10 juin 2014

La bourgeoisie suisse contre la démocratie directe

Depuis que le nombre d’initiatives populaires a augmenté, et que leur acceptation est devenue plus fréquente, des représentants des cercles patronaux et libéraux, ainsi que des partis gouvernementaux envisagent de restreindre le droit d’initiative. Des voix appellent les chambres fédérales à user plus systématiquement de la possibilité d’invalider des initiatives pour non-respect de l’unité de la matière, unité de la forme ou non-conformité des engagements internationaux de la Suisse, voire d’augmenter le nombre de signatures requises. Beaucoup jureraient la main sur le cœur qu’ils en ont après les initiatives xénophobes et contraires aux droits humains de l’UDC, ou des initiatives émotionnelles et difficilement applicables. Mais il ne faut pas s’y laisser prendre. La classe dirigeante de ce pays s’accommode sans trop de problèmes de ce genre d’initiatives, quand elle n’en reprend pas l’esprit – les durcissements successifs de la Loi sur les étrangers et de la Loi sur l’asile furent votés avec les voix libérales-radicales et démocrates-chrétiennes.

Non, ce qui pose réellement problème aux représentants politiques du patronat, c’est l’usage que font la gauche et les syndicats du droit d’initiative pour mettre en avant un agenda de progrès social et de remise en cause de la toute-puissance du capital. Du reste, l’une des deux seules initiatives invalidées dans l’histoire de ce pays fut l’initiative du Parti Suisse du Travail « Contre la vie chère et l’inflation » en 1975, officiellement pour des raisons d’unité de matière, en réalité parce qu’elle menaçait les intérêts que la majorité de droite de l’Assemblée fédérale défend. C’est aussi ce que fait depuis longtemps le Grand Conseil genevois, essayant systématiquement d’invalider les initiatives progressistes pour des raisons politiques. Aucune initiative xénophobe, en revanche, ne fut jamais invalidée.

Le cercle de réflexion néolibéral Avenir Suisse a récemment mené une réflexion sur les restrictions à apporter au droit d’initiative, qui apparemment menacerait la stabilité politique et économique de la Suisse. Il en a clairement contre les initiatives qui demandent un peu plus de justice sociale dans ce pays. « Y compris quand elles ne passent pas, comme l’initiative 1 : 12 ou celle sur le salaire minimum, - déclare un économiste ayant souhaité rester anonyme. Le simple fait qu’elles soient lancées crée de l’incertitude ». (Le Temps du 31.05.14). L’ex directeur d’Avenir Suisse, Xavier Comtesse, est très explicite sur les intentions anti-démocratiques de son organisation : « L’idée, c’est qu’une autorité doit pouvoir accepter ou invalider les initiatives qui sont lancées. Au pays de la démocratie directe, le vote de mécontentement ne devrait pas exister ! »

Sitôt dit, sitôt mis en pratique. Le Conseil des Etats envisage d’invalider pour des prétextes juridiques tirés par les cheveux l’initiative du Parti évangélique, soutenue par le PS et par le Parti du Travail, pour l’imposition des successions et pour que les deux tiers des revenus de ce nouvel impôt aillent au financement de l’AVS. La vérité est simplement que les représentants politiques des possédants ne peuvent accepter que les héritages des multimillionnaires soient taxés.

Ces attaques contre le droit d’initiative sont inadmissibles et doivent être contrées. Le droit d’initiative représente en effet un acquis démocratique précieux et un indispensable contre-pouvoir populaire dans un pays où pour le reste tous les pouvoirs réels sont concentrés aux mains des représentants du grand capital. Les initiatives xénophobes et réactionnaires que le peuple suisse a récemment acceptées ne sont pas un argument. S’il n’y avait que le parlement bourgeois à majorité de droite comme seul rempart face à l’extrême-droite et à ses idées nauséabondes, il s’agirait d’un rempart bien mince. L’agenda xénophobe et rétrograde de l’UDC et de ses satellites doit être contré sur le terrain de la lutte politique et de la lutte de classe, pas par une remise en cause des droits démocratiques précieux et indispensables.










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