21 août 2020

De la pandémie à la crise économique

La pandémie du COVID-19 n’est pas encore finie – elle s’accélère même de par le monde – et pourtant, dans son ombre, se profile une crise économique et sociale majeure, plus longue, plus profonde et plus durable que les secousses occasionnées par le virus. Les faits, largement étayés dans la presse, sont parlants.

Dans une interview à NBC, Dave Calhoun, PDG de Boeing Corporation – l’une des plus grosses multinationales de l’aviation et de l’armement – a admis que sa société envisageait très probablement une contraction d’activité, suite à la baisse du trafic aérien, qui ne devrait pas revenir à son niveau d’avant-covid avant plusieurs années, et qu’une faillite n’est pas exclue. Boeing a d’ores et déjà procédé à 16'000 licenciements et réduit sa production.

Boeing Corporation n’est pas la seule entreprise confrontée à ce problème. Tout le secteur aérien est pratiquement à l’arrêt. Personne ne s’attend à un retour de la situation d’avant-covid avant plusieurs années. Malgré l’aide étatique, il semble évident que toutes les compagnies aériennes ne survivront pas. En Suisse, le secteur aérien représente 200'000 emplois directs.

Il ne serait pas correct de voire cette crise du secteur aérien comme un phénomène localisé, dû aux circonstances particulières de la pandémie. Car une entreprise qui fait faillite, c’est une entreprise qui arrête de payer ses salariés, ainsi que ses fournisseurs, qui sont à leur tour confrontés au problème d’honorer leurs propres paiements…la crise peut ainsi occasionner des faillites en chaîne, et contaminer l’économie entière.

En outre, le secteur aérien n’est pas seul à être touché. L’industrie suisse des machines s’attend à un recul notable, car, en prévision de la crise imminente, peu d’entreprises sont prêtes à des investissements productifs. L’industrie horlogère est également confrontée à une contraction de la demande. Et ces secteurs ne sont pas les seuls à être dans ce cas.

Le commissaire européen à l’économie, Paolo Gentiloni, a ouvertement envisagé « un choc économique sans précédent depuis la Grande Dépression ». On prévoit de fait 7,5% de récession dans l’UE, la faillite de 18% des entreprises de l’Union (et jusqu’à 22% en Espagne), et 9% de chômage. D’après les estimations du SECO, le PIB de la Suisse baissera de 6% à 12% cette année. Le taux de chômage devrait atteindre jusqu’à 30% aux USA. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Rien n’incite à penser qu’il ne s’agisse que de difficultés passagères. D’ailleurs, la levée des mesures de confinement n’a nullement mis un terme aux tendances déflationnistes. Nous sommes en réalité au commencement d’une crise économique majeure, sans équivalent depuis 1929.

Causes structurelles de la crise

La crise économique ne saurait s’expliquer seulement par le coronavirus. Des épidémies (certes généralement locales) des dernières décennies ont vu deux ou trois mois de récession, due aux mesures de confinement lorsque celles-ci ont été prises – suivie d’un regain d’activité et d’un retour à la normale. La mise en mode veille de la plupart des activités non-essentielles pendant quelques deux mois ne représenterait pas un problème majeur pour un mode de production moins irrationnel que le capitalisme. Même pour le capitalisme, il n’y aurait là rien d’insurmontable en temps normal.

Mais le fait est que la situation de l’économie mondiale avant l’épidémie n’avait rien de « normal ». Une nouvelle crise systémique était en gestation, son déclenchement n’étant retardé que par l’usage intensif de la planche à billet, des taux nuls, voire négatifs, par les banques centrales. L’épidémie n’a été que la secousse de trop, qui a plongé l’économie mondiale dans la crise qui était imminente. C’est tellement vrai que la Suède, qui n’a mis en place aucune stratégie de confinement – tablant sur une dangereuse et illusoire stratégie de l’ « immunité collective », au prix d’une surmortalité particulièrement élevée – n’en voit pas moins son économie plongée dans la récession.

Il s’agit en réalité d’une crise de suraccumulation du capital – atteignant aujourd’hui des proportions vertigineuses – avec pour conséquence une surproduction relative par rapport à la demande solvable, entraînant nécessairement la crise, selon une dynamique expliquée par Karl Marx dans Le Capital, Livre III, ch. 13 :

« Par rapport à la population, l’énorme force productive qui se développe dans le cadre du mode de production capitaliste, et l’accroissement des valeurs-capital qui augmentent bien plus vite que la population, entrent en contradiction avec la base au profit de laquelle s’exerce cette énorme force productive et qui, relativement à l’accroissement de richesse, s’amenuise de plus en plus, et avec les conditions de mise en valeur de ce capital qui enfle sans cesse. D’où les crises. »

Le déclenchement de la crise n’a été provisoirement retardé, comme nous l’avons dit, que par la planche à billets. Aujourd’hui, c’est en injectant massivement des liquidités dans l’économie par le même procédé que les Etats essayent de la juguler. Or, l’usage de la planche à billet ne saurait être une solution que temporaire, qui repousse un peu le déclenchement de la crise, mais en l’aggravant le moment venu. L’injection de liquidités signifie accroître encore la suraccumulation du capital…qui ne peut être valorisé, étant donnée la suraccumulation existante, impliquant la baisse tendancielle du taux de profit dans l’économie réelle, que dans la fuite en avant dans la spéculation financière, créant l’illusion d’un capital purement financier qui se valorise par lui-même, de l’argent qui engendre de l’argent. Mais cela ne peut durer longtemps. L’autonomie du capital financier n’est qu’apparente, et cette dissociation est fatalement brisée, ramenée à la réalité, ce qui constitue à proprement parler la crise financière (qui semble être une crise financière s’étendant à l’économie réelle, alors qu’il s’agit d’une crise de suraccumulation dont le déclenchement n’a été que retardé par le recours à la spéculation), selon un mécanisme décrit, une fois encore, par Karl Marx, dans Le Capital, Livre III :

« Bien qu’il soit rendu autonome, il n’est jamais autre chose que le mouvement du capital industriel dans la sphère de la circulation. Mais, grâce à son autonomie, ses mouvements sont, dans certaines limites, indépendants des barrières élevées par le processus de reproduction qu’il impulse lui-même au-delà de ses propres limites. La dépendance à l’intérieur et l’autonomie à l’extérieur finissent par conduire les choses jusqu’au point où la connexion interne doit être rétablie par la violence, c’est-à-dire par la crise ».

Nous sommes actuellement à l’aube d’un tel « rétablissement de la connexion interne par la violence ». L’économie réelle est en effet d’ores et déjà en récession, alors que les marchés financiers bénéficient d’une simili-reprise, due à l’injection massive de liquidités par les Etats.

Quelles solutions ?

Il n’est dès lors pas inutile de regarder comment la bourgeoisie a réussi à « résoudre » les précédentes crises structurelles de son système économique. Une reprise après la crise de 1929 ne fut possible qu’après la Deuxième Guerre mondiale, et les colossales destructions de capital – et de vies humaines – qu’elle apporta, ce qui rendit possible un redémarrage de l’accumulation capitaliste, pour une trentaine d’années. La crise du capitalisme monopoliste d’Etat dans les années 70 posait objectivement la question de la transition au socialisme. La bourgeoisie ne parvint à éviter cette issue que par la contre-révolution néolibérale dans les métropoles et un rétablissement aggravé de l’oppression néocoloniale, à coup de guerres et de plans d’ajustement structurels, dans le Tiers Monde. Une nouvelle crise ne fut néanmoins – provisoirement – évitée que par la contre-révolution dans la plupart des pays socialistes à la fin des années 80, qui ouvrit un nouveau champ d’expansion colossale au capitalisme. Le répit ne fut que de 20 ans. Pour « résoudre » la crise de 2008, après quelques propos hypocrites et vite oubliés sur la « moralisation du capitalisme », les décideurs bourgeois eurent recours à des politiques d’austérité d’une violence sans équivalent depuis longtemps. Outre leurs dégâts sociaux, ces mesures sont en réalité récessives – en diminuant brutalement la demande solvable – et de nature à aggraver les causes structurelles de la crise. Pour relancer l’accumulation du capital, la bourgeoisie eut recours, d’une part à l’aggravation de l’exploitation de la force de travail, par l’austérité, la baisse des salaires, l’ubérisation, l’intensification du travail, l’industrie 4.0, d’autre part à la fuite en avant dans la spéculation financière, facilitée par l’usage massif de la planche à billets, les taux nuls, voire négatifs, pratiqués par les banques centrales. De telles « solutions » ne pouvaient que précipiter le retour d’une crise aggravée. Nous y sommes.

Cette histoire nous apprend, d’une part, que la crise systémique du capitalisme s’aggrave – crises plus fréquentes et plus graves, phases de reprise plus courte et plus ambiguës – et, d’autre part, qu’elle ne peut être résolue dans le cadre du système, que ce soit par des mesures keynésiennes, la planche à billet, des solutions « techniques », et encore moins par un prétendu « capitalisme vert », qui n’est que du greenwashing. L’état même du développement des forces productives, le niveau atteint par la concentration du capital, exigent la transition au socialisme. Autrement, la bourgeoisie relancera le cycle d’accumulation du capital, au prix d’une nouvelle aggravation de l’exploitation, de mesures de plus en plus insoutenables pour les peuples comme pour l’environnement, et peut-être de la guerre…jusqu’à la prochaine crise. L’alternative est claire. Le choix est urgent. Beaucoup de gens commencent à le percevoir confusément. Le rôle historique d’un parti tel que le nôtre est crucial dans ces circonstances.

La bourgeoisie suisse, ses associations patronales et ses partis politiques, est d’ores et déjà à l’offensive pour faire payer la crise aux travailleurs, au peuple : pression à la baisse sur les salaires, attaques contre les droits des travailleurs, extension des heures de travail, démantèlement supplémentaire des assurances sociales…Cette offensive est doublée d’une campagne idéologique : nous sommes tous sur le même bateau, la pandémie a coûté cher, personne n’a été laissé au bord du chemin (ce qui n’est pas le cas en réalité), maintenant tout le monde doit faire des sacrifices…Il ne s’agit en réalité pourtant que d’accroître le taux d’exploitation pour le profit du capital, ce qui a peu à voir avec la pandémie. Le Parti du Travail mènera une lutte inlassable pour expliquer la vraie nature de la crise, pour refuser que ce soit le peuple qui la paye, pour un programme alternatif à celui de la bourgeoisie, fondé sur la justice sociale, la solidarité, et qui ouvre la voie vers le socialisme.


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