18 décembre 2019

L’Etat plurinational de Bolivie, entre coup d’Etat fasciste et résistance populaire



Le 10 novembre 2019, le président légitime de l’Etat plurinational de Bolivie, Evo Morales, pourtant réélu dès le premier tour à un scrutin présidentiel dont personne n’a réussi à apporter le moindre semblant de preuve comme quoi il aurait été irrégulier, se voyait obligé de démissionner, de même que son vice-président, Alvaro Garcia Linera, avant de devoir rapidement quitter le pays, où sa vie était désormais en danger, pour demander l’asile politique au Mexique.

L’opposition d’extrême-droite bolivienne, liée à une oligarchie refusant de céder quoi que ce soit de ses privilèges, inféodée à l’impérialisme étatsunien, fascisante et raciste (faisant preuve d’un mépris outré et d’une haine viscérale pour les peuples autochtones de Bolivie), contestait en effet depuis trois semaines le résultat des élections présidentielles du 20 octobre 2019, qu’elle affirme avoir été falsifiées, sans la moindre preuve (c’est toujours comme ça avec la droite pro-impérialiste : soit elle gagne, soit les élections sont truquées). Cette opposition « démocratique » a plongé la Bolivie dans le chaos, en usant de méthodes dignes des chemises brunes : violence contre les militant-e-s du MAS (Mouvement pour les socialisme, parti d’Evo Morales) et les représentant-e-s des autorités légitimes, agressions inqualifiable contre des autochtones, incendies d’habitations de partisans d’Evo Morales.

La proposition du président Morales d’organiser de nouvelles élections par gain de paix n’a eu aucun effet pour calmer l’opposition. Le commandant en chef des forces armées, William Kaliman, a appelé le président Morales à démissionner. Le chef de la police a lui aussi pris fait et cause pour l’opposition putchiste. L’ingérence de l’armée dans la vie politique, pour appuyer un coup d’Etat d’extrême-droite rappelle ici trait pour trait le coup d’Etat du 11 septembre 1973, qui amena au pouvoir le général Pinochet, de sinistre mémoire.

Le président de la Chambre des députés et membre du Mouvement vers le socialisme (MAS), Victor Borda, a dû présenter sa démission à son tour, suite à l’enlèvement de son frère par des groupes armés liés à l’opposition. "Je veux communiquer ma démission irrévocable du poste de président de la Chambre des députés et de demander la paix, malheureusement ma maison a été brûlée et prise,  en ce moment mon frère a été pris en otage et déplacé pieds nus sur la place, a-t-il déclaré. D’autres responsables issus du MAS ont été obligés de faire de même.

Dans cette ambiance de terreur brune, les élus du MAS ont été intimidés, ou physiquement empêchés de se rendre au parlement, où ils sont pourtant majoritaires. Dans ce chaos organisé, la vice-présidente du Sénat, Jeanine Añez s’est faite proclamer présidente ad intérim, cette fonction étant sensée lui revenir selon les règles de transfert de pouvoir dans ce cas de figure, devant ces partisans…minoritaires, et donc n’atteignant pas le quorum requis. Peu lui importe. Mme Añez rentrait ensuite fièrement au palais présidentiel, une Bible entre les mains, déclarant que sa prise de pouvoir est un « acte de foi ». La loi de Dieu qui prévaudrait opportunément sur celle des Hommes ? Ou plus simplement la force des armes des factieux galonnés sur la démocratie ? Qui est cette fanatique ? Elle est membre du Mouvement Démocrate Social, un parti d’extrême-droite, comme son nom ne l’indique pas, qui, aux dernières élections, a eu environ 4% des voix, 4 députés sur 130 et 1 sénateur sur 36. Elle a aussi été rattrappée par des tweets racistes, qu’elle s’est empressée d’effacer, comme celui-là par exemple : « Je rêve d’une Bolivie débarrassée des rites sataniques indigènes, la ville n’est pas faite pour les Indiens, qu’ils s’en aillent dans l’Altiplano ou dans le Chaco !! ». Tout simplement charmant.

Pendant ce temps, des partisans du nouveau régime décrochaient et profanaient le Wiphala, symbole indigène, devenu le deuxième drapeau de Bolivie sous Evo Morales, tandis que des policiers parjures et mutins arrachaient le Wiphala de leur uniforme. Pourtant, l’arrivée à la présidence d’Evo Morales en 2006 avait représenté un espoir extraordinaire, de rupture avec l’oppression néocoloniale et néolibérale, avec le racisme institutionnel, la promesse d’une nouvelle Bolivie, la perspective du socialisme. Comment en est-on arrivé là ?

En finir avec l’Etat colonial

Pour comprendre les causes et la nature du coup d’Etat qui a renversé le gouvernement légitime d’Evo Morales, il faut remonter aux sources de ces événements : ce que fut la Bolivie avant l’accession d’Evo Morales à la présidence, et ce qu’elle devint sous sa direction.

Intégrée jadis à l’Empire Inca, ce qui allait devenir la Bolivie allait être conquise par l’Espagne au XVIème siècle. Ces peuples autochtones étaient condamnés à plusieurs siècles d’esclavage affreux, génocidaire, d’oppression sans nom, leur dignité humaine horriblement niée par leurs nouveaux maîtres, tout cela pour la rapacité de la couronne espagnole, avide d’or et d’argent. Lorsque la Bolivie conquit son indépendance, ce sont les descendants des colons espagnols qui obtinrent le pouvoir. Le sort des peuples autochtones ne changea guère. Ce de cette élite colonialiste que descend l’actuelle oligarchie bolivienne, dont l’émanation politique est la droite putschiste d’aujourd’hui. Cette oligarchie continue de regarder les peuples autochtones avec un regard de conquistadores. Il faut signaler d’ailleurs que l’élite bolivienne accueillit en son sein nombre de dignitaires nazis, fuyant le Troisième Reich en pleine débâcle. La culture politique de la droite bolivienne s’en ressent.

Depuis l’indépendance, l’Etat colonial subsista en Bolivie, réduisant les autochtones, pourtant majoritaires, à la pauvreté – fracture sociale et fracture nationale se superposant en pratique – et à l’oppression d’un racisme d’Etat structurel. Cet Etat colonial tomba à son tour dans l’escarcelle du néocolonialisme des Etats-Unis. Il faut dire que la Bolivie est très riche de ressources naturelles, minières et d’hydrocarbures. Mais, dans un modèle compradore d’échange inégal, ces richesses ne profitaient qu’aux entreprises de l’Empire, et à une petite oligarchie raciste et arrogante, tandis que le pays était condamné à la misère et au sous-développement. La Bolivie connut son lot de régimes non-démocratiques, de luttes populaires pour la démocratie, de dictatures militaires et de fausses démocraties néolibérales, soumettant le peuple à une saignée à blanc, à base de privatisations, de libéralisations sauvages et de démantèlement social. Ce régime « démocratique » néolibéral menait également, au nom de la « guerre contre la drogue » impériale, une guerre contre sa propre paysannerie, persécutant sauvagement les paysans cocaleros, assimilant arbitrairement la culture ancestrale de la coca à la production de cocaïne. Evo Morales est lui-même un ancien paysan cocalero, qui a toujours défendu les intérêts de la classe dont il vient. Quand des représentants de la droite bolivienne l’accusent de « narcotrafic », c’est juste leur racisme envers les autochtones, surtout s’ils ont le malheur d’être paysans, qui parle.

C’est comme leader rassemblant les mouvements populaires, sociaux et politiques – paysans cocaleros, peuples autochtones, syndicats – qu’Evo Morales émergea dans la vie politique bolivienne. Son parti, le MAS, fut fondé en tant que faîtière de tous ces mouvements sociaux. La convergence de toutes ces luttes, dont le point culminant fut le combat, victorieux, contre la privatisation de l’eau potable, qui fit vaciller le régime néolibéral. Qui finit par s’effondrer. Il n’en resta à la fin qu’un gouvernement de transition (un vrai, pas comme celui de Mme Añez), chargé d’organiser des élections anticipées, au terme desquelles Evo Morales fut élu président.

Nous reproduisons ici un extrait de son discours d’investiture présidentielle devant le Congrès national, prononcé le 22 janvier 2006 :

« Il est vrai que la Bolivie a besoin de partenaires, mais pas de propriétaires de ses ressources naturelles. Dans notre gouvernement, il y aura de l’investissement public, et il y aura aussi de l’investissement privé, en partenariat avec l’Etat, en partenariat avec nos entreprises. Nous allons nous porter garants de ces investissements, mais nous nous porterons également garants du droit des entreprises à récupérer ce qu’elles ont investi et de leur droit à faire du profit ; nous voulons seulement que ce profit soit équitable, et que l’Etat et le peuple bénéficient de ces ressources naturelles. 

Je suis convaincu que c’est seulement en produisant que nous pouvons sortir de la pauvreté, qu’il est important de faire des affaires, de bonnes affaires pour la Bolivie. Lors de cette tournée que j’ai effectuée, j’ai appris qu’un président doit savoir faire de bonnes affaires pour son pays. Et c’est pourquoi il est important de débattre et d’analyser en profondeur les politiques commerciales en vigueur, celle de la Zone de Libre Echange des Amériques, ou de la Communauté Andine des Nations, du Mercosur, du Traité de Libre Echange. Il faut évaluer si ce sont des marchés pour les micro et petits entrepreneurs, si ce sont des marchés pour les produits qui créent ou fabriquent les entreprises communautaires, les associations ou les coopératives ; et si ces marchés sont garantis, qu’il soient les bienvenus, parce qu’il s’agit évidemment de garantir des marchés pour les pauvres et pour ces organisations.

Et nous voyons là beaucoup de générosité de la part de certains gouvernements, de certaines institutions pour garantir des marchés avec des prix justes. Nous voulons vendre nos produits dans ces pays ; ici nous n’avons pas de problème de production, il y a une production mais ce qui manque c’est un marché. Ici les richesses ne manquent pas, il y a trop de richesses, or ces richesses sont malheureusement aux mains de quelques-uns, et c’est pourquoi ces ressources ces richesses doivent revenir aux mains de tous les Boliviens ».

Cet extrait montre bien à la fois la grandeur et la radicalité du projet que le MAS s’est employé à mettre en place durant 14 ans, mais aussi ses inévitables limites et faiblesses, ses contradictions qui devaient finalement fissurer le processus du changement de l’intérieur, le rendant finalement assez vulnérable pour qu’une oligarchie renversée 14 ans plut tôt puisse être en position de reprendre le pouvoir par un coup d’Etat sanglant.

Les réalisations du MAS au pouvoir sont indéniables. Avant l’accession d’Evo Morales, la Bolivie était non seulement un pays profondément inégalitaire, mais aussi le plus pauvre d’Amérique Latine. En 14 ans, les progrès économiques et sociaux ont été importants et incontestables. La pauvreté absolue a reculé de 38% à 15%. L’analphabétisme a été éradiqué. La nationalisation des hydrocarbures et la renégociation des contrats avec les multinationales permit de limiter drastiquement les marges de celles-ci et que cet argent bénéficie enfin au peuple. Le gouvernement a pris des mesures efficaces pour le relèvement des salaires, le soutient à l’économie locale et aux PME, qui permit un taux croissance élevé, une croissance pas seulement en termes comptables, mais un véritable développement d’une production pour les besoins du marché intérieur, assurant emplois et hausse du niveau de vie, chômage très bas et inflation inexistantes. Le gouvernement MAS mit également en œuvre des programmes sociaux ambitieux : création d’un système de santé gratuit, pensions de retraite, construction de logements sociaux, investissements massifs dans l’éducation, développement des services publics.

Le MAS est malgré tout jusqu’au bout resté dans une perspective réformiste, d’aménagement du capitalisme, de régulation, de redistribution, ne perdant pas la perspective du socialisme, mais n’étant jamais allé jusqu’à la rupture. Il serait gauchiste et sectaire de le lui reprocher unilatéralement, d’en faire une critique puriste. Cela, c’est l’apanage des révolutionnaires de salon, qui ne voient ni la situation concrète, ni la portée réellement révolutionnaire qu’a représenté la rupture avec le carcan néolibéral dans les années 2000.

Toute révolution est un processus long et complexe, toujours inédit, jamais pareil à aucune révolution précédente, posant toujours des problèmes nouveaux et inattendus. Et il faut tenir compte du fait que la Révolution bolivienne avait à accomplir les tâches de la révolution anticoloniale et démocratique bourgeoise. Reste que la stratégie modérée du MAS, si elle a amené des résultats impressionnants, n’a pas permis de résoudre les contradictions auxquelles le processus de changement devait mettre fin, et en a produit de nouvelles, qui on fini par se retourner contre elle.

L’absence de rupture avec le capitalisme, une stratégie de dialogue national, y compris avec la bourgeoisie, a permis un développement économique et social pour le bénéfice du peuple. Mais de ce fait l’oligarchie renversée restait toujours là, toujours puissante, et constituant une base sociale naturelle pour une contre-révolution. Parallèlement, le développement économique rendu possible par les politiques gouvernementales a rendu possible l’émergence d’une bourgeoisie autochtone. Avant d’émettre la moindre critique d’inspiration gauchiste contre ce phénomène, il faut se représenter le progrès extraordinaire, l’émancipation réelle que ce fait représente après des siècles d’oppressions raciste. Mais il est vrai également que la différenciation de classe au sein des peuples autochtones, base sociale du MAS originellement, a fatalement amené cette base à se fissurer. La nouvelle bourgeoisie, notamment, a inévitablement tendance, eu égard à sa progression sociale, à s’éloigner des idéaux socialistes, auxquels elle doit pourtant son ascension.

Le fait que le processus de changement ait dû à la fois assumer les tâches d’une révolution socialiste et d’une révolution anticolonialiste et démocratique bourgeoise ne pouvait pas non plus amener à de nouvelles difficultés après la prise du pouvoir. De ce fait, la base sociale du MAS était nécessairement composite. Quant il était dans l’opposition, les impératifs de la lutte contre l’oligarchie alors régnante cimentaient la convergence des luttes. C’est devenu plus compliqué après, et des intérêts divergents ne pouvaient pas ne pas apparaître. Etant une faîtière de ces différents mouvements, et pas un parti de type nouveau, théorisé par Lénine, le MAS ne pouvait pas tracer une ligne générale dans l’intérêt de la Révolution au-dessus de ces divergences. L’autorité d’Evo Morales, comme seul capable d’arbitrer ces divergences et de conserver le mouvement uni, devenait indispensable. Ce qui a rendu nécessaire sa présentation à un nouveau mandat présidentiel

L’oligarchie putschiste en a profité pour l’accuser malhonnêtement de confiscation du pouvoir, de « dictature ». C’est parfaitement faux, et c’est l’intérêt général qui motivait l’action du président Morales, non l’intérêt personnel. Le fait est toutefois que, si le rôle de la personnalité est tout à fait significatif et irréductible dans l’histoire et qu’une personnalité d’exception est souvent nécessaire pour forcer le cours des événements, il est tout aussi vrai qu’aucune personnalité, aussi exceptionnelle fût-elle, ne peut longtemps pallier des problèmes structurels. Il est vrai aussi que, malgré des réformes démocratiques conséquentes, le MAS n’a pas réussi à transformer radicalement l’Etat bourgeois. Le fait qu’une majorité de hauts gradés de l’armée et de la police aient trahi le démontre.

Mais il est clair que ce n’est pas la démocratie qui intéresse cette extrême-droite pro-oligarchique, mais seulement la destruction de tous les acquis du processus de changement promu par la révolution démocratique et culturelle, réalisés par le peuple bolivien depuis l’accession à la présidence d’Evo Morales : nationalisation des hydrocarbures, partage des richesses, mise en place de mesures de sécurité sociale, développement de services publics, meilleure protection de l’environnement, mesures pour mettre fin aux discriminations envers les peuples autochtones.

Du coup d’Etat à la dictature fasciste

La propagande du gouvernement putschiste, que même la presse bourgeoise de par chez nous hésite à relayer, prétend qu’il ne s’agit pas d’un coup d’Etat et que le gouvernement de Mme Añez n’est qu’un gouvernement de transition, chargé de rétablir la démocratie. C’est totalement faux. Quelles sont en effet les prérogatives d’un gouvernement de transition ? Gérer les affaires courantes et organiser des nouvelles élections dans les plus brefs délais. Est-ce ce qui se passe en Bolivie ? Non. Les prochaines élections n’auront lieu que le 20 mars 2020, suite à un accord dont nous parlerons peu après. Il faut beaucoup moins de temps à un véritable gouvernement de transition pour organiser des élections. Parce que c’est trop compliqué ? Non, c’est juste que le gouvernement putschiste a beaucoup d’autres choses à faire, des choses qui ne peuvent en aucun cas être classées sous la rubrique d’ « affaires courantes ».

Quelles sont ces « choses » ? Usurpation de compétences régaliennes, inversion de la politique sociale et économique qui avait cours sous Evo Morales, et répression sanglante. Le gouvernement de fait a ainsi rétabli les relations diplomatiques avec les USA et Israël, reconnu Juan Guaido comme président du Venezuela (cette marionnette commençait pourtant à se faire oublier…), décidé de quitter l’ALBA, expulsé les médecins cubains de Bolivie et changé presque tous les ambassadeurs. Les dirigeants de la plupart des entreprises publiques ont été remplacés, et un plan de privatisations massives est en préparation. Tout cela sans la moindre légitimité démocratique ou légale. Pendant ce temps, les généraux putschistes ont tous déménagés aux USA. Là, ils ont été dûment récompensés pour leur haute trahison : un million de dollars pour un général de l’armée, et seulement la moitié pour un de la police. Le rôle de la CIA dans le coup d’Etat se voit ainsi démontré, si besoin était. La présidente autoproclamée les a aussitôt remplacé par des fidèles à sa clique.

Entre résistance populaire et accord incertain

Le peuple bolivien n’était pas ainsi disposé à se laisser imposer un remake du coup d’Etat de Pinochet. Il est aussitôt entré en résistance. Les organisations syndicales, ouvrières et paysannes ont organisé des manifestations de masse, ainsi que des blocages des routes d’accès à la capitale. Le gouvernement putschiste a répliqué par une propagande à base de fake news, et une répression brutale à balles réelles, faisant des dizaines de morts. Il a également promulgué une loi exonérant l’armée de toute responsabilité dans la répression, loi ouvrant la porte à la terreur fasciste. Cerise sur le gâteau : les journalistes qui oseraient ne pas diffuser la version gouvernementale telle quelle, mais auraient l’outrecuidance de couvrir les mobilisation contre ce gouvernement – de faire leur travail en gros – seraient accusés de séditions, et traités comme tels. Quand on vous parle de démocratie…

Dans cette situation, le MAS a préféré signer un accord avec le gouvernement putschiste, légalisant de fait celui-ci, en échange d’élections fixées au 20 mars, auxquelles il pourra participer, mais sans Evo Morales, ainsi que du retrait de la loi accordant l’immunité à l’armée. Pour honorer cet accord, le MAS a ordonné à ces partisans d’arrêter les blocages. Avait-il le choix ? Cela justifie-t-il pourtant ce compromis ? En est-ce seulement un ? Ces élections seront-elles seulement libres et démocratiques ? On peut sérieusement en douter. L’extrême-droite putschiste a d’ores et déjà désigné son champion : José Luis Fernando Camacho, fasciste patenté, organisateur de violences qui ont mené au coup d’Etat, chrétien fanatique, et également milliardaire sulfureux ayant trempé dans les Panama Papers. Une sorte de Bolsonaro bolivien en gros. Magnifique soulèvement « démocratique »…

Quoi qu’il en soit, la lutte n’est pas finie. "Je veux vous dire, frères et sœurs, que la lutte ne s'arrête pas là. Les humbles, les indigènes, les patriotes, nous allons continuer la lutte ", a déclaré Evo Morales, en annonçant sa démission. Bien que nous vivions des heures sombres, la victoire de la réaction ne saurait jamais être définitif, et seuls ceux qui renoncent sont condamnés à la défaite. La lutte continue et finira un jour par triompher. « Elles s’ouvriront à nouveau, un jour, les longues avenues, devant les hommes libres qui construiront un monde nouveau », avait déclaré Salvador Allende dans son discours public, le jour du coup d’Etat. Notre Parti sera toujours aux côtés des peuples qui luttent contre l’impérialisme, pour leur libération et pour une nouvelle société socialiste.


Nous, la Vague, une série politique



Nous, la Vague, série allemande réalisée par Daniel Gansel et diffusée sur Netflix, se veut un remake de la Troisième Vague, expérience sociologique menée aux USA en 1967 (visant à montrer comment un régime autoritaire, inspiré du nazisme, peut très vite se mettre en place et être accepté par la population), du livre qui en est inspiré, ainsi que du film La Vague, du même Daniel Gansel, sorti en 2008. Film qui eut un succès important, notamment parmi la jeunesse aux sensibilités de gauche, d’après les souvenirs de l’auteur de ces lignes, qui s’inquiétaient de la montée de l’extrême-droite et de ce qu’elle pourrait signifier. Le film, pourtant, est politiquement superficiel. Il reprend l’idée de l’expérience sociologique menée par un professeur sur sa classe, mais attribue à sa Vague une idéologie tellement indéterminée que son totalitarisme en devient vide. On en est à vrai dire à la critique platement libérale, où toute forme de collectivisme, voire la simple entraide plutôt que la concurrence (le professeur Wenger, leader de la Vague, impose aux élèves forts d’aider les plus faibles ; ce qui est indiscutablement positif), sont suspectés de totalitarisme.

Cette fois, seul le titre, ainsi que le symbole de la Vague reste, mais l’inspiration est clairement différente. Gansel met en scène une Vague de gauche, anticapitaliste, écologiste, antifasciste, avec des tendances anarchisantes, et portée à l’action directe et à la désobéissance civile, qui utilise les réseaux sociaux pour tenter de réveiller les consciences. Un mouvement en résonnance avec des luttes menées par la jeunesse d’aujourd’hui, sous la forme de la Grève du Climat, ou Extinction Rébellion par exemple.

Dans l’Allemagne d’aujourd’hui, au climat politique empoisonné par le parti d’extrême-droite NfD en pleine ascension (acronyme quasi identique à l’AfD, graphisme presque pareil), gangrénée par le racisme, la pollution industrielle, l’infiltration de l’extrême-droite au sein même de la police, Tristan Broch, adolescent charismatique et rebelle, est un nouvel élève dans un lycée d’une petite ville. On découvre assez vite qu’il est détenu à la prison du coin, où il retourne dormir tous les soirs, et qu’il est en phase de réinsertion, après un passage chez les Black Blocks. Il regroupe autour de lui quatre autre élèves : Léa, fille de bourgeois, peu portée à la contestation initialement, mais qui se convertit à l’altermondialisme après avoir lu No Logo de Naomi Klein (seule référence théorique de gauche présente dans la série), offert par Tristan (bon, conversion un peu trop rapide et pas très réaliste) ; Rahim, adolescent arabe persécuté par les néonazis, et dont la famille est sur le point d’être expulsée par des promoteurs cupides ; Zazie, anciennement souffre-douleur, qui devient punk et s’émancipe de cette façon ; et Hagen, fils de paysans qui ont dû mettre la clé sous la porte suite à la pollution de leurs terres par une usine de papier. Ces cinq mènent des actions d’éclat, symboliques d’abord, plus radicales et spectaculaires ensuite, pour dénoncer tout ce qui les révolte. Des actions qui sont inspirées de celles, par exemple, qui ont été menées lors de la journée des convergences des luttes contre le Black Friday, mais beaucoup de degré au-dessus niveau préparation comme spectaculaire. Niveau risque aussi. Nous ne vous recommandons pas forcément de tenter de les reproduire.

Des actions qui commencent par des tags et quelques vidéos, puis prennent plus d’ampleur, comme la redistribution gratuite de vêtements de marque, une séquestration d’un dirigeant NfD, qui finit dans une vitrine de musée affublé d’un uniforme nazi, des opérations visant, disons, à perturber le fonctionnement d’un fast food et d’un vendeur de 4X4, le directeur de la fameuse fabrique de papier qui se voit victime de sa propre pollution. Et ce n’est que le début. L’acmé de leurs actions est sans doute atteint lors de l’infiltration d’une soirée d’affaires, où Tristan se fait passer pour un homme d’affaire, qui, face au parterre de bourgeois rassemblés, fait un discours qu’ils approuvent tous : un discours qui renverse le paradigme 99% vs 1%, du point de vue des 1% ; les 1% sont supérieurs, car ils sont les plus dynamiques, et méritent leur richesse ; les 99% sont des jaloux à la source de tous les problèmes de ce monde, qui se porterait bien mieux sans eux. Des propos que beaucoup de monde dans les conseils d’administration des multinationales, ou au PLR, doivent penser tout bas, à défaut d’oser les proférer tout haut. Cette action, toutefois,  ne finit pas très bien, ce qui est source d’une bifurcation majeure du scénario…

La trame de l’histoire n’est toutefois heureusement pas linéaire, et ne se limite pas à une succession d’actions de désobéissance civile plus ou moins spectaculaire. Les cinq protagonistes principaux ne sont pas uniquement des militants entièrement dévoués à la Cause, mais aussi des personnes mues par leurs passions, comme le désir de reconnaissance, l’amour (la dynamique de la Vague fait aussi naître des couples), ou bien encore la quête de vengeance, qui s’entremêlent de façon parfois compliquée et contradictoire avec leur adhésion au mouvement. Et l’un parmi eux a aussi dès le départ d’autres motivations…nous n’en dirons pas plus pour ne pas spoiler.

La saison 1 de Nous, la Vague comprend 6 épisodes de 45 minutes chacun. Nous éviterons d’en dire plus sur le scénario, pour éviter le spoil. Plus intéressant pour nous, puisqu’il s’agit d’une série à contenu politique, et que nous écrivons dans un journal qui est lui aussi éminemment politique, et pas de n’importe quelle ligne politique, est la dimension proprement politique du scénario, plus précisément celle de la stratégie révolutionnaire.

Certains critiques ont dit que, pour une série qui parle de politique, le contenu politique en est singulièrement absent. On sait que la Vague est « de gauche », progressiste, engagée pour toutes les causes progressistes en vogue. Mais sur la base de quelles idées ? Quelles références idéologiques ? Ce n’est pas dut tout clair. Cette critique n’est pas vraiment fondée. En fait, si les discussions doctrinales semblent manquer – mais il s’agit d’une série après tout, essayez de faire un épisode avec une réunion de Congrès… – il y a bien une question cruciale qui est débattue par les protagonistes comme posée par le scénario. Et ce n’est pas celle qu’on a généralement voulu y voir : action violente ou non violente ; mais plutôt celle-là : quelle est la forme d’organisation révolutionnaire appropriée : l’action minoritaire ou l’organisation de masse ?

Car, s’ils ne débattent guère de programme politique, les cinq membres initiaux de la Vague ont entre eux toute de même, à plusieurs reprises, un débat de nature organisationnelle et stratégique : faut-il ou non élargir la Vague, en faire une organisation ouverte, ou bien en rester au groupuscule, clandestin, de cinq ?

Léa soutient l’élargissement, pour que la contestation se répande, pour passer à des formes de lutte de masse, et ne pas en rester à des actions d’éclat. Tristan défend fermement la clandestinité et le fait d’en rester à cinq : les actions de lutte exigent une confiance mutuelle totale, ce qui ne peut se concevoir qu’en un cercle très restreint. Léa l’emporte une première fois, mais, faute de préparation, d’organisation, ainsi que de ligne politique claire, la Vague élargie se laisse sur un coup de tête à l’assaut d’un abattoir, qui tourne mal. A notre sens, ce n’est pas la violence per se, mais le spontanéisme et l’absence de ligne politique qui est disqualifié par cette première tentative ratée.

La Vague en retourne donc à sa formule initiale, ce qui ne l’empêche pas d’aller au devant d’ennuis encore pires. L’action directe et minoritaire n’est pas forcément une option plus sûre. Au final, dans des circonstances qu’il est impossible de révéler sans spoil, c’est l’organisation de masse qui s’impose, et la violence minoritaire qui est récusée (enfin, « violence », n’exagérons rien non plus ; il est question de dommage aux biens, pas les plus recommandables qui plus est, pas aux personnes). Léa s’impose comme leader de la Vague à la place de Tristan. Une Vague qui utilise des formes de protestation non-violentes étant donnés les rapports de force dans la société. La question de la violence insurrectionnelle n’est pas posée (ce serait une toute autre série). La ligne de masse se révèle justifiée. La Vague se répand à travers l’Allemagne.

Concédons que d’autres n’ont pas fait la même lecture de cette série. Les recensions parues dans la presse bourgeoise ont plutôt vu dans la série des questionnements tels que : la violence est-elle légitime ? la fin justifie-t-elle les moyens ? un mouvement de gauche qui devient extrême n’en devient-il pas fatalement totalitaire ? Ces critiques y ont vu un questionnement lucide – de leur point de vue – sur les mouvements sociaux d’aujourd’hui, qui risqueraient de se perdre dans une forme d’extrémisme, de totalitarisme même, de perdre ce qui fait leur légitimité en allant trop loin dans la radicalité.

Admettons que tout n’est pas entièrement explicite dans la série et que chacun la voit à la lumière de ses propres questionnements et références. L’auteur de ces lignes n’interpréterait pas la série comme il fait s’il n’était pas léniniste sans doute. A contrario, les critiques de la presse bourgeoise ne voient qu’à travers le prisme de leur idéologie libérale. De ce fait, ils voient très vite du « totalitarisme » dans ce qui déplaît dans une perspective libérale et individualiste : la moindre prévalence du collectif sur la sacro sainte liberté de l’individu libre dans le marché libre peut suffire.


A quelles conclusions arriverait un lecteur du présent article en regardant Nous, la Vague ? Il devrait en tout cas trouver la série intéressante, et sans doute en résonnance avec ses propres interrogations. La première saison en tout cas mérite d’être vue. Quand elle sortira, la saison 2 rendra peut-être certaines choses plus claires.

Croissance infinie ou avenir vivable, il faut choisir




Les votations populaires du 24 novembre 2019 ont parlé. Sur presque tous les sujets le peuple s’est prononcé dans le même sens que celui préconisé par le Parti du Travail. Dans la majorité des cas, à une majorité très étroite. Nous pouvons penser en tout cas que le fait que la plupart des objets n’ont été tranchés qu’à une majorité serrée reflète la difficulté de la question qui s’est posée.

Car, à travers les objets des votations sur l’aéroport, les changements de limites de zone au Petit-Saconnex et au Grand-Saconnex, ainsi que sur la limitation drastique des produits phytosanitaires, c’est une même question que le peuple a été appelé à se poser : le développement, conçu en termes de croissance, peut-il se poursuivre, ou bien doit-il être maîtrisé, arrêté peut-être, voire partiellement inversé.

La réponse de la droite libérale était univoque : la croissance est une nécessité, une fatalité économique ; il serait illusoire de vouloir la contenir. Celle de l’extrême-droite était, comme d’habitude, démagogique et contradictoire. Celle du PS était en partie ambiguë, et influencée par la vision libérale quant au fond. La réponse du Parti du Travail était claire : le développement frénétique actuel conduit dans une impasse et ne peut continuer ainsi.

Pour reprendre le propos de l’économiste et philosophe étatsunien Kenneth E. Boulding, devenu depuis un adage : « Celui qui croit qu’une croissance infinie est possible dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste » (néoclassique), ou bien un capitaliste (dont les privilèges dépendent de cette croissance infinie, qu’elles qu’en puissent être les conséquences), ou encore un politicien de droite, au service de ce dernier.

Il faut aujourd’hui être fou, ou en tout cas obnubilé par ses intérêts de classe immédiats jusqu’à l’aveuglement, pour continuer à croire que la poursuite de la croissance économique est possible, qui plus est souhaitable. Il y a quelques jours le rapport annuel du Programme des Nations-Unies sur l’environnement a rappelé l’urgence absolue de la situation. D’après le PNUE chaque minute de perdu peut désormais avoir des conséquences catastrophiques.

Les températures ont d’ores et déjà augmenté de 1°C par rapport à l’ère préindustrielle, et les conséquences en sont visibles, et dévastatrices. Si l’on veut réussir à limiter la hausse des températures à 1,5°C, il faudrait réduire les émissions anthropiques de gaz à effet de serre de 55% d’ici à 2030. Tout retard après 2020 rendrait rapidement cet objectif inatteignable. Il faudrait tout de même réduire les émissions de 2,7% par an si on veut au moins réussir à ne pas dépasser 2°C de hausse. Le problème étant que les émissions continuent régulièrement à croître, et, au rythme actuel de l’inaction des pouvoirs politiques et de la soif de profit sans fin des entreprises, cela est bien parti pour continuer. Ce qui impliquerait une hausse des températures jusqu’à 3,9°C d’ici la fin du siècle, ouvrant la porte à des boucles de rétroaction incontrôlables, et rendant au final la planète inhabitable, ou peu s’en faut.

Par son soutien à un développement sans frein de l’aéroport, au bétonnage des terres agricoles, à la construction de nouveau bureaux, venant s’ajouter aux km2 de bureaux vides sur Genève, et destinés à attirer des multinationales supplémentaires de la finance et du trading, qui vont ensuite investir dans les énergies fossiles, en densifiant « à la tronçonneuse », la droite genevoise contribue à sa mesure au problème.


Ce « développement » là est délétère et il faut lui mettre un terme. Construire du logement est indispensable, mais de façon intelligente, respectueuse des espaces verts et de la zone agricole. Pas en bétonnant à tout va. Aussi en construisant des logements à prix abordables, pas de la PPE, ni des bureaux. Certes, le capitalisme ne peut exister sans croissance infinie. C’est pourquoi il doit céder sa place au socialisme. C’est une question de survie pour notre espèce désormais.