21 août 2020

Allocution lors de la fête du 04.07.20

Chères et chers camarades,

« Parce que les choses sont ce qu’elles sont, les choses ne resteront pas ce qu’elles sont » avait dit Bertolt Brecht. C’est dans cet état d’esprit que nous avons organisé cette fête, notre premier événement public depuis le début de l’épidémie du COVID-19. Cette petite fête ne remplace pas la traditionnelle Fête des peuples sans frontières, qui aurait lieu le même week-end sur trois jours. Mais la situation est pour le moins particulière. Même l’événement d’aujourd’hui, nous aurions pu hésiter à le tenir, du fait de la situation au plan sanitaire. Mais le fait est que nous y tenions, parce que beaucoup de choses doivent changer, et que nous estimons qu’il est important pour nous de dire ce que notre Parti a à en dire.

Avant toute chose, nous concédons qu’il faut bien être conscients qu’il est beaucoup trop tôt pour parler de l’ « après-corona », comme si on y était. Loin d’être maîtrisée, la pandémie ne fait que prendre de l’ampleur au niveau mondial. Personne ne sait quand est-ce qu’il y aura un vaccin, et s’il y en aura un. Le virus est sans doute là pour encore un moment. En Suisse même, il est loin d’avoir disparu. Nous assistons actuellement au contraire à une inquiétante recrudescence de l’épidémie. Il ne s’agit pas à ce jour d’une deuxième vague à proprement parler. Celle-ci peut encore être évitée. Mais il est essentiel d’en être conscient et de faire preuve de prudence.

Ce n’est pas pour autant que le rôle d’un Parti comme le nôtre devienne moins important, que les divergences politiques devraient s’effacer au profit de l’unité derrière le Conseil fédéral dans la lutte contre l’épidémie, que nous serions tous dans le même bateau.

Car l’épidémie elle-même, ou plutôt les mesures prises, ou l’absence de mesure, de la part des Etats est une question profondément politique, une question de classe. La Suisse ne fait pas exception à la règle. Jusqu’à présent, c’est une classe bien déterminée qui est au pouvoir en Suisse – la grande bourgeoisie. Et ce sont ses intérêts que le Conseil fédéral a choisi de ménager par dessus tout. Le semi-confinement fut décrété avec retard, et levé sans doute trop tôt, au nom des intérêts de l’ « économie ». L’aide aux entreprises fut plus empressée et autrement plus massive que les mesures visant à soulager les classes populaires (et encore, tout le monde n’est pas couvert par le dispositif mis en place par la Confédération et les cantons).

Pour ne prendre que l’exemple le plus récent, le Conseil fédéral a imposé le port du masque dans les transports publics. Plusieurs cantons l’ont imposé aussi dans les commerces. C’est fort bien et nécessaire – mais n’oublions pas que les mêmes disaient au début de l’épidémie, lorsqu’il y avait pénurie de masques, qu’ils ne sont pas vraiment utiles…Rendant le masque obligatoire, ils ne sont pas allés pourtant jusqu’à le rendre gratuit. Le canton de Genève a tout de même pris l’initiative d’en mettre en vente à prix coûtant. Il s’agit pourtant d’un coût important pour des travailleurs mal payés et qui doivent prendre les transports publics tous les jours. Il ne suffit pas qu’une politique soit pertinente d’un point de vue sanitaire pour qu’elle soit socialement juste. Ce n’est pourtant pas acceptable. Nous devons exiger la gratuité des masques !

Et si l’épidémie est loin d’être terminée, nous ne pouvons pas pour autant ne penser qu’à elle, avoir les yeux rivés sur les préoccupations sanitaires, en oubliant tout le reste. Car l’épidémie, malgré sa gravité, risque fort d’être bientôt éclipsée par rien de moins que la crise économique la plus grave que le capitalisme ait connu depuis 1929. Une crise dont on voit d’ores et déjà le commencement, et dont la gravité fait globalement consensus, tant parmi les économistes bourgeois que les marxistes.

Les porte-paroles de la bourgeoisie mentent lorsqu’ils disent que la crise économique est causée par le coronavirus, que la Confédération et les cantons ont fait des efforts financiers conséquents pour ne laisser personne au bord de la route – ce qui n’est pas tout à fait vrai, le dispositif social mis en place pour l’occasion n’est pas sans nombreuses lacunes, ne prend pas en compte tout le monde – et que maintenant, il faudra que tous fassent des « sacrifices » pour « relancer l’économie ».

Car, premièrement, la crise n’est pas due au virus. Elle était déjà là en puissance depuis un moment. L’épidémie n’a fait que précipiter son déclenchement, qui n’a pu être retardé jusque là par l’usage massif de la planche à billet, des taux nuls, voire négatifs, pratiqués par les banques centrales. Cette crise est une crise de suraccumulation du capital. Elle ne peut être résolue, comme les Etats capitalistes essayent de le faire, par l’injection de liquidités. Car cela signifie accroître encore la suraccumulation du capital – qui est cause de la crise – un capital qui cherchera à se valoriser artificiellement sur les marchés financiers…jusqu’au krach, qui est le retour, brutal mais inévitable, à la réalité, suivi de la récession, de la montée du chômage, de la précarité…

Deuxièmement, car, lorsqu’ils parlent de « sacrifices », ce n’est pas pour tous. Les plus riches ne se sont jamais aussi bien portés. Les quelques individus les plus riches du monde ont vu leur fortune, déjà indécente, augmenter encore. En Suisse, les entreprises – les mêmes qui ont bénéficié du chômage partiel et des crédits cautionnés par la Confédération, ont versé à leurs actionnaires des dividendes…plus élevés qu’en 2019 et 2018 ; ce alors que le chômage partiel représente une lourde perte pour des travailleurs déjà sous-payés, et qui ne touchent plus que 80% de leur salaire. Les écarts salariaux ont encore augmenté cette année.

Cette oligarchie, pour laquelle travaille le Conseil fédéral et la majorité de droite à l’Assemblée fédérale, ne compte renoncer à aucun de ses privilèges. Les « sacrifices », ils comptent les imposer au peuple, aux travailleurs : hausse du chômage, pressions à la baisse sur les salaires, attaques contre les droits des travailleurs, hausse du temps de travail, nouveaux démantèlements des acquis sociaux…Il s’agit pour eux d’accroître l’exploitation des travailleurs pour préserver leurs profits, et peut-être de relancer l’économie…une reprise équivoque, jusqu’à la prochaine crise…

La crise sous le capitalisme signifie également danger de guerre. L’isolationnisme croissant, la rhétorique agressive et l’escalade dans une guerre économique parfaitement contraire au droit international contre des Etats souverains qui ont le malheur de lui déplaire de la part de l’Empire sur le déclin que sont les USA de Trump constitue une véritable menace pour tous les peuples du monde. D’autres puissances impérialistes peuvent aussi être tentées de résoudre leurs problèmes dans la guerre. Plus que jamais, l’internationalisme est un devoir.

La crise signifie également la menace du fascisme. Le Brésil vit déjà sous la présidence d’un néonazi déclaré, dont la gestion irresponsable de l’épidémie a viré à la gabegie meurtrière. Partout, chez nous également, l’extrême-droite représente un danger plus menaçant que jamais. Plus que jamais, l’antifascisme, la défense des libertés démocratiques face à une bourgeoisie prête à les sacrifier au nom de la « sécurité » – de la sécurité de son règne – est un devoir.

La crise économique ne devrait pas faire oublier non plus une crise plus grave : celle de notre environnement que le capitalisme prédateur a dégradé, au point qu’il importe d’agir dans un délai historiquement très bref si l’on ne veut pas que la planète devienne inhabitable. Pourtant, des lobbys capitalistes n’hésitent pas à appeler à laisser ce problème de côté pour l’instant, au nom de la « relance de l’économie ». Et quand la bourgeoisie prétend agir, ce n’est guère concluant. Le Conseil national a réussi enfin à s’entendre sur une loi sur le CO2. Que prévoit cette loi pour faire face à l’urgence climatique ? Uniquement des taxes – sur l’essence, les billets d’avions, le mazout – et la responsabilité individuelle. Des taxes socialement injustes au possibles, puisque très lourdes pour les gens modestes, et indolores pour les riches, et dont l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre risque d’être minime. Même les rares mesures positives, comme la rénovation des bâtiments, risquent de retomber sur le peuple, puisque rien n’est prévu pour empêcher que ces rénovations ne soient répercutées sur les loyers. Et aucune mesure visant les entreprises, rien pour la place financière suisse (qui est responsable de 22 fois plus d’émissions que la population suisse, mais pourra continuer impunément à investir dans les hydrocarbures et le charbon), rien sur les importations et les délocalisations…Une écologie digne de ce nom exige de faire mieux et autrement.

Parce que le « jour d’après » que veut la bourgeoisie ressemble à s’y méprendre au jour d’avant, en pire, parce qu’un changement radical est plus nécessaire et urgent que jamais, nous devons nous battre pour l’imposer. C’est pour cela que notre Parti a été fondé en 1943, car les travailleurs, les classes populaires n’ont d’autre force à opposer à la bourgeoisie que leur organisation. Comme l’a dit Che Guevara :

« Sans organisation les idées perdent de leur efficacité après le premier moment d’élan ; elles tombent peu à peu dans la routine, dans le conformisme, et finissent par n’être plus qu’un souvenir »

Le Parti du Travail a été fondé avec la conviction que le Parti de classe, organisé pour une lutte de classe sans concessions, et ayant le socialisme pour perspective, est la forme supérieure d’organisation que les travailleurs puissent se donner. Cette conviction est toujours la nôtre. Du reste, rien de mieux n’a été inventé, ni sans doute ne peut l’être. Notre Parti entend être à la hauteur de sa mission historique dans les temps de crise que nous vivons.

Et la perspective que notre Parti peut proposer actuellement, c’est que, premièrement, ce n’est pas au peuple de payer leur crise. Les travailleurs n’en sont pas responsables. Cette crise est celle du capitalisme. C’est à l’infime oligarchie qui a honteusement profité des politiques néolibérales pendant des années de payer. Il est grand temps de taxer plus le capital et les grandes fortunes. A contrario, les droits des travailleurs doivent être garantis et étendus. Il n’est en particulier pas acceptable de rallonger les heures de travail. Au contraire, face au chômage il faut travailler moins pour pouvoir travailler toutes et tous. Chacun doit disposer d’un revenu garanti – garanti sans le dispositif inquisitorial et humiliant de l’aide sociale. Il y a bien assez de richesses pour cela. C’est sa concentration entre les mains d’une toute petite minorité qui doit cesser.

La pandémie a également amplement révélé toutes les failles du néolibéralisme, l’incapacité du libre-marché à répondre aux exigences élémentaires du bien commun, les aberrations de la mondialisation, la nécessité des services publics, de l’intervention publique dans l’économie. Maintenant que nous sommes au bord d’une crise systémique du capitalisme, il est hors de question de revenir au néolibéralisme intégral, comme le préconise Economiessuisse, alors que c’est la cause de nos problèmes, d’oublier toutes les leçons de la pandémie, d’aggraver le mal pour le seul profit de quelques uns. Il faut au contraire relocaliser les activités productives autant que possible, plus et pas moins d’intervention publique et de contrôle démocratique sur l’économie, plus et pas moins de services publics, plus de secteurs nationalisés.

Enfin, on ne peut se contenter de mesures partielles. Les sombres perspectives où nous entraîne la crise du capitalisme, l’urgence climatique et l’incapacité du capitalisme à y faire face, exigent un changement radical, un changement de société. Un « jour d’après », différent et meilleur du jour d’avant, auquel beaucoup de gens aspirent aujourd’hui, est possible et nécessaire, mais il n’adviendra pas de lui-même, seulement au travers d’une lutte menée jusqu’au bout.

Pour notre Parti, ce « jour d’après » est le socialisme, pour lequel nous nous sommes toujours battus, et dont toutes les contradictions insolubles de notre société réclament la réalisation. Certes, c’est une perspective qui apparaît difficile à atteindre, tant par l’état de nos forces, la situation internationale peu encourageante, et l’histoire mouvementée et complexe du XXème siècle. Mais c’est une perspective pour laquelle nous sommes déterminés à luttés, parce que nous sommes convaincus qu’elle est juste, que le maintien du capitalisme pour plusieurs décennies encore serait certainement fatal à l’humanité, et parce que, comme l’a dit Jean Jaurès :


« Il faut l’effort lent et continu pour triompher ! Cependant la victoire est certaine, parce qu’il serait monstrueux et inadmissible que l’humanité ait pu concevoir un idéal de justice et qu’elle soit incapable de le réaliser. Cette faillite humaine ne se réalisera pas ! »

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