalités ?




Le PLR fera campagne pour les élections cantonales du 2 avril 2023 au nom du « sens des réalités ». Admettons. Mais de quelles « réalités » parle le PLR. Il s’agit d’une réalité plus que partielle, abordée au travers d’un prisme déformant.

 

Le PLR dit ainsi que sa priorité est de défendre les « classes moyennes ». C’est un grand classique, un peu éculé tout de même. Tous les partis bourgeois prétendent défendre les classes moyennes lors des élections, parce que la bourgeoisie représente trop peu d’électeurs, et parce qu’ils ne peuvent décemment prétendre être du côté de la classe ouvrière. Prétendre se préoccuper des PME alors qu’on veut éviter aux seules multinationales de voir leurs privilèges un tout petit peu réduits, c’est classique aussi. Les propositions du PLR pour les classes moyennes : des baisses d’impôts, et plus de PPE pour moins de logements sociaux, afin de favoriser l’accès à la propriété. Ce même sens des réalités amène le PLR à défendre avec véhémence la place de la voiture en ville, et de s’opposer à toute mesure qui gênerait un tant soit peu les entreprises ou perturberait l’économie capitaliste. Un sens des réalités profondément conservateur, dont le seul réalisme est de toucher le moins possible à l’ordre établi.

 

Ce prétendu « sens des réalités » est en revanche totalement aveugle, volontairement aveugle aux conséquences du réalisme préconisé sur les classes populaires, et même les classes moyennes qu’on prétend défendre lors des campagnes électorales. Car ce prétendu réalisme est réaliste pour les seuls qui sont réellement censés en profiter : la bourgeoisie ; c’est à cette classe que bénéficieront les baisses d’impôts et un plus grand pourcentage de PPE. A la limite, ce serait faire un mauvais procès au PLR que de le lui reprocher. En menant une lutte de classe du côté de la bourgeoisie, il est dans son rôle. Celui de la gauche devrait être de mener une lutte de classe avec la même fermeté contre lui, du côté de la classe ouvrière, plutôt que de chercher le « compromis ». 

 

Le problème c’est qu’il serait plus exact de qualifier de sens du déni ce prétendu réalisme. Un déni aux conséquences désastreuses si on n’y met pas fin. Car, la défense des seuls intérêts de la bourgeoisie conduit à rendre la planète inhabitable dans un avenir proche. Le business as usual est pur aveuglement, une forme de climatoscepticisme plus dangereux car plus pernicieux que la négation ouverte des acquis scientifiques. Seul un changement radical de cette société est aujourd’hui réalisme. 

 

Le Parti du Travail est également mu par un sens des réalités, mais fondamentalement différent de celui du PLR. Nous partons de la réalité matérielle, de celle que vivent les travailleuses et travailleurs, les classes populaires, une réalité dont les partis de la bourgeoisie n’en savent rien ni n’en veulent rien savoir. La raison d’être de notre Parti est de mener une lutte de classe sans concessions, du côté de la classe ouvrière et contre la bourgeoisie, pour changer cette société, pour remplacer le capitalisme par une nouvelle société socialiste, qui assurera la justice sociale et environnementale. L’urgence climatique ne rend que plus indispensable ce changement de société pour lequel nous luttons.

 

C’est au nom de ce sens des réalités que nous nous présentons pour les élections cantonales, sur une liste commune Ensemble à Gauche, avec nos partenaires de solidaritéS et le DAL. Notre alliance n'est pas purement de circonstance, mais se base sur une réelle convergence politique et sur des bases saines. Nos trois organisations proviennent du reste des diverses recompositions du mouvement ouvrier à partir de la Ière Internationale, elles appartiennent à des traditions politiques apparentées. Notre alliance comprend toutes les organisations significatives de la gauche radicale genevoise. Que quelques individus aux méthodes néfastes, et qui ne représentent qu’eux-mêmes, n’y soient pas, n’est pas une rupture de l’unité, bien au contraire.

 

Notre slogan de campagne – « On n’a plus le temps, créons le changement ! » – reflète le véritable réalisme qui porte notre lutte. Si nous voulons avoir des élus au parlement, et éventuellement au Conseil d’État, ce n’est pas pour gérer cette société dans le compromis sans en toucher les bases, mais pour utiliser la marge de manœuvre que ces institutions permettent pour la transformer radicalement. Cet objectif mérite qu’on se batte pour lui.

La neutralité carbone en 2050 ? Impasse du capitalisme vert et du réformisme écologiste




On aurait envie de dire : ils ont enfin compris. En effet, tous les partis, hormis l’UDC, semblent, si on écoute leur discours public, avoir enfin pris la mesure de l’urgence climatique et s’engager à y apporter des solutions fortes qui s’imposent. On pourrait même avoir l’impression que leur engagement ne se limite pas aux paroles, mais que les actes suivent, tant au niveau fédéral, que cantonal et communal. 

 

Tant la Confédération que le canton de Genève, parmi d’autres collectivités publiques, semblent enfin avoir pris la mesure de l’urgence de la situation et adopter des mesures fortes : la loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat et le plan climat cantonal. Les autorités n’hésitent plus à parler de changements structurels, et disent se donner les moyens pour atteindre la neutralité carbone, soit une situation où l’on n’émet pas plus de gaz à effet de serre en une année que la biosphère n’est pas capable d’en résorber. 

 

Malheureusement, il ne faut pas se réjouir trop vite. Les partis au pouvoir sont loin d’avoir pris la mesure de la situation, car les biais de classe qui limitent leur action politique les en empêchent. Contrairement aux apparences, ils sont loin de traiter la crise en cours comme une crise, et veulent surtout tout changer pour que rien ne change. Quant à l’objectif de neutralité carbone, il est invariablement fixé à…2050. Les partis gouvernementaux prétendent qu’il s’agit déjà d’un objectif très radical. Ce n’est hélas pas le cas. Un tel délai, avec tout ce qu’il implique, aurait même des conséquences irréparables. Seuls certains biais cognitifs de nature politique amènent à se fixer des limites de ce qui est politiquement « réaliste » (du point de vue de la bourgeoisie), quitte à sombrer dans le négationnisme scientifique le plus complet, et à ce que la grande majorité de la population le paye très cher dans un avenir aussi proche que les toutes prochaines décennies.

 

Rappel de la réalité scientifique

 

Il faut commencer par rappeler quelque chose qui devrait aller de soi, mais que le système politique actuel et ses partis gouvernementaux peinent à intégrer : la réalité scientifique prévaut nécessairement sur le « réalisme » politique ; avec les lois de la nature, on ne peut pas faire de compromis.

 

Or, que dit le consensus scientifique à ce sujet ? Par « consensus » scientifique, nous voulons parler du GIEC, dont la représentativité et la rigueur scientifique sont incontestables. Non seulement toutes les projections du GIEC ont été amplement confirmées par les faits, mais, loin d’être alarmistes, elles sont en général très prudentes, trop même, et ont dû régulièrement être revues à la hausse.

 

Ce consensus scientifique dit clairement que, si on veut encore avoir une chance de stabiliser le réchauffement climatique à 1,5°C, il faut atteindre la neutralité carbone en 2030 déjà. Ce qui implique de renoncer très rapidement aux énergies fossiles. L’objectif est certes très radical. Mais il faut être conscient du fait que le taux de COdans l’atmosphère est déjà trop élevé, plus qu’il ne l’a été depuis des millions d’années, que cette concentration va rester pour des siècles encore, et que cette crise est cumulative : continuer à rajouter des émissions de gaz à effet de serre, fût-ce plus lentement, revient à aggraver le problème, pas à le résoudre. Et chaque année de perdue aura des conséquences tangibles désormais. Certaines conséquences sont d’ores et déjà irréversibles, et des boucles de rétroaction positive sont enclenchées qui ne peuvent plus être arrêtées.

 

Il est peut-être « économiquement insoutenable », dans un cadre capitaliste, de mettre en œuvre de tels changements structurels aussi vite. Au point extrêmement avancé des dégâts infligés à l’environnement, l’exercice serait particulièrement difficile même sous le socialisme. Mais l’économie actuelle est « soutenable » pour peut-être dix ans encore. Mais dans un monde réchauffé à deux degrés ou plus, où le climat sera encore plus dégradé, quelle économie aurons-nous, et de quelle « soutenabilité » pourrons-nous encore parler ?

 

Actuellement, le réchauffement climatique atteint d’ores et déjà 1,2°C. Et les conséquences en sont dramatiques, même en Suisse. Et elles sont meurtrières ailleurs : ouragans de plus en plus dévastateurs, inondations catastrophiques, montée du niveau de la mer qui stérilise les cotes dont les nappes phréatiques sont envahies par l’eau de mer, sécheresses qui causent des famines…1,5°C est en réalité un scénario catastrophe, mais c’est encore l’objectif le moins pire qu’on puisse encore espérer atteindre. Et, au rythme actuel, on se dirige vers un réchauffement à 3°C d’ici la fin du siècle. Mais tout le monde ne sait pas à quel point la situation deviendra pire, pas dans des décennies, mais d’ici dix ans. Un exemple, si on ne change rien, ou peu, d’ici 15 ans, le niveau de la Méditerranée aura monté de 20 cm. Ce qui est énorme. Cela implique que le delta du Nil sera envahi par l’eau salé et deviendra stérile. Où iront vivre les dizaines de millions de personnes qui y habitent ?


Un plan climat cantonal notoirement insuffisant

 

Le Conseil d’État de la République et canton de Genève, à majorité PS-Verts, est très fier de son Plan climat cantonal, et de quatre autres projets de loi liés, soumis au Grand Conseil.

 

Ce plan climat se veut une réponse à l’urgence climatique ambitieuse et impliquant des transformations structurelles. Il contient des mesures utiles, comme l’accélération de la rénovation des bâtiments, la réduction du trafic motorisé, etc. C’est mieux que rien. Mais il est hélas bien moins radical que le Conseil d’État ne le dit, et loin d’être à la hauteur des enjeux. Il prévoit une réduction de 60% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, et la neutralité carbone pour 2050. Non seulement c’est trop tard, mais d’autres gouvernements cantonaux ont été plus ambitieux : Neuchâtel vise 2040, et Bâle-Ville 2037. Mais même cet objectif excessivement insuffisant de la neutralité carbone en 2050, ce plan climat ne permettrait pas en fait de l’atteindre.

 

Car ce plan climat reste entièrement dans le cadre du capitalisme vert. La plupart des mesures sont purement incitatives. La principale en est le subventionnement, à hauteur de 300 millions de francs, des entreprises et des propriétaires immobiliers pour la transition. Sans aucune considération de justice sociale et climatique : alors que les émissions de gaz à effet de serre sont très majoritairement le fait des plus riches (l’empreinte carbone d’un millionnaire est en moyenne de 66 fois plus que celle d’une personne appartenant aux 10% les plus modestes de la population suisse) et des grandes entreprises, non seulement on ne leur interdit rien, on ne les fait pas payer (alors que les sociétés de trading font des profits record sur le pétrole et le charbon !), mais on veut encore les subventionner, avec nos impôts. En revanche, aucune mesure sociale en faveur des classes populaires, aucune mesure de protection de la santé au travail (alors que les vagues de chaleur font de plus en plus de dégâts).

 

Le Conseil d’État est fier de comptabiliser aussi les émissions de gaz à effet de serre indirectes, par les importations et par l’aviation…mais il veut y faire face grâce à des mesures de compensation dans d’autres pays. Or, non seulement celles-ci sont souvent colonialistes et au détriment des populations locales, mais aussi totalement inefficaces, et se limitent à l’achat d’indulgences pour pouvoir continuer le business as usual. Or, faire semblant de faire quelque chose en se donnant bonne conscience est pire que de ne rien faire, car on croit en avoir fait assez. En revanche, les émissions indirectes des entreprises ne sont pas même prises en compte ; et une mesure phare est la promotion de la « finance durable », alors qu’il est bien connu que c’est du greenwashing. Des solutions techno-optimistes aussi – promotion des voitures électriques, plutôt qu’une diminution drastique de la voiture individuelle, « smart agriculture » plutôt qu’agroécologie – sans aucun souci de la demande en métaux rares et d’énergie que cela implique ; sans même envisager une indispensable sobriété. Certes, le droit supérieur limite la marge de manœuvre au niveau cantonal. Mais de la part d’un Conseil d’État à majorité « de gauche » on aurait pu attendre un peu plus de courage politique.

 

Une loi fédérale tout aussi insuffisante

 

Le 18 juin le peuple devra voter sur la Loi fédérale sur les objectifs en matière de protection du climat, sur l’innovation et sur le renforcement de la sécurité énergétique, contreprojet à l’Initiative sur les glaciers, qui demandait notamment l'interdiction des énergies fossiles d’ici 2050. Les initiants ont retiré leur texte car ils ont estimé que le contreprojet est satisfaisant.

Or, il ne l’est pas et cumule les mêmes défauts que le plan climat genevois. Il ne prévoit pas même l’interdiction des énergies fossiles en 2050, mais vise la neutralité carbone à cette date, et des objectifs de réduction des émissions progressives, en commençant en 2030, pour y parvenir. Sinon, aussi des mesures utiles (rénovation des bâtiments), mais pour le reste incitatives, et qui se doivent d’être « économiquement supportables ». Pour atteindre nonobstant ces objectifs de neutralité carbone, la loi mise sur les « technologies d’émissions négatives », dont on sait fort bien qu’il ne s’agit que d’une goutte d’eau dans la mer, d’une pure campagne de relations publiques pour continuer à polluer en se donnant bonne conscience. Il faudra voter pour bien sûr, parce que c’est mieux que rien, et parce que c’est l’UDC qui a lancé le référendum avec des arguments démagogiques et des délires climatosceptiques. Mais en étant conscient que cette loi sera loin d’être à la hauteur des enjeux.

Bref, toutes ces mesures sont ridiculement insuffisantes. Elles impliquent de faire aujourd’hui ce qui aurait dû être fait dans les années 90, où une transition en douceur était encore possible, mais qui précisément n’a pas été fait, parce que les décideurs bourgeois avaient alors décidé…de ne pratiquement rien faire du tout. Aujourd’hui, il est trop tard pour ça. On ne peut pas rattraper le temps perdu. 

 

Toutefois, le fait d’accepter le mode de production actuel, le capitalisme, comme cadre intangible (ce que même la gauche modérée fait) implique de s’imposer des contraintes qui ne rendent « soutenables » que des bricolages réformistes, qui permettront tout juste de faire semblant que nous faisons quelque chose…jusqu’à ce que le réchauffement climatique nous rattrape.  Il est urgent de changer de système pour briser ces contraintes. Le GIEC parle du reste de la nécessité de changements systémiques. Mais de tels changements systémiques constituent précisément une révolution. Mais une révolution nécessite une théorie révolutionnaire. Or une théorie révolutionnaire, et une seule, a été validée par l’histoire. C’est le marxisme-léninisme.


Le marxisme-léninisme et l’écologie

 

Contrairement à une idée reçue, mais fausse, le marxisme-léninisme n’est pas un productivisme, antinomique de l'écologie. Une conscience écologique est non seulement présente, mais constitutive de la pensée des fondateurs. Citons à ce propos cet extrait célèbre du livre I du Capital de Marx :

 

« Tout progrès dans l’agriculture capitaliste est non seulement un progrès dans l’art de piller les travailleurs, mais aussi dans l’art de piller le sol ; tout progrès dans l’accroissement de sa fertilité pour un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité. Plus un pays, comme par exemple les Etats-Unis d’Amérique part de la grande industrie comme arrière-plan de son développement, et plus ce processus de destruction est rapide. Si bien que la production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en ruinant dans le même temps les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur. »

 

Ou cet autre passage de Friedrich Engels, dans Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme :

 

« Là où des capitalistes individuels produisent et échangent pour le profit immédiat, on ne peut prendre en considération en premier que les résultats les plus proches, les plus immédiats. Pourvu qu’individuellement le fabricant ou le négociant vende la marchandise produite ou achetée avec le petit profit d’usage, il est satisfait et ne se préoccupe pas de ce qu’il advient ensuite de la marchandise et de son acheteur. Il en va de même des effets naturels de ces actions. Les planteurs espagnols à Cuba qui incendièrent les forêts sur les pentes trouvèrent dans la cendre assez d’engrais pour une génération d’arbres à café extrêmement rentables. Que leur importait que, par la suite, les averses tropicales emportent la couche de terre superficielle désormais sans protection, ne laissant derrière elle que les rochers nus ? Vis-à-vis de la nature comme de la société, on ne considère principalement, dans le mode de production actuel, que le résultat le plus proche, le plus tangible ; et ensuite on s’étonne encore que les conséquences lointaines des actions visant à ce résultat immédiat soient tout autres, le plus souvent tout à fait opposées ».

 

Les préoccupations écologiques ne furent pas non plus absentes de la mise en pratique du marxisme-léninisme, le socialisme réel. La réalité du réchauffement climatique fut prise au sérieux en URSS, comme en témoigne le rapport présenté par V. Kirilline, vice-président du Conseil des ministres, au Soviet suprême, en 1972 déjà :

 

« L’atmosphère de notre planète est immense. Le poids de l’air atmosphérique est d’environ 5'000 billions de tonnes. On pourrait penser que les centaines de millions de tonnes de pollutions qui se sont répandues chaque année dans l’atmosphère et représentent moins de 0,0001% du poids de l’air atmosphérique, sont comme une goutte d’eau dans la mer. Or, c’est loin d’être le cas. Premièrement, avec le temps la quantité de substances polluant l’atmosphère s’accumule, deuxièmement les substances polluantes sont inégalement réparties et, en certains endroits, leur concentration dépasse, dès maintenant, la limite admissible, et, troisièmement, des concentrations même faibles de certaines substances sont dangereuses. Les observations montrent que la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère ne cesse de croître. De l’avis de certains savants, cela peut aboutir, par suite de ce que l’on appelle « l’effet de serre », à une élévation de la température de notre planète qui entraînerait la fonte des glaciers et d’autres conséquences indésirables ».

 

Cette prise de conscience s’accompagnait également en tout cas de la volonté d’en tirer les conséquences pratiques, ainsi qu’on peut en juger d’après l’extrait suivant du rapport présenté par Léonide Brejnev au XIVème Congrès du PCUS, en 1977 :

 

  « En prenant les mesures qui vont permettre d’accélérer le progrès scientifique et technique, nous devons tout faire pour qu’il s’accompagne d’une épargne des ressources naturelles, qu’il ne donne pas lieu à une pollution dangereuse de l’atmosphère et des eaux, qu’il n’ait pas pour effet d’épuiser le sol. Le Parti augmente ses exigences vis-à-vis des organismes de la planification et de la gestion, vis-à-vis des commissions d’étude de projets, vis-à-vis de tous les cadres, en ce qui concerne l’étude et la construction d’entreprises nouvelles, l’amélioration du fonctionnement des entreprises existantes sous l’angle de la sauvegarde de l’environnement. Nous devons, et les générations futures doivent avoir la possibilité de jouir pleinement de tout ce que nous offre la généreuse nature de notre pays. Nous sommes prêts à participer également aux mesures collectives internationales ayant trait à la protection de la nature et à l’utilisation rationnelle de ses ressources. »

 

Il ne faut bien entendu pas idéaliser le tableau non plus. Même dans la théorie, la conscience écologique n’a pas toujours été centrale, et une tendance majeure a été de voir comme tâche centrale de la construction du socialisme, puis du communisme, l’accroissement de la production matérielle. Il faut dire néanmoins que ce développement de la production n’a jamais été une fin en soi – contrairement à la croissance infinie sans laquelle le capitalisme ne peut se concevoir – mais un moyen pour répondre à des besoins criants et insatisfaits dans des pays qui partaient d’un niveau de développement extrêmement bas et dont la population avait un niveau de vie très insuffisant. Mais les limites planétaires n’ont pas toujours été prises en compte.

 

La pratique fut encore en-deçà de la théorie, et l’URSS et les pays  socialistes d’Europe de l’Est et d’Asie ne furent pas toujours des modèles en matière d’écologie. L’efficacité énergétique était souvent basse, la consommation d’énergies fossiles guère remise en cause, le gaspillage de ressources parfois important, et les problèmes de pollution et les dégâts à l’environnement réels. Le bilan du socialisme réel en matière d’écologie n’était toutefois pas globalement négatif, et meilleur que celui du capitalisme. Des efforts pour la préservation de l’environnement furent constants et réels, l’obsolescence programmée y était impensable et les produits industriels conçus pour être durables et réparables, des objectifs d'économie de ressources et de recyclages conséquents. Il n’est certes plus possible aujourd’hui de concevoir le socialisme, et la transition du socialisme au communisme, exactement de la même façon qu’on le faisait au XXème siècle. Mais il n’est pas nécessaire de sortir du cadre conceptuel du marxisme-léninisme pour intégrer les enjeux écologiques d’aujourd’hui, et y apporter les réponses radicales qu’ils exigent. La République de Cuba, un pays socialiste, se montre exemplaire en matière d’écologie, et arrive même à être le seul pays qui atteint les objectifs onusiens de développement durable, malgré le blocus ruineux et assassin imposé par les USA.

 

Le Parti du Travail et l’écologie




 

Tout le monde ne le sait pas nécessairement, mais le Parti du Travail a toujours accordé de l’importance à la protection de l’environnement. La question écologique n’était certes pas directement thématisée dans les premiers programmes ; on était, dans les années 40 à 70 au début de la grande accélération de l’économie capitaliste, et que les ravages à l’environnement constatables en Suisse et dans le monde étaient encore moindres. Ces questions n’étaient en revanche pas ignorées dans la pratique du Parti. Et l’écologie entre dans les documents officiels du Parti dès les années 70, pour y prendre une importance croissante. Citons par exemple, le programme d’action du PST-POP, Vivre mieux et autrement, de 1979 :

 

« Le développement anarchique de la société capitaliste porte à l’environnement des atteintes souvent graves. Une solution complète des problèmes écologiques exige donc une modification du caractère de la société. Mais il est indispensable d’utiliser immédiatement tous les moyens efficaces pour sauvegarder et rétablir un environnement naturel sain ».

 

Ou encore la brochure pour les élections municipales genevoises de 1983, Avec vous… : 

 

« Le Parti du Travail est-il un parti écologiste? Non et oui! Non, si l’on considère comme « écologiste » une organisation, un parti dont la protection de l’environnement est le premier, l’unique champ d’intervention; oui, si l’écologie est une préoccupation constante, prioritaire à côté d’autres telles que la recherche de la paix, la défense des intérêts des plus défavorisés, la lutte contre la crise, pour des logements décents, etc.; oui, si le maintien et la protection de l’environnement visent à l’amélioration globale de la qualité de la vie pour tous. Dans ce sens protéger le travailleur, l’habitant, des nuisances auxquelles ils sont exposés par le développement anarchique de notre société visant uniquement à la recherche du profit maximum, a toujours été une de nos préoccupations majeures ».

 

Les préoccupations écologiques du Parti concernaient alors peu le climat (question qui était encore peu connue du grand public). Il était principalement question des problèmes dus à la pollution, la dégradation des milieux naturels, la finitude des ressources naturelles. Mais les solutions proposées par le Parti étaient assez radicales : limitation du trafic automobile en ville et développement des transports publics, opposition à de nouvelles infrastructures routières. Dans le programme politique de 1991 du PST-POP la question du réchauffement climatique fait son apparition, et il y est écrit que la voiture individuelle devra devenir l’exception plutôt que la norme à l’avenir.

 

Aujourd’hui, le Parti du Travail prend la réalité de l’urgence climatique au sérieux, et lutte pour des changements structurels radicaux et rapides nécessaires pour sortir dans de courts délais des énergies fossiles et bâtir une économie durable et économe en ressources, compatible tant avec la justice sociale qu’avec les limites planétaires. Nous pouvons conseiller la lecture de la résolution « Pour une planification énergétique » adoptée par le Comité central du PST-POP du 17 septembre 2022. De tels changements structurels nécessitent une rupture avec le capitalisme dans un avenir proche. Autrement c’est le capitalisme qui rendra bientôt la planète inhabitable.



Quand Alain Berset s’oppose au parti de la guerre




C’est peut-être surprenant, mais il arrive à Alain Berset, conseiller fédéral socialiste (même si ce n’est pas flagrant) et actuel président de la Confédération, de tenir des propos intelligents, à contre-courant et même courageux (quand il ne parle ni des retraites, ni des assurances maladie évidemment).

 

Alain Berset donnait en effet une interview au journal Le Temps, parue dans le numéro du 4 mars 2023. Il était interrogé sur la politique étrangère de la Confédération, principalement en lien avec la guerre en Ukraine. Il a défendu à cette occasion la politique menée par le Conseil fédéral, avec une posture globalement conservatrice – il ne faut pas changer les règles en temps de crise, ne pas toucher aux fondamentaux – et en insistant sur le rôle particulier de la Suisse. Mais il a fondé cette posture sur une analyse plutôt lucide et à contre-courant de la propagande de guerre atlantiste, avec des propos comme ceux qui suivent :

 

« Je suis très préoccupé par le climat guerrier qui règne actuellement un peu partout dans le monde, y compris en Suisse. On a l’impression que certains acteurs, même d’anciens pacifistes, sont comme emportés par l’ivresse de la guerre. Pourtant, l’histoire du continent et du XXe siècle nous a appris à rester très prudents face à une situation qui pourrait devenir extrêmement dangereuse pour l’Europe, pour la Suisse, pour le respect du droit international. Je le dis en rappelant bien sûr que cette guerre est une véritable tragédie pour l’Ukraine et pour le continent. En même temps, nous ne sommes pas naïfs. Ce conflit dure au moins depuis 2014. Nous devons prendre la mesure de la brutalité de l’invasion russe de février 2022, mais on ne peut pas faire comme si l’annexion de la Crimée en 2014 n’avait pas existé ».

 

L’analyse des événements survenus en 2014 devrait naturellement être plus complexe. La question de la Crimée n’est pas non plus si simple. Mais c’est en soi un signe de lucidité à saluer que de ne pas s’aligner sur le récit de l’invasion russe comme une sorte d’éclair dans un ciel serein, et de dire que le conflit date en tout cas de 2014. Mais pour le reste, ce n’est pas rien d’entendre le président de la Confédération dénoncer, fût-ce en des mots choisis, la propagande de guerre et ses dangers. Quel contraste avec des décideurs de l’UE et de l’OTAN qui affirment que la guerre ne doit se conclure que par la victoire de l’Ukraine, sans préciser jusqu’où devrait aller cette victoire, ni ne se soucier des conséquences de cette posture belliciste, des désastres sans nombre d’une guerre à outrance ! Dénoncer la dérive de certains pacifistes qui cèdent à la propagande de guerre et deviennent des atlantistes enflammés est un acte courageux et important. Certains devraient écouter ces propos d’Alain Berset.

 

Alain Berset a également le mérite de s’opposer fermement à tout affaiblissement des clauses de non-réexportation de matériel de guerre vers des pays belligérants, contre les pressions de l’OTAN et les velléités de certains partis au parlement, dont malheureusement aussi le PSS : 

 

« Nous devons être prudents et ne pas changer les règles de droit en pleine crise. La nécessité, pour les pays qui achètent des armes à la Suisse, d’obtenir une autorisation de réexportation ne vient pas de nulle part. Nous avons eu des cas par le passé où des armes de facture suisse ont été utilisées dans des zones de conflit. Aussi, quelle que soit notre appréciation de cette loi, nous sommes tenus de l’appliquer ».

 

Naturellement, tout cela ne change rien au fait qu’Alain Berset reste un homme d’État au service de la bourgeoisie, et que sa carte de membre du Parti socialiste n’a pour ainsi dire aucune influence sur la politique qu’il mène. En politique étrangère également, il ne déroge par réellement à cette position de classe. Qu’il ait osé tenir des propos à contre-courant de la pesante ambiance d’union sacrée et de propagande de guerre mérite néanmoins d’être salué. Il a reçu du reste pour cela des critiques de la part du PSS (qui ne le critique pas tant pour ses réformes antisociales), d’inspiration atlantiste. Et que le président de la Confédération ait ouvertement donné raison, en partie du moins, à la position soutenue par le Parti du Travail depuis le début de la guerre en Ukraine mérite d’être remarqué. Alors que la guerre en Ukraine a ouvert la boîte de Pandore, favorisé un retour en force du militarisme un peu partout, permis la renaissance sans restriction du militarisme allemand et du militarisme japonais, conduit à une hausse spectaculaire des dépenses d’armement et de la production d’armes, accru les tensions avec un danger en hausse dramatique d’une conflagration mondiale, aucun allié pour une politique de paix n’est de trop.

 

De quoi l’affaire Simon Brandt est-elle le nom ?



Le PLR et le procureur général de la République et canton de Genève, Olivier Jornot, membre de ce parti, auraient sans doute préféré oublier cette affaire. Et pourtant, l’affaire resurgit, avec des révélations embarrassantes pour le ministère public. L’affaire dont il est question est celle de l’arrestation et de l’interrogatoire de Simon Brandt, ancien candidat au Conseil administratif de la Ville de Genève pour le PLR, et qui fut proche de Pierre Maudet. Cet interrogatoire fut ordonné par le procureur général dans le cadre d’un soupçon de violation du secret de fonction et d’une consultation à des fins non autorisées d’un fichier de la police où Simon Brandt travaillait alors comme assistant administratif. Dans le mandat d’amener, signé de la main d’Olivier Jornot, il est écrit que la police « est expressément habilitée à user de la force (...) ». Il y est notamment donné l’ordre de « procéder à sa fouille (...) de la surface du corps ainsi que des orifices et cavités qu’il est possible d’examiner sans l’aide d’un instrument ». Il y est précisé que l’interrogatoire doit se faire sans la présence d’un avocat. L’affaire initiale pour laquelle Simon Brandt avait été arrêté se serait déjà dégonflée au moment de l’interrogatoire, mais semble-t-il que le but était de l’intimider, et de l’interroger sur…Pierre Maudet. Tout le processus aurait été scandaleusement entaché d’irrégularités. Une enquête parlementaire est ouverte. La Commission de gestion du Grand Conseil a rendu un rapport accablant pour le parquet.

Et pourtant, Simon Brandt est membre du PLR. Il n’en a pas moins subi un traitement scandaleux, que personne ne devrait subir dans un État de droit, dans le cadre d’une affaire qui semble bien être politique. Il en a gardé des séquelles. Mais ce qu’il a vécu reste « léger » comparé à la répression systématique envers celles et ceux qui ont le « tort », plutôt que d’être membres du parti de la bourgeoisie, de contester le système en place. Acharnement judiciaire pour des faits mineurs, lourdeur des peines requises, fouilles à nu et humiliations, pratiques parfois franchement illégales de la part de la police…sont la norme. Une joyeuseté du système : les ordonnances pénales, des peines, parfois lourdes, ordonnées par un procureur, sans passer par un tribunal. Il est possible de faire recours, bien sûr, mais les frais de justice peuvent être ruineux…La répression brutale de l’occupation d’un immeuble laissé vide à la Rue Royaume n’est que le dernier exemple en date d’une trop longue série. Cette célérité dans la répression est à comparer avec la mansuétude de l'État envers un propriétaire apparemment véreux et dans l’illégalité. Une seule expression vient en tête : « justice de classe ».

On croit parfois vivre dans la démocratie la plus parfaite du monde et un État de droit quasiment irréprochable en Suisse. Or, ce n’est pas exact. Certes, cette démocratie est une réalité, les droits démocratiques étant une conquête précieuse du mouvement ouvrier qu’il faut absolument défendre. L’État de droit correspond aussi à une certaine réalité. Mais ce n’est qu’une partie de la réalité. Même en temps normal, l’État suisse possède nombre de caractéristiques très peu démocratiques, l’État de droit présente des lacunes et des zones grises, parfois terrifiantes. Et l’histoire a trop souvent montré qu’à la moindre crise la Suisse peut très vite tourner à la dictature pratiquement sans fards. Derrière les contrepouvoirs réels et précieux que la démocratie offre au peuple, l’État suisse est en dernière analyse, comme tout État capitaliste, une dictature de la bourgeoisie. Ses institutions policière et judiciaire n’ont pas pour principale fonction d’appliquer le droit, mais d’assurer le maintien de l’ordre établi, au besoin par une répression arbitraire et pas toujours dans les strictes limites de la légalité. Elles forment une véritable police politique au service de la classe dirigeant. La porosité entre la police et les milieux d’extrême-droite est du reste un fait bien connu.

Le ministère public a certainement fait l’erreur de traiter l’un des siens, dans le cadre de ce qui semble bien être un règlement de comptes interne au PLR, comme il le fait avec les opposants au système. Il s’agit d’un abus sur lequel il est plus difficile pour la bonne société de fermer les yeux. Espérons que cette triste affaire ait au moins le mérite de mettre en lumière les véritables pratiques de l’appareil de répression bourgeois, voire, qui sait, permettre des réformes pour en réduire le pouvoir arbitraire.